Chapitre 4

Deux jours étaient passés depuis l'incident avec Astrid.

Erg était bien entendu allé à l'endroit indiqué par l'Ancienne, et en était revenu fou de rage en confirmant que les autres dégénérés étaient bien des hommes de Dagur et d'Alvin.

Il avait fait fouiller la forêt entière pour éventuellement en débusquer d'autres, mais ça n'avait rien donné.

La chasse au Harold non plus n'avait pas été productive. Au grand dam de Kognedur.

Fallait croire que l'Ancienne avait raison. S'il n'avait pas envie d'être trouvé : Alors, c'était mort !

Ce qui avait rendu, durant ces quarante-huit heures, Stoïck quasi-hystérique. Le fait de savoir son fils vivant, et si proche de lui sans pouvoir ni lui parler ni même le voir l'avait mis dans un tel état de frustration que les Beurkiens en prenaient pour leur grade pour la plupart du temps trois fois rien. Et, Gueulfor et Mastok avaient bien du mal à le faire se détendre. Néanmoins, ils s'accordaient à dire que, quelque part, ça faisait du bien de revoir Stoïck en forme.

À présent, ils étaient avec les Pwishiens et les Tronckeks, arrivés la veille, à attendre sur les quais que le dernier clan invité débarque.

Il s'agissait plus précisément des Bouchers Bourrus gouvernés par l'immense et redoutable Bertha l'Insubmersible. Aussi appelée Betha Grololo à cause de sa poitrine des plus… euh… « opulente » (Euphémisme!).

Oui ! Une femme chef de clan ! Et la raison était que cette tribu n'était constituée que de membres féminins.

Elles se spécialisaient plus précisément dans l'espionnage et le vol. Elles avaient aussi pour principe de ne jamais se marier - sauf, en cas d'alliances – et de mener une vie des plus dissolue et libertine. D'ailleurs, les enfants naissant dans ce clan n'avaient pas de pères. Juste des géniteurs. Et les garçons qui y venaient au monde étaient autorisés à y rester jusqu'à leurs seize ans. Après quoi, BASTA !

« Stoïck ! Il y avait longtemps ! » - tonitrua Bertha à l'adresse de ce dernier en lui donnant une bonne poignée de main virile.

Cette femme était aussi imposante que lui. Si ce n'était plus, si on tenait compte de sa plus qu'imposante poitrine.

« La dernière fois, c'était il y a environ sept ans, si je ne me trompe pas » - fit le chef beurkien.

« À peu près, oui » - lui confirma t-elle.

Les Beurkiens et les Bouchers Bourrus - aussi appelées plus communément « Cambrioleuses » - se connaissaient bien en fait. Leurs deux clans s'étaient maintes fois rencontrés par le passé. Et la dernière fois avait été sur Beurk.

Astrid, Kognedur et Varek ne purent s'empêcher d'émettre un profond soupir blasé quand ils remarquèrent que Rustik et Kranedur ne pouvaient s'empêcher de déshabiller du regard la très jolie fille se tenant aux côtés de Bertha.

Mais en même temps, il fallait les comprendre. Une véritable beauté dans cette tribu, ou même chez l'ensemble des Vikings, était assez rare.

« Je suppose que tu te souviens de ma fille : Kamikazi » - lança l'Insubmersible, toujours à l'adresse de Stoïck, en lui désignant la jeune fille en question.

« QUOI ?! C'EST KAMIKAZI ! » - s'étrangla en silence le club des cinq.

Ils étaient complètement estomaqués, car la dernière fois qu'ils l'avaient vu, elle était loin d'être une référence en matière de féminité et de beauté. Quoique, elle n'était pas laide. C'était juste qu'elle se négligeait un max. Comme la plupart des membres de sa tribu.

Ils avaient encore en tête l'image de cette petite chose de onze ans ressemblant plus à un garçon qu'à une fille. Et ses cheveux lui tombant tout juste sur les épaules, mal coupés et mal peignés, n'arrangeait pas les choses. De plus, ses vêtements non plus n'étaient pas très féminins. Sans compter que sa toilette semblait également être sa dernière préoccupation.

