Je suis de retour avec un nouveau chapitre ! Toutes mes plates excuses pour cette longue absence. En fait, j'ai travaillé sur deux ou trois chapitres de front, pour être certaine que tout soit bien ficelé. La bonne nouvelle, c'est que vous aurez sans doute les prochains plus rapidement.
Je vous préviens, celui-ci fait près de 14 000 mots. Prévoyez du temps pour le lire ! :) D'ailleurs, j'espère que vous me pardonnerez les inévitables coquilles qui se seront glissées dans le texte. Avec une telle longueur, j'ai beau relire, je ne vois plus rien.
Au programme dans ce 15e chapitre : des frictions, de la tension, des questions, du drame… mais aussi un peu de douceur et des petites attentions. Je vous laisse découvrir.
Un gros merci pour tous ceux qui ont lu et commenté le dernier chapitre ! Quelques réponses à ceux que je n'avais pas pu remercier personnellement…
Zeugma : Contente que tu aimes ! J'espère que la suite te plaira aussi !
Sandrine : Ravie d'apprendre que tu te sens autant happée par l'histoire ! J'adore les lectures qui me font cet effet. :) Ah, tu attends toujours ta balade avec Snape Tours ? En fait, l'entreprise a fermé ses portes… à la demande d'Hermione. Désolée, je n'y peux rien ! =)
Meza : Moi aussi j'ai été une lectrice avide de fics il y a quelques années. Maintenant, je m'escrime à écrire... une histoire que j'aurais aimé lire. :) Si Dumbledore veut impliquer Hermione dans l'Ordre ? À la fin de ce chapitre, tu pourras deviner la réponse. Merci pour ton commentaire !
Guest, Guest et Guest : Merci !
Heloa : Merci pour tes nombreux commentaires ! J'espère que la retenue te plaira, t'intriguera et… te laissera encore une fois sur ta faim, je dois l'avouer. Faut bien que j'essaie de vous donner le goût de lire la suite. ;)
Et maintenant, bonne lecture !
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15. Une retenue pas comme les autres
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Severus fixait un amoncellement de racines de mandragore depuis cinq bonnes minutes. Sur la table de travail, une mixture épaisse glougloutait à gros bouillons et menaçait de déborder du chaudron. Les ingrédients patientaient en rang, prêts à être mesurés, pesés, coupés, hachés.
Mais le maître des potions se tenait immobile. Pour la première fois de sa vie, il était incapable de se concentrer sur une potion. Il en avait pourtant vu d'autres, il réussissait toujours à dominer la pression et l'urgence pour produire un travail impeccable.
Pas ce soir.
Ce soir, il n'avait en tête qu'une jeune femme échevelée avec un œil au beurre noir, et cette seule image obsédait son esprit et occultait tout le reste. Même la couleur marron clair de la potion lui rappelait les yeux d'Hermione Granger. La situation était désespérée. Chose rare, Severus dut s'avouer vaincu.
- Temporis suspensus.
Tout se figea. Le bouillonnement se tut, les bulles demeurèrent intactes à la surface du mélange, les gouttelettes brûlantes se suspendirent dans les airs.
Severus s'éloigna de la table de travail en massant ses tempes douloureuses. Son pouls battait contre ses doigts, signe d'un mal de tête tenace. Il traversa le laboratoire et s'arrêta machinalement devant l'antichambre où il avait enfermé Hermione Granger quelques heures plus tôt. Son odeur de melon et de thé vert flottait encore dans la pièce.
Si quelqu'un devait avoir un mal de crâne terrible en ce moment, c'était bien son assistante. Elle avait une mine épouvantable. Pourquoi avait-elle refusé de consulter Mme Pomfresh ? Tous des têtes de mule, ces Gryffondor.
C'est ta faute, le nargua sa petite voix intérieure. C'est entièrement ta faute.
Il n'eut pas le cœur de repousser cette voix agaçante, car elle disait vrai. Ça n'avait rien d'étonnant qu'une personne aussi têtue et indépendante qu'Hermione Granger ait refusé de s'épancher devant l'infirmière, surtout après l'avoir fait devant Severus et Dumbledore. De toute façon, elle était trop humiliée et bouleversée pour réfléchir de manière raisonnable. C'était à Severus de prendre la situation en main. Il aurait dû être plus ferme avec elle et la traîner d'autorité jusqu'à l'infirmerie.
À présent, elle devait sans doute se tourner et se retourner dans son lit, incapable de dormir ni de faire taire la douleur émanant des blessures que Severus avait rendues invisibles. D'ailleurs, qu'est-ce que l'apothicaire lui avait fait, outre la frapper au visage ?
Severus s'obligea à respirer lentement et à desserrer les dents. Car il n'y avait pas que la brutalité d'O'Riley qui le rendait furieux, il y avait aussi… lui-même. L'agression de l'apothicaire avait fait naître en lui un sentiment puissant, viscéral, typiquement masculin.
