Chapitre 25
DRATZ, IL Y A QUATRE ANS ET DEMIE…
Cela faisait six mois que Harold avait été banni et vivait, pour l'instant, sur cette île peuplée de gens tellement tolérants et ouverts d'esprit que ça avait été à se demander s'ils étaient réellement des vikings.
Lorsque sa mère avait, quelques mois plus tôt, atterrit au beau milieu de leur village à dos de dragon, avec lui mourant dans ses bras, et les avait supplié à genoux de les emmener à leur guérisseur : ils avaient accédé à sa requête sans plus se poser de question que ça.
Ils avaient accepté les Dragons sans aucune résistance. Cela s'expliquant probablement par la présence non loin de chez eux du bienveillant Roi des Dragons et que par conséquent, ils n'avaient jamais vraiment eu de problèmes avec ces derniers.
Ils avaient jusque lors vécu avec les histoires de ces créatures contées par d'autres, ainsi qu'avec leur réputation les précédant.
Et durant ces six derniers mois, ils s'étaient montrés tellement gentils et attentionnés aussi bien avec lui qu'avec les Dragons que Harold s'était, pendant tout ce temps, plus d'une fois demandé s'il n'était pas bel et bien mort et que Héla, dans sa miséricorde, avait placé son âme dans une espèce de Beurk inversée.
Dans un certain sens, ça aurait logiquement expliqué la présence de sa mère qui le couvait et dorlotait excessivement. Comme il se l'était souvent imaginé à chaque fois que son père le laissait tomber. C'était pour dire souvent.
Et on ne pouvait pas reprocher à un garçon de quinze ans des plus torturé de penser de la sorte – surtout après tout ce qu'il avait subi et traversé – tant la situation était complètement surréaliste.
Plus particulièrement le comportement des Dragons à son égard.
Bon, dans un premier temps, il pouvait parfaitement comprendre que ses semblables alentours – en tête de liste sa mère et Kamikazi – s'accordaient sur le fait de ne jamais le laisser seul, afin d'être sûrs qu'il ne recommence pas à jouer au con.
Mais dans un deuxième temps, il avait un peu de mal à saisir pour quelles obscures raisons les Dragons semblaient avoir décidé de faire pareil.
Il ne pouvait même pas leur échapper en restant dans sa chambre, puisque quelques Terreurs Terribles la squattaient en quasi-permanence. Puis, étaient également suffisamment petits pour ne gêner physiquement personne.
Et lorsqu'il avait envie de prendre l'air et de se dégourdir les jambes, il y avait toujours cette curieuse dragonne vipère bleue qui l'attendait, comme à chaque fois, devant la porte pour par la suite le suivre comme son ombre partout où il allait. Mais non sans l'avoir avant inspecté sous toutes les coutures et aussi tenté de le toiletter si, par malheur, elle ne l'estimait pas assez propre à son goût.
Harold en était même venu à penser qu'elle était encore pire que sa mère.
D'ailleurs, une fois lors d'une de ses petites promenades, la dragonne avait remarqué son état de fatigue. Mais voyant qu'il n'avait visiblement par pour projet de retourner se coucher, elle avait décidé de prendre les choses en mains. Enfin, plutôt en gueule, puisqu'elle l'avait attrapé par l'arrière de sa tunique, et l'avait trimballé comme ça jusqu'à la maison de Haldor pour que ce dernier l'oblige à se remettre au lit.
Cependant, malgré tout ça, ce n'était même pas ce qu'il y avait de plus étrange avec les Dragons.
Non ! Ce qui était le plus bizarre avec eux : c'était leur façon de le fixer.
Harold avait la sensation qu'ils ne se contentaient pas seulement de le surveiller.
Il avait l'impression qu'ils attendaient quelque chose.
Il avait bien pensé en parler à sa mère qui aurait sans doute pu expliquer leur comportement. Mais , il s'était abstenu en se disant, qu'au cas ou elle n'aurait pu le faire, qu'elle ne s'imagine qu'il recommençait à perdre la boule, et ne le séquestre définitivement dans sa chambre.
