Chapitre 27
S'il y avait bien quelque chose qui ne changerait jamais en ce qui concernait Varek: c'était sa soif insatiable de connaissances.
De même que le soin et la rigueur qu'il mettait tout particulièrement à apprendre. C'était un trait de caractère qui avait tendance à agacer pas mal de monde. Mais pas pour Harold.
Lui, il faisait partie de ces gens à avoir bien compris que la curiosité n'était pas toujours un aussi vilain défaut qu'on le prétendait. Elle était même souvent symptomatique d'une réelle et grande intelligence.
Et à dire vrai, ça amusait toujours autant l'Haddock de voir son ami frétiller sur sa chaise, et noter scrupuleusement et frénétiquement tout ce qu'il pouvait lui dire.
"J'ai remarqué dans ton manuel que tu dis pour plusieurs espèces qu'elles ne peuvent pas être montées, malgré le fait qu'elles peuvent être dressées. Et j'aimerai que tu m'expliques pourquoi?" - l'interrogea-t-il.
Harold fut brièvement songeur, avant de lui répondre:
"Maintenant que tu me le fais remarquer: c'est vrai que je ne suis pas très clair là-dessus. Faudra que je corrige ça. Mais sinon quand je dis qu'elles ne peuvent pas être montées: je parle dans le sens "combat aérien"."
"Ah oui! - comprit de suite Varek. Je vois parfaitement ce que tu veux dire! Si je ne me trompe pas, c'est une question de taille!"
"Exact! Tu te doutes bien qu'un Typhomerang n'a pas la même possibilité de manœuvres qu'un Furie Nocturne, par exemple. Un Gronck aussi non plus tu me diras. Néanmoins, la petite taille de cette espèce est bien plus commode pour un cavalier. Pour finir, je dirais que la taille maximale pour un cavalier va jusqu'au Stormcutter"
"Je suppose que tu as essayé avec chaque espèce que tu connais!"
"Au grand dam de Krokmou! Il n'est pas du genre partageur!" - ironisa Harold, avant de prendre une gorgée de son lait de yack chaud.
Après quoi, un grognement clairement mécontent se fit entendre depuis l'endroit où se trouvait la cheminée de la demeure Ingerman dans la pièce principale.
En effet, le dragon s'y était pelotonné dès qu'il était entré dans la maison avec la bénédiction de la mère de Varek.
"Et susceptible avec ça" - en rajoutant une couche l'Haddock, toujours amusé.
Krokmou le gratifia d'un œil boudeur, avant de retourner à sa sieste en cachant sa tête derrière sa queue.
"Moi aussi, je t'aime!" - lui lança mi-hilare mi-affectueux son maître.
"Ça par contre, je crois que ça ne cessera jamais de me surprendre et de me fasciner en même temps - commenta Varek en parlant du bref échange qui venait d'avoir lieu. Tu es sûr que je ne pourrais jamais un jour les comprendre aussi bien que toi?"
"Malheureusement, j'ai bien peur que ce privilège me soit exclusivement réservé. Après, tu n'as pas nécessairement besoin de mots pour les comprendre. Les dragons sont intelligents et sont parfaitement capables de se faire entendre par le langage du corps si on prend la peine d'y être un temps soit peu attentif. C'est comme ça que les dragons montés arrivent à communiquer avec leurs dragonniers. Je ne suis pas toujours à côté d'eux pour leur servir d'interprète. Mais pour ça, il faut les approcher et passer plus de temps avec eux" - appuya bien Harold sa dernière phrase avec une pointe de malice.
"Je sais! Je sais! - soupira Varek en tapotant ensemble le bout de ses doigts (ce qu'il faisait toujours quand il était embarrassé). C'est idiot de ma part d'éprouver une telle apréhension; alors que j'en ai suffisamment observé et constaté pour savoir que je ne risque rien. La preuve en est qu'il y a en ce moment un Furie Nocturne qui dort bien sagement en boule devant la cheminée de ma maison" - finit-il en désignant le dragon en question qui bailla gueule grande ouverte.
"Tu sais, en même temps, je peux comprendre un peu ton sentiment. Ce n'est pas facile pour tout le monde de passer comme ça par-dessus plus de 300 ans d'éducation et de bourrage de crâne. Tu n'es pas le premier à avoir des difficultés à te détacher de cet "héritage". Et tu ne seras pas non plus le dernier"
"Non, non, non! - réagit aussitôt Varek. Ne te sens pas obligé de me rassurer en me disant que ça vient de là! Car, on sait très bien tous les deux que ce n'est pas ça mon problème! On sait très bien tous les deux que mon véritable problème est que je suis un froussard!" - termina t-il penaud en baissant les yeux.
