Avis d'intérêt capital : À voir le nombre de personnes qui ont lu le chapitre 6, j'ai l'impression que plusieurs d'entre vous n'ont pas remarqué que j'avais aussi mis en ligne le chapitre 5 en même temps. Si vous étiez tout perdus en lisant, c'est pour ça ! =)

Avis d'intérêt infinitésimal : Je crois avoir (enfin) compris le fonctionnement des titres de chapitre. Je mérite une médaille.

Avis d'intérêt pour Lunouche : Que d'enthousiasme et de spontanéité ! Ton petit commentaire me ravit, vraiment. J'espère que la suite te plaira aussi. Au fait, je ne pouvais pas répondre directement, la réception de messages personnels est désactivée sur ton profil. C'est voulu ?

oOoOo

Chapitre 7 - Disparaître

oOoOo

En voyant mon sortilège de désarmement se diriger droit sur Rogue, j'eus le réflexe ridicule de fermer les yeux, convaincue qu'une catastrophe terrible me frapperait sur le champ. Ce serait le cas.

Au tout dernier moment, la fois grave de Rogue retentit dans la volière :

- Reflecto !

Je rouvris les yeux juste à temps pour voir le jet de lumière qui ricochait sur moi. Mon propre sort me fut renvoyé avec une force formidable. Je tombai à la renverse dans une botte de foin que Rusard disposait sous les perchoirs pour absorber les fientes des hiboux. Beurk.

Des bruits de pas s'approchèrent.

- Pouvez-vous bien me dire à quoi vous jouez ?

Je me redressai tant bien que mal et levai les yeux vers Rogue, qui bouillonnait littéralement de colère. J'eus envie de me recacher dans la paille nauséabonde.

- Je suis désolée, bafouillai-je, mais il y a un corbeau cinglé qui…

Je m'interrompis quand la furie à plumes revint à la charge en fonçant droit sur moi.

- Expelliarmus ! gronda Rogue.

- Crâaâah ! Cr… îiîiîkh !

Un jet de lumière expédia l'oiseau par la fenêtre. Au même moment, une lettre virevolta à mes pieds, à travers les brins de paille et les fientes séchées. Le corbeau l'avait laissé tomber lorsque le sort l'avait atteint.

Je tendis la main, mais Rogue fut plus rapide que moi.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda-t-il, les sourcils froncés, l'air d'avoir momentanément oublié sa colère.

Je m'empressai de me remettre debout et j'essayai de regarder par-dessus son épaule.

- Qu'est-ce que c'est ? dis-je à mon tour, en me dressant sur la pointe des pieds.

C'était une simple photographie. Je poussai une exclamation de surprise en y reconnaissant Jake Tisdale et moi. Il me souriait, tandis que je regardais ailleurs d'un air renfrogné. On apercevait à l'arrière-plan la boutique de farces et attrapes Zonko. De toute évidence, cette photo avait été prise à Pré-au-Lard, hier. À notre insu.

Quel idiot avait eu l'idée de m'envoyer une photo de nous deux ? Pansy Parkinson ? Et qu'est-ce que Rogue allait imaginer, maintenant ? Exactement ce qu'il ne fallait pas :

- Manifestement, c'est un petit souvenir de Tisdale et vous, dit-il.

Rouge d'embarras, je lui arrachai la photo des mains, bien décidée à m'enfuir de la volière, mais je me figeai net en remarquant une inscription à l'endos de la photo :

« Je sais qui tu es. »

Mon cœur rata un battement. Qu'est-ce que ça signifiait ?

Soudain, je compris.

Oh, Merlin. Non.

Je contemplai l'écriture petite et grossière en cherchant furieusement une explication, mais je n'en vis qu'une seule.

C'est le mangemort. Il m'a photographiée à Pré-au-Lard. Il m'a trouvée. O'Riley a osé lui révéler mon nom.

Je me sentis perdre toute couleur.

C'était impossible. Ça ne pouvait pas être réel.

Je ressentis soudain l'envie irrépressible de m'enfuir, n'importe où, le plus loin possible de ce cauchemar. Mais une poigne de fer se referma sur mon bras et me cloua sur place.

Je levai la tête vers Rogue. Ses yeux noirs étaient soupçonneux.

- Donnez-moi cette photographie, exigea-t-il, la main tendue.

- Elle est à moi.

Ma voix avait bizarrement grimpé d'une octave.

- Je vous la confisque parce que vous m'avez lancé un sort.

- Ce n'est pas vous que je visais.