Et depuis qu'on lui avait donné l'autorisation d'en sortir, les jours s'étaient succédé plus ou moins de la même manière.
Harold se réveillait chaque matin avec des Terreurs Terribles plein son lit – et aussi éventuellement Kamikazi quand c'était son tour de garde – il se levait, et prenait le petit-déjeuné goûteux qui lui préparait chaque jour Haldor qui avait chassé Valka de sa cuisine de peur qu'elle ne rende son patient encore plus malade. Et bien que Harold aimait beaucoup sa mère, il n'avait pu faire autrement que de remercier mentalement le vieux guérisseur.
Fallait être honnête ! Les « talents » culinaires de sa mère étaient une véritable arme de destruction massive. Au même titre que les performances vocales de Gueulfor.
Puis, Valka l'avait tellement mal prit que leur dispute avait même fait se cacher les Dragons.
Pour continuer, une fois ses victuailles matinales ingurgitées, Harold avait droit à son examen de santé complet, ainsi qu'à son lot de prises de potions sous l'œil intransigeant de Haldor, de Valka et de Kamikazi, chacun positionnés de façon stratégique près des fenêtres et des portes.
Ensuite, une fois qu'il parvenait à passer cette épreuve sans vomir, il retournait se rallonger un peu car, même s'il avait réussit à ne rien rendre, il préférait quand même ne pas trop bouger durant encore un moment.
Toutefois, il ne restait pas sans rien faire pendant ce laps de temps, puisqu'il en profitait pour discuter un peu avec Erik et Sigrun - et quelques fois aussi Priam – qui venaient chaque jour prendre de ses nouvelles.
Ça aussi, il avait fallu un certain temps à Harold pour s'y faire.
Au début, ça lui avait vraiment fait bizarre à ce qu'autant de gens se soucient de lui.
Les cités plus haut n'étaient bien entendu pas le seuls. Ils étaient juste les plus investis. Sa mère et Kamikazi se disputant la première marche du podium. Mais ça, ce n'était pas vraiment surprenant.
Haldor faisait certes son travail de guérisseur mais, il lui montrait un réel attachement, de même qu'une grande affection.
Le vieil homme lui avait dit un jour qu'il était aussi maître d'armes et qu'une fois qu'il irait mieux, aussi bien physiquement que mentalement, qu'il le formerait au combat. Et ce, en plus d'avoir déjà prit Kamikazi sous son aile pour lui apprendre l'alchimie car, il avait assez vite remarqué le talent inné de la jeune fille dans le domaine, à chaque fois qu'elle lui avait proposé de l'aider.
Priam ne venait peut-être pas tous les jours, car après tout : c'était le Chef ! Et Harold était bien placé pour savoir ce qu'était un chef de clan et qu'il n'avait pas que de lui à s'occuper.
Néanmoins, le jeune Haddock savait qu'il prenait quotidiennement de ses nouvelles par le biais de son fils, qui lui par contre, venait tous les jours accompagné de sa petite-amie.
Par ailleurs, il avait été assez surprit qu'Erik et Sigrun étaient, malgré leurs quinze ans, déjà fiancés. Et qu'en plus, il l'étaient même depuis l'âge minimum légal requis pour des fiançailles : c'était-à-dire depuis leurs douze ans.
Ce qui l'avait encore plus étonné car, bien qu'il connaissait l'existence de cette loi, ça restait cependant extrêmement rare.
Puis en général, les parents préféraient attendre que leurs enfants aient au moins dis-huit ans avant d'officiellement les fiancer.
Du coup, ils lui avaient expliqué qu'ils étaient amoureux depuis toujours. Même quand ils étaient bébés. Et que c'était pour cette raison que leurs parents n'avaient vu aucun inconvénient à les fiancer si jeunes.
Harold ne l'avait pas admis à haute-voix mais, au fond de lui, il avait trouvé ça absolument choupinou.
Et à la manière qu'ils avaient chacun d'essayer de lui remonter le moral, il avait pu constater qu'ils s'opposaient autant qu'ils se complétaient.
