Hello, hello ~ J'espère que vous allez bien :) Eh oui, je poste enfin un nouveau chapitre sur cette fic ! Comme quoi, tout peut arriver ^^' Je vous épargne le discours habituel sur mes blocages et je reviens avec de bonnes nouvelles. J'ai retrouvé le plaisir d'écrire et j'arrive plus ou moins à bien attaquer mes corrections. Je ne vous promets pas une parution régulière et je préfère toujours ne donner aucune date pour la suite, mais j'arrive à me mettre beaucoup moins de pression à présent. Et je trouve que c'est déjà une belle victoire :) Du coup, c'est avec beaucoup de plaisir que je poste ce nouveau chapitre ! J'espère qu'il vous plaira :)

J'en profite pour remercier supercookie ! Un tout grand merci pour ta review ! Elle m'a fait super plaisir :) Ça me touche beaucoup d'apprendre que tu as commencé à lire cette fic il y a presque 4 ans et que tu es revenue lire les chapitres. Je suis vraiment désolée pour toutes ces longues interruptions. Merci pour ton compliment T.T J'espère de tout coeur que la suite des évènements te plaira ! Dans tous les cas, merci beaucoup d'avoir pris le temps de me laisser cette gentille review ! :)

Et, comme toujours, un immense merci également à Moira-chan qui fait un travail juste incroyable en faisant la bêta de cette histoire, mais aussi en me soutenant et, on peut le dire, en supportant tous mes drama xD C'est une personne juste merveilleuse et je ne pourrais jamais assez la remercier pour tout ce qu'elle fait pour moi !

Voilà ~ Je vous souhaite une bonne lecture :)


27. Le sommet

« ... Je ne ressentais pas la douleur. J'ai couru aussi vite que possible, mais Shizuo m'a rattrapé. Il m'a frappé. C'était la première fois qu'il parvenait à le faire. Mes bras se sont cassés sous le choc. Je suis tombé. Je n'en pouvais plus. Mais je ne pouvais pas rester à terre. Je me suis forcé à me relever... Et il était là, seulement à quelques mètres de moi. Son regard était froid. J'ai cru qu'il le ferait. Qu'il me tuerait. J'avais peur, mais j'avais hâte, en même temps, que ça se termine. Mais elle est intervenue. Elle voulait me tuer à sa place. Il a essayé de l'en dissuader. C'était à vomir... Avant qu'elle ne presse la détente, il y a eu une grande lumière. Puis, le noir. J'ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillé, j'étais déjà loin de cette ville. Et je n'ai jamais songé un seul instant à faire demi-tour. »

Le souffle court, Izaya parvint, pour la première fois, à terminer son récit sans que sa voix ne tremble. Il l'avait fait. Il avait enfin réussi. Sa gorge était sèche. Il devait faire attention à sa respiration. Mais les mots étaient sortis de sa bouche plus facilement qu'il n'aurait pu le croire. C'était comme s'il racontait une histoire. Une histoire qui ne lui plaisait pas, mais une histoire malgré tout. Il était parvenu à se détacher émotionnellement de son récit.

Maintenant, il se sentait étrangement calme. Il n'y avait pas la moindre trace de peur dans son corps. Même lorsqu'il revoyait le regard froid de Shizuo, il ne paniquait pas. Il savait bien sûr que c'était bel et bien Shizuo qui lui avait fait tout ça. Izaya ne l'oublierait plus sous prétexte de se bercer d'une douce illusion. Mais, malgré tout, il pouvait reconnaitre, en même temps, que ce Shizuo-là n'existait plus. Il avait changé. Izaya lui faisait confiance. Après tout ce temps, il sentait qu'il arrivait au bout du chemin. Il reconnaissait la réalité, sans succomber à la peur, tout en admettant que les choses étaient différentes à présent.

Izaya ne pourrait jamais effacer cette nuit-là de sa mémoire. Elle faisait partie de lui. Mais ça lui allait. Ça lui allait parce qu'il avait l'impression qu'il avait enfin réussi à l'apprivoiser. Et tout ce travail... Il avait beau être épuisé, en cet instant, Izaya se sentait juste soulagé d'y être arrivé.

« Je vous félicite, lui sourit alors Tasukuo. Vous y êtes parvenu. Comment vous sentez-vous ?

—Plutôt bien. »

Enfin, en ce qui concerne cette nuit-là, en tout cas. Pour le reste... Ces derniers jours avaient été très éprouvants. Izaya se sentait encore si fatigué. Cependant, il faisait de son mieux pour s'accrocher aux paroles de Shizuo. Ce n'était pas miraculeux, mais ça l'aidait quand même.

Tasukuo écrivit alors plusieurs éléments dans son carnet, avant de reprendre.

« Avez-vous eu d'autres cauchemars récemment ?

—Non, répondit sincèrement Izaya.

—Bien, c'est une excellente chose. Et avec Shizuo, comment est-ce que ça se passe ? »

Izaya hésita un instant, puis répondit.

« Ça se passe bien. Il m'a pris la main, l'autre jour, et je l'ai laissé faire. J'en avais envie.

—Et comment l'avez-vous vécu ?

—Bien. Enfin, j'étais un peu nerveux, mais je n'ai pas eu peur. »

Il se sentit, malgré tout, un peu hésitant en lui parlant. Il savait qu'elle n'avait pas très bien réagi à leur premier contact physique.

« C'est une mauvaise chose ? demanda-t-il alors, en allant droit au but.

—Si vous ne vous êtes pas senti mal, non, ce n'est pas une mauvaise chose. Mais restez prudent, d'accord ? Il faut toujours que ces contacts se fassent pour une bonne raison. Ils ne doivent pas être forcés. »

Izaya hocha la tête. Il était d'accord avec elle. Heureusement, cette fois-ci, ce contact n'avait, en rien, été forcé. Il avait même été plutôt agréable. Izaya pouvait encore ressentir la chaleur de la peau de Shizuo sur la sienne. Il y songeait à chaque fois que son esprit repartait dans de sombres pensées. Quand il se sentait dégoûtant et pathétique, il revoyait les doigts de Shizuo se mêler aux siens. Il n'était pas seul. Il y avait au moins une personne sur cette terre qui tenait à lui. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons, peu importe. Quelqu'un pensait qu'il en valait la peine. Et que cette personne soit Shizuo... ça lui donnait bien plus de force que si ça avait été n'importe qui d'autre.

« Et s'ils ne sont pas forcés, ajouta Tasukuo, c'est un signe que vous guérissez. Sincèrement, je suis contente de voir que vous évoluez. Comment est-ce que vous le voyez, de votre côté ?

— ... Je ne sais pas, avoua Izaya. Certaines choses restent difficiles. Mais c'est vrai que je me sens beaucoup moins angoissé.

—C'est mon avis également. Et c'est pour ça que j'aimerais vous proposer d'arrêter vos anxiolytiques en diminuant progressivement la dose. Est-ce que vous seriez d'accord avec ça ? »

Izaya réfléchit un instant. Il n'y avait pas réellement songé jusqu'ici. Mais oui, peut-être qu'il serait temps d'arrêter. Les anxiolytiques l'avaient bien aidé jusqu'ici, mais Izaya avait désormais envie d'avancer sans béquille – pour reprendre la métaphore de Shinra.

« Je suis d'accord, dit-il alors.

—Parfait, sourit Tasukuo. Nous pourrons faire des réglages si nécessaire, mais je vous sens prêt. »

Izaya hocha la tête. Lui aussi se sentait prêt. Et cette certitude lui faisait beaucoup de bien. Mais, malgré tout, il savait que ce n'était pas fini. Tasukuo le savait bien également. Elle enchaina d'ailleurs sur le sujet d'une voix douce.

« Ce qui reste difficile est lié, j'imagine, aux derniers exercices que je vous ai donnés ?

—... Oui.

—Racontez-moi comment ça s'est passé. »

Izaya inspira profondément. Il n'aimait vraiment pas y songer. Pourtant, il lui répondit quand même, le regard braqué sur le sol. Il lui dévoilait des moments de faiblesse insupportables. Il n'avait aucun mal à se revoir devant le miroir, dégoûté par son propre reflet. Il avait encore essayé de le faire le matin même, tentant de se montrer plus positif, mais il n'avait tenu que quelques secondes.

« Je n'y suis pas arrivé, souffla-t-il. J'ai essayé de me définir par rapport à mes relations, mais tout ce qui en est sorti, c'est que je suis une personne horrible. J'ai fait tellement de mal autour de moi. »

Izaya inspira profondément. Il avait beau le savoir, ça ne l'aidait pas à se sentir mieux pour autant.

« J'ai été incapable de citer une seule de mes qualités... Je me suis effondré. C'était difficile de faire face à cette réalité. Je me dégoûte tellement... »

Un arrière-goût de bile envahit sa bouche. Mais il ne pouvait pas s'y arrêter. Il était si épuisé d'être fatigué. Il força alors son esprit à se focaliser sur autre chose que sur ces horreurs qu'il pensait de lui-même.