À cette époque, elle était pire qu'un garçon manqué. Tout le contraire de maintenant.

À présent, elle savait s'habiller de manière à la fois féminine et guerrière. Ses cheveux blonds lui arrivaient en bas du dos et n'avaient pas l'air de comporter un seul nœud. Puis, elle portait même quelques bijoux. Elle avait un bracelet doré au poignet droit, de longues et fines boucles d'oreilles, et autour du cou, un petit cristal poli aussi bleu que ses yeux pourvus de grands cils.

« B'jour » - salua-t-elle Stoïck plutôt froidement sans que personne ne semble vraiment comprendre pourquoi.

Mais en même temps, Kamikazi n'était pas non plus réputée pour son excellent caractère.

« Pas trop de problèmes avec les dragons durant votre voyage ? » - interrogea Erg sans doute pour vite dissiper ce petit malaise.

« Aucun – répondit tranquillement Bertha. Par contre, on s'est essuyées une sacrée tempête. On serait arrivées en retard si nous n'étions pas parties un jour à l'avance »

« Elles non plus n'ont pas croisé de dragons. C'est vraiment curieux » - commenta silencieusement Varek.


Le soir était venu. De même que le traditionnel banquet des Grandes Assemblées. Et tout le monde était plus qu'excité à la pensée de passer une bonne soirée.

S'il y avait une chose que les Vikings adoraient faire, à part se battre, c'était de manger et surtout de boire leur poids en alcool.

Cependant, Varek n'était pas fébrile pour les mêmes raisons, car il y avait une tradition à respecter durant ces festivités, et qui était les prédictions des prophétesses. Ou la lecture des runes par les Anciens qui n'avaient pas ce don.

À vrai dire, les runes permettaient seulement d'entrevoir l'avenir, et encore de façon hachurée. Tandis que, le vrai pouvoir de voyance était assez rare, et le clan pwishien était l'un des seuls à avoir le privilège d'avoir une prophétesse à son service.

Néanmoins, le problème était que pendant leurs visions les possesseurs de ce don étaient toujours en transe, et ne se souvenaient jamais des paroles énigmatiques qu'ils avaient prononcé.

Mais ce qui rendait Varek quasi-extatique était que la dernière prophétie était toujours rappelée avant que ne soit faite la nouvelle. Et l'Ingerman s'était pris d'un certain intérêt pour la Prophétie des Dragons depuis le jour où Kognedur l'avait interrogé dessus.

Les gens s'étaient trompés en pensant que personne ne l'avait noté. Elle l'avait forcément été par l'archiviste de Pwish pour pouvoir être rappelée à la prochaine Grande Assemblée sur l'île.

La Grande Salle avait été réajustée pour cet événement. Les chefs étaient placés ensemble à une même table. Tout comme les membres de leurs tribus étaient parfaitement libres de se mélanger. Et les conversations allaient bon train.

Rustik et Kranedur auraient bien aimé que Kamikazi soit à leur table; mais malheureusement pour eux, elle semblait ne pas rechercher la compagnie des jeunes beurkiens. Du coup, ils devaient seulement se contenter de lorgner dessus au loin.

Cependant, Astrid n'avait pas pu s'empêcher de noter qu'elle avait un comportement étrange. Elle était assise avec quelques-unes des siennes auxquelles elle ne répondait que distraitement ou par des signes de tête, et ne cessait de parcourir du regard la pièce comme si elle cherchait quelqu'un en particulier.

« Votre attention, je vous prie – appela Erg au silence après s'être levé, et une fois qu'il eut satisfaction, il continua : Tout d'abord, je tiens à vous remercier d'être venus si nombreux à cette réunion. Ensuite, je vais vous demander de rester à vos places pour le moment; car exceptionnellement, nous allons commencer cette soirée par la prophétie »

L'Hofferson vit, à côté d'elle, Varek s'agiter soudainement et s'emparer vivement du carnet et du crayon qu'il avait pris avec lui. Elle devinait parfaitement ce qu'il avait l'intention de faire.

