« Qu'est-ce que t'as pas compris dans ce que je t'ai dit ?! Si je me suis sacrifiée pour toi c'est pas pour que tu te fasses attraper une heure après ! » poursuivit Neris, hors d'elle.

Sam ne semblait pas prêt à lui répondre, car son regard était fixé sur l'homme qu'il pensait être son père. Le jeune Flynn était ému, mais il allait vite déchanter.

« Je…, répondit-il enfin. Je te remercie de m'avoir permis de fuir, mais tout ça doit être un malentendu, et tout va s'arranger ! »

Pauvre garçon. Il allait se prendre une sacrée claque.

Face à eux, Clu avait assisté à ce court échange silencieusement, et ses sourcils se haussèrent alors qu'il pivotait vers Neris.

« Maintenant je comprends mieux pourquoi tu t'es retrouvée aux Jeux… ça n'avait rien d'une erreur…

— Ben finalement, si, la plus grosse erreur de ma vie, affirma Neris en lançant un regard mauvais à Sam.

— Peu importe, je te prie de m'excuser quelques instants, je dois m'occuper de notre nouvel invité », reprit Clu en faisant un signe de main vers le jeune homme maintenant vêtu d'une armure noire parcourue de circuits blancs.

Aussitôt, Rinzler attrapa le bras gauche de Neris, et il la tira sur le côté de la pièce. La rousse ne résista pas et se contenta de pousser un soupir agacé. Clu allait continuer à faire croire à Sam qu'il était son père, au moins le temps qu'il obtienne les réponses qu'il voulait. Et même si Neris en voulait à Sam de s'être fait prendre, elle ne souhaitait pas manquer une occasion de contrarier les plans de Clu.

« Sam, t'es à côté de tes pompes, tu sais pas ce qui…, commença-t-elle alors.

— Est-ce que… est-ce qu'elle ne parlerait pas un peu trop ? » la coupa Clu en pivotant vers Rinzler.

Neris ouvrit la bouche pour assurer qu'elle arrêtait de parler, mais le soldat d'élite qui lui tenait toujours le bras lui asséna un coup vif et précis au niveau de la glotte. L'utilisatrice aux yeux verts recula d'un pas en hoquetant de douleur, et elle trébucha contre les marches menant à la petite plateforme qui accueillait les consoles de contrôle. Rinzler serra plus fort son bras et la remit de force sur ses jambes pour qu'elle ne finisse pas étalée sur le sol. Une main posée contre sa gorge, Neris était à nouveau debout, mais silencieuse cette fois-ci. Seule sa respiration était quelque peu bruyante, et Clu put enfin commencer à interroger Sam sur son arrivée dans la Grille. Le clone de Kevin Flynn marchait lentement autour de Sam en parlant, vérifiant que le jeune homme était bien venu seul : il ne faudrait pas que quelqu'un lui échappe et risque d'aider le concepteur à s'évader. Clu demanda brièvement à ce que le disque de Sam lui soit remis, et Rinzler lâcha enfin le bras de Neris pour venir retirer le disque de l'humain aux cheveux châtains afin de le donner à Clu. Quelque peu soulagée, Neris en profita pour masser son bras gauche, endolori par la poigne de l'exécuteur de Clu. Du coin de l'œil, la rescapée des Jeux vit Jarvis tenter d'apercevoir les images que visionnait Clu grâce au disque de Sam : on aurait dit un enfant qui avait repéré une bagarre dans la cour de l'école et qui craignait de mettre fin à l'altercation s'il était vu en train d'observer.

Clu exprima sa déception, expliquant à Sam qu'il en espérait davantage, puis il lança le disque en direction de Rinzler, qui le rattrapa sans encombres. Au centre de la pièce, Sam commençait à être perplexe. « Enfin », songea Neris. Elle pouvait à nouveau respirer normalement, et sa main avait relâché sa gorge, mais elle préférait ne pas imaginer dans quel état devait être sa voix. Alors, la rousse se contenta d'observer la scène en restant silencieuse.

Le clone vêtu de noir et de lumière jaune recommença à tourner autour de Sam, le laissant enfin poser quelques questions. Chaque réponse troublait un peu plus le fils du concepteur de la Grille. Il fut totalement perdu lorsque Clu annonça qu'un retour dans le monde réel n'était pas prévu pour lui.