« Mais j'ai réussi à en parler avec Shizuo. Et... ça m'a apaisé. »

Izaya se sentit un peu mieux en songeant à cette conversation. À nouveau, il pouvait ressentir le poids de la main de Shizuo sur la sienne. Ça lui donnait une étrange force.

« Il a été incroyable, poursuivit-il. Il m'a décrit. Il m'a donné de belles qualités. Il m'a dit que j'avais toujours été plus qu'un manipulateur et que... que je ne serais jamais quelqu'un de banal, même si je perdais ce trait-là de ma personnalité. »

Un léger frisson le traversa lorsqu'il y repensa. Un douce chaleur se répandit dans son corps. Cela faisait quelques jours, à présent, que Shizuo lui avait tenu ce discours. Et pourtant, il lui faisait encore le même effet que s'il venait de l'entendre.

« Qu'a-t-il dit exactement ? lui demanda Tasukuo. Redites-moi les mots qu'il a utilisés pour vous décrire.

—Il a dit que j'étais intelligent, curieux et têtu. Qu'il aimait ça chez moi. Et que j'étais aussi sensible, ce qui faisait que je cachais encore plein d'aspects de moi. Que j'étais unique...

—Et que pensez-vous de ces mots ? Sont-ils vrais ? »

Izaya resta un moment silencieux. Une part de lui avait envie de crier que non, ils étaient tous faux parce qu'il était juste un être dégoûtant. Mais une autre part de lui savait que Shizuo l'avait si bien cerné.

« Ils le sont, finit-il alors par lui répondre.

—Ça me semble plutôt être un portrait correct, en effet. Alors, essayez à votre tour. Décrivez-vous en ne citant que des éléments positifs ou neutres. Je ne veux rien entendre de négatif. Vous pouvez vous inspirer des mots de Shizuo. »

L'exercice n'était pas simple. Mais Izaya acquiesça malgré tout. Il voulait tant réussir à le faire. Rien de négatif, hein...

« Je m'appelle Izaya Orihara, commença-t-il. J'ai vingt-huit ans. Je suis intelligent, c'est vrai. Et assez curieux... »

Il s'arrêta après ce mot. Il ne pouvait s'empêcher de songer à tout ce que sa curiosité l'avait poussé à faire. Toutes ces manipulations qui n'avaient eu d'autre but que de la satisfaire... Une personne saine d'esprit n'aurait jamais fait ça...

« Qu'est-ce que vous aimez faire ? lui demanda alors Tasukuo, sentant probablement qu'il se perdait à nouveau dans des pensées négatives.

—... J'aime jouer. J'adore les jeux de stratégie. Autrefois, j'avais même inventé un jeu qui mélangeait les règles du shogi, du go et des échecs.

—Vous avez donc de l'imagination. C'est un autre point positif. »

Izaya hocha lentement la tête.

« Il y a autre chose que vous aimez faire ?

—Lire... et écrire. Enfin, avant, en tout cas. Quand j'étais en primaire, j'écrivais beaucoup. Encore un peu au collège. Mais j'ai arrêté au lycée.

—Pourquoi ça ? Vous vous en souvenez ? »

Izaya fronça les sourcils. Oui, il s'en souvenait. Mais c'était étrange. Il n'y avait jamais réellement songé jusqu'à présent.

« Je faisais des concours d'écriture en primaire. Je faisais toutes sortes de concours, à vrai dire. Je voulais gagner des prix pour que... pour que mes parents fassent attention à moi. Mais quand j'ai réalisé que rien n'effacerait jamais leur indifférence, j'ai laissé tomber. »

Izaya laissa échapper un soupire amusé. Même si, amusé, il ne l'était pas du tout.

« Je sais ce que vous allez me dire, souffla-t-il.

—Vraiment ? Et qu'est-ce que je vais vous dire ?

—Qu'on en revient à nouveau à mes parents... »

Tasukuo ne lui répondit pas directement, elle laissa un petit silence s'installer, avant de le briser.

« Vous savez, reprit-elle alors d'une voix douce, la relation qu'on a avec nos parents peut affecter certaines parties de notre vie. Bien sûr, elle n'explique pas tout, mais elle peut avoir son importance. Dans votre cas, je pense qu'elle a eu une certaine influence. »

Izaya se retint de lever les yeux au ciel. Il n'aimait vraiment pas cette théorie. Il était maitre de ses propres choix. Il n'avait certainement pas été influencé par ses parents.

« Mes parents n'étaient jamais présents, c'est vrai, avoua-t-il. Ça n'a pas été facile. Je les ai longtemps attendus. Mais j'ai fini par faire une croix sur eux. Et je m'en sors très bien sans eux.

—Vous êtes quelqu'un d'indépendant, reconnut Tasukuo. Mais, malgré tout, il est possible que vous en ayez souffert. Si on ne se sent pas assez bien pour ses propres parents, ce n'est pas simple d'avoir une bonne estime de soi-même. »

Izaya frissonna légèrement. Malgré lui, il repensa aux paroles qu'il avait un jour surprises entre son père et ses grands-parents... Peut-être qu'il y avait du vrai dans ce que disait sa psychologue, mais Izaya détestait ça. Il ne voulait certainement pas accorder la moindre attention à ses parents. Il ne souhaitait plus perdre son temps à cause d'eux.

« Je ne veux pas en parler, lui dit-il alors. Peu importe ce qui s'est passé ou non avec eux, je veux juste avancer. »

Tasukuo l'observa un moment, avant d'acquiescer.

« Très bien. Pour la prochaine fois, je voudrais que vous poursuiviez l'exercice du miroir. Et si ça continue à être difficile, récitez à haute voix les qualités que Shizuo a soulevées. Chassez autant que possible les points négatifs. Pour le moment, il est important que vous reconnaissiez tous vos autres côtés. D'accord? »

Izaya savait qu'il aurait du mal à le faire, mais il hocha malgré tout la tête. C'était important qu'il y arrive enfin.

« Vous m'avez dit que vous vous étiez effondré. Comment avez-vous géré ça ?

—... C'était compliqué, avoua Izaya. Je me sentais si fatigué. Je le suis encore. Je sais que je suis bien entouré, mais... c'est difficile de ne pas penser au mal que j'ai fait à tout le monde. »

Sur ces mots, Izaya se mit à jouer nerveusement avec la manche de sa chemise. Il n'aimait pas y penser, mais il ne pouvait pas faire autrement. Il avait été si horrible. Mais c'était ce qu'il était. Une personne si dégoûtante... non ? L'image de Shizuo s'imposa alors à lui. Izaya pouvait le voir froncer les sourcils et le contredire. Lui tenir la main. Le regarder de cette façon si tendre. À nouveau, une douce chaleur se répandit dans son corps.

« J'ai conscience de ce que j'ai fait, reprit-il. Je ne peux que l'accepter. Mais, en même temps... je voudrais aller de l'avant. »

Il ne pouvait pas continuer à sombrer, à être si épuisé. Il voulait tant pouvoir reprendre sa vie en main. Que tout ce gâchis n'ait pas juste été inutile.

« J'avais pensé à aller voir certaines personnes que j'ai blessées... Une, en particulier. Il y a trop de choses en suspens entre nous deux. Mais... Je ne sais pas comment lui parler exactement. Je ne cherche pas le pardon. Je veux juste... je ne sais pas... »

Ah... Pourquoi fallait-il que tout soit aussi compliqué ? Pendant des années, Izaya n'avait eu aucun mal à répandre le chaos autour de lui. Ça avait été si simple de blesser les autres. Pourquoi... Pourquoi est-ce que réparer ses mauvaises actions était plus difficile que de les commettre ? Si seulement il ne s'était jamais laissé entrainer dans cette spirale infernale. Mais qui serait-il alors ? Un simple citoyen comme il y en avait déjà tant d'autres et- Non. Non, Shizuo lui avait dit qu'il n'aurait jamais pu être banal. Même s'il ne manipulait plus son entourage, il n'en deviendrait pas banal pour autant... Izaya se raccrochait à cette pensée. Il le fallait.

« C'est une bonne idée, lui sourit Tasukuo. Il n'y a jamais rien de mal à reconnaître ses torts. Mais il est important de faire attention aux limites de chacun. Le mieux, de toute façon, c'est de vous montrer sincère. Présentez vos excuses, puis respectez leur choix. Ne vous imposez pas plus que nécessaire. »

Izaya hocha la tête. Ça paraissait presque simple dit comme ça.

