Et voilà un nouveau chapitre tout frais, dans lequel Rogue est de retour, pour ceux qui commençaient à s'inquiéter. =)
Certains auront peut-être remarqué une incongruité dans le chapitre précédent, lorsque Hermione lance un « Rictusempra » bien senti au mangemort qui l'attaque. Eh oui, un sort de chatouillis. Comme vous vous doutez sans doute, c'était une erreur. J'avais bien sûr en tête quelque chose d'un peu moins inoffensif…
Un gros merci à patouch la mouche, illustre revieweuse anonyme, à qui je n'avais pas pu répondre directement!
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Chapitre 4 - L'apothicaire
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Lorsque j'arrivai dans l'enceinte de Poudlard, la nuit était déjà tombée, noire et sans lune, avalant dans sa pénombre indistincte tous les arbres du parc. Quelques tours du château disparaissaient dans la brume. Tout d'un coup, l'école avait revêtu son masque nocturne inquiétant, alors que je l'avais visualisée tout l'après-midi dans une aura de sécurité bienfaisante, ses hauts murs écrasés par un soleil étincelant.
Évidemment, idiote. Tu n'avais qu'à arriver ici avant la tombée de la nuit.
Mue par une peur irrépressible, je me mis à courir vers le château, le crissement de mes pas troublant le silence. Des élancements me tordaient l'abdomen par vagues incessantes, là où le mangemort avait enfoncé son genou massif et appuyé de tout son poids. En fermant les yeux, je pouvais à nouveau sentir l'étau de ses mains dans mon cou, comme si elles y étaient encore.
Je rouvris aussitôt les yeux et me mis à tousser pour chasser la sensation fantôme de l'étranglement. J'arrêtai ma course aux portes de Poudlard, le souffle erratique, puis pris quelques inspirations profondes avant de pénétrer dans l'école. Le hall était désert. Tout le monde devait être attablé dans la Grande Salle. Je me forçai à traverser le hall d'un pas à peu près calme.
J'avais décidé de parler à Dumbledore. Ça me semblait tout naturel d'aviser le directeur de l'école (et grand chef de l'Ordre du Phénix, accessoirement) que j'avais commis la bourde d'attaquer un mangemort puis de me faire repérer.
Il prendra sa revanche, il prendra sa revanche, il prendra sa revanche…
Non. Dumbledore saurait quoi faire. Il savait toujours quoi faire.
Je montai à mon dortoir en attendant que le dîner se termine, le temps de ranger mes quelques bagages. Mais une nouvelle crampe me tordit douloureusement l'estomac, vive et acérée comme un poignard. Je me laissai glisser par terre et restai longuement prostrée sur le plancher, le cœur dans la gorge.
Du calme. Respire. Tout ira bien. Tout ira mieux.
L'incident de Londres avait complètement bousillé mon jugement. Je ne savais même plus si c'était l'angoisse ou la brutalité du genou dans mon ventre qui me faisait si mal, sans doute les deux, mais comment savoir ? Plus j'avais peur, plus j'avais mal, et vice-versa. Le cercle vicieux de la douleur.
Quand la sensation de poignard se dissipa, je m'appuyai sur la table de chevet pour me relever, les jambes flageolantes. Ma main toucha une étoffe soyeuse. Je baissai les yeux.
Une écharpe rouge, unie, aux reflets chatoyants.
Mon cœur se remit à tambouriner dans ma poitrine.
L'écharpe de Lisa Blair. Cette élève de troisième année qu'on avait expédié hors de Poudlard, hors de la communauté magique parce que ses parents subissaient les menaces des suppôts de Voldemort.
Que Dumbledore avec expédiée hors de l'école.
Un sentiment d'urgence me fit frémir.
Allais-je vraiment raconter à Dumbledore qu'un mangemort avait voulu me tuer à mains nues, moi, personnellement? Allais-je candidement donner à mon directeur une raison pour m'exclure de son école, pour m'exclure du monde de la magie ? De mon monde ?
