Thème : Ingratitude
Personnages : Akito & Shigure
Tu l'as cherché
Shigure déballait ses cartons d'un geste paresseux. Les déménagements, c'était une plaie. Pour la énième fois de la journée, il se répéta cette phrase dans sa tête. Hatori et Ayame l'avaient aidé à bouger toutes ses affaires, mais il était à présent seul pour les ranger et il envisageait sérieusement de tout laisser en plan encore quelques jours. Après tout, Akito changerait peut-être d'avis. Il se reprit aussitôt. Non, mieux valait ne pas compter là-dessus. Akito était trop orgueilleuse pour lui demander de revenir. Et, de toute façon, il ne l'accepterait pas. Il serait très bien ici, loin des autres Soma, loin d'Akito.
Il l'aimait tant qu'il en venait à ne plus la supporter. Elle et ses relations avec les autres membres du zodiaque. Il avait besoin de prendre du recul, de lui montrer qu'il n'était pas son chien. Il fallait qu'il lui tienne tête pour ne pas exploser et pour qu'elle comprenne qu'elle ne saurait jamais le manipuler. Il ne serait jamais comme Hatori. Hors de question de jouer le rôle de la figure paternelle. Il savait parfaitement ce qu'il voulait : elle et elle seule. Et il ferait tout pour y parvenir, même si pour ça il devait la blesser. Et c'est ce qu'il avait fini par faire...
Coucher avec Ren n'avait pas été son idée la plus brillante, il devait bien l'avouer. Pourtant, il ne parvenait pas à la regretter. Parce qu'il avait aimé se bercer dans cette douce illusion, dans cette ressemblance fascinante. Voir à quoi aurait pu ressembler Akito si elle avait pu vivre sa vie sans contrainte... C'était une vision qui l'avait toujours enveloppé d'une tendresse inexpliquée. Mais ce n'était pas la seule raison qui faisait qu'il ne parvenait pas à regretter son acte. Il savait qu'il était horrible de réagir comme ça, mais quand il avait vu la fureur s'emparer des yeux d'Akito, il avait été satisfait. Sa douleur avait été perceptible et il s'en était, tout simplement, réjoui. Parce qu'elle le méritait, cette traitresse.
Il avait beau aimer Akito comme elle était, il avait beau chérir ses qualités autant que ses défauts, il n'était pas aveugle pour autant. A vrai dire, il avait même toujours eu une très bonne perception de la personnalité d'Akito. Et ça n'avait aucune importance. Il pouvait tout accepter d'elle, sauf ça. Il la voulait tant, il ne supportait pas l'idée de la partager. Elle devait être à lui, comme il était à elle. Découvrir qu'elle avait couché avec Kureno avait été la pire des trahisons. Lui qui se moquait toujours de tout, qui n'avait jamais réellement été déçu par les autres tant il n'attendait rien d'eux avait appris ce qu'était la véritable souffrance. Celle de voir l'être aimé s'envoler vers un autre. Et pourtant, malgré sa douleur, il avait continué à aimer Akito plus que de raison.
Il lui avait fait du mal à son tour parce qu'elle le méritait. Elle méritait de souffrir, de savoir ce que ça faisait d'être rejeté, d'être mis à la seconde place. Il avait, certes, manqué de subtilité en choisissant Ren, mais son désir égoïste de lui faire du mal avait pris le dessus.
Ah... c'était vraiment lui le plus maudit de tous, sans aucun doute. Les autres membres du zodiaque ne pouvaient pas se rendre compte de sa souffrance. Akito voulait être aimée de tout le monde et pour ça, elle était prête à donner son amour et même son corps à n'importe qui. Mais lui était égoïste, il ne voulait pas la partager. Etait-ce trop demandé ? Cette malédiction était un fardeau. Un fardeau particulier pour lui. Parce que si les autres voulaient y échapper, lui voulait surtout qu'il n'y ait plus qu'Akito et lui. Si seulement Akito pouvait le comprendre. Elle n'avait pas besoin d'avoir peur d'être abandonnée. Lui serait toujours là pour elle. Malédiction ou non, il ne cesserait jamais de l'aimer. Non pas comme la divinité qu'elle était supposée être. Non pas comme le père qui lui manquait tant. Mais comme l'amant qui voulait pouvoir la chérir pour l'éternité.
