EDIT : Chapitre réécrit. Pas d'impact là où l'histoire est rendue.
Bonjour tout le monde !
Voici un petit cadeau pour les pauvres lecteurs déprimés qui sont de retour en classe ou au travail. ;) C'est aussi mon cas, puisqu'il m'a fallu pas mal de temps pour vous pondre ce chapitre. Mais ouf ! Quelle corvée de réviser tout ça avant de publier !
J'ai beaucoup hésité à couper ce chapitre, car il est monstrueusement long, mais je me suis ravisée. J'espère que la longueur ne vous dérangera pas. (L'une de vous m'a dit que non. J'espère que vous serez d'accord avec elle. ;)
Guest : Eh oui, McGonagall est un peu déconcertée par le comportement d'Hermione. Elles auront l'occasion d'en discuter dans ce chapitre. Je te laisse découvrir. ;) Merci pour ton commentaire et ton enthousiasme ! Je suis contente que tu aimes ! =)
Patouch la mouche : Oups, non, Severus n'a pas utilisé la légilimencie sur Hermione ! C'est vrai que la petite phrase à la fin, « ses yeux qui semblaient voir au plus profond de moi-même », pouvait être ambiguë. Je n'y avais même pas pensé. En fait, si Hermione décrit cette impression particulière, c'est plutôt parce qu'elle est de plus en plus déstabilisée par la façon particulière dont Severus la regarde. Merci pour ton commentaire ! =)
Lilou : Si Severus allait l'embrasser ? Je te laisse le découvrir par toi-même, car il repensera à la scène au cours de ce chapitre. ;)
Manon : Eh oui, j'ai bien peur que le jugement d'Hermione soit devenu quelque peu… bousillé ? ;) Quant à Severus, il commence lui aussi à voir son sang-froid mis à rude épreuve. ;) La bonne nouvelle, c'est que le temps des secrets achève. =) Merci pour ton commentaire ! J'espère que la suite te plaira !
Bergere : Considère que je te dois les apparitions de McGonagall dans ce chapitre. C'est après avoir découvert ta passion pour ce personnage sur ton profil que j'ai eu l'idée des scènes qui suivent. ;)
Elsar : Est-ce que 11 000 mots constituent aussi une longueur supportable ? Depuis que tu m'as dit que même le chapitre précédent passait trop vite, on dirait que je n'essaie même plus de me limiter. =)
Merci aussi à Jude-Sama, Cocochon, blupou, Thomas Hiddleston, Serelia, Phaidora, gl1h2 et miss-svetlana-black !
Bonne lecture !
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12. Promenade nocturne
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Ernie MacMillan prit le relais au poste de préfet-en-chef et Neville Londubat fut nommé nouveau préfet de Gryffondor à ma place. Quant à moi, il fallut à peine une journée pour que j'hérite d'une toute nouvelle réputation : celle de l'élève modèle qui avait le plus mal tourné dans toute l'histoire de Poudlard.
On me bombarda de questions sur la perte de mon insigne, mais je me bornai à répondre que j'avais démissionné pour des raisons personnelles. Les Gryffondor au grand complet me boudèrent pendant des jours. Car je n'avais pas seulement perdu mon titre, j'avais aussi fait chuter le score de ma maison dans le négatif, grâce aux bons soins de Rogue et de McGonagall.
Ma directrice tint sa promesse de m'imposer un couvre-feu. Je fus assignée à ma salle commune tous les soirs, dès le dîner terminé. Avec le retard accumulé durant mon séjour à l'infirmerie et les heures de retenue, mon horaire devint vite un enfer.
Pour ajouter à ma morosité, j'étais en froid avec Harry et Ron. Je les évitais soigneusement depuis le soir où je leur avais crié des bêtises – ce souvenir me faisait rougir de honte – et ils n'avaient pas non plus essayé de me parler. Je me résolus à garder mes distances, le temps que leur rancœur soit moins vive.
Je réalisai avec une certaine tristesse que notre amitié n'avait plus l'éclat de nos premières années à Poudlard. Nous avions vieilli et nos caractères s'étaient affirmés, nous laissant de moins en moins de points communs. Harry et Ron consacraient le plus clair de leurs temps libres au Quidditch, alors que je ne faisais plus semblant de m'intéresser au sport pour leur faire plaisir. Eux non plus ne me posaient presque plus de questions sur les nombreuses heures où je disparaissais à la bibliothèque ou au laboratoire. La complicité qui nous unissait autrefois avait tranquillement fait place à une amitié de surface.
- Tu sautes encore le déjeuner ?
Je levai les yeux de mon manuel d'histoire. Blaise s'assit en face de moi et laissa choir sans cérémonie une pile de bandes dessinées sorcières sur la table. D'un regard circulaire, je m'assurai que personne n'était incommodé par le bruit. La bibliothèque était déserte. Même Mme Pince avait disparu je ne sais où.
- Pas le choix, répondis-je. Il faut que je finisse ça, j'ai un examen demain.
- Je suis sûr que tu connais déjà toute la matière par cœur.
- J'étais à l'infirmerie quand Binns l'a présentée.
- Et alors ? Tu t'es farci tout le programme de septième année pendant l'été.
Je roulai des yeux. Blaise était un élève brillant, mais ses méthodes laissaient à désirer. Il ne connaissait pas le mot « planification » et avait la mauvaise habitude de commencer ses périodes d'étude huit heures avant un examen – ce qui impliquait que ladite période d'étude débutait souvent durant la nuit. Malgré tout, il obtenait des notes aussi élevées que les miennes. Ça avait le don de m'agacer.
- Tu es venu ici juste pour m'emmerder ? lâchai-je.
- Non, pour te nourrir.
Il sortit de son sac un sandwich enveloppé dans une serviette de table et le posa sur mon manuel. Devant ce festin de fortune, mon estomac se réjouit bruyamment.
- Blaise, soupirai-je, qu'est-ce que je ferais sans toi ?
- Tu aurais faim, ça c'est sûr.
Je pris le sandwich et mordis dedans avec avidité. De la garniture au poulet. C'était la chose la plus délicieuse que j'avais mangée depuis longtemps.
- Tu prends tout ça beaucoup trop au sérieux, commenta Blaise. Ce n'est que des devoirs et des examens, après tout.
J'avalai une bouchée en vitesse pour répliquer.
- J'ai suffisamment de problèmes comme ça. Je ne veux pas que mes notes se mettent à dégringoler en plus.
Blaise garda le silence et je lui en fus reconnaissante. Il avait sûrement entendu les rumeurs à mon sujet, mais ne m'avait posé aucune question.
- J'espère que tu vas prendre un véritable repas ce soir avant d'aller au lab, dit-il en ouvrant une bande-dessinée.
J'avalai de travers et me mis à tousser. Le lab. J'avais une autorisation spéciale pour quitter ma salle commune les soirs où étaient prévues des séances avec Rogue. Mais depuis notre affreuse altercation, la perspective de retourner à cet endroit me donnait des sueurs froides.
Je vous déteste.
Je fermai brièvement les yeux, comme pour effacer ce souvenir de ma tête. Qu'est-ce qui m'avait pris de lui dire ça ?
Blaise, qui avait plongé le nez dans sa bande-dessinée, ne remarqua rien.
- J'essaierai de trouver le temps de passer à la Grande Salle, répondis-je. Je dois finir deux rouleaux de parchemin pour l'Arithmancie demain.
- Ça confirme ce que je disais, dit le Serpentard. Tu t'en fais trop. Veux-tu une solution à la Zabini ? Balance tous tes manuels dans le lac et va profiter un peu du soleil. Ou ce qui en reste. Ça commence à être glacial par ici.
Je n'eus pas le temps de me prononcer sur la suggestion.
- Hum hum, fit une voix très grave dont le propriétaire ne faisait aucun doute.
Je sursautai. Blaise leva les yeux sur un point invisible, quelque part au-dessus de moi, tandis que je rivais le mien sur mon sandwich et retenais mon souffle.
- Ai-je besoin de vous rappeler qu'une bibliothèque n'est pas un endroit pour manger ni discuter ? demanda Rogue dans mon dos.
- Non, professeur, répondit Blaise.
Il fit disparaître mon sandwich d'un coup de baguette et souleva mon manuel d'histoire en guise de barrière visuelle entre nous – comme si ça pouvait faire croire à Rogue que nous arrêterions de parler.
