Chers lecteurs, mes excuses pour le délai de publication ! Je croyais pouvoir vous faire lire la suite plus rapidement, mais finalement j'ai eu du mal à m'y remettre. Comme ce quatorzième chapitre marque un point tournant dans l'histoire, je voulais prendre le temps de le faire mûrir. =) Pour me faire pardonner, je vous sers le plus long tête-à-tête que j'ai encore jamais écrit entre Hermione et Severus. J'espère qu'il vous plaira !
So : Je suis contente de pouvoir te compter parmi mes lecteurs ! =) Ça me fait également plaisir d'apprendre que tu aimes la relation entre Hermione et Severus, car je trouve tout à fait délectable de la décrire. Ils ont tellement de potentiel, tous les deux ! J'espère que la suite te plaira. :)
Tigrou : Je vais te répondre en langage « tigre » moi aussi : GrRrRrR. Ce qui signifie en français : pour tout dire, j'avais d'abord pensé à couper au moment où Severus claque la porte au nez d'Hermione pour l'empêcher de partir… mais ça aurait été encore plus regrettable, alors j'ai eu pitié de vous. ;) Pour te rassurer, je crois qu'il n'y aura pas d'autre fin aussi tendue avant quelques chapitres… À moins que je change d'avis, mouhahaha. ;)
Guest : Merci ! =)
Aristo : Contente que tu n'aies pas désespéré ! ;) Moi aussi, j'aime beaucoup le personnage de Blaise (ou du moins le personnage tel que je l'imagine). Mais… un triangle amoureux entre lui, Hermione et Severus, vraiment ? J'avoue ne jamais avoir pensé à Blaise comme à un potentiel concurrent. Et franchement, je crois que le Blaise et la Hermione de ma fic n'y ont jamais pensé non plus ! En revanche, une possibilité de triangle amoureux m'est apparue très clairement… avec Jake Tisdale, le professeur de DCFM. Il demeure assez peu développé jusqu'à maintenant, car plusieurs scènes où il devait apparaître n'ont pas survécu à mes réécritures, mais ça changera peut-être au cours des prochains chapitres. J'ai même déjà eu envie d'écrire une fanfiction de ma propre fanfiction pour les caser ensemble ! ^^
MiikadOww : Quel honneur ! Contente que tu aimes !
Hatsuyuki : J'espère que tu as tenu le coup ! ;) Désolée pour la fin du chapitre précédent ! Soit je coupais à cet endroit, soit je coupais 7000 mots plus longs. J'ai opté pour la première option. ;)
miroko126 : Sadique, moi ? Je dirais plutôt que j'ai un ardent désir de ne pas vous laisser indifférents. ;) Contente que tu aimes et merci pour ton commentaire !
Shadow Spark 3110 : MERCI POUR MA 100e REVIEW ! ! ! =)
Merci aussi à grimmarvleizenn22, Yuuki9, Jude-sama, Elowynee, Lisyx, Elsar, demilune34, Eileen1976, oOoGalateeoOo, Cocochon, rivruskende, Phaidora et à tous les lecteurs silencieux. Je vous aime tous ! :)
Maintenant que la table est mise, passons au plat de résistance.
Bonne lecture !
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Chapitre 14. La fugitive et l'espion
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Severus parcourut les couloirs de Poudlard sans croiser âme qui vive ou qui erre. Tout le monde assistait au match de Quidditch qui opposait Serdaigle à Poufsouffle. Même les fantômes du château semblaient s'être passé le mot pour suivre la partie depuis les fenêtres de la tour d'astronomie.
Tant mieux, car Severus avait une idée derrière la tête et la présence d'élèves ou de professeurs sur son chemin aurait pu lui compliquer grandement la tâche. Pendant ce temps, Hermione Granger attendait sagement son retour, prisonnière de ses appartements, sans doute occupée à se demander ce qu'il était allé faire. Attendre un peu ne lui ferait pas de mal. Elle aurait le temps de réfléchir à la gravité de ses bêtises.
Severus imagina malgré lui les mains courtaudes de l'apothicaire toucher sans vergogne le corps de son assistante, la frapper, déchirer son chemisier. Un sentiment irrépressible de colère monta en lui.
Pas elle.
Pas ses sales mains de profiteur sur son corps à elle.
Une autre image mentale s'imposa à lui, plus forte, plus vive encore. Ses propres mains enserrant sa taille frêle, lorsqu'il l'avait aidée à descendre du promontoire rocheux où poussaient les plaintes argentées. Et ses mains à elle, blanches et délicates, qui s'étaient alors posées sur ses épaules avec un naturel déconcertant.
Severus revint à la réalité. Il était monté à la tour des Gryffondor et s'était arrêté devant le portrait qui donnait accès à la salle commune. La Grosse Dame le toisait avec méfiance. Severus lui lança un regard qui signifiait : « Ouvrez-moi ou dites adieu à votre tableau ».
La bouche de la Grosse Dame forma un petit « o » outré.
- Vous devez me donner le mot de passe pour entrer, professeur Rogue ! Les règlements sont les règlements !
- Mes droits de professeur me placent au-dessus de vos règlements de pacotille.
- Je ne vous ouvrirai certainement pas ! Si au moins vous apparteniez à ma maison, peut-être, mais ce serait une insulte à la mémoire de Godric Gryffondor que d'ouvrir cette porte à un ennemi.
Severus roula des yeux. Il était bien le premier à profiter de la rivalité mythique entre Gryffondor et Serpentard pour favoriser sa propre maison, mais ce n'était que pour se distraire. En ce moment, il n'avait pas de temps à perdre pour une compétition surannée et puérile entre deux maisons. Il sortit sa baguette et s'approcha du tableau, faisant mine d'observer avec intérêt les motifs floraux sur le métal du cadre.
- Dites-moi, depuis combien de temps occupez-vous cette toile ? demanda-t-il d'un ton soyeux qui aurait effrayé les plus braves.
La Grosse Dame blêmit en voyant sa baguette magique, mais lui répondit en relevant fièrement le menton :
- Depuis 347 ans.