Non.
Jamais.
Jamais-jamais-jamais.
Je me redressai d'un coup, essayant de ne pas porter attention à mon ventre qui protestait douloureusement. Je me plantai devant le miroir. J'avais l'air aussi morte que ma tante Claire. Je me pinçai les joues pour leur redonner un semblant de couleur. Mon reflet me renvoya un regard fatigué, mais dur et déterminé.
Serais-tu donc devenue une trouillarde, Hermione ? Une lâche, une pleurnicharde ?
Non. Je n'avais pas besoin de Dumbledore. Je n'avais besoin de personne. Et personne ne saurait jamais qu'un sadique avait posé la main sur moi un jour, sur l'allée des Irlandais.
J'ouvris un tiroir et y fourrai tout au fond l'écharpe rouge de Lisa Blair, derrière une pile de chaussettes que je ne portais jamais. Je retirai mes vêtements sales et déchirés. La petite robe noire alla rejoindre l'écharpe. Je refermai le tiroir d'un coup sec, puis enfilai une autre tenue, impeccable.
Ma montre indiquait 19 h 52. C'était l'heure. Severus Rogue m'attendait dans son laboratoire. Je quittai le dortoir.
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- Combien de morts ?
Albus Dumbledore n'avait pas paru aussi grave depuis longtemps. Il s'exprimait d'un ton las et la sempiternelle lueur malicieuse avait disparu de son regard, laissant ses yeux bleus vides et étrangement sévères. Pour une fois, il ressemblait vraiment au vieil homme que son âge trahissait.
- Seulement trois, répondit Kingsley Shacklebolt.
Seulement trois. Trois de trop.
Severus Rogue dû user de volonté pour ne pas serrer les poings, agacé de se laisser aller à une émotion inopportune. Céder à la colère était un gaspillage d'énergie. Il devait garder la tête froide, la pleine vigueur de ses facultés. Il devait passer ses souvenirs au crible. Tout décortiquer soigneusement. Et trouver la faille qu'il n'avait pas su voir.
- Ce n'est pas de votre faute, Severus, dit Kingsley d'un air sombre. Vous ne pouvez pas tout savoir. Vous ne pouviez pas voir les indices là où il n'y en avait pas.
- Il y a toujours des indices, Kinglsey, rétorqua-t-il, implacable.
Un silence tomba sur le laboratoire, chacun se plongeant dans ses réflexions en contemplant les flammes qui dansaient dans l'âtre. Severus et Kinglsey se tenaient debout contre le manteau de la cheminée, les bras croisés, en parfaite symétrie. Seul Albus était assis dans un fauteuil, les mains jointes sous le menton. Un peu plus loin, sur la grande table de travail, quelques potions mijotaient à feu doux.
Pourquoi Severus n'avait-il jamais eu vent de l'attaque de Londres pendant qu'elle se tramait ? Car les attaques des mangemorts étaient toujours soigneusement orchestrées. Et Severus, grâce à sa position privilégiée auprès du Seigneur de ténèbres, aurait dû entendre parler du plan, sinon participer à sa préparation.
- Le Seigneur des ténèbres n'était au courant de rien, dit-il soudain. L'attaque était sans doute une initiative d'un seul mangemort. Je miserais sur…
Il s'interrompit en entendant s'ouvrir la porte du laboratoire. Les trois hommes se tournèrent d'un même mouvement vers Hermione Granger, qui s'était figée sur le pas de la porte, l'air surpris. En l'espace d'une seconde, Severus avait noté d'un œil exercé son expression méfiante. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer comment elle avait sursauté en les voyant réunis autour du feu. Elle faisait une drôle de tête. Curieux.
Évidemment, idiot, se morigéna-t-il. Elle revient d'un enterrement.
- Euh… Je peux revenir plus tard, si vous voulez, dit-elle d'une voix hésitante.