Mais le Maître des Potions avait sans doute mieux à faire, car je l'entendis s'éloigner. Au bout de quelques secondes, Blaise recoucha mon livre sur la table.
- Il est parti.
Je recommençai à respirer et levai la tête, pour surprendre les yeux gris du Serpentard posés sur moi. Je n'aimais pas ce regard.
- Qu'est-ce qui s'est passé entre Rogue et toi ?
Je soupirai.
- C'est si évident que ça ?
- Ça crève les yeux.
- Je… je ne sais pas comment t'expliquer ça.
- C'est à propos du déménagement de tes parents ?
La question me confirma que Blaise avait entendu parler de ce désastre.
- Oui.
- En quoi ça regarde Rogue ?
- Justement, ça ne le regarde pas, répliquai-je, acide.
- Le couvre-feu et les retenues, c'est à cause de lui ?
- Non, c'est McGonagall. Rogue, c'est les points.
Il y eut un silence inconfortable. Je ne savais pas quoi dire.
- Hermione, quoi qu'ait pu faire Rogue, tu ne devrais pas le prendre trop au sérieux. Tu le connais.
Dans le petit univers parfait de Blaise Zabini, rien n'était sérieux.
Je tentai de me justifier.
- C'est que… Je lui ai dit des choses que je n'aurais pas dû dire.
- Rogue ne fait que ça à longueur de journée, dire des choses inappropriées. J'ai beaucoup d'admiration pour lui, c'est un scientifique brillant, mais tout le monde sait qu'il possède des aptitudes pédagogiques ridiculement limitées.
Je remuai sur ma chaise, mal à l'aise d'entendre Blaise décrire son directeur de maison en des termes si lapidaires.
- Je redoute la séance de ce soir, avouai-je.
- Je n'y serai pas, au fait.
- Quoi ?!
- J'ai une retenue.
- Encore !
- Ouais. Divination. Trelawney a fini par remarquer que je ratais tous ses cours. Ne t'en fais pas pour le lab, Hermione. Je suis sûr que tout se passera comme d'habitude.
Pour toute réponse, je laissai tomber ma tête sur mon livre et me tirai les cheveux à pleines poignées.
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Ce soir-là, j'avais refait mon chignon avant de me rendre au laboratoire, mais j'eus encore envie d'y plonger les mains lorsque j'arrivai juste à temps pour voir Blaise subir les foudres de Rogue. Je compris, entre deux tirades du Maître des potions, que mon comparse avait attendu à la dernière minute pour informer son directeur de ses retenues.
Je restai plantée dans la porte grande ouverte, ma nervosité décuplée par les éclats de voix.
- Je me ferai un devoir de vous apprendre à tenir vos responsabilités si le bon sens vous fait encore défaut, tempêtait Rogue.
Il surplombait mon ami, les mains posées sur son bureau. Je ne l'avais jamais vu perdre son calme de la sorte avec Blaise. Ça promettait pour ce soir.
- Oui, professeur, répondit docilement le Serpentard.
Il n'avait pas l'air particulièrement impressionné. En temps normal, je lui aurais adressé un roulement d'yeux exaspéré, mais pas maintenant. Je lui en voulais d'avoir mis Rogue en colère. Comme si j'avais besoin d'une difficulté supplémentaire.
Rogue finit par donner congé à Blaise, qui quitta le laboratoire en me tapotant l'épaule pour m'encourager. Je lui adressai un minuscule sourire crispé.
Quand la porte se referma derrière moi, un silence assourdissant s'abattit sur le laboratoire. Mon professeur ne daigna pas m'adresser un regard. J'allai m'installer sans bruit à la table de travail, cueillis la liste d'instructions laissée là et me rendis dans la réserve sans plus attendre, osant à peine faire claquer mes talons sur le dallage de pierre.
Des bruits brusques de tiroirs qu'on ouvre et de livres qu'on déplace me parvinrent du laboratoire, signe que Rogue fulminait toujours. Je croisai les doigts pour qu'il trouve quelque chose d'urgent à faire ce soir – corriger des devoirs, parler à Dumbledore, n'importe quoi. Avec un peu de chance, je n'aurais pas besoin de l'affronter.
Partez partez partez partez, priai-je de toutes mes forces.
Mais à mon retour, la grande silhouette de Rogue dominait la table de travail. Il avait commencé à couper les feuilles de consoude à un rythme étourdissant. Je fixai son dos, en proie à l'envie de quitter le laboratoire en douce.
Je vous déteste.
Non.
Ce n'était pas ça que j'avais voulu dire. Je ne savais même pas pourquoi j'avais dit ces mots.
Résignée, j'allai me poster devant le chaudron. Rogue ne me regarda pas. Avec une efficacité effarante, il poussait déjà vers moi, de la lame de son couteau, une pile de feuilles finement ciselées. Le rythme de la séance s'annonçait soutenu. Je m'empressai de remplir le chaudron d'eau, de régler le feu à la bonne température, de peser les feuilles.
Bientôt, les martèlements de couteau et les glougloutements de liquide meublèrent le silence inconfortable.
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Ce fut un désastre.
Avec la fatigue et de la nervosité, je fus incapable d'accoter la vitesse de Rogue. Les piles d'ingrédients s'alignèrent en rang à côté du chaudron, en attente d'être pesées et ajoutées au mélange, et pendant ce temps je noircissais un bout de parchemin de calculs fébriles. Devant ma lenteur, Rogue prit le relais devant le chaudron. Il sélectionna une petite fiole graduée et attendit le résultat de mes équations pour la remplir d'huile de bardane.
Nous nous adressâmes la parole pour la première fois ce soir.
- Ça donne… 16 millilitres, dis-je.
Rogue ne bougea pas.
- En êtes-vous certaine ?
La question était purement rhétorique.
- Je… non. Je vais recommencer.
Je réalignai les chiffres et les symboles. Ma plume se remit allègrement à gratter le parchemin. Au bout de longues secondes, je m'arrêtai. Les équations s'étaient mises à danser sous mes yeux fatigués. Je n'arrivais pas à trouver mon erreur, et l'attente immobile de Rogue ne faisait que me déconcentrer davantage.
Alors une grande main élégante se présenta devant moi, paume ouverte. Je la fixai, déstabilisée, puis y déposai ma plume. Rogue ratura mes calculs et corrigea les erreurs que je n'avais pas su voir. Je me sentis ridicule. C'était de l'Arithmancie de niveau de sixième année.
Mon professeur me rendit la plume sans un mot.
La Potion de la Honte fut finalement terminée. Pendant que Rogue l'embouteillait, je m'éclipsai dans la réserve pour y ranger notre matériel, les joues en feu. À mon retour, les fioles refroidissaient sur la table et le chaudron avait été rangé sur son étagère.
Mon professeur passa devant moi et j'ouvris la bouche, sans vraiment savoir ce que je voulais dire. Je le regrettai aussitôt quand les prunelles sombres capturèrent les miennes et ne les lâchèrent plus.
Je songeai que le contraste était fascinant entre ce noir d'encre et ce visage d'une pâleur translucide, puis que Rogue avait remarqué mon hésitation et attendait que je parle. J'aurais pu me contenter de marmonner une salutation et de quitter le laboratoire en courant, mais d'autres mots franchirent mes lèvres.
- Je n'aurais pas dû vous dire… ça. Je ne le pensais pas réellement.
Le visage de Rogue demeura de marbre pendant de trop longues secondes. Je compris que j'avais commis une erreur, que j'avais exposé une part vulnérable de moi-même et qu'il ne suffirait que d'une platitude, d'une méchanceté pour me faire perdre la face.
Pauvre petite Gryffondor fragile et sensible.
Mais le coup que j'attendais ne vint pas. Rogue brisa le contact visuel et s'éloigna. Même un sarcasme ne valait pas la peine d'être dit.
- Retournez à votre tour.
Il s'en fiche, de toi. Pourquoi tu lui as reparlé de ça ? Pourquoi pourquoi pourquoi.
Je tournai les talons et marchai droit vers la porte.
- Vous oubliez ceci, prévint la voix grave.
Je m'arrêtai la main sur la poignée. Je m'en foutais. Peu importe ce que je pouvais avoir oublié ici, je n'en voulais plus. Je ne voulais pas regarder Rogue en face. Je ne voulais pas qu'il voie que son indifférence me heurtait.