- Quel sens du devoir. Ce serait regrettable, après tout ce temps, qu'un autre portrait vous remplace parce que votre toile a été pulvérisée.
- Professeur Rogue, vous êtes ignoble !
- Vous me flattez, ma chère, mais ça ne vous vaudra pas ma clémence pour autant. Ouvrez ce passage, je suis pressé.
La Grosse Dame rendit les armes, verte de colère et Severus s'engouffra dans la salle commune déserte. Il lança un sort en direction de l'escalier du dortoir des filles, histoire de ne pas être éjecté en bas des marches quand il y poserait le pied.
Le lit d'Hermione Granger n'était pas difficile à repérer dans le dortoir des septième année : c'était celui près de la fenêtre, où trônait une grosse pile de livres, pour la plupart des bouquins qui ne faisaient pas partie du cursus scolaire.
Severus fouilla tout. La garde-robe et ses moindres recoins, la table de chevet, le rebord de la fenêtre, la commode. Il y aurait quelque chose. Il y avait quelque chose. Toutes les filles de cet âge étaient pareilles : elles rédigeaient leur journal intime, accumulaient toutes sortes d'objets superflus qu'elles collectionnaient comme des porte-bonheurs ou des symboles. On pouvait deviner leur vie entière en passant dix minutes dans leur chambre. Certes, Hermione Granger était peut-être très différente des autres filles, mais elle ne pouvait pas être complètement étrangère à son espèce.
Severus essaya de ne pas porter attention aux sous-vêtements soigneusement rangés dans un tiroir, parce qu'il était tout à fait déplacé qu'un maître des potions fouille dans les sous-vêtements de son assistante. (Ils étaient tous en satin ou en coton. Et la plupart noirs, turquoise ou vert émeraude. Très Serpentard, comme choix de couleurs.)
Arrête. Ne pense pas à ça.
Il écarta les quelques turquoise pour vérifier le fond du tiroir. (C'est justement ce turquoise que le chemiser déchiré d'Hermione Granger avait dévoilé tout à l'heure, chez l'apothicaire. La couleur était très franche et sur sa peau laiteuse, le contraste était frapp…)
Concentre-toi !
Severus referma le tiroir d'un coup sec. C'est finalement dans le dernier de la commode qu'il trouva les indices qu'il cherchait : un foulard rouge qu'il n'avait jamais vu sur son assistante et un habit noir roulé en boule. La présence de ces deux vêtements ne pouvait pas être un hasard. Toutes les affaires d'Hermione Granger étaient minutieusement ordonnées, du moindre livre à la plus petite pince à cheveux. Il y avait sûrement une raison pour cacher une écharpe et un vieux vêtement parmi des chaussettes classées par couleur, par texture et par épaisseur.
Severus déplia le vêtement et l'examina d'un œil critique. C'était une robe. Simple, mais néanmoins trop élégante pour être revêtue un jour d'école, avec son étoffe soyeuse et sa coupe de qualité. Le tissu portait des déchirures et des taches de terre. Ce n'était pourtant pas le genre de tenue qu'on portait pour une partie de Quidditch par temps pluvieux, d'autant plus qu'Hermione Granger ne jouait même pas au Quidditch. Bizarre.
Il regarda à nouveau dans le tiroir, puis aperçut deux photos. L'une d'elles, il l'avait déjà vue le jour où son assistante l'avait reçue, gracieuseté d'un corbeau enragé. Le cliché la représentait en compagnie du professeur Jake Tisdale et portait une inscription qui l'avait fait sourciller, quelques semaines plus tôt : « Je sais qui tu es ». Encore plus bizarre.
La deuxième image était une publicité moldue qui mettait en vedette Robert et Jane Granger, dentistes aux sourires étincelants qui vous promettaient un rabais pour un nettoyage dentaire.
Severus tourna la publicité et vit les mots qui étaient inscrits derrière, d'une calligraphie grossière et pesante :
« Je sais qui ils sont. »
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Où était-il ?
Je fixai la porte close d'un air hébété.
Qu'était-il allé faire ? Demander ma condamnation à Azkaban à perpétuité ?
Mille questions farfelues me traversèrent l'esprit, ravivant la douleur qui me broyait le crâne. Il y avait de quoi souffrir, j'étais tombée tête première sur le sol à deux reprises, sans compter le coup formidable qu'O'Riley m'avait asséné en plein visage.
J'eus l'impression de sentir à nouveau ses mains vicieuses sur mon ventre et ma poitrine. Une autre sensation fantôme se superposa à la première, aussi fulgurante : celle des grosses mains du mangemort qui me comprimaient la gorge. L'angoisse me donna envie de vomir et la douleur qui me mitraillaient les tempes devint insupportable.
Il prendra sa revanche, il prendra sa revanche, il prendra sa…
Je respirai profondément. Le souvenir de l'attaque datait déjà de plusieurs semaines, mais il semblait tellement vif encore. Je me détournai de la porte close. Deux gros fauteuils entouraient la cheminée, où rougeoyaient doucement quelques braises. Il n'y avait ni fenêtre ni lumière du jour, mais la pièce semblait confortable et invitante. J'eus le réflexe de prendre ma baguette pour raviver le feu, avant de me rappeler que Rogue l'avait toujours en sa possession.
Rogue.
Je fermai les paupières et ses prunelles d'onyx apparurent dans mon esprit. Un frisson me secoua les épaules. Qu'est-ce que j'allais lui dire? Comment pourrais-je bien me sortir du pétrin?
C'était pourtant simple. Je côtoyais mon professeur depuis sept ans, je savais à quoi m'attendre avec lui. Il serait furieux, il serait glacial, il me lancerait des sarcasmes. Mais sa colère n'était rien en comparaison à la menace d'un mangemort fou. Alors je répondrais à sa froideur par ma propre froideur. Et après une joute verbale bien corrosive, je retournais à ma salle commune. Ce ne serait pas agréable, mais ce serait facile et prévisible. Tout irait bien.
