Chapitre 20
La stupeur générale (et encore, c'était là un euphémisme) de ce que Harold leur avait révélé n'était pas encore totalement retombée – alors que cela faisait à présent plus d'une demie-heure que la vérité leur avait été jetée à la figure – que la plupart des convives étaient toujours dans la salle de réunion de Rix à débattre.
Harold et quelques autres personnes étaient partis depuis belles lurettes ayant apparemment d'autres chose à faire.
« Ne le prends pas mal Stoïck – lui lança Ghor. Mais je pense que tu ne devrais pas participer à cette discussion »
« Je te demande pardon ! - s'étrangla à moitié l'Haddock ulcéré. Je te rappelle que MON île est plus que concernée dans cette histoire ! »
Les autres beurkiens semblaient tout aussi révoltés que leur chef.
« Je le sais très bien ! Tout comme je sais pertinemment que ton vœux le plus cher du moment est de pouvoir te racheter auprès de ton fils. Et que donc, c'est pour ça que j'estime que tu devrais rester à l'écart, et déléguer la décision à quelqu'un d'autre. Je crois que là, tu réfléchis plus en père désireux de se faire pardonner plutôt qu'en chef de clan »
« Et la dernière fois que j'aie fait le contraire, ça m'a amené à faire la plus grosse erreur de ma vie ! - s'emporta Stoïck en se levant brusquement de son siège. Alors qui sait ? Peut-être qu'en réfléchissant avec un peu plus ma raison au lieu de ma fierté, je parviendrais cette fois-ci à prendre la bonne décision ! »
« Je ne vois pas pourquoi tu parles au futur puisque je me doute que tu l'as déjà prise ta décision consistant à ramper aux pieds de ton fils ! Mais as-tu au moins pensé aux possibles conséquences pour ton peuple ? » - le défia Ghor en soutenant son regard sans sourciller.
« C'est justement parce que j'y pense que je suis prêt à « ramper » comme tu dis ! » - contre attaqua l'Haddock ayant visiblement de plus en plus de mal à ne pas traverser la distance qui le séparait de son confrère pour aller lui en mettre une.
« Parce qu'accepter que ton peuple aille au casse-pipe pour faire plaisir à ton fils et ses lézards, c'est penser au bien être des tiens ? »
Cette fois-ci, ce furent Gueulfor et Astrid qui bondirent furieusement de leur siège. Mais ils n'eurent cependant guère le temps de répliquer quoique se soit, car quelqu'un d'autre s'en chargea à leur place.
« Assez Papa ! Cesse donc toute cette mauvaise fois ! Tu me fais honte ! » - s'irrita Rakaï à la surprise générale.
Sans compter qu'au moins 99 % des personnes présentes dans la pièce avaient complètement oublié son existence, tant il s'était fait jusque là discret.
Le visage de Ghor passa subitement au rouge, et afficha un drôle de rictus comme s'il avait quelque chose de bien piquant coincé dans la gorge.
« Tu… Co… Comment oses-tu ? » - bafouilla t-il à son fils exultant de colère s'éjectant de son siège.
« TOI, comment oses-tu ? - répliqua ce dernier impassible à la fureur de son père. Comment oses-tu demander au Chef Stoïck de rester en dehors du coup ? Alors que c'est quand même SON île qui doit servir de base pour les opérations, étant donné qu'elle est la plus proche du nid ! Et surtout, comment oses-tu sous entendre qu'il est incapable de prendre les décisions qu'il faut pour son clan ? »
« Ah, parce qu'envoyer les siens se faire tuer pour sauver des dragons, c'est penser à leur survie peut-être ? »
« Et c'est là que je dis que tu es en train de faire preuve d'une mauvaise foie incroyable ! Pour commencer, Harold n'exige rien de personne ! Il demande des volontaires ! Ensuite, ce n'est pas seulement pour sauver des dragons mais tout le monde. Et donc, c'est un peu normal de mon point de vue que chacun y mette du sien. Mais là où je trouve que tu fais preuve d'hypocrisie, c'est quant tu dis qu'il est hors de question d'envoyer qui que se soit au front ! Alors que ça fait des siècles qu'on le cherche ce foutu nid malgré la dangerosité de la chose ! Sans compter que l'on avait aucune idée de ce qu'il y a là-bas jusqu'à aujourd'hui ! Donc, dis-moi Papa : Combien de guerriers eu cours du temps ne sont jamais revenus de ces excursions ? Ou encore combien ont été tués ou estropiés lors des raids ? COMBIEN ? »
Rakaï avait fait en sorte de crier le dernier mot pour probablement bien faire rentrer tout ce qu'il venait de dire dans le crâne de son père qui ne répliqua rien sur le coup et semblait même avoir un peu blanchi suite aux paroles de son fils.