- Non. Entrez, répondit Severus. J'en ai pour cinq minutes.
D'un geste de la main, il invita Albus et Kingsley à le suivre dans ses appartements pour poursuivre leur conversation. Il referma la porte derrière lui.
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Je m'étais sentie pâlir en apercevant Dumbledore dans le laboratoire, alors que j'étais justement en train de ruminer à son propos. De penser à ce que je devais lui cacher. La présence d'un auror, Kingsley Shacklebolt, y était aussi pour quelque chose dans ma surprise. Sur le coup, j'avais eu l'impression qu'ils étaient tous là… pour moi. Qu'ils m'attendaient, qu'ils savaient déjà tout d'un évènement que j'avais pourtant décidé d'occulter complètement de mes souvenirs.
Mais non. Les trois hommes affichaient le même air sombre. Il n'était pas difficile de deviner sur quoi portait leur conversation. J'étais simplement arrivée comme un cheveu sur la soupe dans une discussion qui ne me concernait pas.
Depuis le temps que je fréquentais le laboratoire, je ne prenais plus la peine de cogner à la porte avant d'entrer. Rogue nous avait même donné notre propre mot de passe, à Blaise et moi, pour que nous puissions y accéder pendant son absence ou éviter de le déranger quand il était au travail. S'il tenait à avoir une conversation privée, il n'avait qu'à ne pas convoquer Dumbledore et Shacklebolt dans son laboratoire juste avant que j'y arrive.
Mais qu'est-ce qui s'était précisément passé sur l'allée des Irlandais cet après-midi ? Y avait-il eu des blessés ? Des morts ? Le visage terrorisé de la fillette qui cherchait sa mère me revint en mémoire.
Il prendra sa revanche.
Une autre crampe à l'estomac me fit grimacer.
Arrête. Ne pense plus à ça. Oublie ce qui est arrivé.
Une idée évidente me traversa l'esprit.
Et Rogue ? Était-il présent sur l'allée des Irlandais aujourd'hui, dissimulé sous l'habit sombre et le masque anonyme des mangemorts ? Avait-il dû jouer le jeu de ces fanatiques et s'en prendre lui aussi à foule ? M'avait-il vue ?
Je me ressaisis vite.
Mais non, idiote. Il ne peut pas avoir participé à l'attaque, il donne un cours de potions chaque mardi après-midi aux septième année.
L'avantage du métier de Rogue, c'est qu'il lui fournissait une excuse parfaite pour ne pas être obligé de participer à toutes les sales besognes des mangemorts.
Je fixai la porte close de ses appartements. Il n'y avait aucune raison pour qu'il soupçonne ma présence au beau milieu de l'attaque cet après-midi. Dumbledore non plus. Pourtant, j'avais l'impression désagréable qu'un détail important m'échappait. Mais quoi ?
Je pris place sur un tabouret, m'accoudai devant les chaudrons et m'étirai le nez pour contempler les mixtures colorées qui bouillonnaient tranquillement, si près que les volutes de vapeur formaient de la condensation sur mon visage. Une multitude de petites bulles d'air émergeaient à la surface du liquide, prenaient de l'ampleur, puis pouf!, disparaissaient, aussitôt remplacées par d'autres. Contempler ce phénomène soporifique était une activité parfaite pour se vider l'esprit. Ce dont j'avais grandement besoin.
J'allais commencer à prendre racine sur mon banc, lorsque la porte des appartements de Rogue s'ouvrit enfin, livrant passage à mon professeur. Dumbledore et Shacklebolt s'étaient volatilisés je ne sais où. Rogue me rejoignit alors que je m'empressais de me lever pour avoir l'air plus sérieuse (plutôt que paresseuse et avachie sur ma table de travail).
- Nous ne commençons pas tout de suite d'autres potions, dit Rogue en jetant un coup d'œil rapide aux mixtures sur le feu. Nous allons plutôt chercher de nouveaux ingrédients chez l'apothicaire. Venez.