« Drôle de façon de traiter ton fils… », remarqua Sam d'une voix presque éteinte.

Clu se retourna pour lui faire face à nouveau, puis il approcha de lui.

« Je ne suis pas ton père, Sam », lâcha-t-il lentement.

Neris ne put s'empêcher de sourire, et elle regretta que Kevin Flynn n'ait pas appelé son fils Luke.

« Mais te rencontrer m'a fait très plaisir, assura le maître de la Grille avec un sourire faussement amical.

— Clu… », comprit le jeune homme alors que le clone de son père tournait les talons pour s'approcher de la vitre hexagonale.

Alors, des sentinelles saisirent les bras de Sam et commencèrent à le mener vers la porte par laquelle il était venu. Rinzler confia le disque du fils de Flynn à l'un des soldats, et Sam se débattit en tentant de faire face à Clu de nouveau.

« Qu'est-ce que t'as fait de lui ?! s'emporta le jeune homme.

— La même chose que ce que je vais faire de toi ! Utilisateur. »

La porte se referma derrière Sam et son escorte, et le silence se fit. Au bout de quelques secondes, Clu pivota vers Neris en frappant une unique fois dans ses mains.

« Bien ! Où on en était ?

— J'allais partir je crois, rétorqua la rousse d'une voix au timbre irrégulier.

— Tu vas devoir faire vite pour retrouver Flynn. Quand il va apprendre la mort de son fils, il sera affaibli et ce sera le moment d'agir. »

Neris ne prenait même plus la peine de répondre. Elle n'avait aucunement l'intention de trahir Kevin Flynn, mais le dire à voix haute encore une fois pourrait être dangereux. En plus, elle avait mal à la gorge, alors autant éviter de parler si c'était possible.

« Je vais garder ton disque ici, juste pour être certain que tu reviendras, conclut Clu avec un sourire. Tu sais que tu ne survivras pas bien longtemps sans, alors fais vite. »

Comme Neris s'y attendait, Rinzler lui retira son disque avant d'aller le confier à son maître, et la femme aux courts cheveux roux se contenta de suivre du regard le programme malveillant qui avait déjà failli la tuer, puis ses yeux se reposèrent sur Clu.

« Justement, comment je fais pour survivre assez longtemps pour retrouver Flynn si je n'ai plus mon disque ? s'enquit Neris d'une voix un peu plus stable.

— Jarvis, répondit Clu sans prendre la peine de regarder son second. Confie à notre invitée de quoi se défendre et se déplacer.

— Bien, Votre Excellence. »

Neris haussa un sourcil à l'entente de la réponse, et un instant après, le programme lèche-pompe vint donner à l'utilisatrice deux bâtons semblables à ceux qui lui avaient été confisqué lors de son arrestation. Une arme et un cycle lumineux. Neris ne prit pas la peine de remercier Jarvis, et elle accrocha les deux courts bâtons sombres à son armure. Jarvis s'éloigna à nouveau, et Neris le regarda revenir à sa place précédente avec un regard mauvais. Ce programme semblait la preuve même que la dignité était en option dans les rangs de Clu.

« Parfait, tu es libre à présent, lâcha gaiement le clone en jouant avec le disque de Neris.

— Libre, c'est un peu exagéré… », souffla-t-elle en fixant son disque d'identité, si proche et si inaccessible, et également si compromettant.

Cependant, l'utilisatrice prit la direction de la sortie. Elle allait devoir réfléchir sérieusement à une solution pour se sortir de cette impasse sombre où elle risquait de se retrouver coincée.

« Tu devrais assister au combat de cycles lumineux avant de partir, ajouta soudainement Clu. Ça va être un beau spectacle, et ce sera rapide, tu ne perdras pas beaucoup de temps. »

Neris resta face à la sortie, et elle se contenta de tourner la tête vers sa droite : dans son champ de vision périphérique, elle voyait très distinctement le sourire de Clu, elle voyait très bien la lumière du disque blanc qu'il tenait se refléter dans son regard, et Neris ne put se retenir de reformuler intérieurement les paroles du clone parcouru de vives lumières jaunes : « Tu devrais assister à ce qui t'arrivera si tu échoues ».