Je serrai autour de moi les pans de ma chemise déchirée pour me réchauffer, mais je tremblais sans arrêt, à la fois de froid, d'anxiété, de peur. Mon regard tomba sur un vêtement noir posé sur un fauteuil. J'hésitai, puis le pris délicatement et le dépliai. C'était la cape d'hiver de Rogue. Le tissu était épais et robuste, mais aussi très doux et terriblement tentant. Mue par un besoin impérieux, je glissai avec précaution le vêtement sur mes épaules, de peur de le froisser, et m'emmitouflai dedans comme on revêtait une armure. L'odeur de forêt de Rogue m'enveloppa, bizarrement réconfortante.
Je m'assis du bout des fesses sur un fauteuil et tâtai ma paupière enflée et douloureuse. J'avais essayé d'échapper à un apothicaire pervers et je n'avais pas réussi. Comment pourrais-je résister à un mangemort rusé, sadique et adepte de magie noire ?
Un sanglot étranglé me tordit la gorge.
Arrête. Ne pense pas ça.
Je me concentrai sur l'odeur de forêt pour tromper mon angoisse. La cape de Rogue me réchauffa peu à peu et mes tremblements s'apaisèrent. De longues minutes passèrent avant que la porte ne s'ouvre, livrant passage à mon professeur. Je me levai comme si j'avais été assise sur des charbons ardents. Rogue s'avança et laissa tomber une boule de tissu devant moi, sur la table basse.
- Qu'est-ce que…
Je m'interrompis en reconnaissant les vêtements qu'il avait apportés. La robe noire du jour de l'attaque. L'écharpe rouge de Lisa Blair, cette élève que Dumbledore avait envoyée à l'étranger avec sa famille. En guise de coup de théâtre, Rogue déposa deux photos sur la pile de tissu froissé : celle de mes parents et celle de Jake et moi.
- Mais… Vous…
Je levai les yeux vers lui, trop stupéfaite pour formuler une phrase sensée. Il guettait attentivement ma réaction.
- Vous êtes entré dans mon dortoir ? Vous avez fouillé dans mes affaires ?!
- Manifestement. Cessez de poser des questions inutiles.
- Vous n'avez pas le droit de faire ça !
Il eut un reniflement moqueur.
- Vous êtes mal placée pour donner des leçons sur le respect des règlements. Libre à vous d'aller vous plaindre à Dumbledore lorsque je vous aurai accordé la permission de sortir d'ici.
Je crispai les poings, sentant une bagarre verbale imminente. Je n'allais pas laisser Severus Rogue me ridiculiser et me rabaisser sans me défendre.
- Vous ne quitterez pas cette pièce tant que je n'aurai pas obtenu des réponses à mes questions, Miss Granger. Toutes mes questions. Autant vous y mettre immédiatement. Pourquoi êtes-vous allée rejoindre O'Riley tout à l'heure ?
C'était maintenant. C'était le moment d'inventer n'importe quoi pour me tirer d'affaire. Mais une hésitation s'empara de moi et je toisai Rogue, paralysée. C'était l'espion dans toute sa splendeur. Perspicace, tenace, terriblement intelligent. Comment en étais-je donc arrivée là, moi, l'élève modèle, à devenir une espèce de fugitive, à mentir à tout le monde, à tenter de duper l'espion le plus brillant et le plus redoutable de l'Ordre du Phénix ?
N'y pense pas. Blinde-toi ! Sois forte !
Mais j'eus l'impression que des entraves se brisaient en moi. La petite phrase que j'emprisonnais depuis si longtemps me commanda de la libérer, immédiatement, sans attendre une seconde de plus.
Comme pour me donner du courage, je serrai la cape épaisse autour de moi, avant de me rappeler que c'était celle de Rogue. Il haussa un sourcil devant l'étrangeté de mon geste, mais je me dépêchai de parler avant qu'il ne lance une remarque acerbe.
- Un mangemort me poursuit.
C'était dit.
Mon cauchemar tenait en quatre mots. Qui aurait cru que la vérité était si simple à révéler ? Le cœur dans la gorge, je retins mon souffle et fixai Rogue, prête à lui renvoyer son indifférence et ses commentaires corrosifs.
Mais sa réaction se fit attendre. Il ne sourcilla pas. Le mépris n'apparut même pas dans ses yeux noirs. Seulement une gravité inhabituelle, une gravité qui me donna l'impression d'être exposée et fragile. Tout d'un coup, c'était comme si la distance formelle du cadre scolaire avait disparu. Ce n'était plus le professeur qui se tenait devant moi, c'était l'espion, l'ex-mangemort, l'homme qui savait mieux que quiconque à quel genre de dégénéré j'avais affaire.
Ça ne devait pas se passer comme ça. Il aurait dû me lancer des remontrances et des sarcasmes, et non rester silencieux et me contempler avec un tel sérieux. Une bouffée de panique s'empara de moi.
- C'est tout ce que j'ai à dire. Je voudrais sortir d'ici, maintenant.
Ça, c'était la meilleure. Me laisser partir, c'était bien la dernière chose que Rogue m'accorderait. Heureusement, il ne se moqua pas de mes inepties. Sa voix basse brisa un silence devenu insoutenable.
- Quel mangemort vous poursuit ?
Comment pouvait-il paraître si solide et si sécurisant en posant cette simple question ? Je ne mis qu'une seconde à me décider à parler franchement. Son calme avait percé une brèche dans ma carapace, m'empêchant de penser à fuir encore une fois.
- Je ne sais pas, répondis-je, la gorge serrée. Je ne l'ai vu qu'avec son masque.
Mon cœur tambourinait aussi fort que le jour où j'avais échappé in extremis au mangemort.
- Dans quelles circonstances ?
- À Londres. En octobre dernier. Le jour…
Ma voix se cassa comme de la vieille porcelaine.
- Le jour de l'enterrement de votre tante, compléta Rogue.
Je haussai les sourcils, surprise qu'il se souvienne de ce détail à mon sujet.