Mais son regard incendiaire me dissuada de parlementer davantage. Mortifiée, je lui tendis le cliché.

- Qu'est-ce que c'est que cette photo ? demanda-t-il pour la deuxième fois.

Je ne sais pas où je trouvai la présence d'esprit d'essayer de l'induire en erreur. Ce ne fut pas moi qui parlai, c'était un robot.

- C'est un souvenir de Jake et moi, comme vous le disiez. Sans doute une mauvaise blague d'une étudiante immature.

Les sourcils froncés, il examina tour à tour la photographie animée et la courte phrase à l'arrière, se demandant sans doute pourquoi ces mots m'avaient fait blêmir. Ses yeux fouillèrent les miens. Je regardai ailleurs, le cœur battant à tout rompre. Puis, soudain, il me remit la photo entre les mains sans plus de cérémonie, jugeant finalement que l'incident était inoffensif et dépourvu de tout intérêt.

- Je retire 50 points à votre maison.

- Pardon ?

- Parce que vous avez raté le corbeau. Et 50 autres parce que vous m'avez pris pour le corbeau.

- Mais je ne vous visais pas ! Le corbeau volait près de la porte et quand vous êtes entré, vous…

-Silence ! La prochaine fois que je vous surprends à pointer votre baguette dans ma direction, je vous colle en retenue pendant une semaine. Vous réfléchirez à votre maladresse en arrachant toutes les mauvaises herbes de la Forêt interdite. Si vous êtes incapable de viser un vulgaire oiseau, contentez-vous de vous sauver en courant plutôt que d'attaquer tout ce qui bouge.

J'étais tellement sous le choc que je ne saisis pas un traître mot de ses réprimandes.

- Maintenant, disparaissez de ma vue.

Il me planta sur place et alla confier son propre courrier à un hibou.

Le cœur dans la gorge, je sortis de la volière et dévalai l'escalier comme si Lord Voldemort était à mes trousses. L'envie me démangeait de déchirer la photo crispée dans ma main, de la jeter par une fenêtre, de la faire disparaître. Comme si m'en débarrasser aurait pu faire en sorte qu'elle n'ait jamais existé, que le mangemort ne m'ait jamais attaquée.

Deux étages plus bas, dans un couloir désert, je m'arrêtai pour examiner encore le cliché sous tous ses angles, les visages de Jake et moi, l'écriture irrégulière. J'imaginai une main robuste qui traçait ces lettres désordonnées. Cette même main qui m'avait écrabouillé la gorge en y laissant des ecchymoses. Les yeux bleu de glace du mangemort s'imposèrent dans ma tête.

Ça ne peut pas être réel.

Je ne veux pas que ça soit réel.

Mais que je le veuille ou non, ce fou furieux était à mes trousses. Il avait sans doute soutiré mon identité à ce crétin d'O'Riley pour une poignée de gallions et appris la tenue de la sortie à Pré-au-Lard. Il m'avait repérée. Il m'avait suivie. Il m'avait photographiée.

Pourquoi ne m'avait-il pas attaquée ?

Parce que Jake était avec moi, bien sûr. Le mangemort n'était pas assez idiot pour s'en prendre à moi en présence d'un professeur, et un auror de surcroît. Et si Jake ne m'avait pas accompagnée, que se serait-il passé ? Et si Harry et Ron étaient restés avec moi? Mon estomac se révulsa quand je songeai au danger qu'ils avaient frôlé de peu. Je ne sortirais plus de Poudlard en leur compagnie. C'était trop risqué.

De retour au dortoir, je cachai la photo de Jake et moi au fond du tiroir qui contenait déjà le foulard de Lisa Blair et la maudite robe que j'avais portée le jour de l'attaque. Mon tiroir aux horreurs.

À partir de ce dimanche matin paisible, je ne vécus plus une seule journée de tranquillité, plus un cours sans que mes pensées ne s'égarent sur le mangemort anonyme qui me poursuivait.

Plus une nuit sans rêver à des mains qui m'assaillaient.

À des yeux bleus qui m'épiaient. Qui me regardaient mourir.

Il prendra sa revanche.

oOoOo

« Stress post-traumatique.

Type de trouble anxieux sévère qui se manifeste à la suite d'une expérience traumatisante. La réaction immédiate à l'événement est traduite par une peur intense, un sentiment d'impuissance et d'horreur. »

Génial. L'angoisse perpétuelle qui me taraudait portait un nom médical.