L'utilisatrice ne répondit rien, elle ne prit même pas la peine de faire face à celui qui régnait sur la Grille. Clu ponctua sa proposition d'un signe de tête, et deux sentinelles vinrent se placer de part et d'autre de Neris, qui prit enfin la peine de se retourner vers Clu :

« Tu devrais réviser l'emploi du conditionnel. Là par exemple, je n'ai fait que te donner un conseil, lâcha-t-elle. On utilise l'impératif pour ordonner quelque chose, ou l'indicatif, ou même le futur simple, si on veut être plus subtil, mais pas le conditionnel en tout cas.

— Eh bien, tu vas assister aux derniers instants du fils Flynn, et ensuite tu partiras à la recherche de son père. C'est mieux ?

— Ça a l'air simple dit comme ça…

— Ne sois pas si peu sûre de toi voyons. »

Neris retint un soupir, puis les sentinelles la menèrent hors du vaisseau, jusque dans les gradins déjà bondés. Tout autour de Neris, des programmes survoltés, impatients d'assister à ce que leur préparait leur grand chef. Certains des voisins de Neris la regardaient étrangement, ils la reconnaissaient et semblaient se poser beaucoup de questions : pourquoi avait-elle été épargnée ? Où était son disque ? Que faisait une utilisatrice parmi eux ? Et le rouge là, près de son épaule droite, est-ce que l'on pouvait y voir des pixels si on avait de quoi agrandir suffisamment la tache formée par la blessure ? Après tout pourquoi pas, ça serait une explication, non ? Ou est-ce que les utilisateurs étaient si différents d'eux ?

Mais par chance, l'attention des programmes autour de Neris se détourna bientôt d'elle : d'immenses feux d'artifices illuminaient le ciel sombre de la Grille. D'un bleu presque blanc tout d'abord, puis, lorsque Clu rejoignit le petit groupe au centre de l'immense arène, d'un orange qui rappelait un peu le Soleil, éternel absent de la Grille. Autour de Neris, les programmes s'agitaient, applaudissaient, criaient, et les circuits lumineux qui couraient sur eux suivaient les mouvements de leurs propriétaires, si bien que tout l'environnement de Neris clignotait et scintillait.

Épilepsie photosensible

Si vous avez des antécédents d'épilepsie ou de convulsions, consultez votre médecin avant utilisation.

Neris eut un léger sourire amusé en se souvenant de cet avertissement souvent visible dans le monde réel, mais son visage, même marqué par ce petit rictus, semblait être celui d'un cadavre. Les lumières qui se reflétaient sur ses traits dessinaient ce qui paraissait être un visage sans vie, d'une grande pâleur, aux contours rendus abrupts par la trop grande proximité des os sous la peau, comme si ce visage était déjà un crâne vidé de sa chair. Mais après tout, Neris n'était-elle pas morte au moment où elle avait aperçu la lueur du portail loin à l'écart de la ville ? N'avait-elle pas dû abandonner l'espoir de survivre lorsqu'elle avait décidé de sauver le fils du concepteur de la Grille ? Enfin, lorsqu'elle avait décidé d'essayer ?

L'utilisatrice était à peine concentrée sur le spectacle qui se déroulait devant ses yeux. Après un court mais pénible discours rappelant à tous que Clu avait sauvé tous les programmes de l'emprise des utilisateurs, les combattants s'étaient mis en place, les deux équipes avaient commencé l'affrontement. Les motos de l'équipe de Sam Flynn étaient parcourues et suivies de lumières bleues, le groupe sous les ordres de Clu était en orange. Seul le maître de la Grille était en jaune, comme toujours, et évidemment, son équipe avait l'avantage. Plusieurs programmes tentant de survivre aux côtés de Sam avaient été détruits, tout comme leurs véhicules, et à chaque dissolution, la foule qui encerclait Neris se faisait plus bruyante encore. Au milieu de toute cette agitation, la silhouette immobile de la rousse faisait tache, mais Neris n'avait aucune envie d'être là, elle n'allait pas en plus se forcer à faire semblant d'apprécier le spectacle… Alors qu'un nouveau programme explosait en un millier de cubes, éclairant une partie de l'arène pendant un court instant, Neris remarqua que les sentinelles qui l'avaient amenée ici n'étaient plus dans le coin. Se mettant sur la pointe des pieds pour vérifier que les soldats n'étaient pas simplement un peu plus loin, prêts à la rappeler à l'ordre si elle tentait de partir, la femme aux yeux verts poussa un soupir de soulagement, et elle joua des coudes pour quitter les gradins et le brouhaha ambiant.