D'ailleurs, personne ne trouva rien à redire sur le moment. Et avait tous l'air de réfléchir intensément à tout ce que l'Héritier des Tronchkeks venait de sortir de dessous le tapis.
De son côté, Bertha parut vraiment surprise. Elle reconnaissait qu'elle avait mal jugé ce garçon. Il n'était pas aussi idiot qu'il en avait eu l'air lors des derniers jours où elle avait dû l'avoir avec elle. Ou même selon la réputation de Rustik – en plus grand et costaud – qu'il se traînait. Il avait en fait un cerveau et savait le cacher.
« Quoiqu'il en soit, reprit-il plus calmement mais néanmoins déterminé, si tu veux rester assis les bras croisés tout en ayant la conscience tranquille, c'est toi que ça regarde. Mais sache que Moi, je ne me cacherais pas comme un lâche pendant que d'autres risquent leurs vies pour les fesses de notre clan »
Ghor ne répliqua toujours rien, et se contenta de se rasseoir doucement demeurant extrêmement blême.
Il n'avait apparemment pas l'habitude à ce qu'on lui parle comme ça. Et encore moins son propre fils.
« Je ne sais pas ce que Harold attend des volontaires qu'il demande, continua justement Rakaï à l'adresse de Bertha. Mais malgré ça, vous pourrez lui dire que je suis partant. Sur ce, vous m'excuserez, j'ai besoin d'air frais » - acheva t-il avant de quitter la salle d'un pas décidé.
Et après qu'il fut parti, un drôle de silence des plus pesant s'installa durant à peine une dizaine de secondes. Mais sembla être cependant une éternité.
Il fut rompu par Erg qui se racla la gorge, avant de s'adresser à Bertha :
« C'est bien beau tout ça, mais je ne vois pas ce que mon clan vient faire là-dedans, puisque notre problème de dragons est réglé depuis un petit moment déjà »
« Oui mais, vous n'étiez pas au courant. C'est pour ça qu'on vous a fait venir ici. L'alpha du nid qui vous posait problème est une créature saine d'esprit et raisonnable. Contrairement à la Mort Rouge. C'est pour cette raison que Harold ne s'est pas révélé à vous en tant que Prince des Dragons dans l'immédiat. Ce cas-là ne l'exigeait pas »
« Je vois. Par contre, je me doute que, malgré ça, s'il nous a côtoyé durant tout ce temps c'était pour nous tenir à l'œil et tâter et préparer le terrain. Nous faire apprendre à le connaître histoire de mieux nous faire passer la pilule une fois le moment venu »
« Vous avez parfaitement tout compris Erg ! »
« Intelligent, sournois et manipulateur ! - lança le Pwishien beaucoup plus amusé que contrarié en fait. En plus d'être une espèce de dragon à forme humaine, je soupçonne ce garçon d'être un avatar de Loki ! »
« Quelle coïncidence ! - ria de bon cœur Gueulfor. Figurez-vous que moi aussi par le passé, j'y ai pensé plus d'une fois ! Et vu le potentiel de destruction – en plus de ce que vous avez énuméré – qu'il a toujours eu on nous le confirmerait que je ne serais pas plus surpris que ça ! »
« Qu'est-ce qu'il ne va pas chez nous ? » - demandèrent subitement les jumeaux sans crier gare.
« Euh… Comment ça ? » - leur demanda Astrid légèrement perdue.
« Qu'est-ce qui cloche chez nous ? » - insista Kognedur.
« À peu près tout. Pourquoi cette question ? » - leur lança Varek.
« Parce qu'on a eu Harold sous les yeux pendant quinze ans et qu'on a pas été foutus de voir tous les points communs qu'il a avec notre idole, quoi ! » - expliqua posément Kranedur, le regard autant perdu dans le vide que celui de sa sœur.
« Cherchez pas à comprendre ! - conseilla Astrid aux plus anciens. Ils sont en plein dans un de leurs délires dont eux seuls ont les secret ! »
Une fois que la réunion des clans prit fin, Varek avait décidé d'aller faire un tour dans le village.
Maintenant que ce dernier n'avait plus à cacher ses dragons, l'Ingerman – bien qu'il l'avait déjà fait sur Dratz – voulait de nouveau observer la cohabitation entre Vikings et Dragons.
Et il put constater que les Dragons étaient des plus utiles aux Rixiens dans leurs activités minières qui étaient, ne l'oublions pas, ce qui faisait en grande partie la richesse de ce clan.