Bouge. Bouge !
Mais mes pieds semblaient s'être enfoncés dans le sol.
Les pas de Rogue s'approchèrent et je trouvai le courage de lui faire face. Il tenait le pull que j'avais abandonné sur un tabouret un peu plus tôt. Je tendis la main pour le prendre. Rogue ne le lâcha pas.
- Quand vos retenues prendront-elles fin ?
La question me surprit. Peut-être qu'il comptait lui aussi me flanquer des retenues, parce que j'étais la pire assistante de l'histoire sorcière, et qu'il voulait s'assurer de mes disponibilités. Je serrai la mâchoire.
- Dans trois semaines.
- Alors je ne veux pas vous revoir dans ce laboratoire avant trois semaines.
- Quoi ?
Rogue haussa un sourcil.
- Lequel des mots que je viens d'employer ne comprenez-vous pas ?
- Mais…
Je m'arrêtai, ne sachant quoi dire.
Rogue soupira.
- Miss Granger, vous êtes spectaculairement improductive. Vous reviendrez ici quand vous aurez retrouvé votre état normal. Maintenant, allez dormir.
Il me rendit mon pull, passa devant moi et m'ouvrit grand la porte.
Mes jambes me portèrent à l'extérieur. La porte se referma dans mon dos en un claquement feutré, me laissant seule dans le couloir obscur.
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Le lendemain matin, McGonagall corrigeait des devoirs en sirotant du thé, lorsqu'on cogna à son bureau. Elle eut à peine le temps d'ouvrir la bouche pour lancer un « entrez ! » un peu sec, quand Severus Rogue pénétra dans la pièce en coup de vent, l'air particulièrement sombre.
- Bonjour à vous aussi, Severus, dit-elle en reportant les yeux à sa pile de parchemins.
- Qu'est-ce que vous cherchez à faire, Minerva ? lança-t-il de but en blanc.
- Étayez votre question, je vous prie.
- Qu'est-ce que vous cherchez à faire avec Hermione Granger ?
- Et si vous m'exposiez clairement le motif de cette visite impromptue ?
Il tiqua.
- Vous êtes en train de conduire Hermione Granger à l'épuisement à nouveau. Elle avait déjà une drôle de tête à sa sortie de l'infirmerie, mais c'est devenu pire que tout depuis que vous l'ensevelissez sous les retenues.
Minerva posa sa plume et s'efforça de répondre d'un ton que Severus jugerait suprêmement agaçant :
- Miss Granger n'avait qu'à mesurer les conséquences de ses actes si elle ne voulait pas subir de représailles.
- Est-ce que la renvoyer à l'infirmerie fait partie des représailles ?
- Severus, vous avez vous-même retiré 140 points à Gryffondor à cause d'Hermione Granger. Et c'est à moi que vous reprochez de manquer de parcimonie ?
- Elle le méritait, elle m'a manqué de respect. Et contrairement à vos retenues sans fin, quelques points en moins ne peuvent épuiser personne.
Minerva haussa les sourcils.
- Depuis quand êtes-vous si magnanime, Severus ? Je ne vous ai jamais entendu défendre de la sorte un élève qui n'appartient pas à votre maison.
- Je ne suis pas magnanime, je suis débordé. Vous connaissez mon emploi du temps. Vous pouvez avoir idée des contretemps qu'a provoqué l'absence de mon assistante au laboratoire. Je ne peux pas me permettre de la perdre à nouveau.
- Les retenues de Miss Granger ne l'obligeront pas à manquer la moindre séance au laboratoire. Elles n'affecteront en rien votre emploi du temps.
- Elle est trop fatiguée pour travailler convenablement.
- C'est pourquoi vous soutenez qu'elle devrait échapper à toute mesure disciplinaire ?
- Absolument pas. Mais de grâce, ayez au moins le bon sens d'étaler ses heures de retenue sur une période de temps plus grande.
- Et vous, Severus, ayez donc le bon sens de lui remettre ses 140 points. Puis, si ça vous chante, retirez-les à nouveau… sur une période de temps plus grande.
Son collègue la gratifia d'un regard noir.
- Moi, remettre des points que j'ai enlevés ? Vous rêvez en couleurs.
- C'est donnant-donnant. Vous avez à cœur le bien-être de votre assistante et moi la réputation de Gryffondor. Nous pouvons sûrement arriver à une entente.
- Je ne me préoccupe pas le moins du monde du bien-être d'Hermione Granger.
- Bien sûr.
- Vous vous méprenez sur mes intentions. Ma préoccupation première est mon horaire, pas la santé d'une élève.
- Peu importe. L'important est que nous nous soyons mis d'accord.
- Ai-je laissé entendre que j'allais redonner le moindre point à qui que ce soit ? Je n'en ai pas l'intention.
- Alors je n'ai pas non plus l'intention d'annuler les retenues d'Hermione.
Severus l'affronta du regard, mais elle n'était pas femme à se laisser impressionner par un collègue revêche. Il finit par tourner les talons et quitter le bureau d'un pas pressé.
Minerva esquissa un petit sourire satisfait et reporta son attention aux devoirs de ses élèves en se disant que, parfois, les Gryffondor aussi pouvaient être manipulateurs.
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Ma directrice m'attendait debout près d'une fenêtre. Cette fois, il n'y avait personne d'autre dans son bureau. Les rayons du soleil matinal procuraient à la pièce une atmosphère plus paisible que la dernière fois où j'y avais mis les pieds.
- Miss Granger, assoyez-vous. Prendrez-vous une tasse de thé ?
- Merci, acceptai-je avec une certaine méfiance.
Lorsqu'elle m'avait convoquée ici, j'avais d'abord été inquiète, puis j'avais conclu qu'un entretien avec elle ne pourrait pas être plus pénible qu'un tête-à-tête avec le Maître des potions dans une classe sombre. McGonagall semblait d'humeur beaucoup plus posée qu'à notre dernière discussion, ce qui était déjà rassurant.
Je pris place dans un fauteuil et acceptai la tasse qu'elle me tendit en veillant à ne pas me brûler les doigts. Elle s'assit en face de moi.
- Miss Granger, j'ai réfléchi aux derniers événements et j'ai cru bon d'annuler les heures de retenue qu'il vous restait.
Je haussai les sourcils, prise au dépourvu. Qu'est-ce qui m'avait mérité une telle clémence ?
- J'ai été un peu dure avec vous, poursuivit-elle. Vous avez transgressé des règlements sans mauvaise intention.
Je pris la parole à mon tour.
- Je crois que je vous dois aussi des excuses, professeur. Je n'ai voulu en aucun cas vous manquer de respect.
- Considérez que c'est oublié, Miss Granger.
Le cœur plus léger, je portai la tasse à mes lèvres. Le thé noir exhalait des arômes de noix et de jasmin.
McGonagall m'imita, puis reprit :
- En ce qui concerne la fin de vos fonctions de préfète-en-chef, vous comprendrez que cette mesure allait de soi et que je ne pourrai pas revenir sur ma décision.
- Je sais. Je comprends.
Je posai la question qui me brûlait les lèvres.
- Professeur, puis-je vous demander pourquoi vous avez changé d'avis à propos de mes retenues ?
- Un de vos professeurs a plaidé en votre faveur et je me suis rangée à son point de vue.
- Qui donc ?
Ma curiosité était sans doute déplacée, mais je n'avais pas pu me retenir.
- Le professeur Rogue.
Je la contemplai sans réagir. Severus Rogue. Celui qui m'avait retiré 140 points en l'espace de quinze minutes. Celui qui m'avait qualifiée d'assistante spectaculairement improductive. Celui à qui j'avais dit : « Je vous déteste. »
- Ah bon, répondis-je, mal à l'aise.
J'espérai que le sujet serait clos.
McGonagall hésita.
- Je comprends que le déménagement de vos parents puisse être un sujet pénible pour vous, mais j'aimerais néanmoins tirer au clair quelques points restés obscurs.
Je me forçai à respirer par le nez. Je pouvais y arriver. Ce serait assurément moins pire qu'avec Rogue.