« Vous êtes sur la bonne voie, reprit sa psychologue d'une voix rassurante. Je sais que ce n'est pas une période facile pour vous, mais je vous sens assez fort pour y faire face. Vous êtes déterminé à tout mettre à plat pour pouvoir prendre un vrai nouveau départ. Et je pense sincèrement que c'est une excellente chose. Vous ne le ressentez peut-être pas comme ça, mais vous avez fait des progrès incroyables. »

Ses mots firent beaucoup de bien à Izaya. Même si la fatigue l'étreignait à nouveau, il savait qu'elle n'avait pas tort. Quelques mois plus tôt, il aurait juste été incapable de faire ce travail-là sur lui-même. Il se souvenait sans peine de la peur immense qu'il avait ressentie lorsque Shinra l'avait encouragé à se faire soigner. Regarder au fond de lui l'avait toujours terrifié. Mais maintenant qu'il avait enfin osé le faire, il se rendait compte qu'il pouvait tenir le coup. Oui, il avait été une personne horrible. Et oui, le dégoût l'éreinterait sûrement une bonne partie de sa vie. Seulement... Seulement ses pires craintes n'avaient pas de raison d'être. Les paroles de sa psychologue se mélangeaient délicieusement avec celles de Shizuo.

Malgré son mal-être, Izaya pouvait voir que la lumière n'était pas si loin que ça. Et ces derniers jours lui avaient prouvé qu'il était capable de combattre la noirceur présente dans sa vie. Il le voulait tant... Alors il allait s'appuyer sur cette séance et sur sa dernière conversation avec Shizuo pour gravir les derniers mètres de cette foutue montagne...

Oui, il y croyait. Et c'était bien le plus important.


De l'autre côté de la ville, Shizuo se tenait appuyé contre un mur au bas de son immeuble. Les mains dans les poches, il observait Shiroi se rouler dans la terre. En temps normal, il en aurait profité pour fumer une cigarette, mais il n'en éprouvait pas le besoin. Il se sentait calme. Sa journée s'était plutôt bien passée. Izaya lui avait envoyé des nouvelles plus tôt. Il avait l'air de remonter un peu la pente. Même si Shizuo s'inquiétait toujours pour lui, ça l'avait rassuré. Il avait vraiment l'impression que leur dernière conversation leur avait fait du bien à tous les deux. Et surtout ce contact physique dont il avait tant rêvé... Son cœur battait étrangement à chaque fois qu'il revoyait leurs doigts s'entremêler. Cet instant avait été si... si puissant...

Il y pensait toujours avec un doux sourire lorsque Celty arriva face à lui. Elle avait proposé de passer quelques heures plus tôt. Shizuo n'en était pas mécontent. Ça faisait longtemps qu'ils n'avaient pas pris le temps de parler tous les deux. Après s'être salués, ils s'éloignèrent un peu de l'immeuble pour aller se poser sur un banc, alors que Shiroi continuait à jouer un peu plus loin.

« Comment tu vas ? écrivit Celty.

—Je vais bien.

Tu as l'air plus calme, c'est vrai. Tes séances de thérapie se passent bien ?

—Oui, j'arrive à mieux contrôler ma colère. »

Celty hocha la tête, avant de reprendre la conversation.

« Je suis contente pour toi. Tu reviens de loin.

—Merci. Je pense que j'y vois enfin clair. »

Oui, tout était si limpide dans son esprit. Ses sentiments, sa relation avec Izaya, ... Le brouillard s'était levé. Ils s'étaient fait tant de mal mutuellement, mais c'était terminé à présent. Shizuo avait été capable de le toucher sans le faire souffrir. Et Izaya n'avait pas eu peur. À cette pensée, Shizuo ne put s'empêcher de sourire. Il avait fallu bien trop d'années pour arriver à cet équilibre, mais il était enfin là.

« Je me sens capable de passer à autre chose. Je ne veux plus rester dans le passé.

C'est une bonne chose, acquiesça Celty. Tu mérites d'être heureux. »

Shizuo ne savait pas s'il le méritait réellement, mais le mal-être d'Izaya l'avait fait beaucoup réfléchir. La puce et lui n'étaient pas si différents que ça dans le fond. Après avoir blâmé l'autre, ils se blâmaient eux-mêmes. Mais à quoi ça servait ? Izaya ne le voyait plus comme un monstre. Lui-même ne trouvait pas Izaya dégoûtant. Peut-être qu'il était temps de se faire réellement confiance et d'arrêter de se blâmer tout court. Ce ne serait pas simple, mais Shizuo le voulait tant. Tourner cette page de sa vie pour entamer enfin un nouveau chapitre. L'espoir réchauffait son corps. Son dernier échange avec Izaya lui avait paru si intime que rien ne lui semblait impossible.

Les sentiments qu'il éprouvait pour Izaya le poussaient à donner le meilleur de lui-même. Il voulait être cet humain qu'Izaya voyait en lui. Ne plus s'enfermer dans la colère. Shizuo n'avait jamais cru ça possible auparavant, mais maintenant il lui suffisait de penser à leurs mains serrées l'une contre l'autre pour que ses doutes s'envolent.

« J'ai réalisé quelque chose, sourit-il alors à Celty.

Ah bon ? Qu'est-ce que c'est ? »

Shizuo regarda sa main comme s'il pouvait encore apercevoir les doigts d'Izaya autour des siens.

« Je l'aime. »

Il releva ensuite les yeux pour fixer le casque de Celty.

« Je suis amoureux d'Izaya. »

Sa voix était assurée. Face à lui, Celty resta immobile un instant. Elle ne s'était pas attendue à ça. Pourtant, étrangement, elle se rendit compte qu'elle n'en était pas surprise. Elle hésita malgré tout quand elle tenta de lui répondre. Elle ne savait pas quoi lui dire, ni quoi en penser exactement. Même si elle ne jugeait pas son ami, elle se demandait bien où cette histoire pourrait le mener.

« ... Tu en as parlé avec lui ? finit-elle par écrire.

—Plus ou moins. Il n'est pas très ouvert à la discussion. »

C'était bien ce qui faisait peur à Celty. Elle avait bien vu qu'Izaya n'allait pas bien ces derniers temps. Enfin, disons plutôt qu'il avait beaucoup de hauts et de bas. Elle tentait de le soutenir du mieux possible, même si ce n'était pas simple.

« Comment est-ce que tu le vis ?
—Ce n'est pas toujours facile, avoua Shizuo, mais ces sentiments me font du bien. Et pour l'instant, je veux juste me concentrer là-dessus.

Tu ne devrais pas te mettre trop de côté.

—Ne t'en fais. Je sais qu'il va bientôt partir. Je lui en reparlerai avant qu'il s'en aille. »

Shizuo s'en rendait bien compte. Maintenant qu'il était sûr qu'il l'aimait, il aurait besoin de revenir sur le sujet avant qu'il ne soit trop tard. Seulement il ne fallait rien brusquer non plus. Encore moins en ce moment. Izaya s'ouvrait à lui en douceur. Shizuo s'adapterait à son rythme. Et peut-être qu'à la fin... Ah, c'était plus fort que lui. Izaya avait beau dire qu'il allait partir, qu'il n'y avait rien à espérer, Shizuo ne pouvait s'empêcher de se dire que tout n'était peut-être pas si définitif que ça. Il n'y avait sans doute qu'un seul pourcent de chance pour qu'Izaya change d'avis, mais Shizuo le savait désormais. Plus jamais de toute sa vie il ne négligerait un pourcent de chance...

Oui... Il se sentait si paisible en cet instant. Malgré son inquiétude pour Izaya, il se sentait étrangement confiant. Et la réaction de Celty lui faisait du bien également. Elle ne jugeait pas sa relation avec Izaya et c'était bien tout ce dont il avait besoin. Bien sûr, rien n'était simple. Izaya allait encore mal, mais... mais Shizuo ne se sentait plus désarmé. Il allait continuer à l'aider. Il le soutiendrait. Et à deux, ils parviendraient à mettre un terme à ce cycle de colère et de haine de soi. Jamais Shizuo n'avait senti l'espoir l'étreindre à ce point. Ça lui faisait tant de bien.

Ses sentiments pour Izaya étaient si importants qu'il ne pouvait qu'y croire. Parce qu'il avait enfin trouvé quelque chose qui était plus puissant que sa force monstrueuse et ça... oui, ça, c'était infiniment précieux pour lui...


Pendant les deux jours qui suivirent, Izaya fit de son mieux pour continuer l'exercice du miroir. Même si c'était toujours difficile d'affronter son reflet, il ne baissait pas les bras. À chaque fois, il songeait aux paroles de Shizuo, tentant de les rendre plus fortes que ses propres pensées. Parfois ça fonctionnait, parfois pas. Dans ces moments-là, Izaya tâchait de ne pas repartir dans une spirale négative. Il envoyait alors un message à Shizuo, qui lui répondait assez vite en lui donnant des raisons de ne pas se détester.

Aujourd'hui encore, après une première tentative avortée, Izaya fixait l'écran de son téléphone. Il tentait de s'imprégner des mots qu'il pouvait y lire. Il inspira profondément. Il ne les méritait pas et- non. Il devait arrêter de penser comme ça. Il remonta un peu dans la conversation pour relire un autre message de Shizuo.

