Chapitre 6

La forge ! C'était l'endroit où Erg espérait trouver Harold. Et, à en juger par le troupeau de midinettes agglutiné devant, il avait vu juste.

Gueulfor, qui clopinait à ses côtés, était à la fois hilare par le spectacle, mais aussi angoissé à cause de ce qu'ils s'apprêtaient à lui demander.

« Excusez-moi, Mesdemoiselles » - leur pria le Pwishien, en se frayant un chemin parmi elles, suivi de près par l'amputé.

Lorsqu'ils pénétrèrent dans les lieux, ils virent le colosse à sa place habituel. Cependant entouré de ses deux jeunes apprentis, âgés visiblement de treize et quinze ans, à leur expliquer quelque chose sur la reforge d'une arme obsolète.

Ils eurent un regard assez interloqué à la vue du chef.

« Bonjour cher confrère – fit le géant à l'adresse de Gueulfor, avant de demander à Erg. Je vous salue aussi Chef ! Que me vaut l'honneur de votre visite ? »

« Rien pour le moment. C'est quelqu'un d'autre que je viens voir, lui répondit-il sereinement, puis de s'écrier : HAROLD ! PAS LA PEINE DE TE CACHER, JE SAIS QUE TU ES LÀ ! LES GROUPIES TASSÉES DEVANT ONT VENDU LA MECHE ! »

« DÉJÀ D'UNE, JE NE ME CACHE PAS ! ET DE DEUX, JE SUIS SIMPLEMENT OCCUPÉ LÀ ! » - répliqua l'interpellé piqué au vif depuis le fin fond du bâtiment.

Après quoi, il s'écoula une poignée de secondes avant qu'Harold ne vienne à leur rencontre d'un pas traînant, une expression passablement contrariée collée à son beau visage rougi et ruisselant de sueur, à cause de la chaleur du feu d'une forge.

« Ah tiens, salut Gueul ! T'es là aussi ?! » - s'étonna t-il de la présence de son ancien mentor.

« Ben oui ! Mais dis-moi, quel engin de destruction massive es-tu entrain de nous bricoler ? » - plaisanté à moitié le hélé nostalgique au souvenir des dégâts provoqués par les folles inventions de son apprenti.

« Secret Défense ! - répondit-il catégorique. Mais sinon, c'est quoi le but de votre visite ? »

Étrangement, les deux blonds moustachus parurent subitement très mal à l'aise.

« Et bien – commença Erg – comme tu le sais, la Réunion des Chefs a eu lieu ce matin »

« Oui, et alors ? »

« Nous avons discuté de beaucoup de choses, et notamment des Bannis et des Berserks. Vois-tu, depuis quelques temps, nous avons des rapports disant que les attaques et les pillages de ces derniers se font de plus en plus fréquents et violents. Et nous craignons qu'ils ne mijotent quelque chose. Par ailleurs, la présence, sans raison, de quelques uns d'entre eux sur cette île ne fait que confirmer nos impressions »

« D'accord, mais je ne vois pas ce que ça à voir avec moi » - fit Harold perplexe.

« Et bien, après mûres réflexions (ce qui était rare pour les Vikings), nous avons décidé d'envoyer aux quatre coins de l'archipel un groupe de chaque tribu pour mener des enquêtes, ou éventuellement, les combattre si on tombait sur eux. Mais, nous avons aussi décidé d'intégrer un représentant de chaque clan dans ces équipe pour vraiment bien sceller l'alliance. Et comme tu le sais, mon fils est déjà en voyage et, sur toutes les autres personnes auxquelles je pourrai confier cette mission, je ne peux m'en séparer d'aucune pour le moment. Alors, étant donné que tu me dois encore quelques petits services, j'avais pensé... »

« T'avais pensé me le demander » - acheva le jeune homme.

« Voilà ! De plus, tu es observateur, intelligent... »

« Ouh là ! - le coupa net l'Haddock. Pour que tu me passes de la pommade comme ça, c'est qu'il y a une tuile ! »

Le Pwishien se fit subitement encore plus nerveux et commençait à sa balancer sur ses pieds. Quant à Gueulfor, il parut soudainement intéressé par les moulures de la poutre à côté de lui.