- Pourquoi ne vous êtes-vous pas immédiatement enfuie plutôt que de jouer les héroïnes ? reprit Rogue. Le Ministère paie des aurors pour le faire.
- Les aurors n'étaient pas arrivés.
- Pourquoi le mangemort s'en est-il pris à vous ?
- Parce que je l'ai désarmé. Il allait attaquer une enfant. Je ne pouvais pas le laisser faire.
- Et que vous a-t-il fait ensuite ?
Je me mordis la lèvre, trop fort. Ma coupure se remit à saigner. Pendant ce temps, Rogue attendait ma réponse, désespérément calme.
Ça ne va pas. Ça ne va pas du tout.
Pourquoi ne se mettait-il pas en colère ? Pourquoi n'était-il pas glacial comme d'habitude ? Son attitude inébranlable mettait mes émotions à nu. J'allais craquer. J'allais me mettre à pleurer. Je ne voulais pas pleurer devant Severus Rogue.
- J'aimerais parler à Dumbledore.
- Non. Vous allez me parler d'abord.
Toujours cette force tranquille, ce velours dans sa voix. On aurait juré que rien au monde ne pouvait le déstabiliser. Cet homme était un roc. Et devant lui, j'avais l'impression que toutes mes faiblesses devenaient cruellement évidentes.
Un nœud m'enserra la gorge. Je détournai les yeux et serrai les dents très fort, incapable d'empêcher les larmes brûlantes d'emplir mes paupières. La chaleur de la cape et l'odeur de forêt me parurent plus imposantes que jamais, mais cette fois, elles ravivèrent mes tremblements plutôt que de les apaiser.
Incapable de tenir en place, je m'éloignai de quelques pas, mais comme la pièce n'était pas très grande, je m'arrêtai devant la cheminée, tournant bêtement dos à mon professeur.
Calme-toi ! Ressaisis-toi !
Je clignai des paupières pour assécher mes yeux, fis bravement face à Rogue et tentai de poursuivre mon récit. Autant en finir le plus vite possible.
- Le mangemort m'a jetée au sol.
- Pourquoi ne vous êtes-vous pas défendue, puisqu'il était désarmé ?
Sa question n'était pas accusatrice, mais je me justifiai avec véhémence.
- J'ai essayé, mais nous étions en plein milieu d'une foule. Les gens étaient paniqués ! Tout le monde se bousculait et se piétinait ! J'ai perdu le mangemort de vue, puis il s'est lancé sur moi. Comment pensez-vous que je puisse me défendre quand un mastodonte qui fait le double de mon poids se jette sur moi ?!
Rogue eut le bon goût de ne pas me contredire. Comme pour évaluer mes paroles, ses yeux sombres m'enveloppèrent de la tête aux pieds, exactement comme l'avait fait O'Riley à la boutique. Seulement, le regard grave de mon professeur n'avait rien de déplacé.
- Que s'est-il passé ensuite ?
Je pris conscience que je tremblais de tous mes membres.
- Je… Est-ce vraiment important ?
- Oui.
Je croisai les mains dans l'espoir de les immobiliser.
- Miss Granger, insista Rogue à voix basse. Dites-moi.
Je serrai les bras contre moi. Pourquoi je ne pouvais pas arrêter de trembler ?
- Il a essayé de m'étrangler, répondis-je enfin. J'ai transplané au dernier moment. Je… Il a très bien vu mon visage, si c'est ce que vous vous demandez. Moi, en revanche, je n'ai pas pu voir le sien.
- Vous n'avez rien raconté à vos amis.
Encore une fois, c'était une affirmation, mais je me sentis obligée de me justifier.
- Professeur, vous savez aussi bien que moi que Harry et Ron ont tendance à être… téméraires.
Il eut un reniflement ironique.
- Depuis quelques semaines, vous rivalisez plutôt bien avec eux, Miss Granger.
Je ne pouvais pas le contredire.
- Quel est le rapport entre le mangemort et O'Riley ?
Une honte cuisante m'obligea à baisser les yeux. J'avais été tellement stupide. Qu'est-ce que Rogue pouvait bien penser d'une insupportable Gryffondor qui avait failli vendre son corps à un homme pour acheter son silence ? Étais-je donc tombée si bas ?
- C'est sans importance, professeur, murmurai-je, le rouge me montant au visage. C'était une erreur de ma part et je l'ai chèrement payée.
Mais Rogue n'en démordit pas et quand il voulait obtenir quelque chose, il savait comment s'y prendre. Il contourna les fauteuils et s'approcha d'un pas lent. L'odeur de feuilles mortes et de sapins me taquina à nouveau les narines. Cette fois, elle ne provenait pas de la cape.
- Regardez-moi lorsque vous m'adressez la parole, dit-il à mi-voix.
Il était beaucoup plus près de moi maintenant qu'aucune table basse ne nous séparait.
- S'il vous plaît, professeur.
- Vous m'obligez à insister, Miss Granger.
Les joues brûlantes, je cédai et dus renverser la tête en arrière pour le regarder en face. Ses yeux semblaient plus noirs que la Forêt Interdite et quelque chose d'ardent et d'intimidant sourdait de leurs ténèbres. Je retins mon souffle.
- Ai-je besoin de vous rappeler dans quelle situation lamentable je vous ai surprise cet après-midi ?
Mon estomac se contorsionna. Une telle question de la part de Rogue m'aurait normalement fait l'effet d'une gifle, mais cette fois, il n'y avait nulle trace de méchanceté dans ses prunelles sombres.
- Vous croyez que cette situation est sans importance ? poursuivit-il. Vous faites erreur. Quand vous aurez l'occasion de voir votre reflet dans un miroir, vous comprendrez pourquoi je considère que ce qui s'est passé entre O'Riley et vous est important.
J'eus envie de me soustraire à son regard trop inquisiteur en pensant à l'œil au beurre noir qui devait s'être formé sur mon visage.
- Dites-moi la vérité. Comment le mangemort a-t-il pu faire le lien entre O'Riley et vous ?