Je me figeai net. La boutique de l'apothicaire McMarsh, sur l'allée des Irlandais, me vint immédiatement en tête. Hors de question que je retourne là-bas.
- L'apothicaire ? répétai-je, incertaine.
- C'est ce que j'ai dit. Qu'est-ce qu'il y a ? ajouta-t-il en me regardant d'un air bizarre.
- Euh… Rien du tout, excusez-moi, marmonnai-je en fuyant ses yeux inquisiteurs.
- Suivez-moi.
Mais quel apothicaire ? allais-je lui demander, mais je me retins en songeant qu'il était déjà bien assez impatient.
Je le suivis par la mystérieuse porte de ses appartements, où je n'avais jamais mis les pieds. J'aurais été curieuse de découvrir les lieux, mais je n'eus pas le loisir d'en voir grand-chose, car Rogue pénétra dans la première pièce du couloir, un petit salon sombre et dépouillé, où crépitait un feu dans le foyer. Contrairement à la plupart des foyers de Poudlard, celui-là était sans doute relié au réseau des cheminées, car Rogue me présenta un bocal de cristal plein de poudre de cheminette.
- Après vous.
En priant tous les dieux du ciel pour ne pas atterrir chez McMarsh, je ramassai une petite poignée de poudre, la lançai dans la cheminée et pénétrai dans les flammes au moment où Rogue annonçait ma destination de sa voix grave et distincte :
- La boutique O'Riley.
Ouf.
Mon soulagement me fit oublier de garder mon équilibre. Après avoir fait la toupie pendant quelques secondes, je tombai sur du béton froid et poussiéreux.
- Aïe!
Je grimaçai, mes genoux me rappelant douloureusement que je les avais déjà bien assez écorchés en m'étalant sur la chaussée de l'allée des Irlandais cet après-midi.
Rogue me suivit de près et faillit me marcher sur une main en sortant de la cheminée.
- Inutile d'épousseter le plancher, Miss Granger, dit-il en haussant un sourcil. Nul doute qu'O'Riley bénéficie des services d'un elfe de maison pour s'en occuper. Levez-vous. Nous n'avons pas que ça à faire.
Très drôle.
Je me remis debout et fis mine de regarder autour de moi pour lui tourner dos. Nous étions dans une espèce d'antichambre vide et obscure. La lumière d'un lampadaire filtrait faiblement à travers une fenêtre étroite qu'on n'avait pas dépoussiérée depuis un siècle. La seule porte, petite et décrépite, ressemblait à celle d'un placard à balais.
- Par ici.
Rogue me précéda vers le placard à balais, qu'il ouvrit en un grincement plaintif. Finalement, c'est dans une petite boutique que nous entrâmes. Dès que je fis quelques pas à l'intérieur, une odeur entêtante me taquina les narines, des effluves d'huile de ricin et de feuilles séchées. Des centaines d'ingrédients de toutes les couleurs et de toutes les textures s'alignaient sur les présentoirs. Je ne m'y connaissais pas beaucoup en apothicaires, mais j'étais certaine que cet endroit était le paradis pour tout maître des potions.
Une voix nasillarde retentit derrière nous :
- Tiens, tiens, monsieur Rogue. Quelle heureuse surprise.
Un homme sortit de l'arrière-boutique et vint à notre rencontre.
- O'Riley, le salua Rogue d'un ton sec.
Et voilà le mystérieux apothicaire.
Il me remarqua et s'approcha. D'emblée, il me mit mal à l'aise. C'était un homme sans âge, avec des bras trop grands pour son corps trapu. Son visage aux traits grossiers semblait avoir été taillé dans un morceau de vieux bois pourri. D'une couleur indéfinissable, ses yeux me faisaient penser à une mare d'eau stagnante. Une vraie gueule de pirate. Et à voir l'expression froide de Rogue, je savais tout de suite que ce O'Riley n'était pas son meilleur ami. Loin de là.