« Pour te dire la vérité, nous avons tiré au sort. Et pour toi, c'est tombé sur... »

« Oh non » - comprit Harold dont l'expression s'était brusquement assombrie.

Quasiment toutes les personnes présentes dans la pièce se mirent fébrilement à regarder tout autour d'elles, comme si on leur avait annoncé un ouragan, et qu'elles étaient à la recherche d'un abri sûr.

Mais furent plus que soulagées que l'explosion ne vienne pas.

Harold s'était seulement contenté de se laisser lourdement tomber sur la chaise la plus proche, en poussant un soupir suffisamment fort pour déraciner un arbre, et en maugréant qu'il était définitivement maudit.

« Tu n'es pas obligé d'accepter – tenta de l'apaiser Erg. Si tu refuses, je comprendrai parfaitement. Mais si tu le fais, je vais être contraint d'envoyer un empoté et... »

« Ah non ! Ne me sors pas la carte de la culpabilité ! - s'outra le jeune homme. Et toi Gueul, je crois que je commence à comprendre pourquoi tu es là. Probablement pour me faire voir le bon côté des choses. Le problème, c'est que je ne vois du tout où il pourrait y en avoir »

« Si ! Il y en a un ! Ce sera l'occasion pour toi de leur démontrer tes nouveau talents. De leur en mettre plein la vue. De leur prouver que tu n'es pas la catastrophe ambulante qu'ils s'imaginaient que tu étais » - argumenta l'amputé.

« En d'autres termes : De me faire mousser pour me faire respecter. De me comporter comme un vrai viking. D'être arrogant et prétentieux en somme. Un Rustik numéro deux quoi »

« Euh… non. Pas forcément » - fit Gueulfor embarrassé en se disant qu'il n'avait peut-être pas choisi la bonne méthode.

« De plus, tu crois sincèrement que le fait de remonter dans leur estime me donnera le droit de retourner sur Beurk. Sans compter que je n'y tiens pas non plus spécialement »

« Oui mais, tu n'es pas non plus vraiment amoureux de Dagur et d'Alvin – se permit d'intervenir le titanesque forgeron. Alors, dis-toi que c'est non seulement pour une bonne cause et que, ça te donne aussi une occasion de leur mettre des bâtons dans les roues »

Bien qu'il n'en montra rien, Harold prit cet argument en considération. Après tout, s'occuper des cas d'Alvin et de Dagur faisait parti de ses projets. Il avait seulement prévu de le faire d'une autre façon. Mais à bien y réfléchir, il se disait que de se mêler à un groupe lui permettrait peut-être d'en apprendre davantage, et de découvrir plus rapidement leurs réelles intentions. Et puis, il attirerait aussi probablement moins l'attention sur lui avec d'autres personnes enquêtant officiellement, plutôt que tout seul enquêtant officieusement.

Cependant, il allait devoir se montrer très prudent.

« Très bien ! Vous avez gagnez ! » - lâcha t-il résolu.

« Parfait ! - se réjouit Gueulfor en lui donnant une bonne tape dans le dos. Et puis, dis-toi que cette occasion de pouvoir renouer avec tes racines est sans doute un signe de Thor ! »

« Un signe de Loki ! Tu veux dire ! » - contredit le jeune homme amer.

« Ne sois pas déjà si négatif ! Rien ne nous dit que ça va mal se passer ! »

« À ce propos, tu diras à mon père que s'il veut que j'accepte définitivement, qu'il va quand même y avoir quelques petites conditions à respecter » - prévint Harold cette fois-ci plus assuré.


Il avait été convenu que les équipes formées prendraient la mer un peu avant le couché du soleil. Et, leur départ était très proche. L'astre du jour commençait à décliner, et le ciel se parsemait d'orange et de doré.

