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L'enterrement

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Dans le cimetière d'Aberystwyth, les ormes centenaires volaient la vedette aux monuments funéraires les plus fantaisistes. Partout où on portait le regard, ces arbres robustes étendaient leur feuillage immense comme un dôme de verdure au-dessus des pierres tombales et des allées. Quoi de plus réconfortant que la vitalité de la nature dans le sanctuaire des morts?

J'avais toujours trouvé les cimetières paisibles, mais pas aujourd'hui. Un ciel gris acier se profilait au-dessus des branchages, projetant une lumière glauque sur les lieux. Et avec cette fichue pluie qui tombait sans répit, le sol ressemblait davantage à un vaste marécage qu'à une pelouse soigneusement entretenue.

Les membres de ma famille s'approchaient tour à tour de la tombe de ma tante Claire pour y déposer une poignée de terre. Je les suivis en essayant d'éviter les amoncellements de boue devant le trou fraîchement creusé, mais rien à faire : mes chaussures étaient déjà souillées.

À mon tour, je m'étirai le cou au-dessus de la fosse étroite et j'aperçus tout au fond l'urne cuivrée de ma tante. Lorsque j'ouvris les doigts pour laisser tomber une poignée de terre humide, la moitié me resta collée dans la main. Je me retins tout juste un soupir exaspéré et secouai un peu la main au-dessus du trou, juste pour la forme.

- Mon Dieu, si tu fermes mes yeux, j'irai heureux vers mon dernier repos, récitait le pasteur d'une voix usée.

Quelques sanglots étouffés ponctuaient les prières monocordes. Je me sentis un peu coupable de ne pas être particulièrement peinée. Je connaissais à peine ma tante Claire. Elle avait longtemps vécu en France et je ne l'avais pas vue souvent, même depuis son retour en Angleterre quelques années plus tôt. En fait, je m'étais passablement éloignée de la plupart des membres de ma famille. Nous vivions dans deux univers étrangers.

Je m'éloignai discrètement du groupe. Ma tenue détrempée me collait à la peau. J'avais revêtu pour l'occasion une robe noire qui tombait à mes genoux et un manteau de la même couleur. La coupe de mes vêtements était assez passe-partout pour que je les porte à la fois des côtés moldu et sorcier. Seuls mes gants et mon écharpe crème illuminaient ce sombre ensemble.

- Alors, Hermione, quoi de nouveau dans ta vie?

Je me retournai vers ma cousine Alexa, qui venait vers moi en posant le pied avec précaution sur le sol. À chacun de ses pas, ses talons aiguilles s'enfonçaient dans la pelouse spongieuse.

Mauvaise idée, les escarpins.

- Oh, la routine, répondis-je. Mes études me grugent beaucoup de temps.

- Tu dois être pas mal occupée.

- Oui.

Nous nous regardâmes sans rien dire, en nous adressant le même sourire coincé.

Quand j'étais enfant, Alexa était ma cousine préférée, la soeur que je n'avais pas. Nous étions inséparables. Mais la vie avait peu à peu fait de nous des étrangères. Pour une raison restée nébuleuse, j'avais déserté la ville où nous avions grandi pour un lointain collège du fin fond de l'Écosse. Collège dont je parlais peu, dont personne n'avait jamais entendu parler et qui n'avait pas de site internet, pour ajouter à la bizarrerie.

Alexa, elle, était toujours demeurée dans notre petit patelin. Elle avait tôt fait d'abandonner l'école et travaillait maintenant dans un pub. Nous n'avions plus grand-chose en commun. La grande complicité qui nous unissait autrefois avait cédé sa place à une amitié polie.

Je m'empressai de la relancer avant qu'elle ne me demande encore une fois ce que je faisais de mes soirées. Je n'avais pas envie d'inventer toutes sortes de mensonges pour ne pas raconter que j'occupais mes temps libres à faire des potions, à lire des livres sur la magie ancienne, à assister à des matchs de Quidditch, et j'en passe.

- Et toi, quoi de nouveau?

- Moi et Dany, on vient de se fiancer.

- Mais c'est super! m'exclamai-je en essayant de me rappeler si elle m'avait déjà parlé d'un Dany. Félicitations!

- Ouais. Merci.

Le reste de la famille nous rejoignit, mettant fin à notre conversation un peu pénible. La cérémonie s'était achevée.

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À l'abri des regards, comme un prédateur à l'affût de sa proie, il guettait les alentours.

Il chassait toujours de la même manière, la seule qui lui procurait une véritable satisfaction. Il repérait la personne la plus vulnérable, celle qu'il aurait le plus de plaisir à terroriser. À faire souffrir. Puis il l'attaquait par surprise et la détruisait méthodiquement, avec une application sans pitié.