« Bien sûr que tu mérites mes mots ! Ne pense plus au passé. Tu les mérites maintenant parce que je les pense. Fais-moi confiance, ok ? »

Un léger sourire s'afficha sur le visage d'Izaya. Lui faire confiance... Ce n'était pas si compliqué que ça. Surtout maintenant qu'il se distanciait de plus en plus de leur combat. La peur ne semblait plus faire partie de lui. C'était étrange. Elle était presque partie discrètement. Enfin... Izaya espérait qu'elle était bel et bien partie et non qu'elle se terrait quelque part. Mais, dans tous les cas, oui... Il sentait qu'il pouvait faire confiance à Shizuo. Il inspira alors à nouveau avant de se forcer à regarder le miroir.

Il fixa longuement son reflet, observant d'abord son physique. Il allait beaucoup mieux. Il continuait à reprendre du poids. Il n'avait plus l'air malade. Puis, il songea à sa personnalité, à ce qu'il était. Son souffle se troubla un peu, mais il s'accrocha aux paroles de Shizuo. Il était un informateur intelligent. Il ne manquait pas d'imagination. Il aimait approfondir chacune de ses connaissances. Et... et même s'il avait fait du mal autour de lui, il était décidé à changer. Il y arriverait et ne serait pas banal pour autant. Il resterait Izaya Orihara. Il deviendrait juste une meilleure version de lui-même.

Izaya se répéta plusieurs fois ces phrases dans sa tête. Ce n'était pas grand-chose, mais il commençait doucement à y croire. Les mots de Shizuo continuaient de chasser ses autres pensées intrusives. Izaya ne put s'empêcher de sourire en imaginant des mini-Shizuo dans son esprit en train de courser ses sombres pensées. Secouant légèrement la tête, il décida qu'il en avait fait assez pour aujourd'hui. En plus, il voulait bientôt se mettre en route.

Izaya retourna dans sa chambre pour finir de se préparer. Il regarda ensuite son fauteuil roulant. Il ne s'était pas encore décidé. Il allait devoir faire un peu de route, mais il n'avait vraiment pas envie de l'utiliser. Il essayait de s'en servir le moins possible maintenant. S'il prenait le bus, il y arriverait peut-être. Il visualisa une nouvelle fois le chemin qu'il devait faire. Puis, il prit ses béquilles et sortit de l'appartement.

Lentement, Izaya se dirigea vers l'arrêt de bus le plus proche. Son esprit commençait déjà à tourner dans tous les sens. Il était nerveux. Pourtant, il savait qu'il faisait ce qu'il fallait. Ça faisait trop longtemps que cette situation trainait. Ce n'était pas une conversation qu'il pouvait éviter. Oh, bien sûr, autrefois, il l'aurait fait. Mais aujourd'hui, il ne pouvait pas se permettre de le faire. Il allait assumer le mal qu'il avait fait. C'était comme ça qu'il pourrait s'améliorer. Et puis, il était plus que temps qu'ils s'expliquent tous les deux.

Izaya y songeait, tout en montant dans le bus. Il s'installa sur un siège près de la fenêtre et réfléchit à la conversation à venir. Il espérait que l'autre homme serait au moins disposé à l'écouter. Pour qu'ils puissent enfin mettre un point final à leur histoire.

Heureusement, le trajet fut assez court. Izaya descendit au troisième arrêt. Il reprit ses béquilles pour poursuivre sa route. Lorsqu'il arriva devant la petite maison qu'il cherchait, il inspira profondément. Ce n'était pas facile pour lui, mais ça avait été bien plus dur de faire face à Shizuo. Izaya savait donc qu'il pouvait le faire, même si la nervosité tentait de se propager dans tout son corps. Il fit quelques exercices de respiration, avant de s'avancer dans l'allée. Il sonna ensuite à la porte et attendit. Rapidement des bruits de pas se firent entendre derrière la porte. Puis, celle-ci s'ouvrit sur une jeune femme qu'Izaya n'avait pas vue depuis bien longtemps. Mais il la reconnut sans peine. Il afficha alors un doux sourire.

« Bonjour Saki. »

Cette dernière ouvrit grand les yeux, surprise. Elle ne s'attendait clairement pas à le revoir. Elle se reprit très vite, même si son visage garda une expression étrange.

« Izaya, je... Bonjour... Qu'est-ce que tu veux ?

—Je voulais parler avec Kida, lui répondit-il d'une voix posée. Est-ce qu'il est là ?

—Il revient bientôt du travail. Tu veux rentrer pour l'attendre ?

—Je veux bien. »

Saki s'effaça alors pour le laisser passer. Izaya avança du mieux possible. À cause de la tension, ses jambes étaient un peu plus raides. Mais il fit semblant de rien. Malgré tout, à l'intérieur, il s'assit sur le premier fauteuil qu'il put apercevoir. Il regarda ensuite autour de lui. Le salon n'était pas très lumineux et fort chargé. Avant qu'il n'ait pu mieux observer les différents bibelots, Saki réapparut dans son champ de vision. Izaya reporta alors son attention sur elle. Elle était clairement troublée par sa venue.

« ... Tu veux quelque chose à boire ? demanda-t-elle d'un ton un peu incertain.

—Non, ça ira. Merci.

—D'accord. »

Elle s'assit alors face à lui et le regarda, nerveusement. Ses doigts se mirent à pianoter sur ses genoux. Izaya voyait bien qu'elle essayait de l'analyser. C'était normal, après tout. Il la laissa donc faire, tâchant de garder un doux sourire sur son visage pour la rassurer.

« Je... Ce n'est pas trop dur de se déplacer en béquilles ? osa-t-elle lui demander.

—Je m'y suis habitué, lui répondit Izaya. Je préfère ça au fauteuil roulant.

—C'est bien que tu puisses t'en passer... »

Saki continua à l'observer, avant de lui sourire un peu timidement.

« Je suis contente de te revoir, tu sais, souffla-t-elle alors. Ça fait tellement longtemps.

—C'est vrai. Je pensais que tu viendrais peut-être à la soirée de Shinra et Celty.

—C'était compliqué, avoua Saki. Je ne savais pas trop ce que je voulais... Te voir fait toujours remonter pas mal de souvenirs. »

Izaya resta silencieux un moment. Il s'en doutait. Saki avait été une victime de premier choix, après tout. Elle l'avait tellement aimé qu'elle avait toujours fait tout ce qu'il lui avait demandé. Il inspira. C'était le moment de faire face à ses actes. Il savait qu'en venant ici, il y avait un risque qu'il croise également Saki. Il était prêt pour ça. Il la regarda alors sans faiblir.

« Je suis désolé, Saki. »

À nouveau, Saki ouvrit grand les yeux, extrêmement surprise par ses paroles.

« Je n'aurais pas dû jouer avec tes sentiments. »

Izaya se força à ne rien ajouter d'autre. Il se devait d'être sincère envers elle. Maintenant, il ne pouvait rien faire d'autre que d'attendre sa réponse.

Face à lui, Saki resta un moment silencieuse, avant de secouer doucement la tête.

« Je ne veux pas de tes excuses, lui dit-elle alors. Je n'en étais pas sûre avant, mais je m'en rends compte maintenant que je te revois enfin... Je ne t'en veux pas. J'ai rencontré Kida, grâce à toi, et je suis heureuse avec lui. Je n'ai pas toujours bien agi, moi non plus. Mais je ne suis plus la même qu'avant. Je me doute que c'est pareil pour toi. Parfois, on fait n'importe quoi et on regrette. Ça arrive. »

Même s'il n'en montra rien, ce fut au tour d'Izaya d'être surpris. Il savait que Saki n'était pas une personne rancunière, mais quand même... Il n'aurait jamais pu croire qu'elle lui pardonnerait aussi vite. Il se sentit à court de mots. Le sourire de Saki se fit plus grand, comme si elle réalisait l'effet qu'elle avait, pour une fois, sur Izaya. Elle ouvrit alors la bouche, mais avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, un bruit de serrure se fit entendre. Saki sursauta et se releva aussitôt.

« Il vaut mieux que je le prévienne, avant qu'il ne te voie. »

Elle s'éloigna alors dans le petit hall. Izaya put ensuite entendre chaque mot qu'elle disait à son petit ami. Mais ses paroles furent rapidement étouffées par un cri de colère. Des pas furieux se firent entendre. Puis, sans surprise, Kida apparut dans l'embrasure de la porte.

« Qu'est-ce que tu fais là ?! »

Les sourcils froncés, le visage déformé par la haine, oui... Izaya ne s'était pas attendu à autre chose. Il se laissa aller plus confortablement dans le fauteuil et afficha un léger sourire narquois. C'était plus fort que lui. Comme avec Mikado, c'était si simple de redevenir comme autrefois avec Kida. Comme si rien ne s'était passé. Il se sentait plus en confiance en agissant ainsi. Ça lui donnait l'impression de maîtriser la situation. Et, après tout, aussi laide soit-elle, cette façon d'être faisait partie de sa personnalité. En y songeant, Izaya sentit son ventre se tordre. Dégoûtant, détestable, sans- non. Il ne pouvait pas se permettre de flancher. Pas ici. Pas face à lui.