Le hasard avait décidé qu'Harold irait avec son ancien clan beurkien, Kamikazi avec les Pwishiens, Rakaï, le fils de Ghor, avec les Bouchers Bourrus puis, Stoïck avait préféré envoyer son frère plutôt que neveu accompagner les Tronchkeks.

Et en parlant de l'Haddock père, celui-ci faisait les cents pas sur le pont de son drakkar en se rongeant nerveusement les ongles sous le regard fatigué de Gueulfor.

« Tu es sûr qu'il a accepté ? » - demanda t-il à son amis.

« Pour la dernière fois, OUI ! » - commençait à perdre patience le forgeron.

Un peu plus loin, Rustik observait la scène d'un œil consterné.

« Mais pourquoi a t-il fallu que ça tombe sur lui ? - maudissait-il. En plus, il est même pas encore arrivé qu'il fait déjà sa star en se faisant désirer ! »

« Pour se « faire désirer » comme tu dis, il faudrait déjà qu'il soit en retard. Hors, ce n'est pas le cas ! Et puis, il dit peut-être « Au revoir » à Kamikazi » - se permit de faire remarquer Varek passablement malicieux.

Il bénissait Harold de lui avoir fourni de quoi faire enrager Rustik. D'ailleurs, celui-ci lui renvoya un regard noir.

Toutefois, l'Ingerman était aussi estomaqué de l'avoir entendu accuser son cousin d'être un frimeur.

Là franchement, c'était Thor qui se foutait d'Odin !

« D'abord, pourquoi ce n'est pas moi que mon oncle a envoyé ! » - continuait-il de se plaindre.

« Trop crétin peut-être » - suggéra Kognedur.

« Trop immature aussi » - renchérit Astrid.

« Voire les deux » - compléta Kranedur.

« EH ! » - s'écria le Jorgenson scandalisé, tandis que Varek avait l'air d'être en train de se fêler une ou deux côtes à force de contenir son fou rire.

« AH ! LE VOILÀ » - jubila soudainement Gueulfor.

Tous les regards convergèrent vers le côté par lequel le bateaux était amarré pour voir Harold sauter bien tranquillement par-dessus le bastingage.

Astrid remarqua qu'il était habillé de la même façon que la première fois qu'elle l'avait vu. Sauf, qu'il portait en plus un assez long manteau noir – il avait apparemment développé une certain goût pour cette couleur – avec une grande capuche tombant à l'arrière.

« Je commençais sérieusement à me demander si tu n'avais pas changé d'avis » - plaisanta à moitié l'amputé.

« J'ai donné ma parole à Erg. Et puis, ça aurait été vache de ma part de lui faire faux bond au dernier moment »

Il avait dit ça en passant à côté de son père sans même lui adresser un regard. Et Stoïck dut serrer les poings jusqu'à en faire blanchir ses articulations pour pouvoir ravaler ses larmes. Il ne tenta rien non plus car, il n'avait de cesse de se répéter en boucles les conseils d'Erg lui disant de ne pas se précipiter, de laisser Harold venir vers lui. Enfin, s'il en avait un jour envie.

Bien entendu, il ne s'était pas du tout attendu à ce que son fils arrive tout joyeux et lui saute dans les bras en déclamant : « Mon Papounet ! Comme tu m'as manqué ! Et tout est pardonné va ! »

Non ! Même s'il n'était pas interdit de rêver, fallait pas trop abuser non plus !

Néanmoins, il avait quand même espéré un mot ou un regard. Et même si ce mot avait été une insulte, ou ce regard du mépris, il s'en serait fichu. Tout ce qu'il avait voulu, c'était que son fils lui accorde un peu d'attention.

Mais, en y regardant de plus près, les rôles étaient dorénavant inversés.

Maintenant, c'était lui qui cherchait un peu de reconnaissance et souffrait d'être ignoré.

Était-ce sa punition pour n'en avoir accordé aucune à son fils pendant quinze ans ? Pour avoir passé à la trappe tout ce que les autres beurkiens lui ont fait subir en se disant que ça l'endurcirait ? Et que, la seule fois où il avait vraiment fait attention à lui, ce ne fut que pour le bannir.