Agacée, je refermai le livre d'un coup sec et le remis là où je l'avais pris, sur une étagère poussiéreuse de la bibliothèque, section médicomagie. Je n'avais pas besoin d'un stupide article d'encyclopédie pour savoir que j'avais peur. Je voulais une solution.

Depuis que le mangemort m'avait expédié la photo de Jake et moi, je me sentais complètement paralysée, ne sachant plus où donner de la tête. J'avais décidé de ne plus aller à Pré-au-Lard, du moins pas lors des sorties scolaires, sinon ma présence au village serait bien trop prévisible. C'était la moindre des choses. Pour le moment, les murs de Poudlard m'assuraient un semblant de sécurité, mais ne venaient pas à bout de la peur qui me nouait constamment l'estomac.

Comment pourrais-je me protéger lorsque je devrais sortir de l'école, ne serait-ce que pour les vacances de Noël et d'été ? Si seulement j'avais eu une cape d'invisibilité comme Harry, pour me balader dans les rues sans craindre une attaque d'un mangemort tapi dans l'ombre ! Hélas, les capes d'invisibilité étaient très rares et valaient plus que le contenu réuni de mes comptes en banque moldu et sorcier. Il y avait pourtant bien une autre solution…

Ironiquement, ladite solution se présenta à moi sous les traits du livre le plus insipide qui soit, gracieuseté de Blaise.

Découragée de mes recherches inutiles sur le stress post-traumatique, je retournai m'asseoir auprès de Blaise, à une table isolée au fond de la bibliothèque, où nous étions en train d'étudier pour un examen de potions. Enfin, moi j'étudiais et lui se divertissait.

Je me laissai choir sur une chaise devant lui et rouvris mon manuel, mais plutôt que de reprendre ma lecture là où je l'avais laissée, je lorgnai du côté du Serpentard.

- Qu'est-ce que tu lis ?

Il arracha à grand-peine ses yeux du texte, comme si c'était le plus passionnant qu'il avait lu de sa vie d'étudiant.

- Comment créer une potion inutile sans (trop) vous fatiguer, récita-t-il en me montrant la couverture de son livre.

C'était Blaise tout craché. Il n'y avait que lui pour s'intéresser à des bouquins de ce genre.

- Et quelle potion inutile veux-tu créer ?

- Une potion pour voler. Ça serait amusant, non ?

- Il y a les balais, pour ça.

- Évidemment. Mais c'est tellement commun. Toi, quel pouvoir tu rêverais d'avoir ?

- Le pouvoir de supporter te voir perdre ton temps pendant que je fais de la révision.

- Je ne perds pas mon temps, j'enrichis ma précieuse réserve de culture générale. Rien d'autre ?

- Euh… Je rêve de…

Je m'interrompis, les rouages de mon cerveau tournant soudain à plein régime.

Une potion. J'allais créer une potion qui me rendrait invisible !

- Qu'est-ce qui se passe ? s'étonna Blaise devant mon air extatique. Tu viens de comprendre la théorie de la gravité terrestre ?

Je refermai mon manuel de potions d'un coup sec.

- Blaise, tu es un génie.

- Il était grand temps que tu le reconnaisses. Mais bon, vaut mieux tard que jamais.

- Peux-tu me prêter ton livre ?

Sans attendre sa réponse, je le lui arrachai pratiquement des mains.

- Merci, c'est vraiment important. C'est une question de vie ou de mort.

- Hein ?

- Euh… de vie tout court, plutôt.

- J'aime mieux ça, dit-il, encore plus déboussolé.

Sans lui laisser le temps d'ajouter un mot, je m'enfuis de la bibliothèque, son précieux livre serré contre moi.

oOoOo

1 chaudron.

5 kilos d'ingrédients de toutes sortes.

1 bézoard (toujours pratique).

1 cerveau (le mien, donc plutôt bien pourvu [et tant pis pour la fausse-modestie]).

50 kilos d'acharnement (48 kilos, en fait [mais va pour un chiffre rond]).

C'était tout ce dont je disposais pour créer une potion d'invisibilité, cette précieuse alliée qui me permettrait de quitter Poudlard sans crainte de me faire traquer par un mangemort disjoncté.

Dès que j'avais emprunté le livre de Blaise sur la création de potions, je m'étais empressée de le dévorer d'une couverture à l'autre. Ensuite, j'avais commandé une foule d'ingrédients par la poste à une boutique du chemin de Traverse. Deux hiboux m'avaient livré mes achats ce matin même, dans un paquet si lourd qu'il avait écrasé mes toasts en atterrissant sur la table de la Grande Salle. Heureusement, ni Harry ni Ron n'étaient encore debout, ce qui m'avait évité de répondre à des questions épineuses sur le contenu de ma mystérieuse livraison. En fait, depuis quelques jours, je me levais toujours en même temps que le soleil, épuisée par les cauchemars et l'insomnie. Dès que j'avais eu quelques minutes libres, pendant l'heure du déjeuner, j'étais montée à la Salle sur Demande pour m'atteler à la tâche.