- Je saisis plutôt mal pourquoi vous avez agi sans parler à qui que ce soit de vos projets, dit-elle. Il aurait pourtant été beaucoup plus simple et sécuritaire de demander l'aide des membres de l'Ordre.
Je choisis ma réponse avec précaution.
- Sincèrement, professeur, où croyez-vous que la protection de mes parents se serait située dans la liste de priorités de l'Ordre, quand on sait que de nombreuses personnes reçoivent des menaces tangibles tous les jours ?
Il y eut un silence.
- Probablement assez bas dans cette liste, admit McGonagall.
- Voilà pourquoi j'ai préféré agir seule.
- Mais si vos parents n'ont jamais reçu de menace tangible, pourquoi avez-vous jugé indispensable de les protéger ?
Après Rogue, voilà que McGonagall doutait de mes véritables motivations. Décidément, Dumbledore n'engageait pas des imbéciles.
Je me penchai un peu en avant. Mon cœur tambourina contre ma cage thoracique alors que je répondais d'une voix étonnamment calme :
- C'est moi qui suis une menace tangible, professeur. Il n'est pas bon en notre époque d'être moldu et parent d'un sorcier. Je voulais que ma famille ne souffre pas de cette injustice.
McGonagall sembla accepter ma réponse.
- Vous savez, toute situation de guerre peut s'avérer angoissante, dit-elle avec une douceur que je ne lui avais jamais entendue. Mais même si vous êtes d'origine moldue, de nombreuses personnes se trouvent dans une position plus délicate que la vôtre. Vous n'êtes pas auror. Vous n'êtes pas employée du Ministère. Vous n'occupez pas un rôle influent dans l'issu de la guerre. Vraiment, je ne vois pas de raison particulière pour vous inquiéter pour votre sécurité ni celle de votre famille. Vous pouvez être plus tranquille que bien des gens.
Je baissai les yeux sur les parcelles de feuilles de thé qui reposaient au fond de ma tasse et fis un effort colossal pour repousser de mes pensées le visage masqué du mangemort.
Il prendra sa revanche.
- Vous avez sans doute raison, professeur. Je peux être plus tranquille que bien des gens.
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Le poing en suspens devant la lourde porte d'acajou, j'inspirai profondément, puis cognai et entrai sans attendre de réponse, comme j'avais l'habitude de le faire.
Le laboratoire était désert et silencieux. Encore une fois, Blaise brillerait par son absence ce soir. Sur les murs de pierre, les torches étaient éteintes, ne laissant que le foyer illuminer doucement la pièce. Je fis quelques pas, intriguée. Rogue ne travaillait jamais dans un éclairage aussi tamisé. Avait-il oublié que je venais ici le mercredi ? Ou peut-être ne savait-il pas que McGonagall avait annulé mes retenues ?
J'avais conclu que s'il avait demandé à ma directrice de faire preuve de clémence, c'était pour me voir de retour au plus vite. Le travail s'accumulait trop rapidement au laboratoire pour que Rogue puisse se passer longtemps de moi. Même si j'étais la pire assistante de l'histoire sorcière.
- Vous êtes en retard.
Je fis volte-face.
Rogue était entré aussi silencieusement que je l'avais fait moi-même. Et cette fois, il daignait me regarder et m'adresser la parole. Bon début. Le nœud dans mon ventre se détendit un peu.
- Je suis ici depuis cinq minutes, répondis-je.
Il ignora ma remarque, alla déposer un rouleau de parchemin sur son bureau, puis vint vers moi en jetant sa cape d'hiver sur ses épaules. Sa haute silhouette, éclairée par le foyer, projeta une ombre interminable derrière lui. Nous nous jaugeâmes, moi me demandant ce que j'aurais à faire, et lui attendant que je le questionne. Je soutins son regard et me tins coite. Il céda le premier.
- Nous ne ferons pas de potion ce soir. Nous allons dans la Forêt Interdite.
Mon cerveau mit quelques secondes à traiter cette phrase incongrue.
- Nous ?
- C'est ce que j'ai dit.
Il termina de nouer les attaches argentées de sa cape, puis attendit ma réaction.
- La Forêt Interdite ? répétai-je, incrédule.
- Il s'agit d'un espace boisé situé au nord du château.
- Je sais ce qu'est la Forêt Interdite.
- Professeur.
Oh, Merlin, il n'allait pas recommencer !
- Professeur, ajoutai-je du bout des lèvres. Mais… je ne comprends pas.
- Le programme de la soirée me paraît pourtant simple. Vous aurez même l'occasion de mettre vos précieux petits neurones au repos.
C'était une blague. Ça ne pouvait être que ça.
Pourtant, aucune ligne moqueuse n'étirait ses lèvres minces, aucun éclat de sarcasme ne brillait dans ses yeux noirs comme deux flaques d'encre.
- D'accord, ce n'est pas drôle, laissai-je tomber. Que devons-nous réellement faire ce soir ?
Rogue eut un reniflement moqueur.
- Vous êtes bien la première à croire que j'essaie d'être drôle. Vous pouvez miniaturiser votre sac, vous n'en aurez pas besoin.
Je restai plantée là les bras ballants. Avait-il le droit de m'obliger à le suivre ? J'étais supposée l'aider à faire des potions, pas à l'accompagner hors du château après le couvre-feu.
- Qu'avez-vous donc à faire dans la Forêt Interdite ? demandai-je d'une voix qui trahissait mon agitation. Il fait nuit.
- Il n'est que 20 heures, répondit-il avec une placidité agaçante.
- Il fait noir. La forêt sera sombre comme une grotte.
- Certaines missions dans cette forêt ne peuvent être remplies que dans la noirceur.
- Des missions ?
Le terme était loin d'être rassurant.
- Oui, répondit Rogue, laconique.
Je me mordillai la lèvre, ne sachant quoi faire. Le feu crépita doucement dans l'âtre, projetant une lueur mouvante sur le visage d'albâtre de Rogue. Dans ce halo mordoré, ses traits sculpturaux rappelaient ceux des œuvres de marbre que j'avais un jour observées dans un musée moldu.
- Très bien, me décidai-je tout à coup. Vous pouvez y aller. Je vais retourner à ma salle commune.
Je passai à côté de lui en serrant les poings pour les empêcher de trembler.
Rogue laissa échapper un autre reniflement amusé, à croire que toutes mes réparties étaient particulièrement amusantes. La voix soyeuse s'éleva dans mon dos.
- Votre présence est requise, Miss Granger. Essentielle, même.
- En quoi ma présence serait-elle essentielle ? lançai-je, sans me retourner.
- Vous verrez.
Oh, Merlin.
- Non, m'entendis-je répondre. Je n'irai pas dans la Forêt Interdite avec vous.
Avais-je vraiment prononcé ces mots ? C'était la première fois que je m'opposais de la sorte au Maître des potions. Et bizarrement, c'était plus facile que je ne l'aurais cru. Après tout, qu'est-ce que je pouvais subir de pire que des tonnes de retenues, 140 points en moins, un couvre-feu et une engueulade monstre dans une salle de classe obscure ?
Rogue me rejoignit d'un pas lent et me jaugea, les bras croisés.
- Je suis curieux de connaître la nature exacte de vos réticences.
Je baissai les yeux, mais regrettai aussitôt cet aveu de faiblesse. Rogue comprit de lui-même ce que je redoutais.
- Je ne le ferai pas, dit-il calmement.
Je m'adressai au dallage de pierre :
- Vous ne ferez pas quoi ?
- Ce que vous croyez que je pourrais faire. Vous abandonner sur le territoire des araignées géantes. Vous attacher à un arbre et vous poser à nouveau les questions auxquelles vous avez refusé de répondre. Ou n'importe quel autre scénario farfelu qui pourrait germer dans votre imagination trop fertile.
- Ce n'est pas drôle.
- Je n'essaie pas d'être drôle. Et sachez que tous vos petits scénarios sont facilement transposables dans ce laboratoire. J'aurais très bien pu vous abandonner dans la réserve ou vous attacher à un fauteuil pour je ne sais quel prétexte obscur, et je ne l'ai pas fait.
- C'est supposé me rassurer ?
- Oui.
Je levai les yeux pour rencontrer les siens. Une chose était claire : ce n'était plus le professeur qui se tenait devant moi et invoquait son autorité pour me forcer à me plier à quelque exercice académique. C'était un homme dont je ne savais pas grand-chose, et qui devait user d'arguments pour me convaincre de participer à une expédition louche.