De son côté, l'Haddock fils continuait à faire son chemin sur le pont en en ignorant royalement les regards pesants et les chuchotements des autres beurkiens, qui semblaient stupéfaits de combien il avait changé. Et ce, jusqu'à ce que Rustik vienne se planter devant lui, aussi fermement et raide qu'un piquet, le visage déformé par une expression féroce.

« Sache que, contrairement aux autres, je ne me montrerai pas hypocrite, et te dis franchement que pour moi tu n'es pas le bienvenu ici ! » - lui cracha t-il avec condescendance.

« Le contraire m'aurait étonné – répliqua Harold sans émotion. En même temps, je n'ai pas vraiment de souvenirs de toi ravi de me voir. Sauf peut-être quand tu avais besoin d'un passe nerfs »

Le Jorgenson se sentit devenir encore plus enragé. Pas tellement à cause de ce que son cousin lui avait dit, mais c'était plutôt la façon dont il le lui avait dit.

Déjà que, de d'avoir à présent lever la tête pour lui parler le rendait malade mais alors cette nouvelle manière qu'il avait de soutenir son regard sans sourciller et de lui tenir tête sans non plus s'énerver, le conduisait à la limite de l'hystérie. Tant d'impassibilité qui pour lui sonnait comme une provocation.

Et à tout bien réfléchi, il commençait à préférer le Harold faiblard et inutile d'avant.

Mais sans qu'il n'ait eu le temps de dire quoique se soit d'autre, il avait senti une main se plaquer contre sa tempe et, le pousser assez violemment sur le côté pour qu'il s'étale en beauté par terre.

« Salut Harold ! - minauda Kognedur, une fois qu'elle se fut à son tour plantée devant lui, après avoir déblayé la place. Enchantée que tu sois venu ! Et tiens, c'est pour ton anniversaire ! Un peu en retard, mais bon ! » - ajouta t-elle euphorique en lui fourrant dans les mains une petite boîte venant visiblement de la pâtisserie de Pwish.

« Merci » - réussit-il tout de même à dire, malgré qu'il avait été un peu prit au dépourvu.

« Comme tu peux le constater, ça vient de chez un pro ! Elle ne l'a pas fait elle-même ! Donc, ça veut dire que tu peux le manger sans crainte ! Que c'est comestible ! OUCH ! » - railla Kranedur, juste avant que sa jumelle ne l'envoie, d'un coup de coude dans le ventre, faire lui aussi plus amples connaissances avec le pont du navire.

Astrid, Gueulfor et Stoïck étaient furieux contre aux-mêmes. Ils avaient, les uns comme les autres, complètement oublié l'anniversaire d'Harold. Ils se promirent de rattraper le coup à leur première escale.

« Tu vas voir – continuait Kognedur en s'accrochant à l'un des bras d'Harold qui la laissa faire – on t'a aménagé un coin rien qu'à toi, comme tu l'as demandé, en essayant de le faire le plus douillet possible. Par contre, tu comprendras qu'on a pas pu le faire ailleurs que dans la cale. Ça ne te dérange pas ? »

« Pas du tout ! »

« D'ailleurs, à ce propos ! - revint Rustik à la charge, une fois qu'il se fut fièrement remis debout. On peut savoir pourquoi Môsieur a le droit à des quartiers privés ?! On est pas assez bien pour lui, au moins ?! »

« Je ne vois pas en quoi le fait que je m'isole te dérange. Ça ne change pas tellement d'avant par rapport à ma vie sur Beurk. Et puis, comme tu l'as si bien stipulé, ma présence ici te répugnes. Alors, ça devrait plutôt te faire plaisir que je reste loin de toi » - contre-attaqua le concerné, toujours aussi calme.

Le Jorgenson voyait rouge. Non seulement, il s'était encore fait rembarré devant tout le monde. Mais en plus, il ne trouva rien à répliquer.

De son côté, Varek avait ouvert discrètement son petit carnet de note et, avait fait un trait supplémentaire dans la colonne intitulée « Harold », tandis que celle nommée « Rustik » demeurait cruellement vide.