L'un des mineurs, durant sa pause à la taverne, avait même bien voulu satisfaire sa curiosité.
Il lui avait expliqué que c'était essentiellement les dragons de la classe des Rocailleux qui assistaient dans les mines.
Le fait qu'ils se nourrissaient de roches était des plus pratique à la fois pour creuser, mais aussi pour savoir où fouiller exactement car, si les roches étaient pour eux l'équivalent d'un ragoût, les pierres précieuses, elles, étaient l'équivalent de sucreries et ils pouvaient les sentir à travers des kilomètres de roche. Et, il n'avait pas été aisé au début de leur faire comprendre de ne pas les manger.
Toutefois, les Rixiens et Harold étaient tombés d'accord sur le fait que le travail effectué méritait bien une récompense. Du coup, ils avaient convenu de leur en laisser quelques une en fin de journée.
Après tout ça, Varek avait décidé de retourner avec son clan sur leur drakkar – et était même sur le chemin – lorsqu il croisa Heather qui allait en sens inverse avec son dragon marchant à ses côtés.
« Sa… Salut – la héla t-il timidement tout en restant à une distance raisonnable à cause du dragon. Je ne sais pas si tu te souviens de moi. On a un peu discuté la dernière fois que... »
« C'était il y a seulement une poignée de jours – le coupa t-elle amusée. Ça peut m'arriver d'avoir la mémoire courte. Mais pas à ce point-là non plus ! »
« Excuse-moi. Je ne voulais pas insinuer que tu es idiote ou quelque chose comme ça. C'est juste que je n'ai jamais vraiment marqué les gens » - lui expliqua t-il en jouant nerveusement avec le bout de ses doigts.
« Vraiment ? - s'étonna t-elle. Un viking qui réfléchit avec ce qu'il a entre les oreilles au lieu d'avec son arme : Moi, j'aurais plutôt dit que c'était le contraire. On en rencontre pas beaucoup des comme toi »
« Ah… Bah… Merci. Je crois » - balbutia l'Ingerman se sentant rosir.
« Écoute, si tu veux qu'on discute de nouveau, ce serait bien que tu te rapproche un peu. Parce que la conversation à distance en forçant la voix, ce n'est pas très commode »
« Euh… Tu es sûre ? » - paniqua Varek en jetant un coup d'œil affolé au dragon.
« Ne t'inquiète pas. Si tu n'es pas armé, et que tu ne fais non plus de gestes trop brusques, elle ne te fera rien » - le rassura t-elle.
« Elle ? C'est une demoiselle dragon, alors – lâcha t-il en s'exécutant prudemment. Comment elle s'appelle ? » - demanda t-il une fois plus près.
« Sonovent. C'est un... »
« Un Rasolames, je sais. J'ai lu la page de son espèce dans le manuel d'Harold »
« Il te l'a montré ? »
« Prêté plus exactement. Il savait que ça m'intéresserait. En tout cas, je suis étonné de voir un Rasolames en vrai car, d'après ce que dit Harold dans son livre, les dragons de cette espèce vivent beaucoup plus au sud-ouest normalement »
« C'est vrai ! Mais elle, vois-tu, c'est une curieuse. Elle aime l'exploration et l'aventure. Toutefois, son goût prononcé pour tout ça a bien failli lui coûter la vie »
« Comment ça ? » - s'interloqua Varek.
« Lors d'une nuit, il y a trois ans, elle s'est écrasée en plein milieu de notre village très gravement blessée. Et heureusement qu'on connaissait déjà Harold à l'époque. Sinon, les plus zélés l'auraient achevé sans attendre »
« Et du coup, vous l'avez soigné à la place. Et je devine également qu'elle s'est attachée et à décidé de rester »
« En quelques sortes. Car, ça n'a pas été une mince affaire au début. Elle était terrorisée et ne laissait personne l'approcher. On s'est donc vu dans l'obligation d'envoyer un de nos dragonnier chercher Harold pour qu'il la raisonne et la soigna éventuellement. Mais, comme je te l'ai déjà dit, elle était très sérieusement blessée. Et seuls les Dieux savaient combien de temps elle aurait tenu. Alors, je me suis entêtée. Je ne l'ai pas laissé tranquille jusqu'à ce qu'elle me fasse confiance. Ce qui lui a sans doute sauvé la vie car, même si à l'époque, je ne savais pas comment soigner un dragon aussi bien que Harold, j'ai quand même pu lui apporter les premiers soins jusqu'à ce qu'il arrive »
« Comme quoi le problème d'entêtement des Vikings peut finalement s'avérer utile » - commenta légèrement Varek qui, malgré ce petit trait d'humour, était visiblement à la fois impressionné et touché par le récit de Heather.
