Aujourd'hui, je vous offre deux chapitres du coup puisqu'ils sont très liés (et surtout parce que j'ai eu du temps pour écrire ces derniers jours).
En passant, la relation entre Hermione et Rogue se tissera lentement dans cette histoire. C'est à mon avis plus réaliste et plus délectable ainsi. Patience, patience ! =)
Merci à Guest, Guest et Fdora, à qui je n'ai pas pu répondre directement. Vos commentaires m'ont fait plaisir !
Bonne lecture !
oOoOo
Chapitre 5 - Quand les téméraires se terrent
oOoOo
- Hé ! Vous avez lu la Gazette de ce matin ? Il y a encore eu une attaque de mangemorts !
- Oui ! Ça s'est passé en plein jour ! Tu parles…
- Y'a combien de morts ?
- J'sais pas, quelques-uns…
Ce matin, il régnait une agitation inhabituelle dans la Grande Salle. Les récentes frasques des mangemorts étaient sur toutes les lèvres. Je n'avais pas fini d'en entendre parler.
Furieusement mal à l'aise, je marchai droit sur la table des Gryffondor en lançant des regards furtifs autour de moi. Personne ne porta particulièrement attention à moi. Bon signe. Je me glissai sur une chaise tout au bout de la table, piquai en douce le journal de Neville pendant qu'il se versait un verre de lait et jetai un coup d'œil à la première page. Une simple photo de l'allée de Irlandais illustrait l'article sur l'attaque. Ouf ! Pendant quelques secondes terribles, j'avais imaginé un gros plan de mon visage à la Une.
Soulagée, je me servis un bol de céréales. J'avais eu toutes les misères du monde à camoufler les ecchymoses sur mon cou à mon réveil. Tout y était passé : fond de teint (celui de Parvati, nuance orange carotte), sortilège de désillusion (mon cou avait disparu), col roulé (trop chaud). Finalement, j'avais opté pour la solution la moins catastrophique : le col roulé.
- Salut Hermione ! croassa Ron d'une voix ensommeillée en s'assoyant en face de moi.
Sa joue gauche portait encore les traces de son oreiller.
- Comment s'est passé l'enterrement ? demanda Harry en se laissant choir à mes côtés.
- Oh, c'était un enterrement sans surprise : ma tante a été enterrée.
- Évidemment, idiot, lui lança Ron entre deux bâillements.
- Excuse-moi, Hermione, c'était une question stupide.
- Ne t'en fais pas pour ça.
- Es-tu revenue tard hier soir ? On ne t'a pas vue au dîner.
- Bon, les gars, il faut que je vous dise quelque ch…
La fin de ma phrase se perdit dans un brouhaha :
- Hé, Harry, Ron ! Êtes-vous libres ce soir pour une petite partie de Quidditch ?
Seamus se planta devant nous, visiblement très en forme, et envoya valser mon bol de céréales en laissant tomber sur la table ses manuels d'histoire de la magie.
- Oups, désolé, Hermione, dit-il en me resservant une véritable montagne de céréales pour s'excuser. Les gars, il faut absolument qu'on teste la nouvelle stratégie à laquelle j'ai pensé tout à l'heure. On a besoin de deux joueurs en position autour du gardien de l'équipe adverse, pendant que…
Et ils se mirent à parler de sport et de balai comme si leur vie en dépendait.
Je soupirai et regardai ailleurs, l'appétit coupé. Blaise n'était pas dans la Grande Salle. Pas étonnant. Dans ses meilleurs jours, il se levait sept minutes trop chrono avant le premier cours et arrivait en classe in extremis, les cheveux détrempés, la cravate nouée à l'envers et une pile de toast à la main.
À la table des Serpentard, quelques garçons de quatrième année, armés de journaux roulés en matraques, étaient manifestement en train de s'adonner à une reconstitution humoristique de l'attaque de Londres.
Bande d'abrutis.