De l'envie.
Il aurait voulu la protéger. La tenir contre lui. La toucher, lui aussi, comme pour effacer de son corps la trace des mains d'O'Riley.
Mais comment pouvait-il se permettre de penser à une élève d'une telle manière ? Et pour commencer, avait-il vraiment besoin d'un apothicaire vicieux pour prendre conscience, tout d'un coup, que son assistante était attirante ?
Bien sûr que non. Severus était un homme normalement constitué et il n'était pas aveugle. Oui, Hermione Granger était belle, comme des dizaines d'étudiantes l'avaient été avant elle. Mais Severus se fichait royalement de ces gamines agaçantes, peu importe que la nature les ait choyées ou non.
Le problème avec Hermione Granger, c'est qu'elle appartenait à une catégorie à part. Aucune autre fille de septième année ne lui ressemblait. Elle passait ses samedis dans ses livres ou dans ses potions quand les autres flânaient dans le parc en papotant. Elle laissait son épouvantable chevelure indomptée pendant que ses congénères se pomponnaient durant toute l'heure du petit-déjeuner. Elle avait l'audace d'expédier ses parents en Suisse sans s'arrêter aux règlements ou à l'opinion de qui que ce soit. Elle se fichait des conventions et du qu'en-dira-t-on. Elle était différente. Elle avait du cœur au ventre. Elle était brillante, sérieuse, déterminée.
Et elle a un joli nez, et elle sent bon, et elle porte des sous-vêtements verts, compléta son insupportable petite voix intérieure.
Severus secoua la tête, en colère contre lui-même. Bon sang, il était préoccupé par la féminité d'Hermione Granger, alors qu'elle avait failli se faire prendre de force par son apothicaire, qu'elle était poursuivie par ce dégénéré de MacNair ! Mais qu'est-ce qui lui prenait ?
Un pli amer vint marquer son front et durcir son regard. Il perdait ses moyens. Il n'était plus qu'un homme guidé par son instinct le plus primal, un homme qui se laissait envahir par la jalousie et la colère parce qu'un autre avait eu le culot de poser la main sur une jeune femme avec qui il était devenu beaucoup trop familier.
Le moment était très mal choisi pour se laisser aller de la sorte. Severus avait une mission périlleuse à accomplir et il devait s'y dévouer corps et âme. Il devait se retrancher derrière son masque d'indifférence. Il devait prendre ses distances.
Il devait oublier Hermione Granger.
De toute façon, d'ici quelques jours, elle aurait disparu de sa vie.
Severus allait quitter l'antichambre, quand son regard tomba sur la robe boueuse, l'écharpe rouge et les photos qui reposaient sur la table basse. Il avait omis de les remettre à leur propriétaire. Qu'importe. Elle ne viendrait sûrement pas les lui réclamer.
C'est alors qu'il remarqua la baguette posée sur le manteau de la cheminée. La sienne, évidemment. Ça, elle viendrait le lui réclamer à coup sûr, et à la première heure demain matin.
Découragé, Severus ferma brièvement les yeux, puis prit sa décision. Il ramassa sa cape, la jeta sur ses épaules et marcha vers la cheminée. Le vêtement portait encore l'odeur de melon et de feuilles de thé. Les effluves lui taquinèrent les narines, à la fois agréables et entêtants. Il eut l'impression de sentir à nouveau le corps frêle de son assistante contre le sien, comme lorsqu'il avait voulu l'empêcher de s'enfuir de la boutique de l'apothicaire.
Arrête. Ressaisis-toi.
Il était hors de question qu'il passe la nuit à Poudlard aujourd'hui. Il avait besoin de se changer les idées, de partir loin de ces cachots sombres et sans fenêtre. Il avait besoin de grands espaces, de bourrasques de vent incessantes, de fracas de vagues contre la grève.
Ce soir, il irait chez lui, là où Hermione Granger n'avait jamais mis les pieds, là où elle n'avait pas pu laisser les effluves de son parfum sur son passage.
Il jeta une pincée de poudre dans l'âtre et pénétra dans les flammes.
- Talamhcríochnaigh.
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J'avais mal partout.
Ce fut ma première pensée lorsque le tambourinement de la pluie me tira du sommeil, au petit matin. Lavande et Parvati étaient toujours endormies, profitant de la tranquillité du dimanche pour rattraper leur nuit écourtée par les festivités de la veille, partie de Quidditch oblige.
Je m'extirpai de la chaleur du lit. Mes genoux s'étaient couverts de contusions, vestiges du plongeon que j'avais fait pour éviter un maléfice d'O'Riley. Ma tête, ma nuque et mon dos étaient douloureux. Néanmoins, je pouvais m'estimer chanceuse de n'avoir que quelques courbatures.
Je fermai brièvement les yeux. Les événements s'étaient succédés si rapidement que j'en avais le tournis. Le message d'O'Riley, la bagarre dans la boutique, le tête-à-tête pénible avec Rogue… Comment pouvait-il s'être passé tant de choses en une seule journée ?