Je lançai un coup d'œil circulaire à mon laboratoire clandestin. Une pièce minuscule, des murs blancs et nus, aucune fenêtre, une table de travail à peine assez grande pour y poser un chaudron et mes deux mains… Mais qu'est-ce que j'avais fait à la Salle sur Demande pour qu'elle soit si chiche ?

Tant pis. Ce laboratoire n'était pas aussi confortable et sophistiqué que celui de Rogue, mais je m'en contenterais. Je m'assis sur le plancher, où j'avais disposé mes nombreux ingrédients, faute d'espace sur le comptoir, et me mis à réfléchir en noircissant un morceau de parchemin de mes notes.

La création de potion s'avéra une discipline complexe, voire décourageante, mais je ne baissai pas les bras. Bientôt, mes séances secrètes occupèrent une large partie de mon emploi du temps. J'expliquai mes disparitions répétées par des heures d'étude à la bibliothèque, des réunions de préfets ou encore du travail au laboratoire avec Rogue et Blaise. Harry et Ron gobèrent mes mensonges sans se poser davantage de questions.

Chaque fois que la peur revenait me talonner, je me lançais à corps perdu dans les expérimentations. C'était la seule activité qui arrivait à calmer mes angoisses et me donnait une impression de contrôle sur le cauchemar que je traversais.

Je n'avais pas le choix. Je ne pouvais pas revenir en arrière. Un mangemort me poursuivait, que je le croie ou non. La seule façon de rester en sécurité, c'était d'être plus ingénieuse que lui.

En attendant, je rêvais encore de ses yeux bleu de glace qui m'épiaient.

Bientôt, ils ne pourraient plus me voir.

oOoOo

Un matin, je me levai pleine d'énergie malgré une autre nuit sans repos. La veille, j'avais déniché dans un vieux livre une ébauche de potion d'invisibilité peu au point. J'étais fermement convaincue d'arriver à trouver les failles dans sa composition et à l'améliorer pour qu'elle fonctionne.

Pour ajouter à mon enthousiasme, j'avais le temps de m'y mettre ce matin même. Nous devions passer un examen écrit pendant mon premier cours de la journée, celui de Défense contre les forces du mal. Comme les examens de Jake étaient la plupart du temps simplets, je me dépêcherais de le compléter, puis je retournerais à la Salle sur Demande pour poursuivre mes expérimentations.

Galvanisée par mes espoirs de réussite, je me rendis à la salle de classe de Jake avec une bonne humeur à toute épreuve. Quelques minutes plus tard, j'étais en train de rédiger mes réponses d'examen à une vitesse que Ron aurait qualifiée d'aberrante. C'est du moins ce que je décryptai du regard ahuri qu'il posa sur moi, sans doute étonné par le rythme auquel je tournais les pages du questionnaire. Il avait beau se moquer de moi en disant que j'étais une intello et une encyclopédie ambulante, j'avais au moins le mérite de pouvoir résoudre les problèmes écrits les plus complexes en un rien de temps.

J'adressai un petit sourire à Ron, me penchai à nouveau sur mon parchemin et m'appliquai à rédiger lisiblement ma dernière réponse. Puis, je fourrai ma plume et mon pot d'encre dans mon sac et quittai ma place. Tout le monde redressa la tête en m'entendant me lever, mais je n'y fis pas attention. Je marchai jusqu'au bureau de Jake et y déposai mon examen.

Le jeune auror leva le nez de son livre.

- Vous avez une question, Hermione ? dit-il à voix basse, pour ne pas déranger les autres élèves.

Manifestement, il n'avait pas remarqué que tout le monde nous regardait.

- Non, j'ai terminé, répondis-je.

Il me regarda avec des yeux ronds.

- Déjà ? Avez-vous un rendez-vous quelque part ?

Oui, avec la liberté.

- J'ai des choses à faire, répondis-je, évasive, en lui adressant aussi mon petit sourire satisfait. Bonne journée, Jake.

Je me retins de gambader jusqu'à la Salle sur Demande.