Quelques murmures parcoururent l'assemblée pendant que plusieurs personnes s'affairaient à préparer le centre de la pièce pour l'arrivée de la Prophétesse.

Ils disposèrent à terre des bougies en cercle dans lequel ils posèrent une bassine remplie d'eau.

La plupart des devins utilisaient le feu, mais cette voyante semblait plutôt préférer l'ennemi juré de celui-ci.

Une fois tout bien mis en place, la Prophétesse fit son entrée.

C'était une femme d'environ la quarantaine. Donc, elle devait avoir logiquement la vingtaine lorsqu'elle fit la Prophétie des Dragons. Ce qui était relativement jeune. Remarque, c'était peut-être aussi pour cette raison qu'elle n'avait pas été prise très au sérieux à l'époque. On n'avait dû mettre ça sur le compte qu'elle ne devait pas encore bien maîtriser son don.

Elle était plutôt séduisante, grande et mince. Elle avait de long cheveux noirs complètement détachés et les yeux bruns apparemment. Elle était aussi vêtue d'une simple et longue robe verte émeraude à laquelle elle fit attention de ne pas mettre le feu lorsqu'elle prit place dans le cercle de bougies.

Après quoi, elle attendit debout que Erg lui fasse signe de commencer. Mais avant, il y avait la précédente prophétie à rappeler. C'était pourquoi l'archiviste de l'île était également présent.

« Comme je vous l'ai déjà dit - parla de nouveau le chef pwishien - nous allons faire fi des habitudes, et commencer cette soirée par la lecture de l'avenir. Par contre, nous n'allons pas briser la tradition de commencer par la dernière prédiction. Et puis dans un sens, ce n'est pas plus mal de le faire maintenant tant que tout le monde est encore frais, et donc attentif » - termina t-il sur une note d'humour.

D'ailleurs, l'assemblée éclata de rire. Et une fois que le calme fut revenu, l'archiviste s'avança un peu plus au centre de la pièce avec un parchemin déroulé en main.

Astrid sentit Varek trépigner de joie à côté d'elle lui arrachant un sourire amusé.

L'homme prit une profonde inspiration et récita d'une voix forte, grave et claire :

Lors de la saison du renouveau, il naîtra

De tous les Dragons, le Prince, il sera

De leurs chaînes, ses sujets, il libérera

Mais, dans l'Ombre, il demeurera

L'auditoire s'accorda un moment pour digérer l'information.

C'était donc ça, la fameuse Prophétie des Dragons !

« C'est vrai que ça à l'air tout bénef pour les dragons » - chuchota Kognedur à l'oreille d'Astrid, qui de son autre oreille, entendait l'Ingerman répéter en boucles ces quatre phrases qu'il avait soigneusement noté.

Il était clair qu'il avait la nette intention de les étudier à s'en faire exploser la tête.

L'attention générale s'était de nouveau tournée vers la Prophétesse qui s'était agenouillée devant la bassine d'eau.

On la vit se murmurer quelques mots – probablement une prière aux Dieux – avant de plonger ses deux mains dans l'eau en fermant les yeux.

Quelques longues secondes passèrent avant que l'eau ne se mette à briller d'une vive lumière bleue. La jeune femme rouvrit les yeux brusquement aussitôt après, et quasiment tous le monde eut un sursaut accompagné d'un cri de surprise, car ses yeux étaient devenus tout aussi bleus et lumineux que l'eau. Puis, elle annonça d'une voix semblant venir d'un autre monde :

Bientôt de l'Ombre, le Prince des Dragons sortira

Le dernier rempart, il brûlera

Dans une nouvelle Ère, le Monde, il plongera

Puis, sur les Hommes et les Dragons, il régnera

Une fois qu'elle eut prononcé le dernier mot de sa prédiction, ses yeux et l'eau revinrent immédiatement à leur état normal.