Un peu plus loin, un groupe de gens discutait avec insouciance. Oh qu'il avait hâte de voir leurs visages se tordre de frayeur!

Pour tromper son impatience, il se remémorait des cris atroces, des bruits d'os qui se brisent, des gargouillis de personnes éventrées vives. Et l'adrénaline coulait à flot dans ses veines.

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J'écoutai d'une oreille distraite la conversation de ma famille en promenant mon regard sur le cimetière morne. Non loin de nous, un homme à la mine patibulaire nous lorgnait, à l'abri d'un grand orme pour se protéger de la pluie. Sans doute un gardien qui attendait notre départ pour remplir de terre la fosse de tante Claire. Charmant. Je n'avais qu'une envie : quitter au plus vite cet endroit démoralisant.

- Je dois repartir à l'école, annonçai-je à la cantonade avec un petit sourire d'excuse.

- Dommage!

- Déjà?

- Eh oui, mon train part bientôt, mentis-je.

Après les salutations et les embrassades, je suivis mes parents jusqu'à leur voiture.

- Tu ne restes vraiment pas plus longtemps? me demanda ma mère pour la énième fois.

Après tout, nous ne nous voyions pas souvent pendant l'année scolaire, à peine quelques jours lors des vacances de Noël.

- Malheureusement non. J'ai quelques commissions urgentes à faire à Londres avant de retourner à Poudlard.

Je secouai mes chaussures maculées de terre avant de m'asseoir sur le siège arrière de la voiture.

- Je vous écris très bientôt! lançai-je à mes parents après les avoir salués.

Je jetai un regard au cimetière. Le groupe était encore en train de discuter. Personne ne regardait dans notre direction. J'adressai un dernier signe de la main à mes parents dans le rétroviseur, puis je transplanai.

Une fraction de seconde plus tard, j'apparaissais sur le chemin de Traverse.

Le brouhaha habituel égaya immédiatement mon moral. Même par mauvais temps, une foule bigarrée se pressait dans la rue, jacassant et riant avec exubérance. Depuis le retour de Voldemort, plusieurs aurors arpentaient le quartier, habillés d'uniformes violets. Mais la plupart du temps, ils se faisaient si discrets qu'on ne les remarquait même pas.

Des fumets de brioches et de bièraubeurre s'échappaient des pubs et me titillaient les narines. Mon estomac me rappela bruyamment qu'il était midi passé et que je n'avais avalé qu'une pomme ce matin. J'achetai un croissant dans une boulangerie, puis je m'arrêtai chez Fleury & Botts, que je n'avais pas la chance de visiter souvent. Il y avait une seule librairie à Pré-au-Lard et ses étalages étaient davantage monopolisés par des romans à l'eau de rose et des livres de cuisine que par des bouquins un tant soit peu intelligents.

Je ressortis de la librairie avec quelques livres miniaturisés au fond de ma poche. Il ne me restait plus qu'à m'acheter un couteau digne de ce nom sur l'allée des Irlandais. Ceux qui se vendaient à Pré-au-Lard étaient de si mauvaise qualité que j'avais élimé le mien après seulement quelques mois d'utilisation.

Je traversai la chaussée mouillée d'un pas enthousiaste et je m'engouffrai dans la boutique de l'apothicaire McMarsh.

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Toujours tapi à l'ombre d'une boutique, il scannait rapidement la foule des yeux. Des vieilles femmes qui bavardaient, des hommes d'affaires à l'air préoccupé, des mères avec leur marmaille surexcitée... Aucun auror en vue. Tant mieux. Il aurait le temps de se gâter avant que la brigade n'arrive.

Une jeune brunette passa à côté de lui sans le voir. Il la suivit du regard, détaillant avec convoitise ses fesses moulées dans une petite robe noire, ses mollets pâles, sa nuque fragile. En voilà une qu'il n'aurait pas dédaigné capturer et soumettre à ses envies les plus viles.

Mais ce n'était pas encore le moment. Il serra très fort sa baguette dans sa main moite, pendant que la jeune femme disparaissait dans la boutique de l'apothicaire McMarsh.

Ses acolytes le rejoindraient d'un moment à l'autre. Très bientôt, ils allaient tous entrer en jeu. Très bientôt, il pourrait enfin soulager ses pulsions.

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L'apothicaire McMarsh me conseilla le couteau parfait, en titane extra-résistant. Il était coûteux, mais depuis que j'étais l'assistante de Rogue, j'étais déterminée à préparer mes potions dans les règles de l'art. Je ressorti enchantée de la boutique, en m'amusant du poids agréable de mon couteau rangé dans son étui protecteur.