« Je peux ? » - ajouta t-il lui demandant l'autorisation de toucher la dragonne.
« C'est à elle qu'il faut demander ! - ria la belle brune. Mais ne t'en fais pas. Ce n'est pas très compliqué. Tu as juste à tendre doucement la main sans la toucher et, la laisser faire le reste »
Sur ce, il s'exécuta et attendit la suite.
Sonovent s'approcha elle aussi doucement, lui renifla quelques secondes la main, avant de la mettre en contact avec sa tête.
« Whouah ! » - souffla Varek passablement extatique effectuant de lentes et légères caresses.
« La première fois fait toujours cet effet à quasiment tout le monde » - lança Heather nostalgique.
« AH ! TE VOILÀ ! JE T'AI CHERCHÉ PARTOUT ! » - entendirent-ils s'écrier la voix de Rustik furibonde.
Ils tournèrent la tête pour voir effectivement le Jorgenson qui se tenait non loin d'eux, foudroyant l'Ingerman du regard.
« Et pourquoi tu me cherchais ? » - lui demanda ce dernier aigrement.
« Mon oncle souhaite faire une petite mise au point avec tous les beurkiens ! Alors, arrête de draguer et ramène-toi ! »
« Je ne drag... »
Varek se sentit tellement rougir qu'il ne termina même pas sa phrase. Et c'était sans parler du fou rire contenu d'Heather.
Harold, avec l'aide Krokmou, était allé se percher sur les hauteurs de Rix et, observait le paysage en contre-bas d'un air songeur.
D'ailleurs, il ne prêta guère attention à la personne qui vint tranquillement sa planter à côté de lui.
« Avoue que ça t'aurait arranger que ton père refuse » - lui lança une voix bien connue.
« Et pour quelle raison ça m'aurait arranger ? » - répliqua t-il calmement sans dévier son regard.
« Parce que je sais très bien que la pensée de devoir remettre ne serait-ce qu'un orteil sur Beurk est loin de t'émoustiller ! » - soutint Kamikazi.
« Évidemment ! Mais en même temps, est-ce que j'ai vraiment le choix ? »
« Non ! Et c'est justement ce qui m'inquiète ! »
« J'ai déjà entendu ça de la bouche de ma mère. C'est elle qui t'envoie ? »
La Voleuse lâcha un gros soupir.
« Bien sûr que non ! Je suis là à titre personnel. Mais tu sais, il n'est nul besoin qu'on discute dans ton dos pour nous inquiéter pour toi. On sait tous que Beurk est le dernier endroit où tu souhaite être »
« Je sais parfaitement ce qui vous préoccupe. Mais vous pouvez dormir sur vos deux oreilles. Il y a longtemps que j'ai dépassé ce stade. Sans compter que la situation exige un peu de prise sur soi. L'heure n'est pas aux caprices. Surtout pas aussi proche du but » - discourra t-il, toujours parfaitement stoïque, en la regardant cette fois-ci bien dans les yeux.
« Tu sais, je déteste quand tu es si calme pour parler d'un sujet aussi sensible. En général, ça ne présage rien de bon »
« Si tu veux mon avis, tu devrais plus te soucier de l'état émotionnel des beurkiens pas encore au courant de ce qui va très bientôt leur tomber dessus. Ils vont avoir beaucoup de choses à gérer. Et par le Limbes du Royaume d'Héla, j'adorerai être une petite mouche sur le mur de la Grande Salle de Beurk lorsque mon cher paternel va devoir tout leur expliquer ! » - exposa l'Haddock très hilare à la pensée.
« Ah ! Parce que tu n'y seras pas ? » - s'interloqua t-elle en s'amusant elle aussi de l'image.
« Kami ! Je te rappelle que pour eux je suis toujours mort depuis cinq ans ! Alors, imagine que je débarque comme une fleur sur le dos d'un Furie Nocturne ! Contrairement à toi, ils ne sont nullement habitués au spectacle ! »
« Euh… Tout compte fait, tu as raison ! Il vaut mieux laisser ton père expliquer d'abord ! »
« Et puis, il y a aussi ma mère qui vient. Malgré le fait que je lui ai bien spécifié qu'elle n'était pas obligé de venir »
« Et qu'elle rate une occasion d'exprimer clairement à cette bande d'abrutis le fond de sa pensée ? Alors là, c'est mal connaître ta mère et sous-estimer sa colère ! »
… à suivre
