Chapitre 26
StoÏck siégeait à sa place attitrée dans les tribunes de l'arène d'où il observait l'aire de combat vide d'une expression à la fois assurée, mais aussi lassée à cause de tous ces beuglements plaintifs autour de lui, qu'il ignorait totalement d'ailleurs. Et qu'il n'avait nul besoin d'écouter pour savoir qu'il s'agissait de la raison pour laquelle il étaient là.
Il ne savait pas encore qui du Conseil avait été chanter qu'ils avaient accédé à la requête de Harold au sujet des dragons de l'arène; mais une fois qu'il tiendrait le coupable: ce dernier allait probablement souffrir de sérieux problèmes d'audition dans les jours qui suivront quand il en aura fini avec lui.
Il aurait préféré que ça se fasse avec le moins de monde possible. Et Harold aussi apparemment au vu de l'exaspération qu'il affichait en voyant tout cet attroupement, tandis qu'il franchissait l'entrée, sur le dos de son dragon, Astrid assise derrière lui, et de suivi de près par le vipère bleu et le cauchemar rouge qui l'avait déjà accompagnés l'autre fois sur le bateau.
Stoïck fut aussi ravi de voir que Valka était également venue.
Toutefois, elle avait laissé son dragon à l'extérieur.
"Si j'avais su que ce serait considéré comme un spectacle, j'aurais fait payer l'entrée. Ça aurait été toujours ça de prit" - soupira Harold en descendant de Krokmou, malgré qu'il avait capté le regard navré de son père, l'air de dire: "Je n'y suis pour rien"
Et par ailleurs, la présence de toute cette populace semblait également pas mal irriter Valka, qui ne manqua pas de le faire sentir à travers l'acidité de son ton lorsqu'elle déclara:
"Vous pouvez rester regarder si ça vous amuse! Cependant, je ne veux rien entendre! Et le premier qui aurait dans l'idée d'avoir l'esprit de contradiction, le paiera extrêmement cher! N'est-ce pas Stoïck!"
Elle avait lourdement insisté sur ses derniers mots à l'adresse du concerné le fixant bien dans le blanc des yeux, lui faisant comprendre qu'il avait plutôt intérêt à ne rien laisser passer.
Et celui-ci lui fit un signe de tête pour lui confirmer qu'il avait saisi le message.
Par le suite, Gueulfor entra à son tour clopin clopant dans l'arène. Mais semblant, lui par contre, tenir cure de toutes ces paires de yeux présentes.
"Bon! Par lequel on commence?" - chantonna t-il à l'égard de Harold.
"Je pense qu'il vaut mieux libérer en premier le plus nerveux et claustrophobe du lot : à savoir le Cauchemar Monstrueux"
"Ce serait effectivement le plus sage" - convint Valka.
"Par contre Gueulfor, une fois que tu auras ouvert la porte, je veux que tu te fasses le plus discret possible. Cache-toi même à la limite dans la cage s'il le faut - pria le jeune Haddock, avant d'ajouter devant l'air ahuri de son ancien mentor: je suis parfaitement conscient que tu es loin d'être un amateur, et que ce n'est pas un seul dragon qui va te faire peur. Mais là, il ne s'agit ni de chasse ni d'entraînement. Avec le traumatisme de sa captivité, plus ta présence avec moi et lui dans cette arène qu'il déteste, alors que pour lui tu es toujours un ennemi mortel: il y a de fortes chances pour qu'il réagisse très mal. Et ça deviendra des plus laborieux pour le calmer. Même pour moi. Crois-moi, je sais de quoi je parle"
"C'est déjà arrivé, au moins?" - interrogea l'amputé.
"Oh que oui! Avec là aussi un cauchemar. D'ailleurs, je sens une migraine poindre rien que d'y repenser - soupira le jeune homme, avant de continuer à l'adresse d'Astrid: Pareil pour toi! Pour l'instant, reste avec ma mère en dehors de l'arène. Si ça se passe bien avec le cauchemar: tu pourras rester pour les autres" - termina t-il promptement pour la devancer, voyant qu'elle avait commencé à ouvrir la bouche pour protester.
Et bien qu'elle fit ce qu'il lui avait demandé, elle le fit tout de même avec une moue boudeuse sous le regard amusé de Gueulfor.