En entrant dans mon laboratoire improvisé, je faillis me décrocher la mâchoire. La pièce était dans un désordre indescriptible. Des petits tas d'ingrédients disparates, des parchemins de notes chiffonnés et des instruments divers jonchaient le plancher. Des taches de potion de toutes les couleurs ornaient le peu de mobilier : comptoir, tabouret, carrelage. Seul mon chaudron arborait un aspect qui s'approchait de la propreté, et c'est parce que je l'avais nettoyé la veille.

Je compris tout d'un coup que la Salle sur Demande m'avait rendu le laboratoire exactement dans l'état où je l'avais laissé la dernière fois. Apparemment, elle avait décidé de se venger de ma négligence.

Trop gentil.

Mes chaussures collèrent sur le plancher quand je m'approchai de la table de travail. Beurk.

Ma bonne humeur un peu refroidie, je me mis au travail. J'avais tout juste une heure devant moi.

oOoOo

Bloup, bloub, bloup.

Le bouillonnement des liquides sur le feu me rappela à l'ordre. Je déposai à terre le devoir de potion que j'étais en train de rédiger à toute vitesse sur mes genoux et je jetai un coup d'œil à mes créations. J'avais réussi à agrandir la table et j'y avais fait apparaître sept chaudrons supplémentaires pour concocter plusieurs essais en même temps. Toutes les mixtures avaient pris diverses teintes de bleu, du cobalt pur au turquoise sombre.

C'était l'heure de vérité. Et aussi l'heure d'aller à mon cours de potions, d'ailleurs.

Fébrile, je baissai la température d'un chaudron sur le point de déborder, puis je me dépêchai de prélever quelques gouttes de chacune des potions et de les déposer sur les objets qui me tombaient sous la main : plumes, pot d'encre, boulettes de papier… J'attendis en croisant les doigts, mais rien ne se passa. Tous les objets demeurèrent parfaitement visibles.

Merde. Raté.

Je ne pouvais pourtant pas être si loin de la solution ! Dépitée, je laissai tomber la louche sur la table.

Mauvaise idée.

Des éclaboussures de potion défectueuse tombèrent exactement là où il ne fallait pas : sur le devoir à peine terminé que je devais remettre à Rogue dans cinq minutes.

Oh, Merlin...

J'eus le réflexe stupide d'essuyer les gouttes du bout des doigts.

- Aïe !

Le contact du liquide avait provoqué une espèce de décharge électrique douloureuse sur ma peau. Étonnée, j'examinai le bout de mes doigts, où apparaissaient maintenant des taches bleu nuit.

Qu'est-ce que c'est que ça?

Je tentai d'essuyer les taches sur ma robe, mais la couleur ornait obstinément le bout de mes doigts, comme une teinture tenace.

Tant pis, je m'en occuperais plus tard. J'allais être en retard au cours de potions ! Je fis disparaître les mixtures ratées d'un coup de baguette, roulai mon devoir en vitesse et plantai mon sac sur mon épaule. Dans mon empressement, je glissai sur le plancher souillé et me retins in extremis au comptoir, juste avant de tomber à la renverse.

Ouf. Hermione, sors d'ici avant de te tuer.

Je quittai prudemment le laboratoire sens dessus-dessous, puis je courus jusqu'aux cachots.

oOoOo

- Ah, tu es là, Hermione, dit Ron lorsque je me glissai sur un siège à côté de lui. Où tu étais ? En train de sauver l'humanité ?

- Quelque chose comme ça, répondis-je, le souffle court.

- Je n'avais jamais vu quelqu'un terminer un examen aussi rapidement. Tu t'entraînes pour battre un record ?

- Il est battu. J'ai déjà reçu ma médaille.

J'étais entrée dans la classe de potions sept secondes avant que la porte ne se ferme. À présent, tout le monde était en train de sortir son devoir pour le remettre sur le bureau de Rogue. Je mis la main sur le mien et y jetai un coup d'œil, juste pour m'assurer qu'il était lisible malgré les quelques petites gouttes de potion. Horrifiée, je constatai que les éclaboussures avaient carrément transpercé le parchemin.

Merde !

Je levai mon devoir devant mes yeux. Il était troué comme un gruyère. Je pouvais voir Rogue au travers.

- Evanesco ! Reparo ! Reparo ! murmurai-je à toute vitesse, à travers le brouhaha des autres élèves.

Rien n'y fit.

Découragée, je me résolus à remettre un devoir percé à Rogue. Lorsque je me levai à mon tour, tout le monde était déjà retourné s'asseoir et mon professeur s'apprêtait à prendre la parole. Il referma la bouche lorsqu'il m'aperçut. Rougissante, je m'empressai d'aller déposer mon parchemin sur son bureau le plus discrètement possible, en évitant le regard glacial qu'il dardait sur moi.

