À ceux qui se posent des questions, vous ne faites pas erreur : je publie seulement un chapitre par année. Peut-être deux les années bissextiles, ça reste à voir.

Si ça vous décourage, je vous conseille de prier pour que je n'aie pas envie de réécrire encore une fois l'histoire entière… ;)

Merci à Caly, Shadock, sh0o-x, Ste7851, Eileen19, severuse, HBP (doublement!), Aurelie Malfoy, Snapinou, Otto, NatsuShizu et Manon (et ceux que j'oublierais) pour leur review!

Bonne lecture!

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L'antre du maître des potions

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Deux mois plus tard.

Clac, clac, clac.

Mon couteau martelait la table de travail à toute vitesse. Je m'arrêtai une fraction de seconde pour écarter de mon visage une boucle de cheveux récalcitrante. L'humidité du laboratoire faisait friser ma tignasse comme jamais.

- Tu as fini avec les racines d'échinacée, Hermione?

- Presque, lançai-je d'une voix assez forte pour couvrir le bouillonnement des chaudrons.

J'accélérai la cadence. Devant moi, un monticule de racines hachées grossissait à vue d'œil. Je coupai les dernières petites tiges grisâtres, puis je fis léviter l'amoncellement vers la table de mon voisin, l'autre assistant de Rogue.

La première fois que j'avais aperçu Blaise Zabini dans ce laboratoire, j'avais retenu un soupir d'exaspération en songeant à toutes les platitudes qu'il me lancerait dans l'année. Mais, contre toute attente, il s'était révélé le Serpentard le plus sympathique de l'école - et peut-être de toute l'histoire de Poudlard, qui sait.

Il était aussi bohème que j'étais studieuse, mais étonnamment, nous nous entendions plutôt bien. Pendant que je faisais honneur à ma réputation d'étudiante sage et sérieuse, il passait le plus clair de son temps à dormir pendant les cours, à fouiner dans la section interdite de la bibliothèque, à se livrer à des expérimentations bizarres…. Bref, il avait l'excentricité habituelle des gens exceptionnellement intelligents. Son potentiel était immense. Je comprenais Rogue de l'avoir choisi comme assistant.

Je jetai un coup d'œil au sablier posé devant moi. J'avais tout juste quelques minutes pour préparer un autre tas de racines. Je me remis à la tâche pendant que Blaise s'activait autour des vingt chaudrons de potion antibiotique qui mijotaient à gros bouillons.

Nous n'étions que trois à travailler dans ce laboratoire, mais notre production frôlait la quantité industrielle. Quant à savoir comment Rogue se débrouillait sans Blaise et moi, c'était un mystère que j'avais renoncé à élucider. J'avais d'autres chats à fouett…

- Miss Granger, avez-vous préparé les feuilles de basilic comme je vous l'avais demandé? lança la voix glaciale de Rogue dans mon dos.

Je retins machinalement mon souffle. Il était cassant, ce soir. Après des dizaines d'heures passées dans son laboratoire, je pouvais aisément deviner quand il était sous pression. Il économisait ses mots mais nous rabrouait au moindre faux pas. Ces jours-là, Blaise et moi nous pliions en quatre pour ne pas le contrarier.

- Les feuilles sont sur la deuxième étagère de la réserve, professeur.

- Bien.

Plutôt que de s'éloigner, il se pencha légèrement par-dessus mon épaule pour examiner mon travail. J'essayai de faire abstraction de sa présence, tâche difficile puisque son ombre recouvrait la table. Il tendit le bras, plongea ses grands doigts dans l'amoncellement de racines et en examina quelques-unes. Puis, il s'éloigna sans ajouter un mot.

Résultat acceptable.

Je poussai un faible soupir. Une anxiété inhabituelle m'empêchait de me concentrer, et ce n'était pas seulement à cause de l'humeur tendue de Rogue. Je devais annoncer à mon professeur que je manquerais une séance au laboratoire, alors qu'il était complètement débordé. Je m'en voulais de lui faire faux bond. Il avait sans doute déjà bien assez de soucis en tête.

À la fin de la soirée, les vingt potions antibiotiques étaient embouteillées et le laboratoire ressemblait à un champ de bataille. Blaise et moi nous attelâmes à remettre le lieu dans un ordre impeccable pendant que Rogue disparaissait dans la réserve en faisant léviter devant lui les précieuses fioles. Je traînai un peu derrière Blaise.