Le vieux forgeron n'aurait jamais cru voir un jour le petit, faible et timide Harold faire tout ce qu'il voulait sans mal de la grande, forte et féroce Astrid.
Après quoi, une fois son court songe nostalgique terminé, il alla lui-même faire ce qu'on lui avait demandé. Et sans être Harold, il pouvait clairement sentir le Cauchemar Monstrueux - voire même les autres dragons prisonniers - s'agiter de plus en plus depuis l'autre côté de l'immense porte de sa cellule.
Curieusement, pour la première fois de sa vie, il appréhendait de baisser ce levier; alors qu'il l'avait déjà fait des milliers de fois sans sourciller.
Il en était venu à croiser les doigts de la main qui lui restait pour que ça se déroule sans accros.
Il jeta un regard interrogatif à son ancien protégé qui lui confirma d'un signe de tête qu'il était prêt.
Il souffla alors un bon coup, avant de baisser d'un coup sec le levier.
Le dragon locataire de la cellule n'eut pas la politesse d'attendre que les portes soient complètement ouvertes. Il força le passage, et en sortit tout feu tout flammes.
D'ailleurs, les curieux venus assister au spectacle durent - afin d'éviter de finir en grillades - bien reculer du dôme de chaînes car, le cauchemar s'y était accroché, et le parcourait rapidement avec rage.
Harold lui - toujours au centre de l'arène - n'avait pas bougé d'un poil.
Il se contentait d'observer la créature faire son show quelques instants.
Mais lorsque leurs deux regards draconiques se croisèrent, le dragon se figea soudainement, et prit une expression vraiment surprise.
Il quitta alors subitement son perchoir pour foncer - toujours enflammé - tout droit en direction de Harold qui demeurait imperturbable.
À côté d'elle, Valka entendit Astrid réprimer un cri, et dut lui faire comprendre d'un geste de la main que Harold n'était pas en danger, contrairement à ce qu'on pourrait penser.
D'ailleurs, le reptile s'était arrêté net devant le jeune homme. Et tous deux continuaient à se fixer du regard. Semblant avoir une conversation, bien qu'aucun son n'émanait d'eux.
Pour tous ceux ayant une certaine connaissance des pouvoirs de Harold, il leur apparaissait évident que les deux n'étaient en train de communiquer uniquement que par l'esprit.
Cela ne dura qu'une poignée de secondes durant lesquelles le cauchemar s'était clairement calmé, puisqu'il avait éteint ses flammes laissant apparaître sa couleur magenta.
Lorsque Harold se décida enfin à effectuer un geste: ce fut pour tendre délicatement sa main gauche vers le museau du dragon. Mais n'alla toutefois pas jusqu'au bout.
L'animal fit le reste pour fermer la distance entre eux.
Puis, au bout d'un très court instant, il se recula légèrement avant de s'incliner doucement devant le jeune homme sous les regards écarquillés et les souffles coupés des spectateurs.
"C'est bon Gueulfor! Tu peux bouger! Mais essaie encore d'éviter les gestes trop brusques pour le moment! " - interpella t-il son ancien mentor.
"Compris!" - fit l'amputé avec son ton guilleret habituel en se dirigeant vers l'entrée de l'arène, afin de cette fois-ci aller baisser le levier de la grille pour laisser revenir Valka, Astrid et Krokmou qui ne se priva pas de donner un léger coup de queue à l'arrière de la tête de son maître.
"Je sais! Je sais! Tu n'es pas content! Tu n'aimes pas quand je te laisse en dehors du coup!" - rit à moitié Harold en enlaçant dans ses bras la tête du furie qui ne bouda pas longtemps, en se mettant à ronronner, et à rendre le câlin qui lui était fait.
"Il ne supporte vraiment pas de se détacher de ton ombre! Les jours que tu as passés avec nous ont dû être un véritable supplice pour lui!" - plaisanta Gueulfor.
"Tu n'imagines même pas!" - lui confirma Harold mi-ironique mi-sérieux.
"Vu que ça s'est très bien passé avec le cauchemar: en théorie, ça devrait aller encore mieux avec les autres" - lança Valka tandis qu'elle commençait son examen du dragon fraîchement libéré.