Elle se releva ensuite tranquillement et repartie comme s'il ne s'était rien passé, malgré le silence de mort qui régnait dans la salle. À peut-être la voix de Kranedur qui ne put s'empêcher de railler :

« La Prophéties des Dragons : Tome 2 ! »


Une heure était passée et les Vikings festoyaient comme ils avaient l'habitude de le faire. Et personne ne fit le moindre commentaire sur la nouvelle Prophétie des Dragons. Hormis Varek, qui n'avait quasiment rien avalé, et lisait et relisait inlassablement les deux parties en marmonnant quelque fois dans sa barbe.

Il avait juste demandé une fois son avis à Astrid. Il voulait connaître sa première impression à la lecture.

Elle lui avait simplement répondu que cette histoire ne lui plaisait pas du tout, et en particulier, la dernière phrase de la deuxième partie. Mais il l'avait regardé avec un air indescriptible, avant de recommencer à se triturer les méninges.

Cependant, l'Ingerman avait la ferme de la réinterroger plus tard en espérant qu'elle y aurait réfléchi dans le but de s'assurer qu'il n'était pas devenu dingue.

Il ne savait pas si ça venait seulement de lui, mais il y avait plusieurs détails très curieux dans l'intégralité de cette prédiction. Et en particulier dans la dernière phrase de la deuxième partie.

Pendant ce temps-là, à la table des chefs, Stoïck était en grande conversation avec Erg. Il semblait être d'un peu meilleure humeur et avait retrouvé un certain appétit.

« Tu sais - fit le Beurkien - j'ai beaucoup réfléchi au fait que ton île n'est plus attaquée par des dragons depuis longtemps. Et je me demande si le nid non loin d'ici n'aurait pas été détruit »

« J'y ai pensé aussi figure-toi. C'est même d'ailleurs la première chose sur laquelle j'ai fait enquêter sans aucun résultat. Et puis, si quelqu'un avait réellement détruit un nid de dragons, ça se serait su. Le ou les responsables s'en seraient forcément vantés »

« Exact ! »

« Ça a peut-être aussi un rapport avec ce soi-disant « Prince des Dragons » - railla avec condescendance Ghor la Béquille, le chef des Tronchkeks, avant de replonger le nez dans sa chope d'hydromel.

Il était évident qu'il ne prenait pas du tout au sérieux la Prophétie. La première partie comme la deuxième.

« Qui sait ? - soupira Erg, avant de poursuivre : Mais c'est un sujet dont nous débattrons plus tard et... »

Il s'était brusquement interrompu lorsque son regard s'était posé sur la silhouette apparue devant leur table. Et devint subitement devenu très nerveux.

Stoïck tourna à son tour les yeux sur leur visiteur inopiné se trouvant juste devant lui.

À l'évidence, il s'agissait d'un homme. Il était seulement vêtu d'un pantalon noir et d'une chemise large non rentrée tout aussi noire. Mais lorsque son regard se retrouva planté dans celui de l'inconnu, il crut bien qu'il allait avoir une crise cardiaque. Ses yeux si identiques aux siens et qui le fixaient sans émotions apparentes.

« Bonsoir Papa » - se fit-il saluer d'une voix suffisamment polaire pour geler un Cauchemar Monstrueux sur place.

Stoïck se leva lentement, très lentement, sans lâcher son fils des yeux ni même les cligner de peur qu'il disparaisse à ce moment-là. Il se demandait aussi comment ses jambes arrivaient encore à le porter.

Par Odin ! Astrid n'avait rien exagéré. Il avait vraiment changé. S'il n'y avait pas eu ses yeux et sa cicatrice au menton, il n'aurait probablement pas reconnu son propre fils. Et bien que seulement cinq ans s'étaient écoulés, Stoïck prit tout de même conscience que ce n'était plus un gamin mais un homme qu'il avait maintenant en face de lui.

Son unique enfant qu'il avait lâchement abandonné, et qui avait dû finir de s'élever tout seul.

Un nouveau sentiment de honte et de culpabilité l'envahit à cette pensée.