"Ne dis pas n'importe quoi Varek! Tu as plus de courage dans un seul de tes petits doigts que beaucoup d'autres réunis. C'est juste qu'on t'as tellement qualifié de la sorte que tu as fini par en être toi-même convaincu! Crois-moi, je sais de quoi je parle!" - le réprimanda Harold, mais avec cependant bienveillance.
L'Ingerman releva vers lui un regard des plus écarquillés ouvrant et refermant la bouche comme un poisson hors de l'eau, et ne trouvant plus visiblement ses mots.
"Alors les garçons, comment ça se passe?" - intervint soudainement la maîtresse de maison en les rejoignant.
Harold et Varek avaient visiblement quelque chose en commun par rapport à leurs mères respectives. Ils tenaient tous les deux leurs corpulences d'elles.
Le père de Varek était certes imposant. Mais c'était en grande partie du muscle. Tandis que ses rondeurs: on voyait bien que le fils les tenait de sa mère.
Tout comme Harold avait hérité de la silhouette élancée et svelte de sa mère.
"Oh! Mais tu as presque fini ton lait de yack Harold! En voudras-tu un autre?"
"Non merci, Madame Ingerman. Ça ira. Ne vous donnez pas cette peine"
"Ça ne me dérange pas, voyons! D'ailleurs, ça te dirait de rester pour dîner? Je te ferais mon soufflé au hareng que tu aimes tant!"
"C'est vrai que c'est très tentant. Et que ça me met sérieusement l'eau à la bouche, parce qu'il est vrai que votre soufflé au hareng m'a manqué. Mais malheureusement, j'ai promis à Astrid de ne pas rentrer trop tard. Et oui! J'ai maintenant une femme qui pose des exigences; et qui m'attend de pied ferme à la maison!" - ironisa Harold.
Ce qui eut le don de faire éclater de rire Madame Ingerman.
"Dans ce cas, permets-moi de réitérer mon invitation pour plus tard pour toi et Astrid" - lança-t-elle toujours hilare.
"D'accord! Je tâcherai de lui en toucher deux mots"
Stoïck était installé à l'une des tables de la Grande Salle. Le regard vissé au fond de la chope de bière qu'il tenait entre ses énormes mains.
À dire vrai, cela faisait tellement longtemps qu'il était resté dans cette position que les Beurkiens présents commençaient à sérieusement s'inquiéter et à se demander s'il n'avait été piqué par un Vélocidard.
Il avait fallu qu'un crochet vienne s'agiter sous son nez pour qu'il se réveille.
"Eh oh! Midgard à Stoïck! Y-a quelqu'un là-haut?" - le héla Gueulfor en désignant sa tête avec la main qu'il avait encore.
"Oh! Excuse-moi. J'étais ailleurs" - répondit l'interpellé en refaisant doucement surface.
"Ah ça! Figure-toi qu'on était beaucoup à l'avoir remarqué! Et t'étais parti où, si ce n'est pas indiscret?"
"Perdu dans le labyrinthe de ma propre psyché" - souffla d'un ton et d'un air usé le Chef de Beurk.
"Je vois - soupira Gueulfor en s'installant à côté de lui. Vas-y, raconte-moi. C'est quoi le souci?"
"Moi. C'est moi le souci. J'ai rembobiné ma mémoire afin de trouver quel a pu bien être l'élément déclencheur qui a fait de moi le pire des abrutis"
"Même si on en a pas parlé, je suppose que lors de votre dernière conversation Valka n'y est pas allé avec le dos d' la cuillère"
"Si tu savais" - gémit Stoïck en retournant son regard penaud vers le fond de sa chope.
Oui! Si Gueulfor savait pour la tentative de suicide de Harold: il perdrait à coup sûr définitivement l'amitié du forgeron.
D'ailleurs, il l'égorgerait probablement avec son crochet, avant de balancer son cadavre du haut d'une falaise.
"Et t'es remonté jusqu' où? Quand tu l'as banni à quinze ans ou marié à seulement deux ans?" - l'interrogea l'amputé d'un ton légèrement teinté de cynisme.
"Au départ, j'étais remonté jusqu'à la deuxième option. Puis, sans que je sache vraiment pourquoi, je me suis laissé dériver encore plus loin. Et ce jusqu'à la première fois où mon regard a croisé celui de sa mère"
Il s'ensuivit un court silence.