Et pour ça, il était prêt aux pires bassesses. Il ferait comprendre à cette ingrate d'Akito qu'il était un pilier solide sur lequel elle pourrait toujours se reposer. Mais avant ça, il comptait bien lui faire comprendre à quel point son ingratitude l'avait blessé. Lui qui avait toujours tout fait pour elle. Il l'avait consolée. Il lui avait déclaré son amour. Et cette nuit. Cette fabuleuse nuit où ils s'étaient donnés l'un à l'autre, jamais il ne pourrait l'oublier... Cependant, ce n'était jamais suffisant pour Akito ! Dès qu'elle avait eu ce qu'elle voulait, elle était repartie vers Kureno. Elle jouait avec les membres du zodiaque pour tous les retenir, sans se rendre compte que c'était cette attitude qui le rendait de plus en plus froid envers elle.
Il l'aimait à la folie, mais il refuserait de lui donner cet amour tant qu'elle ne l'aurait pas compris. Et pour ça, il savait qu'elle allait devoir souffrir et remettre en question son existence tout entière. Shigure ne pouvait rien faire pour l'aider, parce que c'était inéluctable. C'était Ren qui avait raison. Le lien de la malédiction n'était qu'une illusion. Akito allait devoir s'en détacher et comprendre quelle était réellement sa place. A ce moment-là seulement, il serait là pour elle. Pour lui montrer que même sans être une déesse, elle avait de la valeur, elle était aimée.
Il allait devoir la laisser tomber pour qu'elle réalise tout ça et puisse enfin vivre sa propre vie. Mais il la rattraperait toujours avant qu'elle ne touche le fond. Il ne la laisserait jamais sombrer. Il n'était pas cruel à ce point. Tout ce qu'il voulait, c'était pouvoir être heureux avec elle. Et même s'il était égoïste, ça ne lui plaisait pas de la voir être aussi mal. Avec les années, son mal-être ne cessait d'empirer. Il n'aurait pas demandé mieux que de pouvoir la soutenir, mais il refusait de prendre le rôle qu'elle semblait attendre de lui. Celui qui acceptait tout, sous prétexte qu'elle était une déesse, et qui accomplissait la moindre de ses volontés. Non, Shigure comptait bien continuer de lui résister, même s'il savait que ça la blesserait encore plus.
Au bout d'un moment, elle finirait bien par comprendre, non ? Shigure ne souhaitait pas envisager la possibilité d'un échec. Il trouverait une solution pour lui ouvrir les yeux, pour la mettre face à ses erreurs et pour lui montrer qu'il était là, malgré tout. Cela prendrait peut-être encore des années, mais Shigure savait être patient. Il finirait par retrouver Akito. Ils retrouveraient leur vie de couple. Il la délivrerait de toutes ces emprises qui lui empoissonnaient la vie et auxquelles elle s'accrochait désespérément.
Alors oui, il risquait bien de la briser en mille morceaux. Mais il serait là pour tout recoller. Pour l'aimer comme elle le méritait et pour lui donner la vie qu'elle souhaitait et non celle que son père avait choisie pour elle. Par amour, Shigure était prêt à aller loin. Il ne s'attendait pas à ce qu'on le comprenne. A vrai dire, il se fichait pas mal de l'approbation des autres. Tout ce qui comptait, c'était le résultat final...
Non, tout ce qui comptait, c'était la véritable Akito. Celle qu'il aimait. Celle qu'il espérait voir devenir. Celle qu'il voulait à ses côtés pour l'éternité. Il l'avait attendu si longtemps, il n'était pas prêt de la laisser partir. Cette promesse qui s'était figée dans son cœur survivrait à la malédiction, il le savait, il n'en avait jamais douté.
Je pense à toi sans cesse et c'est une vérité que personne ne peut nier. Je t'aime, Akito.
Shigure sourit en repensant à ces mots. Cela faisait si longtemps qu'il les avait prononcés. Et pourtant, ils étaient toujours gravés en lui. Malgré son absence de culpabilité, malgré son désir de lui faire du mal, ils étaient encore là. Et un jour viendrait où il pourrait les dire à nouveau... Un jour... Il avait hâte d'y être... Une tendresse s'empara de lui à cette pensée. Ce n'était qu'une question de temps...
En attendant, il allait bien falloir qu'il se fasse à son nouveau quotidien et à cette nouvelle maison. Son regard retomba sur tous les cartons qui attendaient encore d'être déballés, puis il haussa les épaules. Ça pourrait bien attendre le lendemain, dans le fond. Paresseusement, il se dirigea jusqu'à son téléphone et décida d'appeler Hatori pour lui proposer d'aller boire un verre avec Ayame. Tous ces efforts méritaient bien une petite pause. Et puis, ce serait une manière supplémentaire de montrer à Akito qu'elle n'avait pas d'emprise sur lui, que sa punition ne l'affectait pas.
Le compte à rebours pour lui faire comprendre la réalité était désormais lancé. Et, à tous les coups, il en sortirait gagnant...