Parmi les élèves assis à cette table, combien seraient immédiatement capables de m'identifier si leur père ou leur oncle mangemort leur parlait d'une fille brune avec des cheveux comme un champ de bataille ? La réponse fuserait d'elle-même :
C'est Hermione Granger, la préfète en chef, l'amie de Harry Potter.
Hermione Granger, l'assistante du maître des potions.
Rogue.
Je tournai les yeux vers la table professorale. Il brillait par son absence, sans doute trop accaparé par sa triple-vie de maître des potions, d'espion et de suppôt de Voldemort.
Et si le mangemort lui disait qu'il voulait se venger d'une élève qui lui avait échappé ? Rogue penserait immédiatement à moi. Il ne connaissait pas seulement ma tignasse légendaire, il savait aussi que j'étais à l'extérieur de Poudlard le jour de l'attaque. Encore une fois, il serait obligé d'improviser pour sauver les apparences, de faire semblant de ne connaître aucune élève de 18 ans avec une chevelure brune en broussaille.
Je ne voulais pas qu'il se retrouve dans une situation délicate à cause de moi. En plus de Dumbledore, Rogue ne devait surtout pas apprendre ce qui m'était arrivé hier à Londres. Comble de malchance, je passais une dizaine d'heures chaque semaine en compagnie de l'homme que je devais éviter.
L'estomac noué, je remuai nerveusement ma montagne de céréales sans en porter une seule à ma bouche. À côté de moi, les garçons parlaient toujours Quidditch. Je quittai finalement la Grande Salle, le ventre vide, lasse de subir une interminable conversation sur le sport alors que j'avais en tête des problèmes bien plus préoccupants. Tant pis. Je raconterais l'attaque à Harry et Ron une autre fois, lorsque l'occasion se présenterait.
oOoOo
Finalement, l'occasion ne se présenta pas. Et je ne fis aucun effort pour donner un coup de pouce au destin.
Les jours avaient passé, mes crampes à l'abdomen avaient cessé, mes ecchymoses s'étaient estompées, passant lentement du violet au jaune, avant de disparaître complètement. J'avais enfin pu ranger mes robes à col roulé au fond de ma penderie. Mon corps ne portait plus aucune trace de l'attaque.
Je perdis peu à peu l'habitude de jeter des regards méfiants à tous les Serpantard que je croisais, comme s'ils connaissaient tous personnellement le mangemort qui m'avait étranglée. Je finis par me promener un peu plus tranquille dans l'école. Tant que je serais à Poudlard, je serais en sécurité. Malheureusement, je ne m'attendais pas à devoir quitter si tôt ses murs sécurisants.
J'appris la nouvelle une semaine après l'attaque, en me rendant dans la salle des professeurs. McGonagall m'avait convoquée pour une tâche en lien avec mes fonctions de préfète en chef. Lorsque j'ouvris la porte de la salle, j'aperçus immédiatement Rogue et Flitwick qui discutaient à voix basse, à quelques pas de moi.
- Mais Severus, vous savez aussi bien que moi qu'un sort de protection permanente rend toute maison incartable. Aucun mangemort n'aurait pu la trouver.
Une protection permanente? Qu'est-ce que c'est que ça?
Je me figeai et prêtai l'oreille malgré moi.
- Je le sais très bien, Filius. N'empêche qu'on aurait aussi pu placer des protections temporairement, de façon à…
- Bonjour Hermione! lança tout juste derrière moi une voix de ténor, aussi joyeuse que retentissante.
J'eus un sursaut monstre. Rogue et Flitwick tournèrent vivement la tête dans ma direction.
C'est ce qui s'appelle être prise la main dans le sac.
Rouge de honte, je me tournai vers le nouveau venu.
- Bonjour Jake, dis-je avec un sourire forcé.
Jake Tisdale, c'était notre nouveau professeur de Défense contre les forces du mal. Pour une rare fois, Dumbledore avait offert le poste à une personne compétente. Et pour cause : à 25 ans, Jake était un auror dans la force de l'âge, tout récemment diplômé de l'école supérieure et membre de l'Ordre du phénix. Il était brillant et sympathique. Il insistait même pour qu'on l'appelle par son prénom.