"Et?" - l'invita à poursuivre Gueulfor.
"Et en repensant à tout ça, j'en suis venu à me demander comment j'en étais arriver à commettre avec mon fils les erreurs que mon propre père s'est abstenu de commettre avec moi. Comme le choix de mon épouse, par exemple. Il m'a laissé avoir Valka malgré sa désapprobation"
"Ton père n'appréciait pas Valka?" - s'étonna le vieux forgeron.
"Ce n'est pas ça. Il n'avait pas spécialement de griefs personnels contre elle. C'était seulement la différence d'âge qu'il n'approuvait pas. Et puis, il aurait préféré quelqu'un de Beurk avec des possessions à ajouter à celles des Haddock. Alors que Valka n'avait rien de rien. Elle n'était même pas née sur Beurk. Elle et sa famille étaient des réfugiés de guerre. Ils n'étaient installés sur notre île que depuis seulement deux ans la première fois que je l'ai vraiment remarqué" - sourit avec à la fois nostalgie et tristesse Stoïck.
"Maintenant que tu le dis: c'est vrai que vous ne m'avez jamais raconté votre première rencontre avec Valka" - fit remarquer Gueulfor.
"Peut-être parce qu'elle ne s'est pas faite dans des circonstances des plus joyeuses. À l'époque, j'avais déjà vingt-deux ans, et avait plutôt tendance à rester avec ceux de mon âge. Je n'avais jamais vraiment prêté attention à cette famille qui avait fui la guerre, et à laquelle mon père avait accordé un refuge. Ce n'était qu'un couple avec leurs deux enfants bien plus jeunes que moi. Rien de plus. Et puis un jour, sans crier gare, la tragédie a de nouveau frappé cette famille. Le frère aîné de Valka est subitement tombé très malade, et est mort en seulement quelques jours à tout juste quatorze ans. Ça a été tellement instantané que même Gothi en est restée complètement impuissante"
"Valka avait un frère? - fut vraiment surpris l'amputé. Elle ne me l'a jamais dit!"
"Et au vu de ce que je viens de te révéler, tu dois bien te douter de la raison pour laquelle elle n'en parle jamais. Mais pour revenir à notre rencontre, elle s'est faite au moment de la présentation des condoléances après les funérailles. Et bien que j'eus remise les miennes sans souci à ses parents; au moment où j'allais en faire de même avec elle rien n'est sorti. Dès la première seconde où mon regard s'est planté dans ses beaux yeux bleus tout embués et ravagés par le chagrin, j'eus l'impression d'avoir pris la foudre sur la tête"
Après ça, Stoïck pouffa sur lui-même, avant d'ajouter:
"Si tu avais été là à l'époque Gueulfor: on t'aurait probablement entendu rire jusqu'à chez les Berserks! Ah là là! Je peux te dire qu'il était beau à voir le grand couillon de vingt-deux ans resté complètement pantois devant une gamine de douze ans!"
"J'imagine!" - ria à son tour le forgeron.
"Quoiqu'il en soit, s'il y a bien eu une chose dont j'ai été certain à ce moment-là : c'est que c'était elle que j'attendais. J'ai immédiatement su que je venais de rencontrer ma future femme. Et ce malgré tout ce que mon père a pu me dire quand je l'ai subtilement glissé dans la conversation des semaines plus tard"
"Et qu'est-ce qu'il a dit?" - interrogea l'amputé visiblement amusé par la tournure que prenait cette histoire.
"Il a d'abord commencé par me demander si j'avais bu. Puis, quand il a réalisé que j'étais parfaitement sobre, il s'est mit à hurler que j'étais dingue, qu'elle était bien trop jeune, que ce n'était encore qu'une enfant - comme si je ne l'avais pas remarqué - qu'elle ne faisait pas vraiment partie de Beurk, qu'elle n'avait rien à apporter aux Haddock, etc, etc… En somme, il a réagi comme si j'avais exigé de l'épouser et de l'engrosser sur le champ. Alors que ce n'était pas ce que j'avais dit. Comme elle avait douze ans - l'âge minimum pour de fiançailles - je voulais qu'il propose seulement pour le moment à ses parents une promesse de mariage. Je n'avais rien demandé de plus. J'étais parfaitement conscient qu'elle était encore beaucoup trop jeune; et que le mariage ne se ferait pas avant plusieurs années.
"Et, il l'a fait?"