« Bonjour à toi aussi, Kida, répondit-il alors d'un ton qu'il voulait maîtrisé.

—Arrête avec ça et réponds à la question !

—Je suis simplement venu te parler. »

Kida grogna. Très clairement, il voulait juste le mettre dehors. Mais Izaya pouvait déceler une pointe de curiosité dans son regard. Izaya savait que c'était gagné. Aujourd'hui encore, malgré tout ce qui s'était passé entre eux, Kida serait si facile à manipuler. Retomber dans cet ancien schéma serait bien plus simple que ce qu'il s'apprêtait à faire. C'était presque tentant. Et Izaya s'accrocha de toutes ses forces à ce presque si important.

Mais tandis qu'Izaya essayait de garder le contrôle, Saki arriva derrière Kida et passa une main rassurante dans son dos.

« Je vais sortir, lui dit-elle. J'ai quelques courses à faire. »

Et sans lui laisser le temps de répondre, elle s'éloigna. Quelques secondes plus tard, la porte d'entrée claqua. Izaya regarda ensuite Kida, tout en essayant de garder un visage neutre. Il était temps pour lui de se lancer, même s'il savait que ce serait nettement plus compliqué qu'avec Saki.

« Shizuo ne t'a pas raté l'autre fois, commença-t-il. Mais tu n'as pas l'air blessé. »

Izaya était sincèrement soulagé par l'état de Kida. Même s'il ne l'aimait pas, Izaya ne lui souhaitait pas de vivre avec un traumatisme comme le sien. Face à lui, Kida lui lança un regard furieux. Il semblait réticent à lui répondre. Mais, comme prévu, la curiosité finit par l'emporter. Il s'assit alors sur un autre fauteuil.

« Ouais, ça va », finit-il par répondre.

Il n'ajouta rien d'autre, laissant un silence hostile s'installer. Clairement, il n'avait pas l'intention de lui faciliter la tâche. Izaya n'aimait pas ça. Il se sentait dans une situation instable. Ses mains se crispèrent légèrement. Il aurait été si facile de simplement quitter cette maison. Mais il devait le faire. Il devait s'accrocher.

« Je vais bientôt partir d'Ikebukuro, reprit alors Izaya. Mais avant, il faut qu'on mette les choses au clair tous les deux.

—Ah ouais ? Je pense, au contraire, qu'on s'est tout dit !

—Vu ton attitude, permets-moi d'en douter. »

Sur ces mots, Izaya glissa son menton dans le creux de sa paume. Son épaule négligemment posée sur l'accoudoir, il regarda Kida avec des yeux perçants.

« Vas-y, exprime-toi, le relança-t-il. Je promets de t'écouter. »

Kida serra les poings. Comme attendu, il ne lui fallut que quelques secondes avant d'exploser.

« Tu m'énerves ! cria-t-il alors. Tu te pavanes dans les rues, comme si tu n'avais rien fait ! T'avais pas le droit de revenir ! Pas après tout ça ! Pas après avoir poussé Mikado au suicide ! Est-ce que tu sais, au moins, ce que ça fait de voir son meilleur ami pointer un flingue sur sa propre tempe ?! Il débitait un tas de conneries que tu lui as racontées ! Mais non, je ne vois pas comment tu saurais ce que ça fait. Pourquoi ça, il faudrait déjà que tu considères quelqu'un comme ton ami ! »

Izaya acquiesça. Bien sûr, il pouvait comprendre. Il avait entrainé Mikado beaucoup trop loin. Bien que ce dernier ait été plus que partant pour le suivre, aussi.

« Tu as trop tendance à minimiser les actes de Mikado, lui répondit-il. Je l'ai poussé dans une certaine direction, c'est vrai. Mais il a continué de son plein gré.

—Tu oses me dire ça ?!

—Je ne fais que dire la vérité. Mikado a sa part de responsabilité. Tu ne peux pas tout me mettre sur le dos. Sans parler du fait que tu t'es plutôt bien vengé en faisant croire à Shizu-chan que je m'en étais à nouveau pris à lui. »

Sans le vouloir, Izaya ne put s'empêcher de repenser à ce soir-là... Celui où Shizuo avait débarqué chez Shinra pour l'attaquer. La peur qu'il avait ressentie lui paraissait si loin désormais. En y songeant, c'était à ce moment-là que sa reconstruction avait réellement commencé. Il avait aussi fallu qu'il fasse une crise de panique devant lui pour que Shizuo réalise pleinement son état. Avec le recul, l'action de Kida leur avait permis de se rapprocher. Douce ironie...

« Tu le méritais ! s'énerva Kida. Je ne sais pas comment tu as fait pour réussir à le manipuler, mais moi, je ne suis pas dupe ! Assume ce que tu as fait ! Tu n'es qu'une pourriture ! »

Izaya hocha doucement la tête. Il ne comptait pas réfuter ça. Et il n'allait certainement pas aborder sa relation avec Shizuo avec Kida.

« Je vais assumer, lui répondit-il d'une voix posée. Je reconnais que j'ai joué avec toi, je me suis amusé et je t'ai fait volontairement du mal. Je me doute que tu ne pourras pas me pardonner. Je ne m'y attends pas. Mais je sais que je n'aurais pas dû te faire ça. Je suis réellement désolé. »

Izaya inspira profondément. Il l'avait fait. Il l'avait dit. Enfin... Il se sentait un peu mieux. Mais il n'était pas totalement à l'aise pour autant. Il n'avait aucune idée de la façon dont Kida allait réagir à ses mots. Et il n'aimait pas cette incertitude.

Face à lui, Kida l'observa, soupçonneux.

« Pourquoi tu me dis ça ? finit-il par demander. Qu'est-ce que ça cache ?

—Rien du tout. Pour une fois, je n'attends rien de toi. Je voulais juste que tu le saches. »

Kida fronça les sourcils, toujours aussi méfiant.

« C'est probablement la dernière fois qu'on se parle, reprit Izaya. On se croisera peut-être dans la rue, mais je ne compte plus venir vers toi. Je pense que c'est le mieux pour nous. Je tenais à finir notre collaboration sur une note plus positive.

—Tu as du culot d'appeler ça une collaboration, rétorqua Kida.

—... C'est vrai. Je t'ai traité comme un pion sur mon échiquier. Tout comme je l'ai fait pour Saki et Mikado. Mais je ne le ferai plus.

—Comme si tu étais digne de confiance ! »

Izaya l'observa un instant. Il comprenait les réticences de Kida. Il l'avait bien trop poussé à bout. Il n'y avait rien de réparable dans leur relation. Mais il pouvait au moins faire les choses correctement.

« Je sais. Je te présente mes excuses. Pour tout. »

Izaya joua nerveusement avec le pli de son pantalon. Il détestait ça. C'était tellement plus rassurant de rester dans le rôle du manipulateur qui contrôlait tout. Il se sentait vulnérable dans sa nouvelle position. Admettre ses torts, ça n'avait rien d'agréable. Encore moins face à Kida. Mais s'il voulait aller mieux, il devait passer par là.

De son côté, Kida se sentait clairement perdu. Jamais il n'aurait pu croire qu'Izaya lui dirait un jour ces mots-là. Déconcerté, il resta silencieux un moment. Puis, ses épaules finirent par s'affaisser.

« Tu as raison, soupira-t-il. Je ne te pardonnerai jamais. Mais si tu restes définitivement loin de Saki et de moi, je ne ferai plus rien de mon côté non plus. »

Il essayait de se montrer un minimum conciliant. La démarche d'Izaya apaisait étrangement sa colère. Ses mots n'effaçaient pas le passé, mais le reconnaissaient enfin, au contraire. Kida n'avait jamais réalisé jusque-là à quel point il avait besoin qu'Izaya admette le mal qu'il lui avait fait. Pour le reste... Kida savait bien que cette histoire avait été trop loin. Il était fatigué par toute cette haine qu'il ressentait et il voulait enfin pouvoir aller de l'avant, tout en laissant l'informateur derrière lui une bonne fois pour toutes.

« Très bien, acquiesça Izaya. Nous avons un accord alors. »

Kida hocha la tête. Voyant que la conversation était terminée, Izaya attrapa ses béquilles et se redressa du fauteuil pour s'en aller. Mais lorsqu'il atteignit le hall, Kida reprit la parole dans son dos.

« Ça vaut ce que ça vaut, mais j'apprécie tes excuses. »

Izaya s'arrêta et sourit. Son cœur se troubla légèrement.

« Elles sont sincères.

—Pour une fois, hein ? se moqua Kida.