Je marchai sans bruit jusqu'à mon miroir pour y examiner mon reflet. J'étais pâle, cernée et décoiffée, mais nulle trace d'un œil au beurre noir. Je tâtai ma paupière et sentis l'enflure sous mes doigts. Rogue m'avait prise au pied de la lettre. Il avait rendu ma blessure invisible, mais elle était toujours là, gonflée et sensible.
Rogue.
Je frissonnai au souvenir de ses grands doigts tièdes sur mon œil. Comment pouvait-il être capable d'une telle délicatesse, lui qui affichait si souvent une attitude glaciale ? Hier, j'avais réalisé que le professeur que je côtoyais depuis 7 ans demeurait pourtant un inconnu.
J'ouvris ma commode à la recherche d'une paire de bas, quand un détail me traversa l'esprit. Ma robe du jour de l'enterrement. Le foulard de Lisa Blair, les photos envoyées par le mangemort. Sans doute Rogue cherchait-il des indices pour expliquer mon comportement. Il avait dû…
Oh, Merlin…
Il avait dû fouiller toutes mes affaires.
Je rougis jusqu'à la racine des cheveux en l'imaginant repérer et examiner mes effets personnels, pendant que toute l'école assistait à la partie de Quidditch. Nul doute qu'il se fichait d'apercevoir les sous-vêtements d'une Gryffondor insignifiante comme moi, mais quand même, il y avait de quoi être embarrassée. Et une chance que j'avais miniaturisé le roman à l'eau de rose que ma cousine Alexa m'avait offert pour mes 18 ans.
Secouant la tête, j'attrapai quelques vêtements et posai machinalement la main sur la commode. Elle se referma sur du vide. Surprise, j'examinai le meuble dans la pénombre. Ma baguette ne s'y trouvait pas. Où était-elle ?
Oh non...
Je l'avais oubliée dans les appartements de Rogue.
Un pincement désagréable se nicha au creux de mon estomac. Je n'étais pas prête à revoir le maître des potions dès aujourd'hui. La journée d'hier ne s'était pas si mal terminée, mais elle avait été très éprouvante.
Pourquoi fallait-il que je sois obligée d'importuner mon professeur un dimanche matin, après tout ce qu'il avait fait pour moi hier?
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La mer était inhabituellement calme ce matin-là, lisse comme une immense flaque d'huile et seulement froissée par quelques souffles de vent. Le gris perle de l'Atlantique Nord se mêlait au jaune du soleil qui transperçait le plafond de nuages, projetant sur l'eau mille diamants éblouissants.
Severus porta sa tasse à ses lèvres et essaya de poursuivre la lecture de la Gazette. Son esprit s'égara à nouveau. Alors il leva la tête et s'autorisa à siroter son thé sans s'attarder outre mesure à l'actualité du monde sorcier. Le jour se levait lentement sur la nature rude de Talamhcríochnaigh. Une lumière vive inondait la verrière, chassant la fraîcheur et l'humidité de la nuit. À une centaine de mètres de là, un daim s'était aventuré à découvert pour brouter les hautes herbes recouvrant les flancs des vallons.
En ce moment, Severus ne regrettait pas Poudlard. En fait, il ne regretterait pas Poudlard, lorsqu'il l'aurait quitté pour de bon. Seulement… il espérait que sa disparition ne plongerait pas l'école dans le chaos. Ou, du moins, pas trop.
Ses pensées s'évadèrent vers leur nouveau sujet de prédilection : Hermione Granger.
Stop. Cesse de penser à elle.
Mais autant Severus était maître de lui-même en toutes circonstances, autant il avait du mal à contrôler le flot de ses réflexions quand il était question de son assistante. Elle viendrait sans doute cogner à la porte de ses appartements d'un instant à l'autre pour réclamer sa baguette. Il se demanda si Dumbledore avait pris la bonne décision à son sujet. Mais il ne devait plus penser à ça, il ne devait plus penser à elle.
Severus s'en voulait déjà pour ce qu'il allait faire, mais il n'avait pas le choix. Il ne pouvait plus se laisser déconcentrer par qui que ce soit.
Une lueur verte attira son regard. Sa montre gousset, posée sur la Gazette, s'était illuminée.
Hermione Granger attendait à l'entrée du laboratoire.
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Mon poing se tenait en suspens devant la porte d'acajou. J'avais toujours aimé cette porte, avec son bois rouge et chaleureux, alors que toutes les autres des cachots étaient d'une ébène sombre, comme si les sous-sols de Poudlard n'étaient pas déjà assez obscurs. Mais en ce moment, j'aurais préféré être n'importe où ailleurs que devant la porte des appartements de Rogue.
Un peu de courage, Hermione. Il ne te mangera pas.
Je cognai, fébrile. Et s'il n'était pas là ? On l'apercevait rarement à Poudlard durant les jours de congé. Comment les occupait-il ? Où allait-il, s'il quittait l'école ?