- Vous avez amené votre assistante, d'après ce que je peux constater.
- On ne peut rien vous cacher.
O'Riley m'observa attentivement, comme si ma venue était l'événement le plus palpitant qui lui soit arrivé depuis des lustres.
Mon visage est 30 centimètres plus haut, imbécile.
À la fois agacée et mal à l'aise d'être ainsi examinée, je me tournai vers Rogue. Il me tendit une liste d'ingrédients.
- Nous devons regarnir les stocks d'herbes médicinales, expliqua-t-il. Choisissez les plantes les plus sèches possibles. Elles seront plus efficaces. Veillez à ne pas les abîmer. Et retenez la disposition des présentoirs, vous aurez l'occasion de revenir plusieurs fois ici dans les prochains mois.
- Bien.
Je me mis à la tâche, en évitant soigneusement de croiser le regard de l'apothicaire, qui me fixait décidément avec une envie non dissimulée, comme si j'étais une friandise et lui un gamin affamé.
Affreux bonhomme.
Au bout d'une demi-heure, nous avions sélectionné une multitude d'ingrédients de toutes sortes et nous pûmes regagner l'antichambre, les mains chargées de sacs bien pleins. Je ne fus pas fâchée de quitter cet endroit (et particulièrement son propriétaire). En repassant devant la minuscule fenêtre crasseuse, je jetai un coup d'œil au-dehors. Il pleuvait à boire debout, alors que le ciel était parfaitement dégagé à Poudlard. Ma curiosité prit le dessus.
- Où sommes-nous donc ? demandai-je à Rogue.
- Chez l'apothicaire O'Riley, répondit-il platement. Avez-vous d'autres questions aussi pertinentes ?
Très, très drôle.
- Où est-ce situé ? insistai-je
Il me lança un regard pénétrant.
- Dans un endroit peu recommandable, fréquenté par des gens peu fréquentables. Vous n'avez pas besoin d'en savoir davantage.
J'eus envie de lui demander pourquoi il faisait affaire avec un apothicaire si mal famé, mais je ravalai mon agacement et me contentai de prendre une poignée de poudre dans le bocal posé sur le manteau de la cheminée.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda Rogue.
- Pardon ?
- Qu'est-ce que vous avez dans le cou ?
En effet, il fixait mon cou. J'y portai machinalement les mains, en y laissant tomber la moitié de ma poignée de poudre.
Qu'est-ce qu'il a, mon cou ? Il n'est sûrement pas écrit dessus : « j'ai été étranglé par un détraqué », non ?
- Vous seriez-vous battue en duel avec un pot d'encre ?
Mais de quoi parle-t-il ?
- Que… Oui, c'est ça, de l'encre, répondis-je d'un ton vague, pressée de mettre un terme à cet interrogatoire sans queue ni tête.
Ça ne me disait rien qui vaille.
Je m'engouffrai dans la cheminée et lançai :
- Laboratoire des potions, Poudlard !
De retour dans le petit salon de Rogue, j'aperçus mon reflet dans la porte vitrée d'une armoire. C'est alors que je compris.
Il n'était pas inscrit « j'ai été étranglé » sur mon cou, mais c'était tout comme. J'avais des ecchymoses larges comme une main. Une main de mangemort sadique.
Oh, Merlin… Qu'est-ce que je fais avec ça, maintenant ?
Paniquée, je veillai à tourner dos à Rogue, qui me suivait, et me réfugiai dans la réserve du laboratoire en faisant mine d'aller y ranger les ingrédients neufs. Je lançai un sort sur l'encolure de ma robe pour l'allonger un peu, espérant que Rogue n'y porterait plus du tout attention.