Lorsque je me rassis enfin à ma place, sa voix soyeuse brisa le silence :

- Maintenant que notre illustre préfète en chef est prête, nous pouvons commencer le cours.

Gênée, je fixai mes mains pendant qu'il parlait. Mes mains qui portaient toujours ces taches de potion ratée. Bizarrement, je ressentais des picotements incessants au bout de mes doigts. J'essayai à nouveau de les essuyer, cette fois sur un morceau de parchemin. Rien à faire.

- Voici la potion que vous aurez à réaliser aujourd'hui, disait Rogue en faisant apparaître une liste d'ingrédients au tableau.

J'aurais pu préparer cette potion par cœur et les yeux bandés. Depuis que j'étais l'assistante de Rogue, je m'ennuyais ferme pendant les cours réguliers. Le programme de septième année ne présentait plus aucun défi pour moi. Je m'attelai à la tâche comme les autres, mais les taches me distrayaient, de plus en plus douloureuses, comme des brûlures qui s'attaquent à la peau sans jamais se refroidir.

Mais qu'est-ce que c'est que ça ?

À la fin du cours, je me résolus à aller consulter Mme Pomfresh.

- Je vous rejoins plus tard, dis-je à Harry et Ron, lorsque nous quittâmes la classe de Rogue. J'ai oublié un livre à la bibliothèque.

Mais pendant que mes amis allaient s'attabler dans la Grande Salle, je me rendis plutôt à l'infirmerie. Heureusement, Mme Pomfresh était seule lorsque je cognai à la porte de son bureau. Tous les élèves enrhumés qui l'accaparaient par ce temps automnal devaient être allés déjeuner.

- Je me suis blessée aux doigts, expliquai-je à Mme Pomfresh en lui montrant mes mains.

- Comment vous êtes-vous fait ça ?

- J'ai touché à des gouttes de potion ratée.

Elle me prit les mains et les bougea en tous les sens pour mieux les examiner.

- C'est une brûlure, dit-elle.

- Non, la potion avait tiédi quand je me suis éclaboussée.

- C'est une brûlure quand même, persista-t-elle. Le liquide a produit le même effet que s'il avait été bouillant. Sans doute une substance très corrosive.

Elle me lança soudain un regard soupçonneux.

- Quand est-ce arrivé ? Dans un cours de potions ?

Oups. Je n'avais pas prévu cette question-là !

- Euh, non, pendant une séance de travail au laboratoire avec le professeur Rogue, mentis-je. Hier.

Mme Pomfresh fronça les sourcils, de plus en plus sceptique.

- Et pourquoi le professeur Rogue vous a-t-il laissée partir avec ça ? Il est beaucoup mieux équipé que moi pour gérer ce genre de blessures, d'autant plus qu'elles se produisent seulement dans sa classe.

- Eh bien… Je… J'étais en retard pour mon prochain cours. Je lui ai dit que j'irais vous voir immédiatement après.

- Drôle d'idée. Ça ne lui ressemble pas d'être aussi négligent.

Le cœur battant, je m'efforçai de soutenir son regard.

- Bon. Un baume cicatrisant devrait faire l'affaire, marmonna Mme Pomfresh.

Elle m'enduisit les doigts d'onguent violet, le même que Rogue avait appliqué sur ma coupure quelques jours auparavant, puis elle me congédia sans plus de cérémonie :

- Voilà. Soyez prudente, à l'avenir.

Je sortis de l'infirmerie, peu rassurée. Mme Pomfresh allait-elle reprocher à Rogue de ne pas avoir soigné ma blessure ? Ce serait bien le comble ! Mon professeur n'était pas idiot. S'il apprenait que j'avais raconté des mensonges à l'infirmière à son sujet, je passerais un mauvais quart d'heure. Mais dans quel pétrin m'étais-je fourrée ?

oOoOo

Il se passa quelques jours avant que je trouve le courage de retourner à la Salle sur Demande pour poursuivre la potion d'invisibilité que j'avais presque réussie avant de me blesser. Je ne pouvais pas m'arrêter si près du but ! Cette fois, je serais plus prudente et je ferais mes expérimentations à un moment où je ne serais pas pressée.