Au bout de deux minutes interminables, je m'apprêtais à rebrousser chemin, lorsque la porte s'ouvrit en grand. Un Severus Rogue droit et imposant apparut devant moi, revêtu de ses habits sombres des jours de classe.
- Professeur, j'ai oubl…
Les paroles moururent sur mes lèvres.
L'expression de Rogue me fit l'effet d'un saut d'eau glacée en plein visage. Ses yeux noirs étaient réfrigérants comme je les avais rarement vus. Avait-il seulement déjà posé un regard aussi hostile sur moi ? J'eus l'impression de me trouver à nouveau en première année, devant le maître des potions s'appliquant à terrifier ses nouveaux élèves. Qu'est-ce qui lui prenait ? Qu'est-ce que j'avais fait entre hier soir et ce matin pour mériter soudain une telle froideur ?
- Je… J'ai laissé ma baguette dans vos appartements.
Rogue l'avait en main. Il me la tendit sans un mot. Manifestement, il attendait ma venue. Derrière lui, dans le laboratoire, tout semblait silencieux. Aucune potion ne glougloutait sur le feu.
Je pris ma baguette.
- M-Merci.
La porte se referma, me laissant tétanisée dans le couloir.
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Une véritable ère glaciaire s'installa entre Rogue et moi dans les jours qui suivirent. Pour ajouter à mon désarroi, Blaise eut le bon goût d'être en retenue au début de la semaine, ce qui me valut le privilège d'affronter Rogue seule. Mon professeur était distant comme il ne l'avait jamais été. Il ignorait ma présence ou se contentait de me regarder avec indifférence, ne m'adressant la parole que pour le strict nécessaire, comme si rien ne valait la peine d'être dit.
Je ne comprenais rien à son comportement. Comment ses yeux pouvaient-ils être si froids, alors que je les avais vus si rassurants quelques jours plus tôt ? Autant cette gravité apaisante m'avait troublée, autant son absence provoquait maintenant une douloureuse sensation de manque.
Au bout de deux séances au laboratoire, j'étais à bout de nerfs, convaincue que Rogue m'en voulait à mourir pour mes manigances avec MacNair et O'Riley. La honte et la culpabilité me nouaient l'estomac en permanence.
Mon œil au beurre noir invisible ne semblait pas non plus prendre du mieux, si bien que je commençais à m'inquiéter. Mes raideurs dans la nuque persistaient. J'avais aussi repéré une formidable bosse à l'arrière de ma tête, là où je m'étais cognée quand O'Riley m'avait laissée choir sur le sol.
Le mardi après-midi, je me résolus à consulter Mme Pomfresh. Heureusement, aucun élève malade n'attendait dans le hall de l'infirmerie. Je n'avais pas la moindre envie d'avoir des spectateurs. Je jetai un coup d'œil par la porte ouverte du bureau. L'infirmière était penchée sur un registre et griffonnait d'un air affairé. Elle ne leva pas la tête quand je toquai contre le chambranle.
- Entrez. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?
Je m'éclaircis la gorge et fis quelque pas dans le bureau.
- Je me suis cogné le coude, mentis-je. J'aurais besoin d'un onguent cicatrisant.
L'infirmière consentit finalement à lever le nez de son travail.
- Relevez votre manche. Nous allons regarder ça.
Merde.
- Est-ce vraiment nécessaire ? J'ai juste un hématome tout ce qu'il y a de plus ordinaire. C'est que… je suis en retard. Le professeur Rogue m'attend dans son laboratoire.
Comment Severus Rogue était-il donc devenu la source d'inspiration à mes mensonges ? Je me rendis compte de mon erreur lorsque Mme Pomfresh me jeta un coup d'œil sceptique, puis regarda par-dessus mon épaule.
- Dans ce cas, vous serez tous les deux en retard, Miss Granger. Severus est ici.
Quoi ?
- Hum, hum, se manifesta une voix très grave derrière moi.
Je faillis me décrocher la mâchoire.
Le maître des potions me contourna et déposa sur le bureau une petite boîte remplie de fioles de verre.
- Cinq sont encore bonnes, dit-il à l'infirmière. Je vous en apporterai d'autres tout à l'heure.
Il se tourna vers moi et ses yeux noirs se plantèrent dans les miens.
- Miss Granger, je vous avais pourtant dit de consulter Mme Pomfresh pour votre… coude. Vous auriez dû m'écouter.
Je devins cramoisie.
- Quoi qu'il en soit, intervint Mme Pomfresh, il ne me reste plus d'onguent cicatrisant. J'ai épuisé mes réserves après la partie de Quidditch de samedi. Severus vous en procurera quand il en aura refait.
- Bien sûr, dit Rogue de sa voix la plus glaciale.
- Pour l'instant, Miss Granger, allez vous asseoir dans la salle d'évaluation. Je vais examiner votre coude.