Lorsque je le rejoignis, le cœur battant, il avait déjà commencé une potion Poussos. Je m'installai à ses côtés, mais j'eus toutes les misères du monde à me concentrer sur le calcul des quantités des ingrédients. J'eus soudain envie de me cogner la tête contre la table de travail, comme un elfe de maison désespéré. Cette journée était-elle vraiment réelle ? L'enterrement, l'attaque, la fuite... Tout semblait avoir duré un siècle. C'était un cauchemar. Ça ne pouvait être que ça. Qu'est-ce que j'aurais donné pour faire disparaître cette fichue potion Poussos (bien trop fatigante à préparer), transplaner directement dans mon lit (si seulement c'était possible !), me terrer sous trois ou quatre couvertures et autant d'oreillers, et dormir jusqu'à ce que les maudits yeux bleus, les maudites mains aient disparu de mes souvenirs…
Il prendra sa revanche. C'est évident. Ce n'est qu'une question de temps.
- Miss Granger !
Mon professeur affichait un air exaspéré.
- Pardon ?
- On jurerait que vous avez la capacité de concentration d'un poisson rouge. Appliquez-vous. Nous ne sommes pas en train de préparer une recette de pâte à crêpes.
- Excusez-moi, marmonnai-je en piquant du nez vers les coquilles d'œufs de dragon que j'étais en train de broyer.
J'essayai de me concentrer davantage, mais en voyant Rogue hacher des feuilles de sisymbre, l'étrange malaise que j'avais ressenti plus tôt revint me hanter. Quelque chose dans ce laboratoire me donnait l'impression d'oublier un détail capital. Mais qu'est-ce que j'oubliais, bon sang ?
Je tournai la question dans tous les sens jusqu'à mon retour dans la tour des Gryffondors, sans parvenir à mettre le doigt sur ce qui me chicotait. La salle commune était pratiquement déserte. Harry et Ron n'y étaient pas. Tant mieux. Je n'avais pas le cœur de leur raconter ma journée ce soir. J'avais quelque chose à vérifier.
Tendue comme un bloc, je montai quatre à quatre les marches menant vers le dortoir. J'ouvris le tiroir de ma commode, tâtai dans l'obscurité l'écharpe soyeuse de Lisa Blair, ma robe boueuse.
Non. Ce n'était pas ça.
De plus en plus nerveuse, je refermai le tiroir d'un coup sec et entrepris de vider mon sac encore miniaturisé sur mon lit.
Mes vêtements.
Mes livres achetés chez Fleury & Bott.
Mon…
Mon couteau.
Il n'était pas là.
Une vague d'angoisse me submergea. Pour la deuxième fois ce soir, je m'accroupis sur le plancher, entourant mes jambes de mes bras. Une fine couche de transpiration recouvrit mon front.
Où était passé ce couteau ? L'avais-je vraiment acheté, ou bien je m'apprêtais à le faire au moment de l'attaque ? Bien sûr que oui, je l'avais acheté ! L'apothicaire me l'avait glissé dans un étui protecteur, pour que je ne me blesse pas en le transportant. Comment l'avais-je perdu ?
Je ne voyais que deux possibilités : soit je l'avais échappé dans la bousculade de la foule, soit le mangemort me l'avait arraché des mains lorsque je transplanais. Dans un cas comme dans l'autre, le mangemort savait que j'avais acheté chez McMarsh un couteau en titane extra-résistant d'une quarantaine de gallions. Était-ce un indice suffisant pour me retracer ?
Je respirai profondément pour calmer les battements effrénés de mon cœur.
Combien d'étudiants de premier cycle achetaient des couteaux de 40 gallions pour réaliser des potions ?
Personnellement, je n'en connaissais aucun.
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- As-tu commandé d'autres coquilles d'œufs de dragon japonais ? lança l'apothicaire McMarsh du fond de la cave.
- Oui, m'sieur McMarsh, répondit son jeune assistant. On va recevoir le paquet la semaine prochaine.
- Parfait, marmonna McMarsh pour lui-même en griffonnant sur sa liste.