—Tout à fait. »

Izaya lui fit alors un signe de la main, avant de quitter la maison. Il se dirigea jusqu'à l'arrêt de bus, se perdant dans ses pensées. Sa rencontre avec Kida avait été rapide, mais il ne s'était pas réellement attendu à plus. Après tout, qu'avaient-ils à se dire d'autre ? Au moins, Izaya avait réussi à mettre les choses au clair avec lui. Même s'il n'y aurait pas de pardon, il n'y aurait plus non plus d'escalade de violence entre eux deux. C'était une bonne chose. Izaya se sentit soulagé en y songeant. Il n'aurait pas cru que ses excuses feraient autant de bien au jeune homme. Il avait clairement pu voir les émotions traverser son regard.

Izaya sourit légèrement tout en montant dans le bus. Grâce à cette visite, il avait l'impression de pouvoir refermer une page de son passé. Il avait affronté sa laideur et s'en était plutôt bien sorti. Une douce chaleur s'empara de son corps. C'était un énorme progrès pour lui. Et il comptait bien s'accrocher à cette sensation de réussite le plus longtemps possible.

Lorsqu'il fut de retour à l'appartement, il s'installa au salon avec son ordinateur portable. Il avait encore du travail à faire pour Shiki. Il fallait qu'il avance bien, comme il avait rendez-vous avec Shizuo le soir même. Et puis, il aimait se replonger dans ce partenariat. Même s'il devait encore retrouver ses marques, il sentait bien qu'il reprenait goût à sa vie d'avant. Avec quelques différences bien marquées, malgré tout. Il faisait attention à ne plus aller trop loin. C'était sans cesse un jeu d'équilibriste fatiguant, mais... mais il n'était pas seul. Izaya savait que s'il tombait, Shizuo le rattraperait. Et ça... ça lui donnait tant de force.

Il passa donc plusieurs heures plongé dans le dossier que lui avait confié Shiki. Mais, au bout d'un moment, son téléphone se mit à sonner, l'interrompant dans ses recherches.. Il regarda l'écran et vit le nom de sa sœur dessus. Il tiqua légèrement, se souvenant que ça faisait un petit moment qu'il ne lui avait pas donné de nouvelles. Il décrocha alors sans trop attendre.

« Oui Kururi, qu'est-ce qu'il y a ?

—Grand frère... J'attendais que tu me rappelles... »

La voix de sa sœur était douce et faible. Malgré tout, Izaya pouvait y déceler une pointe de reproche.

« J'étais occupé, lui répondit-il. Comment allez-vous ?

—Bien... On t'a vu dans le parc avec Shizuo. Si vous êtes amis, tu dois lui demander de nous présenter Kasuka.

—Oui, oui, je lui demanderai. »

Ah, comme s'il allait faire ça. Il voulait bien essayer d'être gentil avec ses sœurs, mais il ne fallait pas exagérer. Il attendit un moment que sa sœur poursuive, mais elle resta silencieuse. Il retint alors un soupir. Ce n'était jamais simple de discuter avec elle. Avec Mairu non plus, d'ailleurs. Ils étaient trop différents. Même s'ils étaient frère et sœurs, Izaya n'avait jamais eu l'impression de partager quelque chose avec elles.

« Et donc, pourquoi m'as-tu appelé ? la relança-t-il.

—On voulait te dire que Papa vient nous rendre visite à l'appartement ce soir. On l'a invité à diner. Est-ce que tu veux passer ? »

Izaya leva les yeux au ciel. Evidemment. Encore cette histoire... Pourquoi ne voulaient-elles pas laisser tomber ? Ce n'était pas parce qu'elles voulaient renouer avec leur père que c'était son cas.

« Non, j'ai du travail, répondit-il alors.

—Tu dis toujours ça, grand frère. »

Izaya ne prit pas la peine de répliquer. Ses sentiments étaient mitigés. Il ne pouvait pas nier que ses soeurs faisaient des efforts pour l'inclure dans leur adelphie. Mais pour lui qui avait tiré un trait sur sa famille depuis longtemps, ce n'était pas si simple de faire demi-tour.

« Il a appris pour tes blessures. »

La phrase de Kururi le figea.

« Comment ? siffla-t-il. Vous m'aviez promis de ne rien dire.

—Ce n'est pas nous, grand frère ! Je ne sais pas comment il l'a appris, mais il nous en a parlé l'autre jour.

—Et alors ?

—Il voudrait te parler. Je pense qu'il s'inquiète pour toi. »

Izaya dut se retenir de rire. Mais quelles conneries ! Cet homme, qu'il ne connaissait pas dans le fond, s'inquiétait soi-disant pour lui ? Et puis quoi encore ? C'était d'un ridicule... Ce qu'il ne fallait pas entendre, franchement.

« C'est lui qui a demandé si tu pouvais passer ce soir, murmura Kururi.

—Eh bien, c'est non, répondit Izaya d'un ton ferme. Ce n'est pas parce qu'il l'a décidé en un coup que ça va se passer. Qu'il soit déjà bien content que vous soyez là pour lui. »

Sa soeur ne lui répondit pas. Izaya commença à se sentir agacé. Pour qui se prenait son père ? Il n'avait jamais été là pour lui et, tout d'un coup, il voulait s'imposer ? Alors là, il pouvait toujours rêver. S'il connaissait réellement son fils, il devait savoir que c'était peine perdue. Izaya n'allait pas se ramener tout simplement parce qu'il le lui avait demandé. Izaya ne voulait plus rien avoir à faire avec lui. En plus, si réellement son père était inquiet, il n'avait qu'à l'appeler lui-même au lieu de passer par ses soeurs. Izaya n'irait jamais vers lui. Il ne le méritait pas. Malgré lui, il repensa à nouveau à cette horrible discussion qu'il avait surprise entre son père et ses grands-parents. Non... Non, il avait mieux à faire que de rester coincé là-dessus.

« C'est tout ? demanda-t-il alors, désireux d'en finir.

—... Est-ce que tu vas bien ? Ça fait longtemps qu'on n'a pas eu de tes nouvelles.

—Oui, je vais bien.

—Mieux que la dernière fois ?

—Beaucoup mieux que la dernière fois.

— ... D'accord... »

Izaya sentait bien qu'il avait blessé sa sœur. Ce n'était pas ce qu'il voulait. Il se força alors à ajouter :

« Essayez de passer une bonne soirée avec lui.

—Merci grand frère.

—Et je viendrai vous voir bientôt.

—C'est promis ? demanda Kururi dans un murmure.

—Oui, c'est promis. »

Même si ce n'était pas ce qui l'enchantait le plus, Izaya se devait d'être plus présent pour ses sœurs. Il ne pouvait pas les laisser s'inquiéter pour lui. Il y avait déjà bien trop de monde à son goût qui le faisait.

Kururi le remercia, puis lui souhaita une bonne fin de journée. Lorsqu'Izaya reposa le téléphone sur la table, il soupira. Ses mains vinrent se glisser dans ses cheveux, qu'il serra avec force. Il détestait ça. Penser à ses parents, parler de son père, décevoir Kururi. Il fallait qu'il se concentre sur autre chose au plus vite, sinon il allait repartir dans une spirale négative. Ses sombres pensées se bousculaient déjà à la porte de son esprit, lui criant à quel point il était dégoûtant, inutile, horrible. Non ! Non...

Il inspira profondément. Aujourd'hui était une bonne journée. Il avait réussi à parler à Saki et à Kida. Il avançait sur le chemin de la guérison. C'était tout ce qui comptait. Il ferma les yeux un instant, visualisant à nouveau la main chaude de Shizuo sur la sienne. Tout allait bien. Il pouvait le faire. Il repensa aux paroles réconfortantes de l'ancien barman, à toutes les qualités qu'il lui trouvait. Il s'en imprégna un long moment, avant de rouvrir les yeux. Lentement, ses doigts quittèrent ses cheveux. Il prit une longue inspiration, puis, se sentant un peu mieux, il se força à reprendre son travail.

Il avança sur le dossier encore quelques heures. Puis, lorsqu'il fut temps pour lui de se préparer pour sa soirée, il referma son ordinateur. Il retourna ensuite dans sa chambre pour se changer, avant d'aller dans la salle de bain pour vérifier son état. Il fixa alors un peu durement son miroir. Mais très vite, il repensa aux mots de Shizuo. Il essaya de se les répéter en boucle pour y croire. Il ne serait jamais quelqu'un de banal. Jamais. Il inspira profondément et quitta enfin la pièce.

Il prit ensuite ses béquilles et sortit de l'appartement. Cette fois-ci, il n'allait pas retrouver Shizuo au parc, mais au restaurant. C'était étrange de retourner chez Simon ensemble, mais Izaya aimait, malgré tout, beaucoup cette idée.. Au final, c'était un lieu chargé de souvenirs pour eux, assez symbolique. Il se mit alors en route, avançant à pas lents. Le chemin était un peu long, d'autant plus qu'il avait déjà sollicité ses jambes le matin même, mais Izaya savait qu'il y parviendrait. Ça lui prendrait juste plus de temps.