- Je… Je ne sais pas. J'avais acheté un couteau à Londres et je l'ai perdu dans l'attaque. Il a dû le retrouver, puis faire la tournée des apothicaires pour retrouver ma trace. Quelque chose comme ça.
- Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de marché avec O'Riley ?
Pourquoi était-ce si embarrassant, si humiliant de lui raconter ça, à lui ? J'aurais voulu disparaître six pieds sous terre.
- O'Riley a vendu mon nom au mangemort. Je… Le mangemort voulait savoir quand je viendrais à la boutique. O'Riley a voulu marchander. Je pensais…
Justement, tu pensais quoi, idiote ?!
- Je pensais pouvoir lui tenir tête, achevai-je d'une voix blanche. J'ai fait l'erreur de me croire plus forte que lui.
Aucun sarcasme ne vint. Je ne savais pas si je devais en être soulagée ou mal à l'aise. L'attitude neutre de Rogue me troublait au plus haut point.
Il soupira.
- Vous êtes trop innocente, Miss Granger. Ce n'est pas pour rien que je ne vous ai jamais envoyée seule à la boutique d'O'Riley. N'avez-vous donc jamais remarqué la façon dont il vous regardait ? Il n'a peut-être pas un esprit très raffiné, mais ça ne signifie pas qu'il est inoffensif.
Je me mordis machinalement la lèvre et quelques gouttes de sang coulèrent à nouveau sur ma langue. Mes décisions semblaient un tant soit peu sensées au moment où je les avais prises, mais à présent, elles m'apparaissaient saugrenues et ridicules. Je priai pour que la discussion se termine au plus vite.
Mais l'interrogatoire n'était pas terminé.
- C'est ainsi que vous avez jugé bon d'amnésier vos parents et de les expédier à l'étranger.
- Le mangemort les avait trouvés ! Ils les auraient tués ! Pensez-vous que mes parents auraient accepté de plein gré de se mettre à l'abri si je leur avais dit qu'un fou me poursuivait ? Non mais quel parent accepterait de…
Rogue leva une main très calme pour m'arrêter. Je repris mon souffle.
- Pourquoi n'avez-vous rien dit à Dumbledore ?
- Professeur, croyez-vous que je serais encore dans cette école, encore dans ce pays si j'avais tout raconté à Dumbledore ?
- Non, dit-il de but en blanc. Mais ne vous est-il pas venu à l'idée que Dumbledore vous aurait mise à l'abri dans une communauté sorcière ?
- Et alors ? Ma vie est ici, professeur. Quant à mes parents, ils sont moldus. Ils n'iraient pas vivre chez les sorciers.
Ma voix faiblit.
- C'est sans doute ce qui m'attend, maintenant, conclus-je.
- Ce n'est plus de mon ressort, Miss Granger. Venez.
Il s'approcha de la cheminée, cueillit une pincée de poudre dans un bol de céramique et la lança dans le feu.
- Bureau d'Albus Dumbledore.
Il se tourna vers moi.
- Après vous.
Le découragement s'abattit sur moi comme une chape de plomb. Tout serait à recommencer. Après avoir vaincu mes peurs et raconté des souvenirs si douloureux, je devrais tout répéter à Dumbledore, en lui expliquant en plus qu'un apothicaire avait essayé de me violer. Pathétique.
Résignée, je m'approchai de Rogue, les genoux flageolants. Il baissa les yeux sur ma tenue et haussa un sourcil. Je suivis son regard sur l'épais tissu sombre qui m'enveloppait.
- Euh… C'est que… j'avais froid et je…
Je rougis d'embarras, ne sachant plus comment lui rappeler que j'étais à moitié déshabillée sous sa cape. Manifestement il s'en souvenait, car il tapota mon épaule de sa baguette en murmurant « reparo ». Les pans de ma chemise me chatouillèrent la peau en se rattachant par magie. Avec précaution, j'entrouvris les rebords de la lourde cape de Rogue et, constatant que les boutons étaient bel et bien recousus, je lui tendis son vêtement.
Au même moment, une question importante me traversa l'esprit. Je me figeai. Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ?
Je levai les yeux vers Rogue.
- Comment… avez-vous pu savoir que j'étais là ? À la boutique d'O'Riley ?
- Je l'ai su, dit-il simplement. Pour votre gouverne, sachez que des alarmes se déclenchent chaque fois qu'une personne entre dans mes appartements sans y être invité. Et ce n'est pas précisé dans la dernière édition de l'Histoire de Poudlard, si vous vous posez la question.
Me sentant parfaitement stupide, je baissai les yeux. Ma main était encore fermement agrippée à la cape, tout près de la main grande et forte de mon professeur. Je lâchai le vêtement sombre et pénétrai dans la cheminée.
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Une lumière de fin d'après-midi inondait le bureau de Dumbledore. On y percevait la rumeur lointaine d'une foule enthousiaste. La partie de Quidditch n'était pas encore terminée.
- Miss Granger ?
Je fis volte-face. Le directeur était assis à son bureau, la plume en suspens au-dessus d'une lettre. Je faillis lui demander pourquoi il n'assistait pas au match, lui qui n'en ratait jamais un, mais son visage étonné me ramena à la raison de ma présence dans son bureau. Je blêmis en me rappelant mon œil au beurre noir.
- Que se passe-t-il ?
Je m'éclaircis la gorge.
- Tout va bien, monsieur le directeur. Euh… non, en fait, pas vraiment, c'est pour ça que je suis ici. Excusez-moi de débarquer ainsi à l'improviste, j'en suis vraiment désolée, mais je dois vous parler.
Je repris mon souffle, ne sachant plus par où commencer. J'aurais voulu déballer toute l'histoire avant que Rogue n'arrive, pour éviter d'avoir les nerfs à vif à cause de sa seule présence imposante, mais le feu gronda dans la cheminée au moment où je rouvrais la bouche pour parler. Des bruits de pas se firent entendre derrière moi. Dumbledore lança un regard interrogateur par-dessus mon épaule, tandis que je tournais obstinément dos au maître des potions. Des larmes me montèrent aux yeux encore une fois. Aujourd'hui, rien n'avait fonctionné comme prévu. Je n'avais fait que commettre gaffe par-dessus gaffe.