Jusque là, tout allait bien. Le problème, c'est qu'il me tombait souverainement sur les nerfs. Il avait beau être intelligent, sa manie d'être tout sucre, tout miel avec tout le monde avait le don de m'horripiler. Par-dessus tout, il semblait considérer toutes les filles de cette école comme des pauvres petites créatures à protéger.
D'ailleurs, les filles en question se mettaient à glousser dès qu'il était dans le coin. Je ne pouvais pas nier qu'en matière d'hommes, il était tout un spécimen : les épaules larges, les muscles taillés au couteau, le sourire chaleureux, les yeux bleus et rieurs. Il n'était pas laid du tout. Mais il n'était vraiment pas mon genre. Jake sortait tout droit d'un roman à l'eau de rose. Et je détestais les romans à l'eau de rose.
- Vous allez bien, Hermione ? me demanda Jake.
- Oui, merci.
- L'enterrement s'est bien passé, la semaine dernière ?
Je restai saisie une seconde, avant de me rappeler que Jake n'avait aucune façon de comprendre le double-sens de sa question.
– Euh… oui, pourquoi ?
- Oh, simple curiosité de ma part, Hermione. Je vous offre mes condoléances.
- Merci.
Idiot.
Depuis quand un enterrement pouvait-il bien se passer ? Et pourquoi McGonagall avait-elle eu besoin de raconter ma vie personnelle à tous les professeurs de cette école ?
La voix de Rogue me ramena à un problème plus urgent : ma présence dans cette pièce.
- Veniez-vous pour une raison particulière, Miss Granger, à part pour écouter aux portes ?
Je me tournai vers lui, de nouveau écarlate. J'allais protester en plaidant l'innocence, mais McGonagall ne m'en laissa pas le temps :
- Ah, Miss Granger, vous voilà, dit-elle en venant vers moi. Nous devons discuter des derniers préparatifs pour la sortie.
- Discuter de quoi ?
- La sortie. À Pré-au-Lard.
- Que… ? Quand, ça ?
- Ce samedi ! Allons, Miss Granger, ne me dites pas que vous aviez oublié ?
- Mais non, j'étais simplement distraite.
Mais quelle sortie ? Oui, j'avais oublié !
- Bon, suivez-moi, nous avons à discuter.
Je passai devant Rogue en évitant soigneusement de le regarder.
- Nous devons coordonner les rondes de surveillance des préfets, expliqua McGonagall. Je vous charge de les mettre au courant. Votre homologue masculin aussi, d'ailleurs. Ce MacMillan avait un entraînement de Quidditch.
McGonagall me désigna un plan de Pré-au-Lard affiché sur un mur.
- Vous patrouillerez au début de la journée dans la section est.
Moi, patrouiller ? Sortir de l'école ? Me promener en plein jour, le visage à découvert, sans savoir quel passant anonyme pouvait être un mangemort dégénéré ?
Jamais de la vie.
- Ensuite, dans l'après-midi, ce sera au tour d'Ernie MacMillan d'arpenter les rues à l'est.
Je ne pouvais pas y aller. Je ne pouvais pas sortir de Poudlard, encore moins dans le cadre d'une sortie scolaire ! Si le mangemort apprenait la tenue d'une telle activité, il n'aurait qu'à venir se balader paisiblement dans le village, habillé comme Monsieur Tout-Le-Monde, jusqu'à ce qu'il me repère.
- À 14 heures, vous rejoindrez le préfet de Serpentard à l'intersection de l'avenue Principale et de la Côte du Pré.
C'était trop risqué. J'agissais peut-être comme une poule mouillée ou une paranoïaque, mais tant pis.
- C'est à cet endroit que vous échangerez les rondes.
Je m'inventerais une maladie samedi matin, une maladie qui m'obligerait à passer la journée au lit. Une gastro-entérite. Une migraine. Une psychose passagère. Une tuberculose intermittente. N'importe quoi.