- Euh… Je repasserai plus tard, bafouillai-je. Je dois… partir.
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Partagé entre amusement et découragement, Severus regarda une Hermione Granger écarlate s'enfuir de l'infirmerie. Lorsqu'elle eut disparu, il reporta son attention sur Mme Pomfresh. Elle le dévisageait, l'air d'attendre qu'il lance un sarcasme au sujet de son élève. Il n'en fit rien.
- Votre assistante ment plutôt mal, Severus.
- Rien d'étonnant, chez une Gryffondor.
- Les élèves qui viennent me voir pour une infection transmissible sexuellement ont toujours cet air gêné, marmonna-t-elle.
Il renifla.
- Hermione Granger ne venait pas vous voir pour une infection de ce genre, Pompom.
Elle lui lança un regard perçant.
- Vous semblez bien informé.
Il haussa les épaules.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire de coude ? demanda Mme Pomfresh.
- Une histoire, justement.
- Alors pourquoi Hermione Granger veut-elle de l'onguent cicatrisant ?
- Si elle avait envie de s'épancher, elle serait allée s'asseoir dans votre salle d'évaluation. Je ne vais pas le faire à sa place.
Évidemment, il savait très bien ce que couvait son élève. Un œil au beurre noir invisible et un malaise tenace causé par un certain maître des potions.
Severus se sentait comme le pire des salauds, et pourtant, il n'avait pas fait grand-chose de plus qu'ignorer son assistante. Elle aurait pu être en colère contre lui et lui renvoyer sa froideur, mais non. À l'inverse, elle semblait blessée et rongée par la culpabilité. Elle affichait une nervosité constante et osait à peine soutenir son regard, comme si elle avait commis un crime quelconque et qu'elle essayait de se faire oublier. Il détestait la voir ainsi. Il détestait encore plus se savoir responsable de la situation.
Pourquoi ne comprenait-elle pas ? Bon sang, elle était peut-être naïve, mais quand même. Ce n'était pas compliqué. Il était un homme, elle était une femme, ils étaient devenus trop familiers l'un envers l'autre. Entre un professeur et une élève, c'était déplacé.
Bientôt, elle ne sera plus ton élève et tu ne seras plus son professeur.
Il repoussa cette pensée agaçante.
Bientôt, je ne serai plus là du tout, songea-t-il.
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Une pluie torrentielle s'écrasait contre les fenêtres du château. Le bureau de Dumbledore baignait dans l'ambiance grise et morne des fins d'après-midis d'automne. Pour une raison obscure, les instruments et babioles bizarroïdes qui encombraient toujours la moitié de la salle avaient disparu. Visiblement, le directeur avait fait du ménage.
- Un bonbon à la menthe ?
- Non, je vous remercie.
Tant de choses avaient changé depuis mon dernier passage ici. J'avais cru pouvoir compter sur le soutien (certes relatif) de Rogue, mais je m'étais plutôt heurtée à son indifférence, une indifférence qui me remuait beaucoup plus que ce que j'aurais pu imaginer. Pour ajouter à mon désarroi, je m'étais encore une fois ridiculisée devant lui en me rendant à l'infirmerie au mauvais moment. Oh, Merlin, j'étais absolument pitoyable. Pourquoi le destin s'acharnait-il ainsi sur moi ?
- Vous semblez préoccupée, Miss Granger. Y a-t-il quelque chose dont vous aimeriez me parler ?
Même les yeux bleus de Dumbledore semblaient aussi las que la température, aujourd'hui. Depuis quand le directeur arborait-il un air si sérieux ? Décidément, tout le monde se comportait de façon bizarre, dans cette école.
- Non, tout va bien, professeur.
J'attendis qu'il m'expose la raison de ma présence ici, mais il ne semblait pas pressé d'en venir au fait. McGonagall m'avait aperçue par hasard à ma sortie de l'infirmerie et m'avait demandé de me rendre dans ce bureau, m'obligeant à rater le début de mon cours d'Arithmancie.
- Professeur, pourquoi vouliez-vous me parler ?
Dumbledore s'accouda sur son bureau, joignit les mains sous son menton et me contempla par-dessus ses lunettes. Je remuai dans mon fauteuil, droite comme un i, pressée d'en finir.
- J'ai réfléchi à votre situation, Miss Granger.
Ah. C'était donc ça. Devrais-je donc faire mes valises ce soir ? Allait-il me suggérer de terminer mes études à Beauxbâtons, loin des mangemorts dégénérés et des apothicaires pervers ? Je haussai les sourcils pour l'encourager à continuer. Autant en finir au plus vite. Au point où j'en étais…
- Puisque vous êtes majeure, à la fois dans les mondes sorcier et moldu, je juge qu'il revient à vous de prendre toutes les décisions qui vous concernent.
J'osai à peine en croire mes oreilles.