Je me souviendrais longtemps de ce détail, comme se souvient avec une étrange précision de ce que faisait, de ce qu'on pensait juste au moment où survient un accident.

Tout se passa tellement vite.

L'atmosphère joyeuse de la rue avait soudain changé. Je m'étais figée, surprise par ce malaise brusque et palpable. Tout à coup, les rires étaient devenus des exclamations, puis des cris. Les passants s'étaient mis à se bousculer.

Un choc survint. Brutal.

Quelqu'un venait de me percuter de plein fouet. Le talon de ma chaussure se coinça dans une fente du pavage et je m'écroulai de tout mon long sur la chaussée. J'essayai de me relever, mais un autre passant m'écrabouilla un mollet.

- Aïe!

Personne n'entendit mon cri de douleur.

Je parvins à me recroqueviller contre le mur de la boutique de l'apothicaire et je regardai autour de moi, désorientée. Des jets de lumières surgissaient de partout. Des explosions fusaient. Les gens hurlaient, se poussaient. De hautes silhouettes sombres fendaient la foule paniquée.

Je compris enfin.

Je suis tombée au beau milieu d'une attaque de mangemorts.

Sur le coup, je ne ressentis pas la peur, mais je restai clouée au sol, ne sachant que faire. Tous mes sens s'étaient affinés, percevant avec une acuité troublante l'eau glacée qui imprégnait mes vêtements, la chaussée irrégulière sous mes genoux et mes bras. Les petits cailloux pointus contre ma peau. Le goût salé du sang dans ma bouche.

Un cri d'enfant retentit près de moi :

-Non, laissez-moi! Maman! Maman, où es-tu?

Une fillette blonde trébucha contre mes jambes, puis se remit à courir avant que j'aie pu faire le moindre mouvement. Un sorcier vêtu de noir la poursuivit en me frôlant presque.

Un mangemort.

Il accula la fillette à quelques mètres de moi, dans une petite ruelle derrière la boutique. Prise au piège, elle hurla de plus belle, mais personne ne vint l'aider. L'horreur crispait son petit visage. Le mangemort s'approchait d'elle avec une lenteur calculée, comme un fauve devant une proie facile.

Ce n'est qu'une enfant. Ce salaud s'en prend à une enfant.

Mon cœur se serra. Sans hésiter une seule seconde, je sortis ma baguette de ma poche et la pointai sur l'homme.

-Expelliarmus! hurlai-je d'une voix qui se perdit dans le chaos ambiant.

Dans le mille.

Mon sort désarma le mangemort et le projeta au sol. J'agitai ma baguette en direction sur la fillette.

- Protego!

Un halo bleuté l'enveloppa aussitôt. Plus personne ne pourrait s'en prendre à elle. Je cherchai le mangemort des yeux. Se relevant habilement, il regarda autour de lui et me repéra.

- Stupefix! hurlai-je.

Il esquiva le jet de lumière avec une aisance déconcertante.

- Rictusempra!

Mon maléfice lui toucha le bras, mais il ne jeta même pas un regard à sa manche déchirée et ensanglantée, comme si la douleur ne l'atteignait pas.

Il se rua sur moi.

Je tendis de nouveau ma baguette, mais un autre passant effrayé me bouscula. La panique me gagna brutalement lorsque je perdis de vue le mangemort.

- ÉCARTEZ-VOUS! m'époumonai-je d'une voix suraiguë.

J'eus à peine le temps de prononcer ces mots que je fus projetée au sol par cent kilos de muscles et de fureur. Ma tête heurta violemment le trottoir.

Je ne veux pas mourir.

Un genou s'enfonça dans mon estomac avant que j'aie pu réagir, complètement assommée. Je n'arrivai même pas à reprendre mon souffle pour hurler de douleur. J'agitai mollement ma baguette, mais une main me tordit le poignet. Et une autre m'empoigna la gorge. Fort.

Je ne veux pas mourir!

Cet instant dura tout au plus quelques secondes, mais il marquerait ma mémoire comme un fer chauffé à blanc.

Alors que mes poumons criaient grâce, j'essayai de frapper, de griffer le mangemort d'une main gauche maladroite, mais il était bâti comme un taureau et ne semblait même pas sentir mes coups.

Je vais mourir quand même.