- Pourquoi je ferais ça ? lançai-je.
Il y eut un silence épais, comme si Rogue choisissait sa réponse avec soin.
- Parce que c'est important.
Il y avait quelque chose de bizarre dans ces paroles, quelque chose comme de l'urgence. Un frisson courut le long de mon échine. Qu'est-ce que je devais faire ? C'était l'homme qui m'avait retiré 140 points. Qui m'avait fait subir un interrogatoire sans pitié dans une classe vide.
Je vous déteste.
Non, ce n'était pas vrai. Ce n'était pas ça. C'était seulement que je ne savais pas si je pouvais lui faire confiance.
- Est-ce que ce sera long ? m'entendis-je demander.
- Une heure, tout au plus. Vous reviendrez en un seul morceau. Je ne laisserai pas des araignées géantes ni aucune autre créature vous dévorer.
Je ne sus pas exactement ce qui me poussa à faire quelques pas vers lui, mais j'eus aussitôt l'intuition que j'avais mis le doigt dans un engrenage que je ne contrôlais pas.
Rogue décroisa les bras.
- Aurais-je réussi à piquer votre curiosité ?
Il prit mon silence pour de l'assentiment.
.
oOoOo
.
L'écho de nos pas rebondirent sur les hauts murs de pierre lorsque nous traversâmes le hall désert. Rogue dut prononcer un mot de passe compliqué pour déverrouiller les lourdes portes du château. Aussitôt, le vent mordant de novembre se faufila à travers mes vêtements. Je m'encerclai de mes bras et observai Rogue plonger dans la nuit. Il était sans doute déjà trop tard pour renoncer à cette présumée mission complètement délirante.
Pourquoi tu as accepté d'y aller ? Tout est trop étrange.
Rogue se tourna vers moi, ses mèches de jais voletant autour de son visage. Cette image était incongrue. C'était la première fois que je voyais l'austère Maître des potions dehors.
Il sortit sa baguette et l'agita d'un mouvement souple dans ma direction.
- Caldarum.
Pendant une seconde terrifiante, je craignis de recevoir un maléfice aussi farfelu que l'escapade qui m'attendait, mais ce fut une inoffensive sensation de chaleur qui m'enveloppa le corps.
Je me résolus à quitter la sécurité du château et rejoignis mon professeur au bas de la volée de marches, sans comprendre pourquoi j'avais laissé gagner ma curiosité sur le bon sens. Rogue ne se donna pas la peine de faire de la lumière. Il se mit en mouvement. Je lui emboîtai le pas.
C'était une nuit de nouvelle lune. La silhouette menaçante de la Forêt Interdite se profilait au loin, plus sombre que le ciel lui-même. Seul le crissement de nos chaussures sur l'herbe gelée troubla l'immobilité du dehors. Je me mis bientôt à trembler de froid, en dépit du charme de réchauffement de Rogue.
La voix grave s'éleva dans le silence. Je me surpris à penser qu'elle était comme la nuit, obscure et trop envoûtante pour que sa façade lisse ne cache aucun secret.
- Nous devons cueillir des plaintes argentées. Il s'agit d'une variété de fleur rare qui pousse dans des circonstances bien précises. Un plant met jusqu'à dix ans avant d'atteindre sa maturité.
Il n'en fallait pas plus pour titiller ma curiosité. Je trottinai pour rester à la hauteur de Rogue.
- Les plaintes argentées servent à la fabrication de quelle potion ? demandai-je en réprimant mes grelottements.
- Vous n'avez pas besoin de le savoir. Je préparerai la potion moi-même.
Ma curiosité se mua en agacement.
- Dans ce cas, en quoi ma présence peut bien être essentielle ?
- Seules des personnes de moins de vingt ans peuvent cueillir et manipuler les plaintes argentées.
- Vraiment ? Sinon, que se passerait-il ?
- Sinon les propriétés magiques de la fleur seraient altérées jusqu'à devenir nulles.
- Comment faites-vous pour cueillir les plaintes, habituellement ?
- Je n'ai jamais cueilli celles de la Forêt Interdite. Elles terminent tout juste leur croissance.
- Mais comment arriverez-vous à préparer la potion si vous ne pouvez pas toucher aux fleurs ?
- Je suis un sorcier, Miss Granger.
Non, vraiment ?
Je lui adressai un roulement d'yeux exaspéré qu'il ne put pas voir, mais n'eus pas le loisir d'argumenter davantage. Nous étions arrivés à l'orée du bois. Entre les arbres, la noirceur était opaque. Une mince nappe de brouillard rampait autour des troncs, seule touche de mouvement dans ce tableau obscur et figé.
Je jetai un regard par-dessus mon épaule. À une centaine de mètres de là, on apercevait la cabane de Hagrid, dont une fenêtre lumineuse transperçait la nuit. Malgré mon intérêt pour les plaintes argentées, je n'arrivais pas à voir d'un œil tranquille une escapade dans la Forêt Interdite en compagnie de Severus Rogue.
Je me tournai vers lui. Sa haute silhouette se découpait à peine de la noirceur de la forêt. Je fis quelques pas dans sa direction, sans le rejoindre réellement. Je distinguais mal l'expression de son visage, mais son attente immobile me laissait croire qu'il était conscient de mes réticences.
- Nous ne pouvions pas plutôt cueillir les plaintes argentées quand il faisait encore jour ? demandai-je.
- Impossible. Les plaintes se transforment en fougères anodines à la lumière du soleil, ce qui les rend très difficile à repérer. C'est justement cette faculté qui met en péril leur conservation : les sorciers et les animaux les piétinent quand elles sont sous forme de fougères.
- Et nous n'allumons pas nos baguettes ?
- Pourquoi, vous avez peur du noir ?
Je devinai plus que je ne vis son rictus ironique.
- Comment pourrons-nous repérer des fleurs dans cette noirceur ?
- Nous y arriverons très bien. Par ailleurs, les animaux sont attirés par la lumière. Je ne tiens pas à ce que nous rencontrions les créatures dangereuses qui peuplent ces bois. Avez-vous d'autres questions ?
- Non. Pour l'instant, précisai-je dans l'espoir d'être aussi agaçante qu'il l'était lui-même.
Reniflement ironique.
- Prévisible. Venez. Ne faites pas de bruit. Et ne vous éloignez pas de moi, à moins que vous ne vouliez tester vos habiletés de survie en compagnie de bestioles affamées.
Sans plus attendre, il s'engouffra entre les arbres d'un pas vif, sa cape et ses robes fendant le voile de brouillard. Mon cœur rata un battement lorsqu'il disparut dans la végétation dense. Je pénétrai dans la forêt à mon tour pour le rattraper, alors que mon instinct me hurlait de rester dans la sécurité du parc de Poudlard.
Pourquoi tu fais ça ?
Bon sang, tu es supposée être intelligente.
Mais la cadence de mon professeur ne me laissait pas le loisir de tergiverser. J'accélérai le pas et poussai les branches qui me bloquaient le chemin. Les feuilles mortes craquèrent sous mon poids. Je n'imaginais que trop bien les bêtes tapies dans la forêt, à l'affût de notre présence intruse.
Il prendra sa revanche.
Non non non, pas maintenant. Ce n'était pas le moment de penser à ça.
Je déroulai la colonne vertébrale et redressai fièrement la tête pour imiter la posture assurée de Rogue, même si les brindilles me giflèrent le visage de plus belle. Je n'allais pas me comporter comme une gamine apeurée.
Ma belle résolution ne tint pas longtemps.
Un bruissement retentit dans la masse sombre d'un buisson, quelque part à ma gauche. Je ne pris pas le temps de faire des hypothèses sur la nature de la bestiole qui s'y cachait. Je courus droit sur Rogue. Une main assez grande pour couvrir tout mon visage bâillonna mon cri de terreur.
- Je vous avais dit de ne pas faire de bruit ! chuchota le Maître des potions, furieux.
Je m'extirpai de sa poigne.
- Il y avait un animal juste à côté de moi ! répliquai-je. Je l'ai entendu !
- Eh bien, vous lui avez sans doute donné la frousse de sa vie.
- Je déteste cet endroit.
- Je ne vous demande pas de l'aimer. Mais je vous ai dit que vous retourneriez au château sans encombre.