Erik apparaissait comme quelqu'un de dynamique et enjoué à tenter, comme il pouvait, de le faire rire, et à lui promettre qu'il l'emmènerait en excursion sur toute l'île, afin de lui montrer les endroits les plus cools.
Sigrun, elle, se montrait plus discrète et plus calme.
Elle s'employait à lui changer les idées avec l'aide de ses incroyables talents de pâtissières, ainsi qu'avec toutes ses possessions littéraires.
Il était même arrivé, à l'époque où il était encore trop faible, de lui faire la lecture.
Elle lui avait aussi fourni de quoi dessiner quant il lui avait révélé qu'il adorait ça. Et , elle avait été si admirative de son don dans le domaine, qu'elle lui avait passé tout un tas de commandes. Elle lui avait même demandé s'il pouvait immortaliser le jour son mariage avec Erik. Chose qui ne se faisait pas du tout dans la tradition viking.
Mais il avait tellement apprécié cette idée révolutionnaire – sans compter la gentillesse dont elle faisait preuve à son égard – qu'il n'avait pas pu le lui refuser.
Tout cela avait plus ou moins constitué le train train quotidien de Harold au cours de ces six derniers mois.
Cependant, il est arrivé un jour où le garçon n'avait même pas encore ouvert les yeux qu'il avait déjà une étrange intuition que ce jour en particulier ne serait pas fait comme les autres.
D'ailleurs, ses cauchemars habituels avaient été, durant la nuit, remplacés par quelque chose des plus étranges.
Son esprit s'était comme envolé au plus haut dans le ciel, voguant calmement sur un océan de nuages, sous un ciel nocturne magnifiquement étoilé, et où s'étalaient trois aurores boréales bien distinctes les unes des autres de par leurs différentes couleurs.
Ce qui rendait ce « rêve » encore plus bizarre car, dans la réalité, les feux célestes étaient soit d'une seule teinte, soit mélangées lorsqu'ils en comportaient plusieurs.
De plus, les trois qu'il avait vu n'étaient pas de n'importe quel couleurs.
Il y en avait une jaune, une rouge et une verte.
Les couleurs attribuées au trio divin de tête. À savoir Odin, Thor et Loki.
Mais malgré ce décors absolument féerique, Harold n'aurait pas qualifié ça de « rêve » à cause d'un détail assez perturbant. Voire à la limite du flippant.
En effet, une voix féminine douce et bienveillante lui avait dit des choses plutôt énigmatiques.
Dans l'air de ce magnifique paysage et accompagnée d'un splendide écho, elle lui avait susurré :
« Le moment est venu. Il est en route. Il vient à toi. Le temps est venu pour toi de t'éveiller et de voler vers ton destin : Enfant des deux mondes. Fils du Ciel et de la Terre »
Durant ces quatre dernières années et demie, Harold s'était souvent humblement demandé si cette nuit-là les Dieux eux-mêmes s'étaient bel et bien adressés à lui, ou si ce curieux songe avait purement été le fruit de son imagination. Et ce malgré ce qui s'était produit le jour d'après, probablement œuvre d'un pur hasard. Mais en même temps, la coïncidence avait été tellement énorme que l'Haddock s'autorisait à douter quelques fois.
En effet, ce jour-là, l'attention des Dragons sur lui s'était faite bien plus insistante qu'à l'accoutumée.
Ils avaient même, dès qu'il avait mit le pied dehors, établi un périmètre de sécurité autour de lui à la grande incompréhension générale. Et en particulier de celle de Valka dont le latin avait semblé lui échapper un peu plus chaque jour depuis les retrouvailles avec son fils.
Elle avait effectivement remarqué leur étrange comportement à l'égard de Harold sans pouvoir parvenir à l'expliquer.
Et ce jour-là, des sommets avaient été atteints.
Ils s'étaient, comme qui dirait, concertés et organisés pour emmener et isoler le garçon un peu à l'écart du village, tout en maintenant leur cercle autour de lui. Hormis la Vipère qui était restée comme toujours près de lui.
Et tous ceux qui avaient tenté de pénétrer dans l'espace interdit, c'était fait envoyés par les reptiles voir ailleurs s'ils y étaient. Certes délicatement et sans aucune violence. Mais quand même !