Au bord de l'évanouissement, je contemplai le mangemort qui m'étranglait de toute la puissance de son énorme main. Un masque argenté cachait ses traits. Dans ce visage fantomatique, ses yeux bleus semblaient étrangement vifs et brillants. Quand il croisa mon regard, je me glaçai jusqu'à la moelle. Ces yeux contenaient plus de cruauté que je n'en avais jamais vue. Ces yeux, j'en ferais des cauchemars pendant des années.

Je n'eus qu'une seule pensée. Pressante. Impérieuse.

Disparaître.

Au moment où j'allais sombrer, je me sentis happée dans un tourbillon de vent, de sons, de couleurs. Une seconde plus tard, je m'écroulais sur une pelouse détrempée.

J'inspirai une longue goulée d'air dans un sifflement bruyant. Une douleur atroce m'enflammait la gorge, le ventre, la tête. Je me redressai péniblement, prise de nausée.

Par Merlin, où suis-je? Qu'est-ce qui s'est passé?

Des pierres tombales m'entouraient de toutes parts. À mes genoux, une motte de terre avait été fraîchement retournée et formait une flaque boueuse sous la pluie. Je posai les yeux sur l'épitaphe :

« Claire Granger, 1962-2012*. Nous ne t'oublierons jamais. »

Le cimetière d'Aberystwyth.

Instinctivement, j'avais transplané au dernier endroit sécuritaire où j'avais mis les pieds.

Je suis sauvée.

Je vomis mon croissant au pied de la tombe fleurie de ma tante Claire.

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Lorsque la fille lui fila entre les doigts en transplanant au dernier moment, une rage insupportable l'envahit. Il poussa un rugissement.

- Les aurors! cria une voix à quelques mètres de lui.

Alerté, il se tourna vers son acolyte qui désigna d'un geste du menton un groupe de sorciers en uniformes violets.

- Partons.

Juste avant de transplaner, son regard tomba sur un paquet gisant dans une flaque d'eau, à l'endroit précis où cette garce s'était tenue un instant plus tôt. L'emballage portait l'effigie de l'apothicaire McMarsh.

Un étui à couteau. Celui de la fille.

Sa fureur le déserta d'un coup, laissant place à une froide détermination.

Il ramassa le couteau et disparut au moment où les sorts des aurors allaient l'atteindre.

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Dans le lavabo, le sang et la terre se mélangèrent au jet d'eau. Je contemplai mon reflet dans le miroir en rinçant mes mains sales et écorchées. La lumière tremblotante d'un néon accentuait la pâleur de mon visage. La jolie robe noire que j'avais choisie pour l'enterrement était maintenant boueuse, mes collants déchirés à la hauteur des genoux, mon chignon défait. J'avais l'air de m'être battue contre un grizzly.

Je ne pouvais pas retourner à Poudlard dans cet état. Je ne pouvais pas non plus me présenter chez mes parents en leur annonçant qu'un mangemort avait essayé de me tuer et que je devais faire un brin de toilette avant de me rendre à l'école. Un rien faisait paniquer mes parents.

J'avais donc transplané dans un centre commercial moldu et je m'étais engouffrée dans les toilettes pour me nettoyer et remettre de l'ordre dans ma tenue. Le lieu était crasseux, mais désert. Je m'y sentais en sécurité.

Je me jetai de l'eau glacée au visage pour me ressaisir.

Qu'est-ce qu'il faut que je fasse?

Retourner sur l'allée des Irlandais pour aviser les aurors qu'un des mangemorts avait les yeux bleus ? Ridicule. Ce n'est pas avec un détail de ce genre qu'ils pourraient l'identifier, et encore moins le capturer. De toute façon, l'identité de la plupart des mangemorts n'était un secret pour personne.

Je revis dans ma tête le regard terrifiant de l'homme qui avait essayé de me tuer à mains nues et la nausée me gagna de nouveau.

Un peu de sang-froid, Hermione. Réfléchis.

Mais une peur terrible me nouait l'estomac. J'avais interrompu un mangemort dans son jeu sadique. Je l'avais attaqué, désarmé, blessé. Et, pire encore, j'avais réussi à m'échapper avant qu'il ne se venge de mon culot. Il avait eu le temps de me dévisager. S'il me croisait quelque part, il me reconnaîtrait immédiatement.

Alors que je contemplais mon reflet d'un œil hagard, une certitude atroce s'imposa à moi et ne me quitta plus.

Il prendra sa revanche.

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*Je sais que pour respecter les livres, l'histoire ne devrait pas se dérouler en 2012, mais je n'avais pas envie de retrouver la véritable année. De toute façon, ce détail ne bouleversera ni ma vie, ni la vôtre. Si oui, je vous souhaite un prompt rétablissement. ;) À bientôt pour la suite!