- Miss Granger, m'écoutez-vous ?
- Absolument.
- À 15 heures, vous irez ensuite rejoindre le professeur Flitwick en direction de…
Je m'efforçai de retenir les grandes lignes de son charabia, de façon à pouvoir le répéter de façon à peu près cohérente aux autres préfets.
Plus tard lorsque je quittai la salle des professeurs, j'étais fermement décidée à briller par mon absence à Pré-au-Lard, le jour de la sortie. Je n'étais pas indispensable. Non, pire : j'étais nuisible, car je serais bien plus occupée à essayer de repérer les hommes ressemblant au mangemort qu'à patrouiller de façon intelligente, c'est-à-dire en restant un tant soit peu attentive à ce qui se passerait autour de moi. Les professeurs et les autres préfets pourraient très bien se débrouiller sans moi pour assurer la sécurité du village.
Aussitôt ma décision prise, je me sentis apaisée. Bien sûr, je ne pourrais pas rester enfermée à Poudlard toute ma vie, mais ce ne serait pas samedi que j'oserais m'aventurer hors de l'école pour la première fois. Pas si tôt après l'attaque. Rien qu'à y penser, j'avais des sueurs froides.
Bien que je gardai secret le projet de me faire porter malade le jour de la sortie, tout le monde semblait s'être inconsciemment passé le mot pour me faire changer d'avis. Toute la semaine, Harry et Ron occupèrent le plus clair de leur temps à planifier leur journée à Pré-au-Lard, à la minute près : quelques emplettes chez Zonko, visite à l'atelier de réparation de balais… Tout y passa.
- Hermione, tu auras sûrement un peu de temps libre à travers tes patrouilles, non ? me demanda Harry.
- Je serai en devoir, Harry. Je ne vais pas à Pré-au-Lard pour m'amuser.
- Voyons, Hermione. C'est quand, déjà, que tu dois surveiller l'ouest du village ? En après-midi ? On pourrait se rejoindre sur la colline. Y'a pas meilleur endroit pour patrouiller. Tu ne surveillerais pas seulement l'ouest, tu pourrais voir le village en entier !
- C'est vrai, admis-je, à court d'arguments.
Ginny ne manqua pas de me parler elle aussi de ses projets avec un enthousiasme contagieux.
- J'ai organisé des retrouvailles de Gryffondor aux Trois balais, Hermione, me dit-elle en m'interceptant dans l'escalier qui menait au laboratoire, le vendredi après-midi.
Je n'avais pas de cours à ce moment-là de la semaine.
- Lee Jordan et Alicia Spinnet vont être là. Même Fred et Georges ont réussi à se faire remplacer à la boutique pour venir. Tu connais leur réputation ici. Je suis sûre que plusieurs Gryffondor vont être enchantés de les rencontrer en chair et en os.
Effectivement, même des années après leur départ, les jumeaux Weasley étaient restés de véritables légendes.
- Alors, tu viens ? insista Ginny, le sourire si large que c'était surhumain de lui dire non.
- Je vais essayer de venir faire un tour, Ginny.
Comment pouvais-je refuser ?
- Super ! s'écria-t-elle en me sautant au cou, manquant m'étrangler. À plus tard !
Elle remonta en courant l'escalier, tandis que je le descendis d'un pas lent, avec une culpabilité grandissante. Allais-je décevoir tous mes amis en manquant la sortie ?
Pour couronner le tout, Blaise y mit aussi du sien.
- Salut, Hermione ! lança-t-il, toujours jovial, lorsqu'il me croisa au bas de l'escalier.
- Salut, Blaise !
- Tu viens à Pré-au-Lard demain ?
- Oui, mentis-je pour la centième fois, mais je devrai patrouiller.
- Ah oui, bien sûr, un heureux privilège de préfète. Chanceuse.
- Hin hin.
- Ça va ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette. As-tu mal dormi ?