"Ce qui veut dire que je peux rester cette fois-ci!" - rappela malicieusement Astrid qui ne perdait décidément pas le nord.
Ce qui fit lever - avec une légère hilarité cependant - les yeux au ciel à Harold.
"Qu'est-ce qu'il s'est passé au juste avec ce dragon? Parce que je dois bien avouer que c'était vraiment étrange" - interrogea Gueulfor.
"c'est sûr que de ton point de vue que ça l'était; alors qu'en réalité, il n'en était rien. Il a juste été très surpris sur le coup. Bien que tous les Dragons savent que j'existe: tous ne savent pas que je suis aussi humain. Il a alors fallu que je lui fournisse quelques petites explications" - exposa posément Harold.
"Je vois"
Après ça, ils poursuivirent ce pourquoi ils étaient là. Toujours sous les regards acérés des Beurkiens.
Et comme Valka l'avait prédit: ça s'était passé encore mieux avec les dragons restants.
En plus du Cauchemar Monstrueux, l'arène n'avait comporté que quelques Terreurs Terribles, un Braguettaure vert et un Gronk marron s'étant, pour ce dernier, montré en manque cruel de câlins.
Astrid avait, bien entendu, pu rester comme Harold le lui avait promis; et avait écouté religieusement tout ce qu'il lui avait expliqué sur les différentes méthodes pour approcher et calmer un dragon sauvage.
En effet, depuis qu'il lui avait dit deux jours auparavant, que si les Dragons pouvaient obéir à d'autres humains que lui, ce n'était pas parce qu'il le leur ordonnait, mais parce qu'ils pouvaient tout simplement être dressés. Du moins, la plupart.
Dès lors, elle s'était mise en tête de devenir dresseuse de dragons, voulant par conséquent, que Harold lui apprenne tout sur tout là-dessus.
"Tu peux venir nous rejoindre si tu veux Varek! Il n'y a plus vraiment de danger!" - l'entendit-elle interpeller l'Ingerman qui - sans surprise - notait frénétiquement dans son carnet tout ce qu'il venait d'observer.
Toutefois, il se stoppa dans son action, et releva la tête, le regard légèrement écarquillé suite à la proposition qu'il s'était vu offrir.
"Euh… Je ne sais pas trop" - lâcha t-il indécis en observant tout ce petit monde présent dans l'arène d'un œil peu confiant.
"Varek! Je te rappelle que tu as déjà été à moins de dix centimètres d'un Furie Nocturne, et que tu es toujours là en un seul morceau!" - lui lança l'Haddock amusé par son malaise.
"Certes! Mais là, il y a un peu trop de dragons d'un coup. Je vais passer mon tour pour celle-là. La prochaine fois peut-être. Dans un endroit moins fermé de préférence"
"Comme tu voudras!" - lui répondit naturellement Harold non vraiment surpris par son refus dont il comprenait en partie les raisons.
"En tout cas, il y en a une que ça ne dérange pas plus que ça de venir crapahuter au milieu de tous ces écailleux géants cracheurs de feu!" - rit à moitié Gueulfor en désignant Gothi qui, effectivement, s'avançait tranquillement dans leur direction, sans montrer le moindre signe de peur.
Et elle ne s'effraya toujours aucunement lorsque krokmou vint lui tourner autour et la renifler doucement.
D'ailleurs, le dernier ronronna et gratifia la vieille dame d'un grand coup de langue. Ce qui la fit glousser et lui tapoter le museau l'air de dire:"Brave Bête!"
"Je peux te dire que tu as de quoi te vanter Gothi! - lui assura Harold. C'est bien la première fois que je vois quelqu'un gagner aussi vite la confiance et l'affection de Krokmou!"
La vieille femme détourna son attention du dragon pour, cette fois-ci, la tourner vers le jeune homme qu'elle considéra avec un peu plus de sérieux, avant de lui faire signe de s'approcher.
Celui-ci s'exécuta et s'accroupit devant elle pour être à la hauteur de son regard, étant donné qu'il était bien plus grand qu'elle.
Après quoi, elle posa doucement sa petite main libre sur une des joues de Harold auquel elle adressa un sourire crispé et un regard embué.
"Oui. Moi aussi Gothi, je suis aussi très heureux de te revoir" - lui rendit-il son sourire.