Valka avait manqué de peu de perdre son sang-froid lorsque même Jumper, son fidèle dragon et ami, l'avait elle aussi empêché d'approcher. Mais ce fut probablement l'air désolé de l'animal qui la retint.
Ce petit manège avait duré jusqu'à la mi-matinée et, avait prit une autre tournure au moment de son arrivée.
Il était apparut sans que personne ne l'ait vu venir.
Il avait atterri dans le cercle non loin de Harold, aussi rapidement que silencieusement.
Il s'était présenté aussi majestueux que mystérieux avec son corps entièrement noir et ses grands yeux de jade s'étant de suite accrochés avec ceux du garçon, vers lequel il s'était avancé précautionneusement d'une démarche féline.
Tout ça sous la surveillance des autres dragons qui avaient observé solennellement et silencieusement la scène. La Vipère s'était même discrètement éloignée comme pour laisser la place au nouveau venu.
De son côté, Harold n'était pas parvenu à détourner son regard de celui du dragon noir semblant l'avoir hypnotiser.
Il s'était lui aussi doucement avancé pour combler la distance entre-eux, tendant avec prudence sa main en direction du museau de l'animal sans pour autant le toucher, attendant que celui-ci fasse le dernier pas. Ce qu'il fit en ronronnant les yeux fermés. Et lorsqu'il les rouvrit pour les planter de nouveau dans ceux du garçon : ce dernier eut l'impression d'entendre résonner dans son esprit la voix de son rêve lui déclarer une fois de plus : « Le moment est venu »
Puis, juste après ça, il avait senti une atroce douleur lui traverser la tête.
Il était ensuite tombé à genoux en se tenant sa pauvre caboche entre ses mains sous les hurlements affolés des personnes alentours.
Durant son agonie, il avait vu et entendu tellement de choses à la fois qu'il avait eu l'impression que, pas seulement sa tête mais carrément son corps tout entier, allait exploser.
Cependant, malgré le nombre infini de voix qui avaient résonné en lui, une en particulier s'était clairement détachée des autres. Elle lui avait dit d'un ton rassurant et apaisant : « Je suis là. Je ne te quitte pas. Ce n'est qu'un dure moment à passer. Tout sera bientôt fini »
Lorsqu'il avait reprit ses esprits, il n'était plus sur les genoux, mais affalé contre le flan du dragon noir, qui s'était couché et l'avait entouré de son corps autant que celui-ci le lui avait permit. Il frottait aussi doucement sa tête contre la sienne en ronronnant.
Harold avait aussi de nouveau entendu cette curieuse voix le rassurer. Il avait également eu l'impression qu'elle provenait du dragon.
Chose qui lui parut sur le coup totalement absurde et impossible. Il crut être devenu vraiment fou.
Sans compter qu'il s'était sentit « différent ». Et la migraine ainsi que la nausée toutes deux semblant tout droit sorties de Helheim qu'il se tapait n'en étaient pas la cause.
Ses sens avaient aussi semblé s'être complètement détraqués. Il avait tout ressentit autour de lui beaucoup plus intensément.
Il s'était relevé à grands peines en suppliant le humains alentours d'arrêter de crier son nom, parce que sinon sa tête n'aurait probablement jamais survécu. Sans compter toutes ces voix à la fois proches et lointaines qui semblaient y résonner.
Et puis, il n'oublierait probablement jamais tous ces hoquets de surprise et ces étranglements de stupeur s'étant fait entendre après que les dragons autour se soit inclinés devant lui.
Tout comme ceux qui l'entouraient à présent, qu'il avait passé la journée à rassembler, et auxquels il allait devoir expliquer ce qu'il attendait d'eux.
Il allait aussi devoir s'occuper des dragons captifs de l'arène dont les cris de détresse allaient finir par avoir raison de lui s'il n'agissait pas rapidement.
Il poussa un lourd soupir en levant les yeux vers le ciel.
Courage et patience. Le bout du tunnel n'était plus très loin. Tout serait bientôt terminé.
… à suivre