En voilà un qui n'avait pas les yeux dans sa poche.
- Ça va. Je suis juste un peu fatiguée.
- Allez, viens. Y'a jamais rien de tel qu'une petite séance au lab pour se remettre les idées en place.
Je le suivis en rigolant. Il fallait vraiment être un assistant zélé et un mordu de potion comme nous deux pour être proférer une énormité pareille.
J'espérais effectivement une séance paisible au laboratoire, c'est-à-dire quelques heures très intenses au cours desquelles nous réussirions l'exploit de préparer le plus grand nombre de potions possible, sans nous tromper une seule fois et sans gaspiller le moindre ingrédient. Blaise avait raison : il n'y avait rien de mieux que se consacrer corps et âme à des potions pour se changer les idées.
Malheureusement, la séance ne serait pas si routinière que je le souhaitais.
- Nous avons beaucoup à faire, annonça Rogue de but en blanc en nous entendant entrer.
Il leva le nez des rouleaux de parchemin qu'il corrigeait à grands traits d'encre rouge et nous jeta un coup d'œil. Son regard me balaya, puis revint et s'attarda sur moi.
En voilà un autre qui n'avait pas les yeux dans sa poche. Décidément, ils n'étaient pas reposants, tous les deux.
Je regardai ailleurs, gênée d'afficher malgré moi les préoccupations qui me taraudaient.
- Nous devons renouveler le stock de potions contre la grippe, dit Rogue sans plus porter attention à moi. Zabini, occupez-vous des chaudrons déjà sur le feu. J'en étais à l'étape de la décantation. Miss Granger, commencez tout de suite à hacher les écorces de mandragore. Vous en avez au moins pour une heure.
Oh, Merlin…
J'avais perdu mon couteau ! Il ne me restait plus que le vieux, rouillé par d'innombrables d'ingrédients corrosifs et tellement élimé que même le suicidaire le plus décidé aurait eu le temps de mourir de vieillesse avant de réussir à se trancher les veines avec la lame usée.
Quand trouverais-je le courage de retourner chez l'apothicaire McMarsh pour racheter le modèle génial que j'avais déniché, le jour de l'attaque ?
Chacun de notre côté, Blaise et moi nous mîmes à la tâche. J'entrepris de couper les écorces de mandragore en fins morceaux, mais j'avais toutes les misères du monde à accoter le rythme de Blaise, ralentie par mon vieux couteau.
- Blaise ? l'interpellai-je, un peu plus tard. Quand tu auras fini avec les mélanges, peux-tu venir m'aider avec les racines ?
- Oui, j'arrive.
- Non, intervint Rogue en arrivant derrière nous.
Manifestement, il était venu à bout de sa correction.
- Zabini, si vous avez terminé, allez plutôt à l'infirmerie avec ce chaudron de Pimentine. La potion est prête et Mme Pomfresh en a besoin.
Rogue s'installa à mes côtés, préleva quelques écorces de la montagne qui s'élevait devant nous et se mit à les hacher à une vitesse vertigineuse, comme si ça lui était aussi naturel que respirer. J'essayai de suivre son rythme, mais c'était peine perdue. Ma poignée d'écorces se dispersa bientôt sur la table et tomba sur le plancher.
Rogue tiqua et fit disparaître les écorces d'un claquement de doigts.
- Miss Granger, ces ingrédients sont coûteux. Appliquez-vous. Si vous n'êtes pas capable de travailler à ma vitesse, travaillez à la vôtre, mais faites-le bien.
- Oui, professeur, murmurai-je en rougissant.
Mais il ne m'accorda pas un regard et se remit à couper à une vitesse aberrante. Comment faisait-il ? Sans doute une quelconque injustice de la génétique, qui faisait en sorte que ses mains étaient faites pour se mouvoir avec grâce et rapidité, et pas les miennes. Chacun de ses gestes était net, précis, efficace, jamais approximatif.