Un soir, je me couchai en même temps que Parvati et Lavande, mais dès que je les entendis ronfler doucement, je me relevai sans bruit, enfilai une cape épaisse par-dessus mon pyjama et quittai la tour des Gryffonfors. Mon souffle se condensait dans l'air lorsque je me rendis à la Salle sur Demande. Si baisser la température des corridors était une stratégie pour dissuader les élèves de violer le couvre-feu, elle était sûrement très efficace.

Lorsque je m'engouffrai dans mon laboratoire clandestin, je me mis aussitôt au travail, plus déterminée que jamais. Plusieurs heures passèrent. Je ratai les trois premières potions, mais je ne baissai pas les bras, ignorant mes paupières de plus en plus tiraillées par la fatigue. Au bout de deux autres essais infructueux, le miracle tant attendu se produisit enfin : je laissai tomber quelques gouttes d'une potion bleu ciel sur une boulette de parchemin et elle disparut aussitôt.

Ça fonctionne !

Fébrile, je posai la main à l'endroit où se trouvait la boulette invisible et je sentis les pliures du papier sous mes doigts.

ÇA FONCTIONNE !

Des larmes de soulagement me montèrent aux yeux. J'avais réussi. Grâce à ma potion, je pourrais sortir de Poudlard sans craindre de me faire traquer par un mangemort fou. Finalement, mon avenir immédiat ne s'annonçait pas si sombre et périlleux que je l'avais craint. J'eus envie de crier de joie, mais je me retins, au cas où les murs n'auraient pas été insonorisés. J'esquissai plutôt une petite danse de la victoire.

C'est alors que la catastrophe survint.

En tournoyant sur moi-même, euphorique, j'accrochai par mégarde une louche qui reposait dans un chaudron de potion ratée. Une grosse éclaboussure m'aspergea le poignet droit.

- AOUCH !

Et tant pis pour l'insonorisation des murs.

- Aguamenti ! criai-je pour rincer la substance qui me brûlait la peau.

Mais le jet d'eau me fit gémir de douleur de plus belle.

J'approchai mon poignet de mes yeux pour l'examiner. Ce n'était pas qu'une petite brûlure comme celles que j'avais eues aux doigts, c'était une horreur. Une grande tache bleu foncé s'étalait de part et d'autre de mon bras, rendant tout mouvement extrêmement douloureux. Les trous dans mon devoir de potions me revinrent en mémoire. Je pâlis.

Oh, Merlin…

Qu'est-ce qui allait m'arriver ? Je ne pouvais pas retourner voir Mme Pomfresh. Elle avait été bien trop soupçonneuse la première fois. Je ne pourrais pas lui raconter encore des salades avec le même succès.

Je me résolus finalement à laisser la blessure à découvert et à aller me coucher. J'étais beaucoup trop épuisée pour réfléchir normalement. Je trouverais une solution demain. Juste avant de partir, j'eus la présence d'esprit de récupérer ma précieuse potion d'invisibilité, que je la versai tant bien que mal dans des fioles. Le chaudron en contenait suffisamment pour remplir sept fioles. Avec une telle quantité de potion d'invisibilité, je serais tranquille pour un bon bout de temps.

oOoOo

Je ne fermai pas l'œil de la nuit, la douleur m'empêchant de trouver le sommeil.

Le lendemain matin, j'examinai à nouveau mon poignet. La tache bleue s'était maintenant étendue sur tout mon avant-bras et donnait à ma peau un aspect cireux. Des gouttelettes de sang suintaient à la surface. Paniquée, je métamorphosai un foulard en bandelettes de gaze et je m'en servis pour me faire un bandage. Après avoir porté des robes à col roulé pour cacher les ecchymoses sur mon cou, voilà que je dus allonger ma manche pour qu'elle dissimule amplement mon poignet.

Toute la journée, une douleur vive et persistante me fit serrer les dents, me rendant même nauséeuse par moments. Désemparée, je pensai à commander un onguent cicatrisant par hibou postal, mais je ne savais pas du tout à quelle boutique effectuer mon achat. Je demanderais à Blaise dès que je le verrais. Il savait une foule de choses et ne posait jamais de questions indiscrètes.

Le soir venu, je me rendis avec inquiétude au laboratoire de Rogue. C'était la première fois que je le verrais depuis que Mme Pomfresh avait soigné mes brûlures aux doigts. Si elle avait parlé de cet incident à Rogue, j'étais cuite.