"Évidemment que non! Il m'a certifié qu'il n'en était pas question. Et à la place, il a non pas doublé mais triplé ses efforts pour me présenter autant de gourgandines que possible. Aussi bien de Beurk que d'ailleurs. Il était même tellement désespéré qu'il ne se souciait pas de savoir qu'elles étaient toutes aussi fades et idiotes les unes que les autres. Augmentant les chances de produire non pas un héritier mais un vrai baudet"
"Te connaissant, je me doutes bien que tu n'as pas lâché l'affaire ne serait-ce qu'une seconde"
"Lui, pendant qu'il s'agitait: Moi, je me fis patient et attendis quelques années, avant de prendre le yack par les cornes et de faire ma demande moi-même, me passant de l'autorisation de mon père. Et quand je me suis décidé, elle avait quinze ans. Mais même à ce moment-là, je n'avais pas l'intention d'exiger un mariage immédiat. Elle était encore un peu jeune. J'étais prêt à attendre encore deux ou trois ans. Je voulais juste au moins des fiançailles. Cependant, j'ai dû me raviser. Et non pas à cause de mon père, mais plutôt à cause de la nouvelle tragédie qui frappa Valka cette année-là. Elle a dû en effet subir la perte de ses deux parents à seulement trois mois d'intervalle pour chacun"
"Comment se fait-il que ses deux parents soient morts à la suite? - s'étonna Gueulfor. C'était à cause des dragons?"
"Non, du tout. Ça a d'abord été son père qui a été fauché par une tempête en mer lors d'une sortie de pêche. Et suite à cette nouvelle perte tragique, sa mère a arrêté de se nourrir pour ne plus s'alimenter qu'exclusivement en hydromel. Puis trois mois plus tard, un soir, après qu'elle eut décidé d'aller cuver un peu dans son lit, elle ne s'est plus jamais réveillée" - exposa gravement Stoïck.
"Douce Sif! Valka n'a jamais fait mention de tout ça! Je ne pensais pas qu'elle avait déjà tant subi par le passé!" - souffla le forgeron estomaqué.
"Valka est capable de surmonter bien des choses! Elle est forte! Harold sait de qui tenir!" - lança le Chef de Beurk avec fierté.
Il y eut un bref silence solennel.
"Du coup, je suppose que tu as remis ta demande à plus tard" - l'invita à poursuivre son ami.
"Oui! J'ai préféré attendre une année de plus. Sans compter que ça aurait été vraiment déplacé. D'autant plus que je ne voulais surtout pas qu'elle pense que je profitais de la situation et de sa vulnérabilité du moment. Mais non sans pouvoir m'empêcher de veiller à ce qu'elle ne manque de rien. La nuit, j'allais déposer des provisions devant sa porte - expliqua-t-il, avant de pouffer de nouveau sur lui-même à ce souvenir. Et concernant ce détail, elle m'a avoué bien plus tard qu'elle savait que c'était moi le bienfaiteur mystère. Mais en même temps, il ne pouvait en être autrement étant donné que moi et Gothi étions les seuls amis qu'elle avait. Et Gothi n'était déjà plus assez jeune pour faire ça toutes les nuits"
Il fit de nouveau une pause comme pour savourer ce souvenir, avant de reprendre:
"Ensuite, l'année s'est écoulée. Elle avait retrouvé le sourire. Je me suis lancé. À ma grande surprise, elle m'a dit "oui" sans hésiter. Et mon père a dû s'avouer vaincu. Puis, bien malgré lui, il nous a marié l'année suivante. Il est malheureusement mort quelques mois plus tard. Tu es revenu sur Beurk après plus de vingt ans d'absence. Tu nous as rencontré. Et la suite tu la connais"
"Certes! Mais cependant, est-ce que le fait de ressasser tout ça t'as aidé? Est-ce que tu as trouvé ce que tu cherchais?"
"Oui. Je crois bien que oui - murmura tristement le Chef de Beurk. Et il me paraît évident que c'est tout simplement elle l'élément déclencheur. Du moins sa disparition. D'ailleurs, je pense que cette nuit-là ce dragon a également emporté une partie de mon âme en plus d'elle. Car en y repensant, c'est à partir de ce moment que quelque chose s'est fracassé en moi. Je n'ai plus jamais été le même qu'avant. J'avais pourtant déjà perdu et fait le deuil de mes parents, ainsi que celui de nombreux amis. Mais elle, je n'ai jamais pu. Je crois même que je suis resté coincé au stade de la colère. Une émotion des plus dangereuses et qui embrouille complètement l'esprit. Et c'est malheureusement mon fils qui en a le plus pâti. Faut dire aussi qu'il n'aidait pas non plus. Tout ce que les autres voyaient lorsqu'ils regardaient Harold: c'était une crevette parlante et une catastrophe sur pattes. Alors que moi, tout ce que je voyais quand j'avais le courage de vraiment le regarder: c'était le fantôme de sa mère revenu me hanter. C'est son portrait craché. Et s'il n'avait pas au moins hérité de mes yeux, on pourrait facilement penser qu'elle l'a fait toute seule" - termina-t-il d'une voix rauque et la tête encore plus baissée en direction de sa chope.