- Albus, dit Rogue en s'avançant à côté de moi, je sais que vous êtes très occupé, mais il est impératif que vous soyez informé de certaines choses.
Dumbledore nous regarda tour à tour, ses yeux bleus s'attardant en particulier sur Rogue, comme s'il voulait lui lancer des questions silencieuses.
- Très bien, dit-il enfin.
Il posa sa plume, se leva et désigna les fauteuils moelleux près de la fenêtre, où s'infiltrait le soleil à profusion. J'hésitai, comme si m'asseoir risquait de prolonger une discussion qui s'annonçait pénible.
- Miss Granger, je vous en prie, assoyez-vous, insista Dumbledore.
À contrecœur, je m'installai dans l'un des fauteuils. Le directeur prit place devant moi et joignit les mains. Seul Rogue demeura debout. J'évitai de le regarder.
- Je vous écoute, Miss Granger, dit le vieil homme d'une voix douce.
Avais-je donc couru pendant toutes ces semaines pour atterrir ici, dans ce bureau, prête à être renvoyée de l'école pendant que tous les élèves regardaient un match de Quidditch ? Si j'avais assisté à ce maudit match comme tout le monde, rien de catastrophique ne serait arrivé aujourd'hui !
- Un mangemort me poursuit depuis des semaines, lançai-je de but en blanc.
Tant qu'à être ici, autant économiser ma salive et en finir le plus vite possible.
- Nous nous sommes affrontés lors de l'attaque sur l'allée des Irlandais, poursuivis-je à toute vitesse, de peur que Dumbledore ne m'interrompe pour me poser une question. Le mangemort a vu mon visage, il a découvert mon identité et celle de mes parents, il les a menacés. Je les ai fait déménager pour les mettre à l'abri. Je ne vous ai rien dit parce que vous m'auriez expédiée à l'étranger pour me protéger, comme vous l'avez fait avec Lisa Blair. C'est aussi ce que vous voudrez faire avec moi, mais soyez sûr d'une chose, professeur. Vous pouvez m'envoyer en Alaska si ça vous donne bonne conscience, mais sachez que je n'y resterai pas. Je suis majeure, autant dans le monde magique que dans le monde moldu. Vous ne pouvez prendre aucune décision sur ma vie, sinon celle de m'exclure de votre école.
Il y eut un long silence. Pour une rare fois, Albus Dumbledore semblait décontenancé. Il faut dire que mon récit précipité avait de quoi assommer même les plus stoïques. Je me mordis la lèvre en pensant à quel point mes paroles étaient confuses. Un goût salé et métallique se répandit à nouveau dans ma bouche.
Rogue intervint :
- Maintenant que Miss Granger vous a mis au courant des faits de façon si… concise et complète, je crois qu'il vaudrait mieux mettre de côté les détails du séjour en Alaska pour nous concentrer sur un aspect plus urgent du problème.
L'ironie était de retour. Bizarrement, j'en étais soulagée.
Dumbledore inclina la tête.
- Quel aspect du problème, Severus ?
- L'identité du mangemort.
La douleur qui me broyait le crâne s'amplifia de plus belle. À bien y penser, je préférais parler de l'Alaska que de l'attaque du mangemort.
Rogue se déplaça aux côtés de Dumbledore pour me faire face, les bras croisés, mais je fixai obstinément le directeur.
- Miss Granger, vous êtes la seule à pouvoir nous éclairer sur la question, dit Rogue.
- Je vous ai dit que je ne pouvais pas l'identifier, professeur, dis-je sans le regarder.
- Vous prétendez qu'il vous a jetée au sol ?
Mon cœur battit plus fort à la seule évocation de ce souvenir.
- Oui, soufflai-je.
- Et il vous a étranglée ?
Je fermai les yeux.
- Oui.
- C'est sans doute amplement suffisant pour identifier une personne.
Désespéré, je rouvris les yeux et regardai enfin Rogue en face.
- Comment voulez-vous que j'identifie cet homme ? Les mangemorts que j'ai déjà vus à découvert se comptent sur les doigts d'une main !
- En ce qui me concerne, je les connais tous. Voilà pourquoi je vous pose ces questions.
- Je ne sais pas quoi vous dire.
- Miss Granger, avez-vous la moindre envie que je pénètre votre esprit pour voir vos souvenirs et identifier moi-même le mangemort ?
- Non ! Vous ne pouvez pas faire ça !
Je me levai à moitié du fauteuil, mais Dumbledore m'arrêta d'une main apaisante.
- Dans ce cas, montrez-vous plus collaborative, répliqua Rogue. À quoi ressemblait le mangemort ?
Je soupirai.
- Il avait les yeux bleus.
- Quelle sorte de bleu ?
Je fermai les yeux pour mieux réfléchir, mais je les rouvris bien vite en frémissant. Le souvenir du mangemort était encore insoutenable.
- Bleu très pâle. Pas un bleu ciel comme les vôtres, professeur, ajoutai-je en m'adressant à Dumbledore.
- Et ? insista Rogue.
- Il portait un masque. Comment voulez-vous que je sache à quoi il ressemblait ?
- À moins qu'on vous ait amnésiée comme vous avez amnésié vos parents, j'ai beaucoup de mal à croire qu'une personne avec une mémoire aussi… phénoménale que la vôtre soit incapable de décrire un homme qui lui donne des cauchemars depuis des semaines.
- Il n'a pas dit un mot ! Je ne pourrais même pas reconnaître sa voix si je l'entendais !
- Imaginez que vous revivez la scène. Vous vous rappelez forcément des détails importants.
- J'ai toujours tenu pour acquis qu'il avait de grosses mains, mais en fait, je ne les ai pas vues.
- Concentrez-vous, Miss Granger. Quelle odeur avait-il ?
Je lui lançai un regard perplexe. Il fallait vraiment être un maître des potions pour poser cette question. Ou un espion.