- Bien sûr, poursuivit-il, aussi longtemps que vous serez à Poudlard, vous serez en sécurité. En revanche, le jour où vous quitterez l'école, je ne saurais trop vous recommander de vous placer sous la protection d'une famille sorcière. Celle d'Arthur Weasley, par exemple.
- Merci, professeur.
Il inclina la tête.
- À présent, Miss Granger, j'aimerais connaître la raison de votre silence. Pourquoi n'aviez-vous pas parlé de l'incident entre vous et MacNair à qui que ce soit ?
Et c'était lui qui me demandait ça ? Franchement, la réponse était évidente !
- Je ne voulais pas que vous m'envoyiez à l'étranger comme vous l'avez fait avec Lisa Blair et sa fam…
Je m'interrompis.
Non.
Ce n'était pas ça, pas tout à fait. Soudain, il semblait que tout n'avait jamais été aussi clair dans ma tête. Je m'enfonçai dans mon fauteuil, abandonnant tout faux-semblant.
- J'avais honte.
Un ange passa.
- Professeur, vous dirigez une école. Vous êtes à la tête de l'Ordre du Phénix. Vous protégez chaque jour des personnes qui courent un véritable danger, qui risquent leur vie à tout instant pour combattre les forces de Vous-Savez-Qui. Et moi, moi, je suis une simple élève qui craignait un homme parce qu'elle l'avait un jour désarmé. Trouvez-vous mes problèmes préoccupants, comparés aux vôtres ? Sûrement pas. Alors, oui, j'avais honte d'être aux prises avec une menace si insignifiante pendant que d'autres en recevaient de bien plus graves. Je voulais me débrouiller seule.
Je repris mon souffle.
Pourquoi n'avais-je pas su trouver ces mots lorsque j'étais passée aux aveux devant Rogue ? Pourquoi n'avais-je pas réussi à lui expliquer la situation avec autant d'assurance ? Il me faisait perdre mes moyens, avec sa façon de me regarder comme s'il devinait tout de moi, jusque dans mes émotions les plus secrètes. Et je n'étais pas certaine que ça avait quoi que ce soit à voir avec la légilimencie, sinon Dumbledore m'aurait donné la même impression. Mais Rogue était un cas à part.
- Il ne me viendrait jamais à l'esprit de qualifier d'insignifiante la menace d'un mangemort, Miss Granger. Vous minimisez les faits.
- Je croyais que vous vouliez entendre mes raisons, et non l'inventaire de mes erreurs.
Merlin, avais-je la berlue ou bien la répartie cinglante de Rogue était en train de me contaminer ? Depuis que j'avais croisé la route de MacNair, je me souciais moins de choses futiles comme respecter tous les règlements à la lettre ou répondre poliment au directeur de l'école. Le fil de l'existence était beaucoup trop fragile pour qu'on omette de dire et d'agir selon ses convictions profondes.
- Vous ne manquez pas d'audace, Miss Granger. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi, pour autant que vous utilisiez cette aptitude à bon escient.
- Chacun de nous fait ce qu'il peut avec ce qu'il a.
- Certes. Je me permettrai néanmoins de vous adresser une recommandation. À l'avenir, ne vous entêtez pas à gérer seule une situation qui vous dépasse.
Quelle ironie.
Je n'avais jamais été aussi seule que maintenant. J'avais perdu mes parents et m'étais mis mes amis à dos. Néanmoins, c'était mieux que de les voir périr dans une attaque déguisée en accident de voiture ou de recevoir une photo d'eux signée de la main d'un mangemort. Si tout était à recommencer, j'aurais probablement agi de la même façon.
- Je me souviendrai de ce conseil, professeur.
- Sachez aussi que vous pourrez toujours compter sur le soutien de l'Ordre chaque fois que vous le demanderez.
- Merci.
Je me levai, devinant au ton de sa voix que la discussion était terminée. Dumbledore en fit autant.
- Une dernière chose, Miss Granger. Severus m'a demandé de vous remettre ceci.
Le directeur ramassa une boîte rangée sur une étagère et me la remit.
- Qu'est-ce que c'est ? demandai-je, perplexe.
- À vous de voir. Cette boîte vous appartient.
Je quittai le bureau, trop préoccupée pour remarquer que l'étagère où reposait la boîte était vide. Comme toutes les étagères du bureau.
Lorsque je fus de retour dans le couloir, devant la gargouille de pierre, j'ouvris le mystérieux paquet. Mon cœur rata un battement. Il contenait ma robe du jour de l'attaque, le foulard rouge et les photos envoyées par MacNair.
Ce fut le coup de grâce.
Je refermai la boîte d'un coup sec, un profond sentiment d'amertume s'insinuant en moi.
J'avais vu Rogue à plusieurs reprises depuis notre longue discussion dans ses appartements. Malgré tout, il n'avait pas daigné me remettre mes effets personnels en mains propres, préférant refiler cette corvée à Dumbledore.