- Tu viens, Hermione? demanda-t-il en plantant son sac sur son épaule.

- Ne m'attends pas, je dois parler à Rogue.

- Oh! Le moment est mal choisi, remarqua-t-il d'un ton léger. Il a une humeur massacrante.

- J'avais remarqué, répliquai-je avec une certaine raideur. Merci de me le rappeler.

Comme d'habitude, il ne s'inquiétait de rien. Manifestement, le stress ne faisait pas partie de son bagage génétique. Contrairement à moi. Je le saluai en m'efforçant de lui rendre son sourire jovial.

Pour me donner contenance, j'alignai soigneusement les chaudrons sur une étagère. L'anxiété me nouait l'estomac. Pourquoi fallait-il que j'aie attendu jusqu'à ce soir pour parler à Rogue de mon absence? Pourquoi fallait-il qu'il soit si irritable?

La voix soyeuse mais glacée de mon professeur me fit sursauter :

- Je crois que ce chaudron est suffisamment propre, Miss Granger.

Je me tournai vers lui. Blaise avait disparu. La porte était fermée. Je déglutis. Pour une raison obscure, Rogue m'intimidait plus que de coutume lorsque j'étais seule avec lui.

- Au lieu de perdre votre temps, dites-moi donc tout de suite ce qui vous retient ici.

Il avait l'air pressé. Ça augurait mal.

- Euh, je…

Je toussotai pour reprendre une voix plus assurée.

- Je ne pourrai pas être présente au laboratoire demain matin.

- Et que me vaut l'honneur de votre absence ?

- Je quitte Poudlard pour la journée.

Je me mordillai la lèvre en réalisant à quel point mon explication était laconique.

- Puis-je vous demander d'être moins nébuleuse, Miss Granger? Vos paroles me font presque regretter le charabia de Sybille Trelawney.

Je rougis.

- En fait, je dois assister à l'enterrement d'un membre de ma famille, élaborai-je, gênée de devoir lui raconter ma vie personnelle.

Nul doute qu'il s'en fichait royalement. Il me jaugea un instant, sans doute pour essayer de deviner si j'avais assassiné ma défunte tante dans le but de m'octroyer un petit congé.

- Je me passerai de votre présence, dit-il enfin, aussi sec qu'une feuille morte. Pour cette fois.

- Je pourrais venir à mon retour, m'entendis-je proposer. Pour rattraper le retard.

Si Ron s'était trouvé dans cette pièce, il aurait sans doute eu un arrêt cardiaque en entendant ma suggestion. Mais passer du temps supplémentaire dans le laboratoire ne me rebutait pas le moins du monde. Préparer des potions me passionnait! Et… je détestais décevoir Rogue. Quand un maître des potions aussi exigeant que Rogue nous accordait sa confiance, on ne pouvait que détester le décevoir.

- Dans ce cas, je vous attends demain à 20 heures. Ai-je besoin de vous rappeler le chemin qui mène à votre tour?

Quelle gracieuse façon de me mettre à la porte…

- Non. Bonsoir, professeur.

Je quittai la salle avant qu'il ne me serve un autre sarcasme sur un plateau d'argent.

Pendant ce temps, un Severus Rogue excédé fixait la porte close en se demandant pourquoi la tante d'Hermione Granger avait choisi un moment si peu stratégique pour mourir.

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Lorsque je sortis du laboratoire, la noirceur opaque du couloir m'aveugla. Je fis quelques pas en effleurant le mur du bout des doigts, le temps que mes yeux puissent distinguer peu à peu les alentours. Je préférais toujours me guider à l'aveuglette plutôt qu'allumer ma baguette. Me promener avec un faisceau lumineux me donnait toujours l'impression malsaine d'être observée.

Lorsque nous quittions le laboratoire tard le soir, j'appréciais pouvoir traverser les donjons lugubres en compagnie de Blaise. L'air insouciant, il me racontait quelques-unes de ses expériences les plus délirantes.

Un courant d'air me fit frissonner. Je pressai le pas. En atteignant l'escalier qui menait au hall de l'école, des éclats de voix m'alertèrent. Je montai les marches quatre à quatre.

- Non, vous ne pouvez pas me faire ça! criait une jeune fille.