Le souvenir du mangemort revint me hanter, tenace comme un chardon sur une pelote de laine. Ses mains à lui, je les imaginais fortes, trapues et grossières, parfaites pour étrangler, blesser, détruire. Celles de Rogue n'étaient pas moins robustes, mais plutôt longues et élégantes. Des mains conçues pour créer. Pas pour tuer. Des belles mains, somme toute.
- Aïe !
J'avais pris mon doigt pour une écorce.
Maudit couteau!
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Rogue sèchement.
Honteuse d'être si maladroite, je couvris aussitôt la blessure pour ne pas fournir à mon professeur un prétexte pour me rabrouer.
- Rien, je me suis simplement égratignée. Je reviens.
J'allais partir en direction du lavabo, au fond du laboratoire, mais Rogue ne m'en laissa pas l'occasion. Il s'empara de mon poignet et m'obligea à revenir sur mes pas.
- Retirez votre main, ordonna-t-il.
Sa voix était calme, mais sans réplique. À contrecœur, je lui dévoilai l'étendue des dégâts. Une profonde entaille traversait mon index, laissant s'écouler un flot de sang le long de ma paume.
Pas si inoffensif que ça, le couteau…
- C'est ce que vous appelez une égratignure ?
- Eh bien…
- J'espère que nous ne projetiez pas de devenir médicomage, Miss Granger, sinon il faudra rayer votre nom de l'Ordre des médicomages avant même l'obtention de votre diplôme.
Très drôle.
- Venez.
Il me tira par le poignet.
- Professeur, je peux le nettoyer moi-même, protestai-je.
- Cessez de discuter, dit-il en me serrant plus fermement, comme pour me dissuader de toute tentative d'évasion.
Il me pilota jusqu'au lavabo.
- Lavez-vous les mains, dit-il en farfouillant parmi des fioles posées sur une étagère.
J'ouvris le robinet et rinçai très sommairement la plaie, osant à peine y toucher pour ne pas accentuer la douleur. Rogue revint à côté de moi avec un petit pot d'onguent violet.
- Montrez-moi.
Je le dévisageai, méfiante. Je n'avais pas la moindre envie de me faire triturer une plaie vive par un Rogue impatient.
- Je peux très bien le faire moi-même, insistai-je d'une voix mal assurée.
Il me lança un regard noir.
- Miss Granger, vous êtes désespérément récalcitrante. Je ne vais pas vous amputer le doigt. Montrez-le-moi.
Résignée, je lui tendis la main. Il la prit et se mit à enduire copieusement mon index d'onguent violet. Un maudit onguent qui brûlait. Je serrai les dents. Les gestes de Rogue n'étaient pas brusques, mais il me faisait mal quand même.
- Où donc aviez-vous les yeux posés pour vous couper aussi profondément ? demanda-t-il en enrubannant ensuite la plaie.
Je rencontrai ses yeux noirs.
Sur vos mains.
- Nulle part. Simple maladresse de ma part.
Il haussa un sourcil et je baissai les yeux, me maudissant d'avoir le mauvais goût de rougir à ce moment précis.
- À l'avenir, j'apprécierais que vous regardiez ce que vous faites. Ça nous évitera de gaspiller un temps précieux.
Il relâcha enfin ma main et revint à la table.
- Qu'est-ce que c'est que ce vieux couteau ? gronda-t-il en désignant la lame tachée de sang. Vous étiez un véritable danger public, avec cet instrument à la main. Estimez-vous heureuse de ne pas vous être déjà crevé un œil.
N'importe quoi.
- Evasnesco.
- Mais… !
- Je ne veux pas que mes assistants travaillent avec des instruments inadéquats. Allez vous procurer un nouveau couteau.
Sa requête me fit l'effet d'une douche froide.
- Pardon ? Maintenant, tout de suite ?
- Évidemment. Les potions ne se finiront pas toutes seules.
- Mais où donc ?
- Chez O'Riley.
Pas lui !
- Dépêchez-vous. Je vous accorde dix minutes.
oOoOo