J'avais perdu sa considération à un point tel qu'il ne voulait même plus m'adresser la parole.
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Plus tard ce soir-là, une honte cuisante me taraudait. Ruminant mes malheurs, j'essayais de travailler sans succès sur un devoir de métamorphose, à plat ventre sur mon lit, les rideaux tirés autour moi, lorsque je me rendis à l'évidence.
Je dégoûtais Rogue.
Pourquoi ce brusque revirement ?
Je soupirai en caressant machinalement la grosse bosse douloureuse à l'arrière de ma tête.
C'était pourtant évident.
Je manigançais dans le dos de mon professeur depuis des semaines. Je lui avais menti mille fois. Pire que tout : j'étais allée me livrer en pâture à un homme qui le rebutait. J'avais tout fait pour m'attirer le mépris de Severus Rogue. Comment pouvait-il désormais me regarder sans revoir mon chemisier déchiré, mon œil au beurre noir et mon visage en larmes ? Il devait me trouver pathétique, lui qui était si digne, si fier, si maître de lui-même.
J'avais tout gâché.
Nous avions établi une relation constructive et efficace, nous travaillions dans un climat de respect mutuel. Cet équilibre avait été ébranlé le jour de l'agression d'O'Riley, où j'avais montré ma fragilité à Rogue. À ma grande surprise, il avait fait preuve d'une patience insoupçonnée. Nous avions partagé quelque chose qui allait au-delà d'une relation purement académique. C'était déstabilisant. Malgré tout, je pouvais très bien gérer le trouble qui m'envahissait devant un Severus Rogue grave et solide. Je pouvais faire face à cette attitude déroutante, même si elle était, justement, déroutante.
Mais affronter la froideur et l'indifférence ? Pire, le mépris, l'hostilité ? Non. Je n'en aurais jamais la force. Plus maintenant, plus après avoir connu l'homme derrière le professeur.
Je ne pouvais plus le côtoyer au laboratoire.
Je devais démissionner.
- Nox.
Je refermai mon livre de métamorphose en y écrasant distraitement mon devoir et me recroquevillai sur mon lit. Mes paupières se chargèrent de larmes amères. Je les laissai couler librement, immobile, en fixant la noirceur.
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Il prendra sa revanche.
Un poids m'écrasait l'abdomen, m'empêchant de respirer. Mes poumons criaient grâce. Je suffoquais. Au-dessus de moi, O'Riley soufflait comme un bœuf, ses hanches heurtant les miennes au rythme de ses coups de reins. La douleur me fendait le ventre. Je fermai les yeux très fort, comme pour créer une barrière entre lui et moi, pour me soustraire à sa brutalité. Et toujours ce genou qui s'enfonçait en moi pour me maintenir immobile. Le genou du mangemort. De MacNair.
Je parvins à aspirer une longue goulée d'air. La douleur se raviva, me pénétrant comme un poignard. La panique me grugeait de l'intérieur, inhibant mes réflexes, m'empêchant de réfléchir. J'étais prisonnière.
Il prendra sa revanche.
Une silhouette sombre me surplombait.
Rogue.
Ses yeux noirs me fixaient avec une répulsion insoutenable. Comment ce regard avait-il pu un jour m'apparaître si rassurant, alors qu'il était maintenant si froid ?
- Vous l'avez mérité, martelait-il. Vous récoltez ce que vous avez mérité.
- Je ne voulais pas…
- Vous m'en direz tant.
- S'il-vous-plaît, faites-les partir. J'ai mal.
- Non.
Une moue sardonique incurva ses lèvres.
- Cessez de vous plaindre et subissez. Vous le méritez.
Je me débattis et cherchai mon souffle. Le genou s'alourdissait au creux de mon estomac. Rogue me contemplait avec indifférence, les bras croisés. J'avais mal, je manquais d'air, j'allais mourir.
Brusquement, tout prit fin.
Les visages des trois hommes disparurent dans le néant, me laissant haletante sur mon lit, mon manuel de métamorphose fermement enfoncé contre mon ventre. Autour de moi, les rideaux étaient clos. J'étais seule.
Ce n'était qu'un cauchemar.
Je poussai un soupir nerveux. Mon cœur voulait me défoncer la cage thoracique. À la fois transie et en nage, j'enfouis mon visage entre mes mains. Des sueurs froides perlaient sur mon front. Je m'étais endormie tout habillée par-dessus les couvertures, des mouchoirs éparpillés autour de moi. La douleur me nouait encore le bas-ventre, mais elle semblait maintenant désagréablement familière. Mes règles avaient commencé.
Je me redressai sur mon séant, pantelante, et écartai les rideaux. Une obscurité épaisse régnait dans le dortoir. La respiration régulière de Parvati me parvenait du lit voisin. Quelle heure pouvait-il être ?