Pour ajouter à ma malchance, je recevrais toute l'attention de Rogue aujourd'hui, car Blaise ne participerait pas à la séance. En fait, il ne venait pas travailler au laboratoire aussi souvent que moi, car de nombreuses potions ne se réalisaient pas à trois personnes. Rogue exigeait plutôt sa participation quand nous préparions une grande quantité d'une même potion. Il ne nous avait jamais expliqué pourquoi il tolérait mieux la présence d'une insupportable Gryffondor que l'un de ses Serpentards, mais Blaise prétendait que c'était à cause de ma minutie et de ma patience (des qualités qui lui faisaient défaut). Il fallait aussi dire qu'il passait beaucoup de ses temps libres en retenue pour avoir accédé à la réserve interdite de la bibliothèque en pleine nuit, ou d'autres activités auxquelles seul un surdoué un brin délinquant pouvait se prêter.

Lorsque j'entrai dans le laboratoire, Rogue me tomba dessus bien plus rapidement que dans mes scénarios les plus catastrophiques.

- Miss Granger, venez ici.

Oh, Merlin….

Je m'approchai de son bureau en essayant de me composer une expression neutre.

- Il y a un problème, professeur ?

- Pouvez-vous m'expliquer ce que ça signifie ? répliqua-t-il, glacial.

Ça y est. Reste calme et plaide l'innocence.

- Je n'ai pas fait exprès, commençai-je, mais Rogue m'interrompit.

- Je me fiche que vous ayez fait exprès ou non. Vous n'aviez qu'à recommencer.

Hein ? Recommencer la potion ratée qui m'a éclaboussée ?

- Pardon ?, fis-je déboussolée. Qu'est-ce que je devais recommencer ?

- Votre devoir, bien sûr.

Je remarquai enfin le parchemin posé sur son bureau. C'était le devoir troué par des gouttes de potion que je lui avais remis au dernier cours.

- Oh ! Vous parlez de ça ! m'exclamai-je, immensément soulagée.

Il fronça les sourcils.

- Évidemment. Quoi d'autre ?

- Rien du tout. Je suis désolée, professeur, je n'avais pas eu le temps de le réécrire.

- Je ne corrige pas des devoirs abîmés et malpropres, Miss Granger. Je vous accorde jusqu'à demain matin pour me remettre une version lisible de ce torchon, sinon vous vous mériterez un zéro.

- Oui, professeur.

Ouf. Mme Pomfresh ne lui avait rien dit de mes brûlures. Je l'avais échappé belle.

Nous entreprîmes de préparer une potion de régénération sanguine. J'essayai de m'activer aussi efficacement que d'habitude, mais comme j'étais droitière, tous mes mouvements étaient entravés et ralentis par ma brûlure. Je n'avais pas retiré mon bandage depuis le matin, mais j'étais certaine que la blessure s'était envenimée. La douleur me rongeait littéralement le bras, continuelle et de plus en plus intense. J'avais l'impression d'avoir la chair à vif.

Plusieurs fois, je réprimai une grimace en coupant des ingrédients et en dévissant des pots, tout en portant une attention quasi-obsessionnelle à ma manche droite, pour m'assurer qu'elle recouvrait mon poignet en tout temps.

À quelques reprises, je croisai le regard de Rogue, si bien que je sentis la nervosité me gagner. Se doutait-il de quelque chose ? J'essayai de l'ignorer et d'agir le plus normalement possible. Au bout d'une heure, j'accueillis la fin de la séance avec un soulagement immense. Rogue s'occupa de remplir et d'étiqueter les fioles de potion pendant que je rangeais les bocaux d'ingrédients dans la réserve.

Au moment de sortir, je sursautai. Rogue s'était planté en travers de la porte. La réserve me sembla tout d'un coup grande comme un placard à balais, comme si mon professeur monopolisait tout l'espace disponible par sa simple présence. De tout près, il semblait encore plus intimidant, avec ses habits noirs et son maintien très droit, me surplombant facilement d'une tête. Devant lui, je me sentais comme un véritable nain de jardin.

- Pourrais-je voir votre main ? dit-il d'une voix trop soyeuse pour ne pas être annonciatrice d'une catastrophe.

J'eus soudain l'impression que l'oxygène s'était raréfié.

- Ma main ? Pourquoi ?

- Pourrais-je voir votre main ? répéta-t-il, sans réplique.

J'essayai d'afficher un air de parfaite innocence, malgré mon cœur qui pompait à une vitesse vertigineuse, et je lui tendis ma main gauche, celle qui n'était pas blessée. Mais il l'ignora. Ses yeux ne quittèrent même pas les miens.

- L'autre main, Miss Granger, dit-il d'un ton doucereux.

Il savait.

Merlin, sauve-moi la vie !

oOoOo