J'atteignis le hall juste à temps pour apercevoir une scène qui me fit sourciller. Une élève en pleurs s'agrippait coûte que coûte à la porte entrouverte, tandis qu'un auror découragé essayait manifestement de l'entraîner dehors de la façon la plus douce possible.

Mon cœur se serra lorsque je reconnus l'adolescente. C'était Lisa Blair, une troisième année de Gryffondor. Ses parents, tous les deux employés du ministère de la Magie, avaient reçu plusieurs menaces de mort depuis quelques semaines. Dumbledore et les membres de l'Ordre avaient pris la décision d'envoyer Lisa et sa famille en France, là où ils seraient en sécurité.

Les parents, d'accord. Mais pourquoi expulser cette petite de l'école? Pourquoi la priver de la sécurité de Poudlard, de l'équilibre de sa vie quotidienne? Quelle idée… Habituellement, Dumbledore suscitait toute mon admiration… mais il n'avait pas toujours raison pour autant!

Malheureusement, ce n'était pas la première fois qu'un élève pâtissait des méthodes drastiques de l'Ordre. Depuis la recrudescence des activités des mangemorts, plusieurs familles victimes de menaces ou de violences avaient été forcées à s'exiler à l'étranger.

- Vous ne pouvez pas m'expulser de l'école! se lamentait Lisa, les joues rouges et les cheveux en pagaille. Qu'est-ce que je vais devenir? Je vais perdre mes amis! Ma vie sera finie!

- Allons, Miss Blair, votre comportement est déplacé, dit la voix sèche de MacGonagall.

Je tournai la tête. Mon professeur de métamorphose contemplait Lisa avec raideur. Elle était une sorcière intelligente et redoutable, mais, par contre, totalement inapte à gérer une crise de larmes.

Je soupirai et m'avançai.

- Voyons, Lisa, tu n'es pas expulsée de Poudlard, la rassurai-je en lui tapotant le dos. Ton absence est seulement temporaire, tu sais. Je suis certaine que tes amis et toi, vous vous écrirez souvent en attendant ton retour, non?

La jeune fille finit par se calmer et consentit à quitter l'école en compagnie de l'auror, qui semblait soulagé de ne pas avoir besoin de porter sur son épaule une adolescente en furie.

- Merci pour votre intervention, me dit MacGonagall lorsque nous nous retrouvâmes seules. Vous avez beaucoup de doigté.

Et vous n'en avez aucun.

- Ce n'est rien, professeur, répondis-je en retenant la remarque qui me brûlait les lèvres.

L'écharpe rouge vif de Lisa traînait tristement sur le sol poussiéreux. Je la ramassai en songeant que je lui avais menti : à moins d'un miracle, non, Lisa Blair ne remettrait sans doute jamais les pieds à Poudlard. Combien de gens comme elle et sa famille devraient encore s'exiler pour sauver leur vie?

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Le lendemain soir, les yeux abattus de Lisa Blair me hantait encore lorsque je quittai l'école à mon tour. Il pleuvait à boire debout. Je serrai les pans de mon manteau moldu contre moi, enfouis le nez sous mon écharpe et marchai d'un pas vif vers les grilles qui ceinturaient l'enceinte de Poudlard. Dans quelques secondes, je serais au chaud et au sec, dans le salon de mes parents.

J'avais obtenu mon permis de transplanage il y a plusieurs mois et c'était décidément mon moyen de transport favori. Ce n'était pas simple de se déplacer quand on n'avait ni accès à un portoloin, ni au réseau des cheminées parce qu'on vivait dans le monde moldu. Le transplanage était pour moi une véritable bénédiction : il me procurait enfin un peu d'autonomie.

En franchissant l'imposant portail de fer forgé, je me retournai. La silhouette grise du château disparaissait presque sous un rideau de pluie et de brouillard. Peut-être était-ce à cause de la température maussade, mais un malaise me hantait.

Qu'est-ce qui se passe, Hermione ? Tu as un nouveau penchant pour la divination?

Je secouai la tête et je transplanai.

Si j'avais su ce qui se passerait ensuite, jamais je n'aurais quitté les murs de Poudlard. Très bientôt, je rejoindrais les rangs de ceux qui devaient se cacher pour survivre. Il ne me restait que quelques heures d'insouciance.

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