- Vous marchez devant, je pourrais me faire bouffer une jambe et vous ne le sauriez même pas !
Nous nous affrontâmes du regard, autant qu'on pouvait qualifier d'affrontement le fait de se chercher des yeux dans une noirceur quasi complète.
C'est à ce moment que je remarquai ce que je faisais. Tenir Rogue par le coude. À deux mains. Fort. Je le lâchai comme si le contact m'avait brûlée et reculai d'un pas, incapable de comprendre quelle espèce de réflexe m'avait poussée à me ruer sur lui.
- Bruyante vous êtes, répliqua-t-il, je crois que je serais informé très rapidement de votre éventuel démembrement. Venez.
Je n'eus pas le temps de protester davantage. Nous nous enfonçâmes de plus en plus dans les entrailles de la forêt. Les troncs des arbres se rapprochèrent, les branchages s'accrochèrent de plus belle à mes vêtements, le tapis d'humus disparut complètement sous la brume. Je frissonnai. La température avait chuté de quelques degrés et un petit nuage blanc apparaissait dans l'air au rythme de ma respiration.
Nous poursuivîmes notre chemin sur une distance et un laps de temps impossibles à déterminer. Je n'avais plus la moindre idée de la direction où nous allions. Bizarrement, Rogue ne semblait pas partager ma confusion. Il fendait la forêt d'un pas agile, comme s'il ne passait pas son temps dans les cachots, son long nez penché au-dessus des chaudrons et des livres. Je l'avais toujours considéré comme un intellectuel pur et dur, mais en ce moment il était évident que ses habiletés dépassaient les portes de son laboratoire.
Évidemment, c'est un espion.
Cette notion était toujours restée relativement abstraite pour moi. Tout ce que je connaissais de la double-vie de Rogue, c'étaient ses départs répétés de Poudlard et les heures que je passais seule au laboratoire pour le remplacer.
Mais dans ces bois, Severus Rogue n'était plus le professeur ni le Maître des potions. Il était l'homme qui réussissait à duper Voldemort et à mener des missions périlleuses sans y laisser sa peau, tout ça avec une assurance imperturbable. Il n'avait probablement peur de rien du tout, surtout pas d'une forêt à la tombée de la nuit, alors que le moindre craquement me faisait sursauter.
Un sentiment indéfinissable me noua le creux du ventre.
Il prendra sa revanche.
Non.
Il prendra sa revanche.
Non. Ce n'était pas vrai. Je me débrouillais très bien et je n'avais besoin de l'aide de personne, surtout pas de quelqu'un-qui-n'avait-peur-de-rien.
- Nous sommes arrivés, chuchota Rogue.
Même sans ses notes graves, sa voix gardait une élocution précise et élégante.
Je poussai la ramure généreuse d'un sapin pour sortir de son sillage et me tenir à côté de lui. Notre trajectoire s'était arrêtée devant un haut dénivelé irrégulier. Je plissai les yeux et distinguai un amas de rochers à moitié enterrés sous la mousse. Une lueur diffuse et bleuâtre émanait du sommet du promontoire, comme lors d'une nuit de pleine lune. Pourtant le ciel était noir comme le fond d'un puits.
- Je ne vois aucune fleur, dis-je à mi-voix.
- Elles sont là-haut. Passez devant.
Je jaugeai les rochers, puis coulai un regard incertain à Rogue, dont le visage était plongé dans l'ombre.
- Il faut vraiment grimper ça ?
- Manifestement.
- Pourquoi vous n'y allez pas le premier ?
- Pour que vous vous rompiez le cou pendant que j'ai le dos tourné et que votre directrice me découpe en morceaux ? Non merci.
Devant une réponse aussi catégorique, je m'approchai, résignée, du monticule de pierres. Elles étaient hautes, mais larges et disposées naturellement en étages, de sorte que les escalader ne serait pas si ardu.
- Faites attention à ne pas glisser, prévint Rogue dans mon dos.
Je pris appui sur la mousse froide et entrepris une montée prudente. Ce fut seulement tout en haut, alors que je ne me méfiais plus, que la gravité dit son dernier mot. Ma chaussure dérapa sur un caillou et je perdis l'équilibre. Le vide me happa, le temps se dilata. Pendant un moment horrible, je voulus crier mais n'y parvins pas, je m'imaginai paraplégique, je pensai à mes parents planqués en Suisse.
La chute prit fin plus vite que prévu. Deux grandes mains se plaquèrent sur mes hanches et me repoussèrent vers l'avant avec une efficacité militaire. La manœuvre dura une seconde, tout au plus, et voilà que j'étais à quatre pattes, tremblante, sur un lit de feuilles mortes et de terre glaciale.
- Vous devriez sortir le nez de vos livres plus souvent, lâcha Rogue en me dépassant avec toute l'aisance que lui permettaient ses longues jambes. Vous êtes d'une maladresse.
J'étais tellement saisie que je ne songeai même pas à répliquer. Devant ma tétanie, Rogue m'empoigna les bras et me hissa sur mes deux pieds comme si j'étais une poupée de chiffon. Je le laissai me tirer loin de la paroi rocheuse, sans voix.
- Par ici.
Il prit les devants et écarta un branchage touffu pour libérer le passage. La lueur bleuâtre qu'on apercevait au bas du monticule de pierre jaillit d'entre les feuillages.
Je m'approchai de Rogue d'un pas encore chancelant.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Les plaintes argentées. Allez-y, vous comprendrez.
Il tenait toujours la branche, attendant que je passe. Mon regard se posa un instant sur cette main à la paume ample et aux longues phalanges, dont je sentais encore l'étau sur mes bras. Puis je me faufilai sous le bras tendu et me retrouvai dans une grande clairière. La lumière y était si vive que j'eus le réflexe de cligner des paupières, avant de réaliser qu'elle n'éblouissait pas l'œil.
Les plaintes argentées étaient là. Elles envahissaient le sol de la clairière comme un tapis épais et pointaient vers le ciel leurs grands pétales d'un gris perle scintillant. Il faisait clair comme en plein jour, mais c'était une étrange luminosité fantomatique qui éclairait les alentours. Au-dessus de moi, les arbres formaient un dôme tellement opaque que je me demandais si la pluie aurait pu traverser les branchages.
Le tableau était saisissant. Quand Rogue disait que les plaintes argentées apparaissaient la nuit, je n'aurais jamais soupçonné qu'il parlait d'un phénomène aussi fascinant.
Rogue.
Me rappelant sa présence à mes côtés, je me composai un air sérieux et me tournai vers lui. Ce n'était pas les fleurs qu'il regardait, c'était moi. À la lueur des plaintes argentées, ses prunelles luisaient comme des onyx.
Je baissai les yeux. Une multitude de brindilles et de feuilles mortes s'étaient agrippés à mes vêtements, alors que ceux de Rogue étaient impeccables, comme s'il avait atterri ici par la voie des airs plutôt que par un boisé dense et sauvage.
- Allez-y, dit-il. Nous avons besoin de trois fleurs. Sectionnez les tiges près de la racine et veillez à ne pas perdre les pétales.
Je m'approchai des plaintes argentées avec précaution, de peur d'en écraser une par mégarde, et m'agenouillai, l'humus glacé craquant sous mon poids. Les grandes fleurs bougeaient doucement, comme bercées par le rythme d'une respiration invisible. Je pris l'une d'elles et rompis délicatement la tige au niveau du sol. Aussitôt, un léger soupir se fit entendre. On aurait dit que la fleur exhalait son dernier souffle, après dix ans d'une croissance périlleuse. Les plaintes argentées portaient bien leur nom.
Je cueillis deux autres fleurs de la même façon, puis rejoignis Rogue avec ma récolte. Il allongea le bras sans rien dire, m'invitant à le suivre. Je lui emboîtai le pas. Nous contournâmes la clairière et quittâmes la lumière du massif de plaintes argentées pour nous enfoncer à nouveau dans la forêt. Rogue accorda sa cadence à la mienne, m'épargnant d'avoir à galoper derrière lui avec les précieuses fleurs dans les bras.
Au bout de quelques instants, nous parvînmes près d'une cabane de bois pas plus grande qu'une cabine téléphonique moldue.
- Qu'est-ce que c'est ? demandai-je encore.