Izaya pouvait, sans peine, se souvenir de la première fois qu'il avait refait ce trajet. À ce moment-là, il ne se déplaçait qu'en fauteuil roulant. Il avait été dans un tel état d'angoisse. Il avait même été à la limite de la crise de panique. Le regard des autres l'avait terrifié. Il s'était senti si mal dans son corps. Mais, maintenant, il pouvait avancer la tête haute. Izaya pouvait pleinement réaliser toute l'étendue de ses progrès. Une douce chaleur se répandit dans son corps, tandis qu'il continuait sa route.

Il avait encore tant de problèmes, mais... mais il n'était plus brisé. Il avait réussi à raconter son agression à sa psy sans s'effondrer, il marchait aujourd'hui sans aucun stress. Même si son estime de soi était toujours au plus bas, il avait réussi à se reconstruire. Ça le frappait avec tant de force, sans qu'il ne sache réellement pourquoi. Peut-être parce qu'il se rendait compte de l'immense différence entre aujourd'hui et ce soir-là... quand il était sorti pour la première fois avec Shizuo. Il se sentit si léger, juste content d'aller retrouver l'ancien barman.

Izaya sourit légèrement en y songeant. C'est vrai, il ne savait toujours pas qui il était réellement, mais en cet instant, ce n'était plus si important. Parce qu'il se sentait juste comme un jeune homme qui avait dû franchir bien trop d'obstacles, mais qui s'en était sorti. Ironiquement, la force surhumaine de Shizuo, celle-là même qui l'avait mis à terre, lui avait également permis de reprendre pied. Parce que Shizuo ne l'avait jamais lâché. Aujourd'hui encore, même s'il n'était pas là, Izaya pouvait le sentir juste derrière lui. Il serait là s'il tombait. Shizuo était devenu l'une de ses béquilles. Grâce à lui, Izaya avait pu continuer à avancer. Dire que peu de temps auparavant, il se sentait juste écrasé sous le poids de la peur à ses côtés.

Izaya continua sa marche, tout en laissant ses pensées l'envahir. Ça lui faisait du bien de parvenir à voir la situation d'une façon positive pour une fois. Il tâcha donc de ne songer qu'à ça tout au long de sa route.

Lorsqu'il arriva au restaurant, même si ses jambes le tiraient un peu, il se sentait donc bien. Dès qu'il pénétra dans l'établissement, Simon le salua.

« Ça fait plaisir de te revoir, Izaya. »

Il afficha un large sourire, avant de le mener vers une table à l'écart.

« Tu grandis, c'est bien, ajouta-t-il, cette fois-ci en russe.

—Merci Simon.

—Je suis fier de toi, tu sais. »

Izaya fut surpris par ses paroles. Mais il n'eut pas le temps de l'interroger plus que ça. Simon le laissa rapidement seul. Songeur, Izaya s'installa sur les coussins. Il fit attention à bien positionner ses jambes. Il était à peine installé qu'il entendit la voix de Shizuo dans son dos. Il se tourna pour le regarder s'approcher. Les yeux de Shizuo se posèrent aussitôt sur lui avec une infinie douceur. Izaya se sentit défaillir. Etre regardé comme ça... Ça le mettait toujours dans tous ses états...

« Comment vas-tu ? lui demanda alors Shizuo tout en s'asseyant face à lui.

—Je vais bien Shizu-chan. »

Izaya sourit légèrement en sentant qu'il ne mentait pas réellement.

« Et toi ?

—Je vais bien aussi. »

Shizuo l'observa un moment, pour vérifier qu'Izaya n'essayait pas de minimiser son état. Mais non... Il était clairement plus en forme que la dernière fois. C'était rassurant. Ils passèrent alors commande auprès de Simon. Puis, lorsqu'ils furent à nouveau seuls, Shizuo tendit sa main vers lui, dans une invitation silencieuse. Sans hésiter, Izaya lui répondit en venant glisser sa main dans la sienne. Shizuo se mit alors à caresser doucement sa paume, faisant frisonner l'informateur.

Izaya observait chacun de ses gestes. C'était agréable. Il avait juste envie de se laisser aller. Ce toucher... Il l'avait tant craint au début, mais aujourd'hui, il lui faisait juste un bien fou. Il avait l'impression qu'il pourrait rester des heures comme ça, à juste profiter des douces caresses de Shizuo.

« J'ai été voir Kida ce matin, avoua-t-il au bout d'un moment.

—Ah bon ? s'étonna Shizuo. Et ça a été ? »

Izaya sourit face à l'inquiétude visible du blond.

« Oui. Comme je m'y attendais, il n'était pas très ouvert à la conversation, mais ça s'est bien passé. Il m'a écouté. Même s'il ne me pardonnera jamais, il a entendu mes excuses. Et je pense que c'est le plus important.

—C'est bien. »

Shizuo fit lentement passer ses doigts sur sa peau, tout en lui donnant un sourire encourageant. Tous les deux étaient fascinés par cette nouvelle proximité. Shizuo pouvait sentir son cœur déborder de tendresse. Izaya, lui, fondait sous son toucher. C'était comme si c'était ce qu'ils avaient toujours voulu. Pourtant, ils savaient tous les deux que ça ne durerait pas. Izaya ne le prenait pas en traitre. Mais en cet instant, ils voulaient juste en profiter. De cette douceur qu'ils n'avaient jamais connue dans leur vie.

« Ma soeur m'a également appelé, reprit l'informateur d'un ton léger. Figure-toi que mon père veut de mes nouvelles. C'est tellement hilarant. »

Alors qu'Izaya rigolait, Shizuo fut un peu surpris. C'était toujours étrange pour lui d'entendre Izaya parler de ses parents. Bien sûr, c'était logique qu'il en ait, mais il n'en avait tellement jamais entendu parler que c'était comme s'ils n'existaient pas.

« C'est peut-être une bonne chose, non ?

—Non, répondit Izaya. Certaines relations ne valent rien. Il vaut mieux ne pas les poursuivre. »

Shizuo resta silencieux. Il n'aimait pas trop cette réflexion, mais il ne voulait pas casser ce moment entre eux. Malgré tout, il ne put s'empêcher de se demander si Izaya mettait leur propre relation dans le même panier. Quand Izaya serait parti... Shizuo n'aimait pas y penser. Au plus il passait du temps avec lui, au plus il s'attachait. Comment allait-il reprendre sa vie en main après son départ ? Il aurait tant voulu pouvoir poursuivre leur histoire, pouvoir l'aimer sans aucune contrainte. Et puis, il y avait toujours ce un pourcent de chance qu'il ne voulait pas négliger. Mais... Non. Shizuo se força à repousser ces pensées. Ce n'était pas important pour l'instant. Il préféra se perdre dans le regard presque carmin d'Izaya.

Ce dernier sourit à nouveau. Il aimait tant la chaleur des doigts de Shizuo contre sa peau. Mais lorsqu'il entendit des bruits de pas se rapprocher, il éloigna sa main à regret. Il ne voulait pas que Simon les surprenne comme ça. Ce dernier déposa devant eux leur commande, avant de se retirer, sans faire le moindre commentaire. Izaya commença alors à manger, de bon appétit. Shizuo suivit le mouvement, lui aussi déçu de ne plus pouvoir le toucher.

« Au fait, demanda Izaya après avoir avalé quelques otoro, comment va ton frère ?

—Il va bien. Il a trouvé une maison à Shinjuku. Il déménage dans deux semaines. Pour l'instant, il finalise un tournage, mais après, il compte rester près de Ruri.

—Elle va bientôt accoucher, non ?

—Oui, dans un peu plus d'un mois.

—Tu dois être impatient, sourit Izaya.

—C'est vrai, je commence à l'être. »

Même s'il avait toujours certaines craintes, Shizuo avait hâte de pouvoir rencontrer son neveu. Ils se mirent alors à discuter de son frère et de l'arrivée du bébé. Puis, lorsque le sujet arriva au bout, le silence s'installa. Doux et apaisant. Izaya continua de se régaler avec ses otoro, avant de bien se nettoyer les mains. Ses gestes étaient si précis. Shizuo ne pouvait en détacher son regard. Puis, quand il eut fini, Izaya le surprit en tendant la main vers lui. Mais Shizuo n'hésita pas une seule seconde à la reprendre. Izaya lui sourit alors.

Shizuo se sentait un peu perdu. Il ne savait pas ce qu'Izaya ressentait exactement pour lui. Il ne savait pas pourquoi il revenait vers lui dans ce tendre toucher. Mais, au moins, Shizuo savait qu'il ne le manipulait pas. À chaque fois que l'occasion s'était présentée, Izaya lui avait bien fait comprendre qu'il n'y aurait rien entre eux. Il avait repoussé chacune de ses tentatives d'approche. Izaya avait été très honnête, pour une fois. À Shizuo de garder ça en tête, maintenant. Même si c'était dur... Il avait juste envie de se perdre dans leur proximité.