Après l'attaque impromptue d'un groupe de mangemorts sur le Chemin de Traverse, il avait craint que les acheteurs ne désertent sa boutique par peur de traîner dans le coin.
Mais il s'était trompé. L'animation habituelle était bien vite revenue dans le quartier. Les clients étaient nombreux et les affaires étaient bonnes, si bien que plusieurs ingrédients seraient bientôt en rupture de stock.
- M'sieur McMarsh ! lança son assistant du haut de l'escalier. Y'a un m'sieur qui voudrait vous parler.
McMarsh soupira. À ce rythme-là, jamais il n'aurait une minute pour terminer son inventaire.
- J'arrive !
Il monta lourdement l'escalier et vint à la rencontre du client qui l'attendait au comptoir, un homme blond au visage juvénile.
- Que puis-je pour vous, jeune homme ?
- J'ai une demande particulière à vous faire, monsieur McMarsh.
Le client posa un sac protecteur bleu sur le comptoir et en sortit un couteau.
- Mais c'est un de mes couteaux, constata McMarsh en l'examinant. Qualité supérieure, titane extra-résistant, particulièrement aux substances corrosives. Avez-vous des problèmes avec ?
- En fait, il ne m'appartient pas. Voyez-vous, j'ai rencontré une jeune dame sur l'allée des Irlandais, mardi dernier. Nous avons été séparés lors de l'attaque des mangemorts, vous en avez entendu parler ?
- Évidemment. Ça s'est passé en face de mon commerce.
- J'ai seulement retrouvé son couteau quand le calme est revenu. Elle venait tout juste de l'acheter ici. J'aimerais le lui rendre, mais je ne sais pas son nom.
- À quoi ressemble-t-elle ?
Le visage du jeune homme se fit rêveur.
- Une jeune femme d'une vingtaine d'années, avec des cheveux bruns attachés, un joli visage délicat, des grands yeux marron. Menue, pas très grande.
- Elle portait une robe noire et un foulard blanc ? demanda McMarsh en plissant le front.
- Oui, exactement ! Elle était très élégante.
- Je me souviens d'elle.
- Vous l'aviez déjà vue avant ?
- Je ne pense pas. Elle ne doit pas rester dans le coin, mon garçon.
- Connaissez-vous son nom ?
McMarsh hésita. Divulguer l'identité de ses clients au premier venu ne faisait pas partie de ses principes. Mais le jeune homme jouait machinalement avec son chapeau, l'air anxieux à l'idée de ne pas retrouver sa belle inconnue. L'apothicaire soupira. Ce regard éperdu, il l'avait vu à maintes reprises chez ses fils.
Il sortit un grand registre de sous le comptoir.
- Voyons, voyons… marmonna-t-il en feuilletant les pages. C'était donc mardi, aux alentours de midi. Ah, voilà, le couteau en titane. « H. G. » Ce sont les initiales de votre inconnue. Désolée, mon gars, je n'en sais pas plus. Bonne chance.
Quand le jeune homme le remercia, McMarsh distingua dans ses yeux bleu de glace une lueur de détermination qui n'avait rien à voir avec l'expression rêveuse qu'ils affichaient un instant plus tôt.
Mais l'apothicaire n'y pensa plus et retourna à sa besogne.
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Hilda ?
Hailey ?
Helen ?
Les prénoms se bousculaient dans sa tête quand il sortit de la boutique de McMarsh. Il transplana directement devant un apothicaire d'Edimbourg, Charleston & Son. Il y entra et rejoua son numéro de jeune amoureux éperdu. Tout le monde était indulgent avec un jeune homme amoureux.
« Bonjour, madame. J'essaie de retrouver une jeune dame que j'ai rencontrée par ici. Elle a perdu quelque chose et j'aimerais le lui rendre. Vous l'avez sûrement, déjà vue elle travaille dans le domaine des potions. Ses initiales sont… »
Il ressortit finalement bredouille de la boutique, mais il transplana de nouveau.