« Harold, tu... »

« Ne te méprends pas - coupa le concerné d'un ton toujours d'ère glaciaire. Si je suis là, c'est parce que Erg me la demandé comme une faveur hier soir, et que je lui dois bien ça »

L'Haddock père lança un regard ahuri au Pwishien qui fit semblant de n'avoir rien suivi, et de jouer avec le contenu de son assiette comme s'il y avait découvert quelque chose d'indésirable.

« Bon, on peut maintenant considérer ce service comme rendu. Tu m'as vu. Tu m'as parlé. Sur ce, bonne soirée » - déclara le fils avant de tourner les talons et de s'en aller façon courant d'air.

« Harold ! Attends ! » - le rappela son père en tentant de se lancer à sa poursuite.

Mais Erg l'avait rattrapé par le bras.

« Si tu veux renouer le contact avec lui ne brûle pas les étapes Stoick - lui conseilla t-il sagement. Le fait qu'il soit venu est déjà un bon début en soi. Alors, ne te précipite pas au risque de détruire ta seule chance »

De son côté, Harold se hâtait vers la sortie à grands pas tout en essayant de ne pas trop attirer l'attention sur lui.

Il fallait qu'il sorte de là ! Qu'il se calme ! Il ne pouvait pas perdre le contrôle de ses émotions maintenant !

Même en admettant que personne ne le regardait, le risque était beaucoup trop grand. Un simple coup d'œil sur son visage suffirait à…

« Pas si vite toi ! - entendit-il rouspéter une voix féminine familière, en même temps qu'il s'était sentit agrippé par un poignet. Viens par ici ! » - ajouta sa « kidnappeuse » en l'attirant seuls les Dieux savaient où pour le moment.

Il soupira à la fois de soulagement et de lassitude, avant de déclarer :

« Pas maintenant, s'il te plaît. Et puis, tu pourrais au moins dire bonjour avant de… AÏE ! »

Sa « ravisseuse » avait réussi à lui coller un coup de pied dans le tibia sans ni s'arrêter de marcher, ni même se retourner.

« C'est pas pour ça, espèce d'idiot ! » - houspilla-t-elle.

En effet, après une brève observation, Harold se rendit compte qu'elle ne l'amenait pas à l'extérieur, mais le ramenait plutôt vers l'intérieur.

« Harold ? » - faillit s'étrangler Astrid avec la nourriture qu'elle avait dans la bouche en voyant Kamikazi le traîner de force jusqu'à leur table.

« HEIN ? QUOI ? OU ÇA ? » - s'écria Kognedur en tournant vivement la tête dans tous les sens.

Gueulfor qui faisait face à Astrid se leva à vitesse grand « V » et se retourna pour voir arriver le duo.

« Tu vois Gueul ! - héla Kamikazi. Je te l'avais bien dit que je te le choperai ! »

L'expression boudeuse d'Harold passa de contrariée à indécise. Il se ne savait pas trop s'il devait rester ou revenir à son plan initial consistant à sortir de là le plus rapidement possible. Mais en même temps, il n'avait rien contre son ancien mentor.

Aux yeux d'Astrid, il était plus qu'évident que c'était loin d'être la première fois en sept ans que les chemins d'Harold et Kamikazi se recroisaient. Expliquant donc, de ce fait, la froideur de la jeune fille à l'égard de Stoïck le matin même. Elle savait forcément pour le bannissement, et en voulait au chef.

Après tout, quoi de plus normal. Kamikazi avait toujours adoré Harold. Et, ce dernier était toujours ravi des visites des Cambrioleuses sur Beurk, parce que comme ça, il avait quelqu'un d'à peu près son âge avec qui parler.

« Salut » - lança-t-il à l'adresse du forgeron dans un sourire gêné, une fois que Kamikazi l'eût poussé devant lui.

Il s'ensuivit un curieux silence durant lequel tout le monde semblait pétrifié sur place à attendre que l'amputé dise quelque chose. Mais celui-ci sembla être pris à la place de petits tremblements. Et, ils en comprirent la cause lorsqu'il prit franchement le jeune homme dans ses bras en laissant nettement entendre des bruits de pleurs.