Si une grande majorité des personnes présentes était tendue, l'Ingerman, lui, semblait par contre s'amuser comme un petit fou.


La nuit était tombée, et tout le monde sur le drakkar était couché et endormi depuis longtemps.

Toutefois, Astrid fut subitement réveillée par un bruit qu'elle connaissait bien. Le son que produisaient des ailes de dragon en plein vol.

Elle se redressa vivement dans sa couchette et, enfila en toute hâte ses vêtements et ses bottes. Puis, elle entreprit de sortir de la cabine en enjambant les autres beurkiennes, en prenant bien soin de ne pas les réveiller tant qu'elle n'était pas sûre de ce qui les guettait.

Une fois que ce fut fait, elle s'élança le plus discrètement possible sur le pont, sa hache bien en mains et prête à trancher le moindre truc suspect.

Mais, lorsqu'elle fut dehors, elle se fit seulement accueillir par le calme plat de la nuit et le clair de lune. Pas une seule peau écailleuse en vue.

Avant-elle rêvé ? Est-ce, qu'inconsciemment, elle s'était remémorée cette nuit durant laquelle elle avait entendu un dragon rôder près du navire ? Et que, ça lui avait fait s'imaginer des choses.

« Alors Astrid, on a des insomnies ? » - lança sarcastiquement la voix d'Harold apparemment sortie de nul part.

La concernée sursauta comme si un fantôme lui avait mis la main aux fesses, et jeta tout autour d'elle des regards ahuris, pour finalement apercevoir l'Haddock à juste deux mètres derrière elle, tranquillement accoudé au bastingage, à observer un point imaginaire à l'horizon.

Elle se secoua la tête pour se remettre les idées en place.

« Je ne suis pas la seule visiblement » - fit-elle remarquer.

« Pour parler d'insomnie faudrait déjà commencer par essayer de dormir. Hors, ce n'est pas du tout mon cas » - répliqua t-il sans bouger d'un millimètre.

« Tu n'aurais rien vu d'étrange, des fois ? » - tenta t-elle.

« Tout dépend de ce que tu appelles « étrange » »

Et ça y est ! Voilà qu'il recommençait à ne parler que par sarcasmes !

« Laisse tomber » - soupira t-elle.

Elle rebroussa chemin pour retourner se coucher, mais se ravisa lorsqu'elle fut devant la porte.

Elle s'était subitement souvenue des reproches de Kognedur sur son manque de curiosité concernant Harold.

Il était vrai que les circonstances de sa survie et, tout ce qu'il avait pu vivre durant ces cinq dernières années, demeuraient un véritable mystère. Sauf pour ce qui était peut-être de sa vie privée que Kamikazi s'était faite une joie d'étaler en partie.

Une nouvelle bouffée de colère était montée en elle à la pensée de la Voleuse.

Contrairement à la dernière fois, au banquet, il semblait plus enclin à la conversation. C'était là l'occasion d'en savoir un peu plus.

Toutefois, il y avait comme un écueil !

Poser des questions sur son bannissement reviendrait à parler du papa.

Et c'était s'aventurer en terrain glissant ! Très glissant !

Mais, il y avait quand même un point qu'elle pourrait éclaircir sans qu'il ne se braque.

« Je peux te poser une question ? » - tenta t-elle.

« Du genre ? »

« Où est-ce que tu as appris à te battre ? »

Contre toute attente, il se retourna lentement pour lui faire face et, s'accouda de nouveau au bastingage, penché cette fois-ci vers l'arrière.

Il avait une expression plus amusée qu'interloquée.

Astrid remarqua qu'il avait maintenant un deuxième étrange cylindre argenté accroché en haut de l'autre jambe.

« Pourquoi tu veux savoir ça ? » - lui demanda t-il.