- Je n'en ai aucune idée, avouai-je.
- Et sa taille ?
- Euh… Je ne sais pas précisément. J'étais à terre quand il m'a…
La fin de la phrase resta coincée dans ma gorge.
- Plus grand ou plus petit que moi ? insista Rogue.
Je jaugeai mon professeur avec un certain embarras, gênée de m'autoriser une telle familiarité. Il était très grand et très svelte, mais pas moins imposant. Je me sentais toujours comme un nain de jardin quand je me tenais à ses côtés, au laboratoire.
- Plus petit que vous, c'est sûr. Et corpulent. Massif. Il était bâti comme un taureau.
Rogue et Dumbledore échangèrent un regard lourd de sens.
- Vous savez qui il est, n'est-ce pas ? demandai-je d'une voix tremblante.
Ils se tournèrent vers moi d'un même mouvement.
- Qu'est-ce qu'il y a ? m'inquiétai-je. Qui est-ce ?
- Walden Macnair, répondit enfin Rogue. Bourreau pour le ministère. Il décapite des créatures magiques jugées dangereuses. Ça peut vous donner une bonne idée de sa personnalité.
Il y eut un silence inconfortable.
- Vous n'auriez pas une photo de lui ? risquai-je.
Rogue haussa un sourcil.
- À votre avis, Miss Granger ?
- Ça signifie que non, dis-je faiblement.
- Non, renchérit-il, catégorique.
Il semblait trouver ridicule l'idée de conserver des photos de mangemorts. Manifestement, cette bande de fanatiques ne s'échangeait pas de portraits de famille.
- Et pensez-vous que…
La voix me fit défaut. J'inspirai un grand coup.
- Pensez-vous qu'il pourra… m'oublier ? Se désintéresser de moi ?
Rogue me vrilla d'un regard incisif.
- Après les événements des dernières semaines, vous pouvez sans doute répondre à cette question vous-même. MacNair ne vous oubliera pas. Il n'est pas le genre d'homme qui oublie.
- Alors qu'est-ce que je dois faire ?
- Elle est sécurité tant et aussi longtemps qu'elle sera à Poudlard, dit Dumbledore comme si je n'étais pas là.
- Abus, vous savez aussi bien que moi ce que ça signifie, répondit Rogue sans me quitter des yeux.
Le directeur inclina la tête.
Quoi ? De quoi parlent-ils ?
- Vous devez aviser l'Ordre, poursuivit Rogue.
- Est-ce vraiment nécessaire ? intervins-je, catastrophée, en pensant à tous ceux qui apprendraient mes mensonges.
Les Weasley, Harry, McGonagall, Jake Tisdale… Je me sentis perdre toute couleur, mais les deux hommes ignorèrent ma remarque.
- Severus, nous n'avons pas le choix, objecta Dumbledore.
Pas le choix de faire quoi ?
- Nous avons déjà eu cette discussion, Albus, répliqua Rogue. Vous connaissez mon avis sur la question.
Quelle discussion ? Son avis sur quoi ?
Dumbledore lui adressa un regard appuyé.
- Albus ! insista Rogue d'un ton pressant.
C'était un avertissement. Un avertissement contre quoi ?
Interloquée, je les regardai tour à tour. J'avais l'impression d'avoir été parachutée au beau milieu d'une conversation qui ne me concernait pas du tout. Pourtant, il était question de moi et d'un mangemort ! De quoi parlaient-ils, tous les deux ?
Je m'éclaircis timidement la gorge et les deux hommes semblèrent se souvenir de ma présence.
- Euh…
Je m'arrêtai, décontenancée par le regard sombre que Dumbledore et Rogue posèrent sur moi.
- Nous poursuivrons cette discussion plus tard, Albus, dit Rogue.
- Miss Granger a le droit de savoir.
- Elle saura plus tard.
Dumbledore sembla céder. Il reprit la parole :
- À présent, Miss Granger, j'aimerais connaître la raison des blessures que vous avez au visage.
Je portai les doigts à ma paupière gonflée et regardai Dumbledore, complètement désemparée. Comment raconter ce qu'O'Riley avait fait ? Je ne me sentais pas la force d'expliquer mes déconfitures à nouveau, surtout pas devant Rogue. Ce serait le summum de l'humiliation.
- Je…
Le semblant de réponse que j'allais bafouiller resta emprisonné en moi. Rogue prit la parole avec un tel à-propos qu'on aurait juré qu'il venait à mon secours :
- Nous en reparlerons plus tard, Albus. En attendant, Miss Granger a besoin d'aller à l'infirmerie.
Ils échangèrent un regard.
- Très bien. Dans ce cas, Miss Granger, je souhaite que Severus vous y accompagne.
Je me levai, les jambes toutes molles, et saluai Dumbledore d'un signe de tête. Rogue me précéda dans l'escalier en colimaçon et se tourna vers moi lorsque la gargouille de pierre referma le passage derrière nous. Son regard n'augurait rien de bon.
- Il y a un autre aspect du problème que nous n'avons pas abordé, Miss Granger. Vous m'avez menti un nombre incalculable de fois. Vous avez profité de votre accès à mon laboratoire pour y entrer en mon absence. Vous vous êtes enfuie de l'école sans permission. Et vous avez, de surcroît, mis bêtement votre sécurité en péril en allant rejoindre un individu qui ne pouvait que vous vouloir du mal. Vos manigances et votre naïveté vous vaudront une retenue mercredi prochain. Estimez-vous chanceuse de ne pas avoir à subir de plus graves représailles.
Ses paroles me firent l'effet d'une gifle. Je baissai la tête, rouge de honte, mais aussi envahie d'un sentiment plus profond, plus douloureux encore : la déception. Qu'est-ce que je croyais ? Que Rogue fermerait les yeux sur mes bêtises simplement parce qu'un fou me poursuivait ? Hélas, non. L'enseignant rigide et désagréable était de retour.