Il y avait douze apothicaires en Angleterre. Il les visiterait tous, s'il le fallait. Et il la trouverait, cette H. G. Elles ne couraient pas les rues, les jeunes femmes qui achetaient des couteaux en titane de qualité supérieure. Une personne qui utilisait ce genre d'instrument achetait nécessairement des ingrédients pour réaliser des potions. Beaucoup d'ingrédients. Ce qui impliquait qu'elle s'approvisionne régulièrement chez un apothicaire.
Il la trouverait.
Une heure plus tard, il apparaissait en face d'une boutique miteuse d'Edimbourg. « O'Riley, apothicaire », indiquait l'enseigne délabrée. Ici, le déguisement et la mise en scène étaient inutiles.
- Finite incantatem.
Le charme de rajeunissement qu'il s'était lancé prit fin. Sa silhouette s'épaissit, son visage lisse se plissa, ses cheveux blonds devinrent blancs et rasés très près du crâne. La Marque des ténèbres lui brûla la peau en apparaissant sur son avant-bras. Il était méconnaissable.
L'apothicaire était assis derrière son comptoir, en train de fumer un cigare à l'odeur douteuse.
- Je cherche un de vos clients, lança le mangemort sans préambule.
O'Riley haussa les sourcils devant cette intrusion inopinée.
- Je ne dévoile pas l'identité de mes clients, répondit-il.
Le mangemort esquissa un sourire carnassier, mais ses yeux restèrent de glace.
- Inutile de jouer les vierges effarouchées. Je sais très bien que le mot « éthique » ne fait pas partie de votre vocabulaire. Je cherche une femme. Dans la vingtaine. Des cheveux bruns, des grands yeux marron. La peau pâle. Mince, taille moyenne, une carrure d'oiseau. Une petite poitrine, un petit cul appétissant. Une arrogante qui fait semblant d'être angélique. Ça vous dit quelque chose ?
Fronçant les sourcils, O'Riley fit semblant de réfléchir, mais une lueur s'était tout de suite allumée dans son regard.
- Je ne me souviens pas de tous mes clients.
Sans se démonter, le mangemort sortit un sac de velours d'une poche de sa cape et le laissa choir sur le comptoir. Les gallions tintèrent.
- Voilà qui devrait vous aider à retrouver la mémoire.
L'apothicaire soupesa le sac, l'air appréciateur. Le mangemort retint un sourire sardonique. En voilà un qui n'était pas difficile à convaincre.
- Une fille qui ressemble à ça est venue cette semaine.
- Que savez-vous d'elle ?
- Peu de choses. C'est la première fois que je la voyais. C'est une étudiante.
- Vraiment ?
Il fut surpris. Pendant une seconde, le visage de son inconnue flotta dans son esprit. Elle n'avait pourtant pas le regard d'une écolière sans cervelle. Il l'imaginait plus âgée.
- Oui, elle va à Poudlard, confirma néanmoins l'apothicaire. Elle achète des fournitures pour l'école.
- Je connais ses initiales, H. G. Quel est son nom complet ?
O'Riley prit tout son temps pour répondre.
- Si elle revient, je l'apprendrai peut-être, dit O'Riley avec nonchalance. Mais cette information s'achète.
- Cinquante gallions contre le nom de la fille. Arrangez-vous pour le savoir. Je reviendrai bientôt.
Il approchait de son but.
Cette petite garce allait le lui payer. Il lui montrerait qu'on ne s'en prenait pas impunément à Walden Macnair, surtout quand on était une femme, un poids plume de surcroît, qui ne pesait même pas 50 kilos toute mouillée. Il ne ressentait jamais la moindre pitié pour ces pauvres petites choses chétives et faiblardes, à qui il pouvait casser un bras avec un simple coup de genou, sans utiliser la moindre magie. La faiblesse appelait la brutalité.
H. G. L'Impertinente allait y goûter.
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