Il avait craqué. Il avait, comme Stoïck, envoyé promener sa fierté viking, et avait fondu en larmes en public.

Varek paraissait en avoir fait de même, car Astrid le vit du coin de l'œil essuyé son visage avec sa serviette. Elle ne savait pas trop si c'était de revoir Harold, ou bien la scène à laquelle il assistait qui l'émouvait comme ça. Peut-être aussi les deux, remarque. Elle non plus n'y était pas insensible.

Rustik lui, avait la tête de quelqu'un qui avait un citron coincée dans la gorge. Kranedur avait l'air de s'être bouffé un mur. Quant à sa jumelle, elle bavait dans son assiette.

« Et bien, ne te met pas dans des états pareils » - plaisanta à moitié Harold en tapotant dans le dos dans son ancien mentor.

« Laisse-moi te regarder - fit ce dernier en le lâchant et en l'éloignant un peu pour mieux l'observer. Par la culotte d'Odin ! Tu es immense par rapport à la dernière fois ! Tu t'es seulement nourri d'engrais, ou quoi ?! Je vais avoir du mal à te suspendre après mon crochet maintenant ! » - ria t-il en pointant le dit crochet contre le torse du jeune homme.

« Tu sais que c'est moi tout entier que tu pointes ? » - blagua-t-il à son tour.

« Je vois que tu n'as rien perdu de ton sens de l'humour ! » - s'esclaffa Gueulfor en lui donnant une claque amicale dans le bras : Mais au fait, personne ne pensait te voir au banquet » - ajouta t-il surpris.

« Et je n'avais pas l'intention de venir. Mais hier soir, j'ai promis à Erg de faire un effort et de venir au moins saluer mon père »

« Quoi ? » - s'alarma sec l'amputé.

« Du calme. Tu vois bien que je ne suis pas couvert de sang. Donc, ça s'est plutôt bien passé »

Le forgeron ne put s'empêcher d'avoir un frisson à la pensée de cette entrevue.

« Ça va mieux cette cheville ? » - demanda d'un coup Harold à l'adresse d'Astrid.

Cette dernière sursauta comme si une des crevettes dans son assiette s'était mise à lui parler. Elle ne s'y était pas du tout attendue.

« Ah… Bah… Mieux… merci » - bafouilla t-elle en sentant peser sur elle le regard railleur de Kognedur.

Il avait décidément le chic pour lui faire perdre tous ses moyens en à peine une seconde.

Rustik paraissait soudainement irrité et foudroya son cousin du regard.

« Content de te voir moi aussi » - lui balança ce dernier avec son fameux sourire sarcastique en coin se voulant provocant.

Varek semblait terrifié à l'idée que ça puisse dégénérer. Et même si, personne n'était armé, il était sûr que même au corps à corps, et malgré la différence de corpulence, que le Jorgenson n'aurait pas le dessus comme autrefois.

« C'est tendu » - murmura Kranedur qui avait l'air partagé entre l'envie de ne pas s'en mêler ou au contraire balancer davantage de l'huile sur le feu.

« Si tu nous racontais un peu ce que tu as fait durant tout ce temps » - intervint Gueulfor.

« Peut-être une autre fois. Là, il faut que j'y aille » - répondit simplement Harold en faisant demi-tour, suivi par Kamikazi.

Mais son départ ne calma pas Rustik pour autant. Il s'était emparé férocement de sa chope d'hydromel, et marmonnait tout un tas de malédiction entre chaque gorgée. Fallait dire qu'entre Astrid qui avait rougi jusqu'au cheveux, et Kamikazi qui semblait suivre l'autre comme son ombre - les deux filles qu'il convoitait le plus en ce moment - qu'il y avait de quoi être furax. Surtout qu'il était question de son imbécile de cousin. Et le commentaire de Kognedur comme quoi elle avait des envies furieuses de se fouler une cheville n'aidait pas non plus à la faire se détendre.

à suivre