« C'est juste que le peu que j'ai réussi à voir ne ressemble pas au style viking. Alors, je me disait que tu n'avais peut-être pas appris dans le Nord »

« Je n'ai jamais quitté l'archipel barbare. Et c'est bien viking qui m'a appris. Un maître d'armes qui a énormément voyagé, et qui s'est intéressé aux styles de combat de tous les endroits où il a été. Et il en avait justement un en stock fait plus spécialement pour ceux de ma corpulence »

« Comment ça ? »

« Comme les Vikings ne jurent que par la force brute et les muscles, leurs méthodes de combat ne reposent que sur ceux-ci. Hors, une forte corpulence limite grandement la vitesse et la fluidité des mouvements. Bien entendu, ce n'est pas très contraignant lorsqu'on se bat contre un autre balourd. Là, ça dépend de celui qui cognera le plus fort. Mais par contre, si un mastodonte se bat contre quelqu'un de moins imposant, le fait qu'il soit trois fois plus épais ne veut pas dire pour autant qu'il va l'emporter aisément. Ne jamais se fier aux apparences ! Ce n'est pas obligatoirement le plus baraqué qui gagne. C'est l'une des premières choses que mon maître m'a apprise. Et, il ne lui a pas fallut des heures pour s'apercevoir que la façon viking n'était pas du tout faite pour moi. Le style qu'il m'a enseigné vient d'Asie, où les habitants sont plus taillés dans le même type de matériaux que moi. Ils privilégient la vitesse, la souplesse et l'agilité. Par contre, au corps à corps, ils ont développé des techniques ayant pour but d'utiliser la force de leurs adversaires contre eux-mêmes »

« La force de leurs adversaires ? » - répéta Astrid confuse.

« C'est-à-dire qu'ils parviennent à s'octroyer la puissance physique, pour un très court laps de temps, de l'adversaire. Et plus celui-ci est fort mieux ça marche. Le plus redoutable des guerriers viking ne ferait pas long feu contre une crevette asiatique parfaitement entraîner »

« Ça semble irréel » - souffla l'Hofferson indécise.

« Pourtant, je t'assure qu'il n'y a rien de surnaturel là-dedans. C'est avant tout une question de concentration, mais aussi de ruse, car il faut aussi savoir choisir le bon moment. Cette botte secrète n'est pas pas du tout faite pour les Rustik » - lâcha t-il plus cynique que sarcastique.

« Pas faux – convint-elle en pouffant légèrement, avant d'ajouter plus sérieusement : Et pour la maniement des armes ? »

« Qu'est-ce que tu entends par là ? »

« Et bien, ne le prend pas mal mais, sur Beurk, ton niveau était des plus déplorables. Tu n'aurais même pas réussi à effrayer un lapin »

« C'est peut-être parce que là aussi la méthode beurkienne ne me convenait pas. À croire que j'ai été le seul gaucher à naître sur cette île » - soupira t-il.

« Gaucher ? »

Astrid était de nouveau perplexe.

« En dehors de l'entraînement, est-ce que tu m'as déjà vu faire quelque chose avec la main droite ? »

Elle fouilla sévèrement dans ses souvenirs. Surtout dans ceux quand elle passait à la forge pour faire affûter sa hache. Et maintenant qu'il le disait, c'était vrai qu'il utilisait son marteau de la main gauche.

« Toi qui est droitière : As-tu déjà essayé de faire quelque chose avec ton autre main ? »

« Euh… oui, une fois. Je m'étais foulée le poignet droit. Et un jour, j'ai voulu écrire une note à ma mère avant de sortir mais, comme j'avais trop mal, j'ai tenté de le faire avec l'autre main, et ça a été une horreur. D'ailleurs, je n'arrivais même pas à tenir le crayon correctement »

Harold eut un drôle de sourire en coin inclassable, avant de déclarer :

« Maintenant, je suppose que tu comprends d'où viens ce niveau apocalyptique avec une arme qu'on s'obstinait à me coller dans la main droite. Alors que le fait d'être gaucher marche également pour le maniement des armes »

Après quoi, il s'en retourna à sa contemplation du paysage – signe que la conversation était close – et en laissant dans son dos une Astrid complètement hébétée.

... à suivre