« Je te dois des excuses, à toi aussi, reprit Izaya en le prenant à nouveau au dépourvu.

—... Tu me les as déjà données.

—Je sais, mais j'avais besoin de te les redire. J'ai l'impression d'y voir plus clair maintenant. Mes excuses ne sont pas guidées par la peur. Elles sont sincères. J'aurais aimé que les choses se passent autrement entre nous deux. »

Shizuo fut touché par ses paroles. Il reprit ses douces caresses, avant de lui répondre.

« Moi aussi, Izaya. Je suis désolé pour tout. Si j'avais eu un meilleur contrôle de moi-même, j'aurais pu te comprendre bien plus tôt.

—Parfois, j'aimerais bien retourner en arrière, avoua Izaya. Retourner au lycée et tout recommencer. Tu penses qu'on aurait pu être amis ?

—J'en suis persuadé. »

On aurait pu être plus que ça. Mais ça, Shizuo le garda pour lui.

« Ou peut-être qu'on devait en passer par là pour se voir réellement, reprit Izaya avec un doux sourire. En réalité, on a souvent tendance à idéaliser le passé et à regretter nos actes, sans imaginer un seul instant qu'un autre choix aurait pu être pire. Peut-être que si je t'avais approché différemment, tu aurais à peine fait attention à moi. Je me serais fondu dans la masse grise de la foule et on aurait passé notre vie si proches, tout en n'arrêtant pas de se louper. Est-ce que ça aurait été mieux ? »

Shizuo réfléchit à ses paroles. C'est vrai, il n'avait pas pensé à ça. Tous nos choix, même les plus insignifiants, nous amènent là où nous sommes. Sans leur passé tortueux, Izaya et lui ne se seraient peut-être jamais autant rapprochés. Etait-ce leur haine mutuelle qui avait rendu ce nouveau lien si important, si fort ? Bien que ce ne soit pas une pensée très agréable, ce n'était pas impossible dans le fond. Malgré tout, Shizuo ne pouvait pas imaginer un seul instant ressentir pour quelqu'un d'autre ce qu'il ressentait actuellement pour Izaya.

« Non, finit-il alors par répondre. Une vie où on se loupe sans cesse ne m'intéresse pas. Tu gagnes à être connu, Izaya. »

Décidément, Shizuo avait le don de le troubler avec ses paroles. Izaya se sentit confus et un peu perdu. Qui aurait pu croire que les choses évolueraient d'une telle façon entre eux ? Pas lui, en tout cas. Mais Shizu-chan était, comme toujours, très imprévisible. Izaya baissa un moment son regard sur leurs mains entrelacées.

« J'espère que mon retour t'aura permis de te réconcilier avec toi-même », lui dit-il avec une rare douceur.

C'est tout ce qu'Izaya parvint à lui répondre. Mais c'était sincère. Shizu-chan méritait tellement mieux que leur relation. Il s'était bousillé la vie, au milieu de sa colère incontrôlable et de sa culpabilité. Mais maintenant... Son retour avait dû être comme un électrochoc pour lui. Il avait commencé une thérapie pour apprendre à contrôler ses émotions. Et ça semblait efficace. Quant à sa culpabilité... Izaya ne savait pas dire où elle se situait encore, mais il ne la voyait plus dans le regard du blond. Il y avait donc eu une bonne avancée à ce niveau-là. Alors peut-être que... peut-être Shizuo pourrait enfin être heureux.

De son côté, Shizuo hocha la tête. Effectivement, le retour d'Izaya l'avait énormément aidé. Après avoir passé deux ans dans l'errance, il reprenait les choses en main. Et même si le départ de la puce l'inquiétait, il se sentait beaucoup mieux qu'avant. Il reprenait le contrôle de sa vie, il allait de l'avant.

« Oui... Merci, Izaya. Grâce à toi, je me sens un peu moins monstrueux ces derniers temps.

—Et tu as bien raison de le faire, Shizu-chan. »

Ils échangèrent un doux sourire. Ils se sentaient bien ensemble, dans leur petite bulle. Tout ce qu'ils avaient traversé leur semblait si loin. Leurs courses-poursuites au lycée, les manigances d'Izaya, ce combat horrible, leur rapprochement long et maladroit... Ils avaient tout surmonté. Et ils en étaient enfin là. Au calme, apaisés, dans ce restaurant qui les avait tant vus évoluer. Tout allait bien.

Quand Izaya le réalisa, son corps se fit plus léger. Il ne le méritait certainement pas, mais qu'importe. Ça lui faisait tant de bien. Ils restèrent alors un moment comme ça, bercés par ce doux silence, leurs doigts jouant lentement avec la peau de l'autre. Ils étaient en dehors du temps, en dehors de la réalité. Et rien ne leur avait jamais paru plus fort que ce toucher, que cet instant presque irréel.

Lorsqu'ils quittèrent le restaurant, un peu plus tard, ils pouvaient toujours sentir cette connexion résonner entre eux deux. Sans se concerter, Shizuo décida de raccompagner Izaya jusqu'à l'appartement de Shinra. Ils marchèrent lentement, au rythme d'Izaya. Ils ne prononcèrent pas un mot, mais tous deux savaient que sans les béquilles, leurs mains ne se seraient pas quittées de tout le trajet. Ils profitèrent de cette promenade sous la lune claire et brillante. Ils ne se pressaient pas. Ils faisaient même tout pour prolonger cet instant. Parce qu'ils savaient tous les deux que cette ambiance si particulière allait se briser quand ils se sépareraient.

Malheureusement, leur marche finit par prendre fin. Arrivé sur place, Izaya n'entra malgré tout pas directement dans l'immeuble. Il leva les yeux vers le ciel et sourit.

« La nuit est belle.

— Elle est sublime », lui répondit Shizuo.

Izaya se tourna alors vers lui. Leurs regards se croisèrent avec tant de douceur que ça les déstabilisa tous les deux. Un poids qu'Izaya n'avait pas eu conscience d'avoir jusqu'ici disparut de son corps. Son sourire se fit plus grand. Il se sentait tellement bien. Et il le voyait maintenant. Le sommet. Il venait de poser sa main dessus. Après tout ce temps... Il se hissait dessus. Il y était.

Il devait continuer sa rééducation, mais ça allait.

Il devait continuer ses séances chez la psy, mais ça allait.

Sous le regard tendre de Shizuo, ça ne pouvait qu'aller. Izaya n'avait plus l'impression de trainer de boulets derrière lui. Il était libéré de ses chaines. Il pouvait les sentir se détacher de son corps. Il respira profondément. Jamais il ne s'était senti aussi libre.

Cette soirée avait été si belle, si agréable. Il pouvait voir tout le chemin qu'il avait parcouru jusqu'ici. Il était debout, désormais. Il pouvait faire face à Shizu-chan en toute dignité. Il avait beau se détester encore, il avait désormais toutes les cartes en main pour ne plus tomber dans cette falaise infernale. Il avait repris assez de force – Shizuo lui avait donné assez de force – pour continuer le reste de son combat en ne se sentant enfin plus au fond du trou.

« Merci de m'avoir raccompagné Shizu-chan, lui dit-il alors d'une voix douce. J'ai passé une très bonne soirée.

—Moi aussi, puce... moi aussi. »

Se tenant en équilibre grâce à son autre béquille, Izaya fit glisser ses doigts le long du bras de Shizuo jusqu'à serrer brièvement sa main. Ils échangèrent un dernier regard – un dernier regard étrange et chargé – avant qu'Izaya ne finisse par entrer dans le bâtiment. Shizuo le regarda alors s'éloigner jusqu'à ce qu'il disparaisse de sa vue. Il se sentit ensuite étrange. Il avait, effectivement, passé un excellent moment. Mais, à présent, un autre sentiment s'emparait de lui...

Il leva tristement les yeux pour observer la lune. Tout au long de la soirée, il s'était rendu compte qu'Izaya allait mieux. Sa façon de se tenir, de lui parler... Oui, tout indiquait que la puce allait de l'avant. C'était une bonne chose, bien sûr, seulement... Seulement, maintenant qu'il y songeait, Shizuo réalisait que leur conversation au restaurant pouvait aussi se voir comme une sorte de conclusion à leur relation. Et ce dernier regard qu'Izaya lui avait lancé... Cette façon qu'il avait eue de le regarder... Shizuo ne savait pas l'expliquer, mais la sensation qu'il en retirait n'avait rien d'agréable.

Ah... bien sûr, Shizuo voulait toujours croire en ce un pourcent de chance qu'Izaya finisse par changer d'avis. Mais, malgré tout, il n'arrivait pas à se défaire de cette désagréable impression...

Celle qui lui disait que leur au revoir d'aujourd'hui sonnait déjà presque comme un adieu...


Et voilà, j'espère que ça vous a plu. Merci de m'avoir lue :)