Je serrai les dents et amorçai un mouvement pour partir en direction de la tour des Gryffondor, mais Rogue fit un pas dans la direction inverse. La direction de l'infirmerie.
- Suivez-moi.
Ma réponse fusa toute seule.
- Non.
Rogue me lança un regard pénétrant, un regard qui me mettait au défi de lui désobéir. Je m'efforçai de lui renvoyer une expression indifférente.
- Je n'ai pas besoin d'aller à l'infirmerie.
Rogue soupira.
- Miss Granger, avez-vous seulement une idée de ce à quoi vous ressemblez en ce moment ?
Je détournai la tête pour échapper à ses yeux inquisiteurs. Devant moi, de vieilles œuvres en métal repoussé reposaient derrière une vitrine. Je devinai vaguement mon reflet dans la vitre. J'avais une mine épouvantable.
Pendant une seconde terrible, je m'imaginai aller voir Mme Pomfresh et être observée en douce par les nombreux d'élèves enrhumés et les joueurs de Quidditch revenant le nez en sang de leur match. En moins d'une heure, toute l'école raconterait que je m'étais fait soigner un œil au beurre noir. Je frémis. Assez de mensonges, assez de cachotteries. Je n'en pouvais plus.
Je me tournai vers Rogue sans réfléchir.
- Pourriez-vous…
Je laissai ma phrase en suspens, osant à peine croire à mon culot. Allais-je vraiment quémander de l'aide à Rogue, alors qu'il venait tout juste de faire des pieds et des mains pour me sauver des griffes d'O'Riley ?
Je m'empressai de terminer ma question avant de manquer de courage.
- Pourriez-vous seulement faire disparaître mon hématome ?
Il y eut un silence. Je me mordillai la lèvre, le cœur battant à tout rompre. Il allait refuser, c'était sûr. Il allait refuser et m'envoyer promener.
- Donnez-moi une seule bonne raison pour me donner ce mal.
J'encaissai le coup. Je le savais. C'était bien le Severus Rogue que j'avais l'habitude de côtoyer.
Ne sois pas faible ! Blinde-toi !
- Laissez tomber, répliquai-je de ma voix la plus glaciale. Aucune raison n'aurait la moindre valeur à vos yeux.
Répondre à la froideur par la froideur. C'était un manège si familier et si facile.
Je tournai les talons, mais une grande main me captura le poignet et me cloua sur place. Pourquoi ne me laissait-il pas ? Pourquoi tenait-il à m'enfoncer encore et encore ? J'étais pourtant déjà bien assez misérable.
Ressaisis-toi ! Défends-toi !
Je pouvais le faire. Je pouvais lui tenir tête, même si je ne m'en sentais plus la force. Je n'allais pas paraître fragile et pitoyable.
- Qu'est-ce que vous voulez ? demandai-je.
Ma sécheresse était presque aussi convaincante que la sienne.
- Regardez-moi.
Sa voix était soudain différente et très calme. Un pincement désagréable vint se nicher au creux de mon estomac, comme pour me prévenir d'un danger.
- Non.
Sauve-toi. Vite. Vite !
Mais sa main ne relâchait pas sa prise sur mon poignet.
- Je vous ai dit de me regarder.
C'était un bel et bien un ordre, mais un ordre désespérément neutre et raisonnable. Ce n'était plus le professeur qui me parlait, c'était l'homme. Et le professeur avait beau être tyrannique, c'était l'homme qui me faisait le plus peur. Mes paupières s'emplirent de larmes brûlantes.
- Laissez-moi partir.
- Non.
J'allais pleurer. S'il me parlait encore comme il m'avait parlé dans ses appartements, j'allais pleurer. Son attitude grave et solide avait le pouvoir de faire dégringoler mes mécanismes de défense comme un château de cartes dans un minuscule souffle. J'avais absolument besoin d'évacuer mon trop-plein d'émotion, seule, sans témoin, surtout pas devant un Severus Rogue trop calme.
Va-t'en, mais va-t'en ! m'intima ma petite voix intérieure.
Mais Rogue se planta devant moi et, pour la deuxième fois aujourd'hui, il me cueillit le menton et leva mon visage vers le sien. Je retins mon souffle, hébétée par la familiarité du geste et la force inébranlable de son regard. Il approcha sa main libre de mon œil blessé. Je fermai instinctivement les yeux. Des larmes coulèrent librement sous ses doigts lorsqu'ils effleurèrent ma paupière douloureuse, aussi aériens d'une aile de papillon.
- Evanesco, murmura-t-il.
Son souffle me caressa le visage. Au même moment, une douce sensation de chaleur se propagea sur ma peau. Puis, contre toute attente, les doigts de Rogue quittèrent mon œil pour se glisser sur ma lèvre inférieure avec autant de précaution.
Qu'est-ce qu'il fait ?
J'étais tétanisée.
- Evanesco, souffla-t-il à nouveau.
La coupure sur ma lèvre me revint en mémoire, mais ce n'était pas suffisant pour détourner mon attention de ces longs doigts tièdes sur mon visage, bizarrement apaisants. Un frisson me secoua les épaules. Au même moment, les doigts se retirèrent et une déception inexplicable m'envahit.
À regret, je rouvris les paupières et je croisai ces yeux noirs si vifs, ces yeux qui donnaient l'impression de tout savoir de moi. Je demeurai figée, terriblement consciente de mon visage en larmes et de mon chignon échevelé. De la grande main qui me tenait toujours le menton en coupe. De l'odeur réconfortante d'herbes humide et de sous-bois foisonnants. Une émotion puissante naquit en moi et me fit frémir, mais elle était trop confuse, trop inavouable pour que je puisse la nommer.
- Retournez à votre tour.
Ce n'était ni un reproche, ni ordre exaspéré. Sa voix soyeuse me fit l'effet d'une caresse.
Severus Rogue lâcha mon menton et quitta le couloir.
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oOoOoOo
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J'ai adoré écrire ce chapitre ! J'espère qu'il vous a plu aussi ! :)
La suite s'intitulera Une retenue pas comme les autres.
À bientôt !