Sur le moment, Gueulfor n'avait pas trouvé de commentaire à faire. Il n'avait plus eu qu'à rester là à essayer de comprendre et de compatir à la détresse de son ami. Et aussi à attendre qu'il finisse de vider son sac. Ce qui d'ailleurs n'avait pas traîné à arriver avec la crise de larmes dans laquelle Stoïck avait éclaté.
"Val… Valka - sanglotait-t-il. Bon sang! Que je l'aimais, l'aime et l'aimerai toujours à en mourir. Et Dieux qu'elle est toujours belle à en rendre probablement Freya elle-même jalouse"
"Là, là - lui tapota le dos son meilleur ami. Tu as raison. Expulse. Ça te fera du bien. Après ça, tu rentreras chez toi pour y faire un bon gros dodo, parce que tu en a cruellement besoin"
La nuit était tombée depuis un bon petit moment déjà lorsque Harold revint au campement. Il descendit paresseusement du dos de Krokmou, avant de s'étirer de tout son long. Le dragon en fit d'ailleurs de même.
"Tu n'as pas l'air en forme, toi" - le héla Kamikazi en venant à sa rencontre.
"Je vais bien. Je suis juste un peu engourdi. Tu sais, passer des heures à discuter et à expliquer des choses, ça peut aussi être usant"
"Ce n'est pas faux! - reconnut la voleuse. Sinon, aucun problème à signaler avec les Ingerman"
"Bien sûr que non Kami! Tu sais qu'ils n'ont jamais rien eu contre moi. D'ailleurs, ils ont été le seul clan à avoir voté contre mon bannissement"
En effet, lors des assemblées votantes, afin d'éviter d'avoir trop de votes à comptabiliser: les clans discutaient et décidaient d'abord entre membres, avant qu'une seule voix ne vote au nom de tous"
"Et la vôtre de journée?" - finit-il par demander.
"Oh, rien de spécial. Moi et Erik, on a été faire voler les dragons de l'arène comme tu l'avais demandé. On les a aussi fait chasser. Ce qui leur a fait le plus grand bien. Quant à Astrid, elle a passé une bonne partie de la journée avec ta mère"
"Ah bon?" - s'étonna Harold.
"Oui. Je crois que Valka veut apprendre à mieux connaître sa belle-fille"
"Tant qu'elles ne se concertent pas pour nous cuisiner quelque chose: on devrait ne pas avoir de quoi trop s'inquiéter" - lança l'Haddock légèrement caustique.
"C'est clair! - ricana Kamikazi. D'ailleurs, s'il y a bien une chose que toi et ton père avez en commun: c'est que vous ne les avez pas choisi pour leurs talents culinaires!"
"Très drôle. Je suis mort de rire" - maugréa Harold.
"En même temps, tu n'étais pas censé rire. Ce n'était pas une blague. C'était juste un constat. Mais passons! Laisse-moi plutôt m'occuper de Krokmou et va la rejoindre. Elle doit t'attendre"
Harold ne trouva rien à ajouter, et fila en direction de sa tente. Mais non sans avoir donné une caresse à son dragon avant de s'en aller.
Et une fois arrivé à destination, il y trouva Astrid allongée dans la couchette et emmitouflée dans les couvertures.
Néanmoins, elle ne dormait pas, et son regard s'illumina lorsqu'elle l'aperçut.
"Tu es rentré!" - le salua-t-elle en se redressant en position assise.
"Comme tu peux le voir" - lui sourit-il en notant qu'elle portait de nouveau une de ses chemises.
"Ah oui, désolé pour ça - s'excusa-t-elle en parlant de la dite chemise. Je viens de laver mes vêtements. Et comme je n'en ai pas d'autres…"
"Ça va Astrid - la coupa t-il doucement en se dirigeant vers la bassine d'eau pour se rafraîchir un peu. Ne te mets pas martèle en tête pour ça. Et puis, ce n'est pas comme si c'était la première fois que tu te retrouvais avec un de mes vêtements sur le dos"
"C'est vrai. Mais il va vraiment falloir que j'aille récupérer quelques affaires chez moi. Cependant, je peux t'assurer que je n'en frétille pas d'impatience" - lâcha-t-elle blasée.