Celui de la chaman se fit un instant un peu plus large, avant qu'elle ne reprenne un air bien plus sérieux. Elle déplaça ensuite sa main de la joue de Harold à son front sur lequel elle la plaça à la verticale.
Puis, elle ferma les yeux comme pour se concentrer. Ce qu'elle faisait d'ailleurs, puisqu'il le sentait bien qu'elle utilisait la magie.
En revanche, il ne savait pas vraiment dans quel but. Mais ce dont il était sûr: c'est que si, ça n'avait pas été Gothi, il ne se serait certainement pas montré aussi docile.
Cet instant ne dura à peine qu'une dizaine de secondes.
Et quand le vieille femme rouvrit les yeux, elle afficha un drôle d'air songeur, avant de profiter des traces de brûlures sur le sol de l'arène pour y gribouiller.
"Bien qu'elle ait senti dès la première seconde de ta venue au monde que tu étais dérangeant… AÏE! - cria Gueulfor après que Gothi lui eut filé un bon coup de bâton, dont elle avait le secret, sur le casque. Euh pardon! Je voulais dire "différent"" - se corrigea alors l'amputé.
"Quoique "dérangeant" ça pouvait éventuellement passer. Car, on ne va pas se mentir, je l'ai été pour pas mal de monde pendant longtemps" - railla passablement Harold.
Suite à cette déclaration, le vieux forgeron se racla la gorge un peu gêné, avant de poursuivre sa traduction.
"Je disais donc: bien qu'elle te savait différent, et qu'elle sait à présent de quoi il était question, il y a quand même quelque chose qui la laisse prétexte… AÏE… euh perplexe"
"Comment ça?" - questionna l'Haddock.
Gothi se déplaça alors vers une autre trace de brûlure pour y dessiner sa réponse.
"Elle dit qu'il demeure dans ton esprit une zone d'ombre. Elle a l'impression que ton expérience… AÏE… existence ne se limite pas seulement au Prince des Dragons. Que tu as un autre rôle à jouer dont tu n'as aucunement conscience. Et que, c'est ce que représente cette zone d'ombre"
"Excuse-moi Gothi mais, vu de ma fenêtre, je trouve que d'essayer de mettre fin à une guerre absurde qui n'a que trop durée est déjà pas mal en soi. Je ne vois pas ce que je pourrai faire de plus" - lança Harold d'un ton étrangement neutre.
Néanmoins, cela fit sourire et hausser les épaules de la vieille dame qui se remit à gribouiller, et que Gueulfor ne traduise:
"Elle dit que peu importe ce qui t'attends encore, elle sait que tu pourras y faire face car, tu possède en toi la combativité de Thor, modérée par la sagesse d'Odin, toutes supervisées par l'intelligence de Loki. Et très peu de gens ont conscience de ce que ces trois qualités combinées peuvent accomplir"
Des paroles qui firent fortement froncer les sourcils à Harold, à qui les trois dieux fraîchement cités, lui rappelaient sévèrement cet étrange rêve aux aurores boréales.
Cependant, il n'eut pas vraiment le temps de pousser plus loin sa réflexion car, il fut interrompu par la voix de Kamikazi qui l'interpella.
Il se redressa et tourna son regard vers l'entrée de l'arène pour y voir sa meilleure amie en passer la porte d'un pas décidé.
"Excuse-moi de débarquer à l'improviste, mais Geird et Hilda sont arrivées de l'île des Tronchkeks avec des nouvelles. Et comme tu voulais être prévenu de suite au cas où" - lui déclara t-elle une fois parvenue à sa hauteur.
"Et?"
"Ils ont plutôt bien compris la situation dans son ensemble, et beaucoup se sont portés volontaires. Mais seulement sur le plan terrestre à cause du manque d'informations sur les Dragons"
"Ce n'est pas vraiment surprenant étant donné que je me montre des plus nébuleux sur le sujet"
"Toutefois, je me dis que certains pourraient changer d'avis si tu attends leur arrivée pour développer ce détail"
"Ne t'inquiète pas. C'était dans mon intention. De toutes façons, il va me falloir plusieurs jours pour aider les dragons de l'arène à se remettre de leur détention"
… à suivre