- Un fort lunaire.
Je sourcillai. Dans mon imagination, les forts qui avaient peuplé les contes de fée de mon enfance avaient beaucoup plus d'envergure que cette petite cabane. Il n'y avait ni fenêtre, ni toiture apparente. Le haut de la construction disparaissait entre les feuillages.
Je n'eus pas le loisir de poursuivre plus loin mes investigations. Rogue passa une remarque tellement saugrenue que je me demandai si ces paroles étaient vraiment sorties de sa bouche.
- Les morts ne sont jamais si loin qu'on croit.
Je lui lançai un regard éberlué.
- Vous savez sûrement ce qu'est un mot de passe, Miss Granger.
La lueur de mes plaintes argentées illumina son rictus. Je le fixai sans comprendre. Pourquoi avait-il prononcé un mot de passe si distinctement devant moi ? Et qu'est-ce que c'était que ce charabia, pour commencer ?
Les morts ne sont jamais si loin qu'on croit.
Jamais si loin.
Un souvenir incongru jaillit dans ma tête, celui de mes parents qui me disaient au revoir à la gare de Kingscroft pour ma dernière rentrée à Poudlard. Ils étaient si fiers de moi et de la magie qui circulait en moi. C'était avec cette magie que je les avais fait disparaître.
Je dus serrer les dents, cligner des paupières, m'éclaircir la gorge.
- Eh bien… Que faisons-nous avec ce… fort lunaire ?
Rogue me jaugea. Ses yeux étaient dissimulés dans une zone d'ombre, mais quelque chose dans son immobilité, dans le tracé neutre de ses lèvres, me donnait le sentiment qu'il avait perçu mon trouble.
Je regardai le fort.
- Nous y entrons, dit Rogue. Allez-y.
Je haussai les sourcils. Il était impossible que Rogue et moi puissions tenir tous les deux dans un espace aussi réduit, à moins d'être serrés l'un contre l'autre.
Je chassai l'image déstabilisante qui avait apparu dans ma tête et entrai dans la cabane. L'intérieur ressemblait beaucoup plus à l'idée qu'on pouvait se faire d'un fort lunaire. C'était grand et circulaire, tout en pierre. J'avançai vers le centre, mes pas se répercutant en écho. Il ne semblait pas y avoir de toit. Le plafond, s'il y en avait un, ressemblait à celui de la Grande Salle : il donnait vue sur une voûte d'étoiles tellement réaliste qu'elle pouvait très bien être réelle. Au milieu du fort, le sol descendait en un bassin circulaire et peu profond. Il y reposait une fine couche de liquide limpide.
- Mettez les plaintes argentées dans le bassin, dit Rogue, qui m'avait rejointe.
Je me penchai et déposai les fleurs une par une au fond du bassin. Aussitôt, le liquide prit la même teinte argentée que les fleurs et devint lisse comme un miroir. Les plaintes se mirent à flotter doucement à la surface, comme des nénufars sur l'eau, propageant toujours leur douce lueur.
- Quel est le but de tout ça ? demandai-je à Rogue.
La lueur des plaintes découpait sa mâchoire et son nez aquilin.
- Les plaintes doivent reposer dans ce bassin jusqu'au premier quartier de lune avant de pouvoir être utilisées dans une potion.
Je contemplai les fleurs scintillantes baigner dans le liquide, jusqu'à ce que Rogue s'éloigne de moi. Il était temps de retourner à Poudlard. Un sentiment que je n'attendais pas me gagna. De la déception.
Je sortis du fort à mon tour, sans trop savoir ce que je regretterais dans ces bois obscurs et inquiétants. Peut-être la beauté délicate des plaintes argentées. Ou la solidité de quelqu'un-qui-n'avait-peur-de-rien.
Pauvre petite Gryffondor fragile et sensible.
Je me giflai mentalement et rejoignis qui Rogue patientait à quelques pas de là. Sa haute silhouette se découpait à peine de la végétation obscure.
C'est maintenant ou jamais, souffla ma petite voix intérieure.
Mon cœur se serra. Maintenant ou jamais que quoi ?
Il sembla que Rogue savait la réponse, lui.
- Tous les secrets finissent par se savoir, Miss Granger, dit-il sans préambule.
Pendant deux secondes affreuses, je crus qu'il allait poursuivre l'interrogatoire commencé dans la salle de classe vide.
- Pourquoi me dites-vous ça ?
- Simple remarque.
- Vous avez dit que vous ne me poseriez pas de questions, protestai-je, tendue à bloc.
- Je ne vous ai posé aucune question.
Son ton était calme. Je ne sus plus quoi dire.
Il initia le retour, mais s'arrêta en constatant que j'étais restée plantée là. Je dus user de courage pour décider que non, il n'allait pas m'interroger encore ni m'abandonner sur le territoire ici. Il avait dit que je reviendrais au château en un morceau.
Je me mis en branle.
C'est maintenant ou jamais, chantonna la petite voix insupportable dans ma tête.
Non. Ce n'était pas maintenant ou jamais. Je n'avais pas besoin d'un espion qui n'avait peur de rien. Je n'avais besoin de personne.
Je me tassai contre un arbuste pour dépasser Rogue et pris les devants d'un pas décidé.
- Vous allez dans la mauvaise direction, dit la voix grave.
Oh, Merlin.
Je ravalai ma fierté et suivis Rogue qui bifurquait entre les arbres. Nous retraversâmes les fourrages récalcitrants à l'aveuglette et arrivâmes bientôt à la chute de rochers. Cette fois, ce fut Rogue qui passa devant. Il dévala le promontoire avec autant d'aisance qu'il l'aurait fait dans l'escalier menant aux cachots.
Je pris plutôt le parti de descendre les rochers sur les fesses, les joues rouges, alors que Rogue m'attendait en silence tout en bas. Je n'imaginais que trop bien son rictus moqueur devant mon excès de prudence.
- Ne me regardez pas comme ça, lançai-je, vexée.
- Comment dois-je vous regarder ?
- D'une autre façon que celle-là.
- Professeur.
- Oh, s'il-vous-plaît.
- Posez le pied plus à gauche. La roche est plus plate à cet endroit.
- Je ne vois rien d'ici.
- Alors croyez-moi sur parole.
Je posai le bout de ma chaussure plus à gauche, mais me figeai lorsqu'une épaisse couche de mousse se détacha de la roche.
- Vous n'êtes qu'à un mètre du sol, Miss Granger.
- C'est facile à dire pour vous. Vous êtes beaucoup plus grand que moi.
- Je croyais vous avoir prouvé que je ne vous laisserais pas finir paraplégique si facilement.
- Bien sûr, raillai-je, sans trop savoir pourquoi sa remarque m'irritait.
Je ne voulais pas avoir besoin de lui.
Je parvins au pied du promontoire, me remis debout et frottai mes mains ensemble pour enlever les miettes de terre humide qui y avaient adhéré.
- Pouvons-nous continuer, maintenant ? lançai-je. J'ai froid.
- Il fallait le dire avant.
Il claqua des doigts et le voile de chaleur qui m'enveloppait le corps se raviva. J'avais du mal à l'avouer, mais la sensation était terriblement confortable.
La fin du trajet parut beaucoup moins longue que le début. Bientôt, la végétation se fit moins dense et nous émergeâmes de la forêt. La silhouette massive de Poudlard se découpa dans la noirceur, ses hautes tours hérissées vers le ciel.
- Vous ne m'avez pas encore dit à quelle potion serviront les plaintes argentées, dis-je à Rogue lorsque nous regagnâmes le hall de l'école.
Je ne sus pas ce qui me poussait à le questionner. Je voulais qu'il parle encore. Je voulais que le temps s'arrête. C'était inexplicable.
- Je n'avais pas l'intention de vous le dire, répondit-il platement.
- Alors comment ferez-vous pour réaliser la potion ? Lorsque la lune atteindra son premier quart, j'imagine que vous pourrez récupérer les fleurs et les manipuler vous-même ?
- Exact. Cent quarante points pour Gryffondor.
- Ce n'est pas drôle, répliquai-je, piquée au vif.
Il ne put pas répondre. Un grondement retentit dans les sabliers des quatre maisons, à l'extrémité du hall. Je fis volte-face. Ce n'étaient pas quelques pierres qui tombaient dans le sablier des Gryffondor, c'était une avalanche.