Harold suspendit un court instant son geste pour s'éclabousser une dernière fois le visage; et durant lequel il prit un air préoccupé, avant de poursuivre ce qu'il faisait.
"D'accord - murmura-t-il pendant qu'il s'épongeait le visage avec une serviette, avant de de continuer: Mais si tu y vas, j'aimerai vraiment venir avec toi"
"Pourquoi?" - s'interloqua Astrid en haussant les sourcils.
Elle ne pouvait aussi s'empêcher d'éprouver une certaine crainte. Pourquoi au nom de Loki voulait-il aller là-bas?
Toutefois, Harold ne répondit pas tout de suite, et se contenta plutôt de reposer sa serviette, avant d'aller doucement s'asseoir près d'elle sur le bord de la couchette.
"Parce que connaissant le tempérament des Hofferson en général, il n'y a nul besoin de Gothi pour prédire comment ça va se passer - finit-il par répondre. Du coup, je me dis que ma présence là-bas pourrait peut-être modérer les ardeurs, et éviter que la situation ne dégénère davantage. Après, que tu sois furieuse après tes parents, ça je peux parfaitement le comprendre. Je suis d'ailleurs très mal placé pour te faire la leçon. Cependant, je ne veux pas que tu te fâches définitivement avec eux. Parce que là par contre, je suis très bien placé pour savoir ce que ça fait.
Astrid se mordit la lèvre d'embarras, car elle voyait clairement où il voulait en venir.
Elle tendit doucement sa main vers son visage pour prendre sa joue en coupe.
"Est-ce vraiment ce que tu penses? - lui demanda-t-elle avec bienveillance. Crois-tu vraiment que toi et ton père êtes fâchés pour toujours? Et ce malgré que lui ne cache pas qu'il ne veut pas l'être"
Sous sa touche, elle sentit la mâchoire de Harold se crisper; et vit aussi un étrange voile recouvrir ses yeux si verts et si semblables à ceux de son père.
"Honnêtement, là tout de suite, je n'en sais rien - lui avoua-t-il sans pour autant s'énerver. Consciemment ou non, cet homme m'a fait beaucoup trop de mal. Et même dans le cas d'une possible réconciliation, je peux t'assurer qu'elle n'est pas pour tout de suite. Je ressens encore bien trop de colère et de pulsions meurtrières à chaque fois que je le vois. Et c'est ça que je veux à tout prix t'épargner en t'empêchant de te fâcher davantage avec ta famille. Tu comprends, Astrid?"
"Oui, je comprends" - souffla-t-elle émue en luttant contre la montée de ses larmes.
Oh Harold! Les autres d'abord! Toujours tout pour les autres, et jamais pour lui!
Après avoir été aussi infecte avec lui quand ils étaient enfants, et ce malgré ses sentiments: Comment pouvait-il être encore là et être aussi gentil avec elle? Comment pouvait-il encore vouloir la protéger et la préserver?
Dieux, qu'elle ne le méritait pas! Beurk ne le méritait pas! Midgard même toute entière ne le méritait pas! Et Sigyn, qu'elle était folle de lui!
Elle fit passer sa main, toujours sur sa joue, à derrière sa nuque pour l'attirer dans un tendre baiser.
Toutefois, celui-ci se fit rapidement plus enflammé, et ils avaient basculé assez rapidement dans la couchette.
Mais Harold y mit tout de suite fin. Pensant l'avoir effrayée quand elle sursauta et gémit un peu fortement contre sa bouche lorsqu'il eut fait remonter une de ses mains le long de sa jambe jusqu'à sous sa chemise.
"Désolé" - s'empressa-t-il de s'excuser en se frappant mentalement pour sa perte de contrôle.
Et puis, surtout en essayant d'éteindre tant bien que mal ce qui s'était allumé en lui en constatant qu'elle ne portait vraiment QUE sa chemise.
Mais au lieu de l'engueuler comme il l'aurait mérité, elle lui susurra suavement à la place:
"Je veux être ta femme, Harold"
"Mais tu l'es déjà" - rit-il nerveusement.
"Non Harold - fit-elle en attrapant d'une main le cordon du pendentif qu'elle lui avait offert comme pour l'empêcher de se sauver. Je veux être définitivement ta femme"
… à suivre