Médusée, je regardai Rogue.
- Cessez de prétendre que je fais le drôle, vous m'insultez, répliqua-t-il à son tour. Maintenant, filez au lit.
- Mais…
Je n'eus pas le temps de formuler une phrase complète.
Il disparut dans l'escalier qui s'enfonçaient aux cachots.
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oOoOoOo
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La salle commune était déserte à mon retour.
J'allais monter au dortoir, mais un gros livre abandonné sur un fauteuil retint mon attention. Je m'approchai et lus le titre : Grande encyclopédie des plantes et herbes magiques. C'était le livre que Neville Londubat relisait continuellement dans ses temps libres.
Mue par une idée soudaine, je repérai le glossaire, glissai lentement mon doigt le long de la page et m'arrêtai à la ligne où apparaissaient les mots qui hantaient mes pensées.
Plainte argentée.
Je feuilletai l'encyclopédie jusqu'à la bonne page, puis lus le paragraphe consacré à la mystérieuse fleur.
« La plainte argentée est une fleur lumineuse qui met dix ans à atteindre sa maturité. Le jour, elle apparaît sous forme d'une herbe sauvage et prend son apparence normale la nuit. Elle doit être cueillie lors de la nouvelle lune, puis reposer dans un fort lunaire jusqu'au premier quartier de la lune. Les pétales ne doivent pas être abîmés lors de la cueillette. »
Je fronçai les sourcils. Aucune indication sur l'âge du cueilleur. Rogue m'aurait-il donc menti ? Pourquoi ?
Je poursuivis ma lecture.
« À ce jour, la seule utilité connue de la plainte argentée est de servir à la fabrication du philtre Remue-mort, qui a le pouvoir de redonner temporairement vie à un cadavre. »
Je contemplai la page sans comprendre. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Rogue voulait fabriquer un philtre Remue-mort ? Pour quoi faire ? Y avait-il un lien avec le mot de passe bizarre ?
Les morts ne sont jamais si loin qu'on croit.
Jamais.
En proie à un pressentiment désagréable, je refermai l'encyclopédie d'un coup sec et montai à mon dortoir.
Quand je me glissai enfin dans le refuge de mon lit, je remarquai que le sortilège de Rogue m'enveloppait encore de sa chaleur confortable. J'étirai le bras pour prendre ma baguette sur ma table de chevet, hésitai, puis me retranchai sous mes couvertures douillettes.
Je pouvais bien dormir avec ce sort si j'en avais envie. Rogue ne le saurait pas.
Je soupirai et me roulai en boule. Les souvenirs de cette longue journée s'évanouirent un à un. Au moment où je coulais sous la surface de la conscience, une dernière pensée cohérente fusa dans mon esprit. La solidité des mains de Rogue sur mes hanches.
.
oOoOo
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Severus referma la porte de ses appartements dans un bruit mat. Il contempla son laboratoire immaculé, comme pour savourer le silence et l'immobilité le plus longtemps possible. Il avait une grosse pile de rouleaux de parchemin à corriger et les fioles de potion de tous les sixième année de l'école à évaluer. Mais ça attendrait à demain.
Il retira sa cape, alla l'abandonner sur un fauteuil et s'arrêta devant les dernières braises qui rougeoyaient dans la cheminée.
C'était mission accomplie.
Il savait que ce serait difficile de convaincre son assistante de l'accompagner hors du château la nuit tombée. Elle avait plusieurs bonnes raisons de se méfier de lui, et pourtant elle avait accepté de le suivre dans la Forêt Interdite. Mais après tout, c'était Hermione Granger. Curieuse, volontaire, déterminée. Il n'avait eu qu'à lui faire miroiter quelque intrigue fumeuse pour qu'elle morde à l'hameçon. Ces Gryffondor étaient tellement faciles à manipuler.
Il aurait dû être satisfait. Mais cette petite réussite ne faisait que le rapprocher de l'inéluctable.
Severus promena un regard sombre sur le laboratoire. Son laboratoire, qu'il avait habité et organisé pour le rendre efficace, confortable, propice au travail intense, à la recherche acharnée. Bientôt, il perdrait tout ça. Bientôt, il quitterait Poudlard pour ne jamais y revenir.
Comment en était-il arrivé à regretter cette maudite école ? Il avait fini par s'y sentir à peu près chez lui, à condition de se tenir loin des adolescents boutonneux qui alignaient les bêtises une après l'autre. Mais il devrait partir. Tout ça à cause d'Albus Dumbledore, ce vieux fou à l'imagination dangereusement fertile. Comble de malchance, c'était à Severus que revenait la tâche colossale d'orchestrer ses idées extravagantes pour qu'elles deviennent réalisables (et idéalement un peu moins périlleuses).
Severus soupira, soudain accablé par le poids du fardeau qui l'attendait. Il suffirait d'un seul geste, et pouf !, tout un pan de sa vie partirait en fumée. La tranquillité relative de Poudlard, la confiance et l'estime du corps professoral, de ses collègues Maîtres des potions, des membres de l'Ordre. Tout serait à recommencer.
Tout ?
Peut-être pas.
C'était justement pourquoi il avait montré le fort lunaire à Hermione Granger. Pour semer un doute derrière lui après sa disparition, un tout petit doute qui pourrait peut-être changer le cours de l'avenir.
Severus se détourna de la cheminée et parcourut le couloir qui s'enfonçait dans ses appartements. Il fit de la lumière dans la salle de bain, mais poursuivit son chemin jusqu'à la chambre. L'idée d'une douche brûlante était très tentante, surtout après cette escapade dans la forêt glaciale, mais il lui restait une dernière chose à faire.
Sur la commode, un grand bocal de verre contenait une substance argentée et mouvante. Severus s'en approcha mais ne regarda pas à l'intérieur. Il savait ce qu'il y verrait : une Hermione Granger au bord des larmes, dans une salle de classe vide et sombre. Et aussi une Hermione Granger qui s'excusait auprès de lui avec une maladresse désarmante.
Severus avait peut-être… légèrement dépassé les bornes. Voire complètement dérapé. Le petit interrogatoire qu'il avait servi à son assistante était digne de ceux qui se jouaient tous les jours dans les salles d'enquête du Bureau des aurors.
Il avait poussé Hermione Granger à bout – pas étonnant qu'elle lui ait lancé qu'elle le détestait. Il avait même posé la main sur elle. Depuis quand se permettait-il une telle familiarité avec un élève ? Une élève ?
Peut-être depuis qu'Hermione Granger endurait sa compagnie dans son laboratoire quasiment chaque soir. C'était une raison acceptable pour se permettre un semblant de familiarité avec elle, non ? Seulement… peut-être pas à ce point.
Il avait appris une chose : il ne pouvait pas harceler Hermione Granger dans une classe obscure sinon elle se mettrait à pleurer. Il ne pouvait pas non plus l'effrayer sinon elle deviendrait ridiculement incompétente au laboratoire.
Oh, il n'était pas le genre à faire des concessions avec des élèves – ni avec qui que ce soit, d'ailleurs – mais Hermione Granger était un cas à part. Il ne devait pas se la mettre à dos, pas maintenant. Ça nuirait au rôle qu'il attendait d'elle très bientôt. D'ici là, il valait mieux que les séances au laboratoire s'étirent comme un long fleuve tranquille.
N'empêche que le Mystère Granger l'agaçait. Plus il poussait l'enquête, moins il y comprenait. Son assistante était devenue une énigme ambulante.
Severus approcha sa baguette de sa tempe et en tira un filament argenté qui alla s'échouer dans le bocal. On y voyait une Hermione Granger à l'air paisible et captivé qui cueillait les plaintes argentées avec un soin méticuleux. Il préférait ne pas avoir ce souvenir dans sa tête.
Dans quelques jours, Hermione Granger appartiendrait au passé. Tout comme le reste.
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Trêve de rêverie. ;) Le prochain chapitre s'intitulera Comme un air d'apocalypse. Je vous laisse imaginer les catastrophes qui s'y trameront, hé hé. À bientôt !
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EDIT : Je souhaite réécrire le chapitre 13 aussi, mais pas dans l'immédiat. Si vous le lisez pour la première fois, il est possible que vous y trouviez quelques incongruités dans l'intrigue et dans le style.