Les jambes tremblantes, je me levai et me rendis à la salle de bain, le temps de m'asperger le visage et de me changer. Lorsque je revins à mon lit, je glissai un coup d'œil par la fenêtre. Le firmament s'étirait comme une gigantesque toile noir d'encre, transpercée par mille lointaines étincelles lumineuses. Au milieu des astres brillait le premier quartier de lune.
Les plaintes argentées qui reposaient dans le fort lunaire, dans la Forêt Interdite, avaient sans doute atteint leur terme. Rogue avaient dû les utiliser pour concocter sa mystérieuse potion. Le philtre Remue-mort.
À quoi pouvait-il bien être destiné ?
Je me recouchai et m'emmitouflai sous les couvertures moelleuses. Avant de plonger à nouveau dans un sommeil agité, j'eus une pensée pour mes parents qui devaient dormir paisiblement, dans leur coquette maison nichée entre montagnes et forêts.
Les cauchemars me poursuivirent jusqu'à l'aube.
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Un rêve désagréable réveilla Severus en sursaut. Tous les sens aux aguets, les yeux grand ouverts dans la noirceur, il mit quelques secondes à émerger des brumes du sommeil et à comprendre qu'aucun mangemort n'était en train d'étrangler Hermione Granger. Severus se frotta le visage et repoussa les mèches de jais qui lui tombaient sur le front. Maintenant qu'il s'était résolu à ne plus porter attention à son assistante, voilà qu'elle lui imposait sa présence jusque dans son sommeil.
Il étira le bras hors de la chaleur des draps et chercha à tâtons sa montre gousset sur la table de nuit. Elle s'illumina lorsqu'il la porta à ses yeux. Cinq heures. L'aube tardive de novembre était encore loin, mais il n'arriverait pas à se rendormir.
Sa dernière nuit à Poudlard était quelque peu écourtée.
Il repoussa les couvertures et se leva. La froideur désagréable du dallage de pierre mordit ses pieds nus lorsqu'il traversa la chambre. Il cueillit sa baguette, l'approcha de sa tempe et en tira un long filament argenté qu'il emprisonna dans un bocal déjà rempli de la même substance mouvante. Tous des vestiges de réflexions étourdissantes et de souvenirs tenaces. Aujourd'hui, il devait garder la tête froide et ne pas se laisser distraire par quoi que ce soit. Surtout pas par une jeune femme frêle aux grands yeux noisette.
Il quitta la chambre, parcourut le couloir et regarda machinalement dans le laboratoire. Le chaudron avait refroidi. Il s'en échappait une curieuse lumière argentée qui éclairait toute la pièce sans pour autant éblouir l'œil. Sur la table de travail, les tiges et les feuilles qui restaient des plaintes argentées reposaient en un petit amoncellement. Severus les utiliserait pour concocter un engrais destiné aux herbes médicales fragiles. C'était toujours pratique.
Se concentrant sur ces menues tâches pour occuper son esprit, il revint sur ses pas et s'engouffra dans la salle de bain. Il fit glisser son pantalon le long de ses jambes, puis pénétra sous la douche et offrit son dos aux jets puissants. L'eau brûlante ruissela sur son corps et détendit les appréhensions qui lui nouaient les muscles.
Tout était prêt.
Tout irait bien.
Demain, à son réveil, il serait à Talamhcríochnaigh, loin du tumulte de ce mercredi maudit, loin de la froideur humide de ces cachots, et il pourrait contempler les premiers rayons de l'aurore chasser les brumes de la nuit sur l'océan.
En dépit de ses résolutions les plus fermes, il ne put s'empêcher de penser qu'il verrait Hermione Granger pour la dernière fois ce soir.
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Rogue leva à peine les yeux à mon arrivée dans le laboratoire, s'affairant à chercher quelque chose dans son bureau. Je restai plantée à quelque pas de lui, attendant qu'il daigne m'adresser la parole.
C'était mercredi.
Jour maudit où je devais être en retenue pour mes bêtises, où je devais démissionner de mon poste d'assistante. Après une nuit trop courte et une journée combien longue et angoissante, je n'étais pas revenue sur ma décision. Maintenant que le moment fatidique était arrivé, la fébrilité me nouait l'estomac.
- Miss Granger, ai-je besoin de vous rappeler la configuration des lieux ? demanda mon professeur sans pour autant me regarder. La table de travail est juste devant vous. Les instructions sont prêtes. Installez-vous et commencez la potion.
Une potion ? Décidément, cette soirée ressemblerait davantage à une banale séance de travail qu'à une retenue.
Rogue ouvrait maintenant les tiroirs de son bureau un à un, très absorbé.
Je rassemblai mon courage. Malgré moi, mes yeux devinrent humides.
- Professeur, je voudrais vous parler, dis-je, la gorge serrée.
- Faites vite, je suis pressé.
- Je démissionne.
Clair, simple, concis.
Cette fois, Rogue ne pourrait pas me reprocher de l'ensevelir sous un charabia nébuleux.
- En dépit de vos facultés mnémoniques invraisemblables, auriez-vous oublié que vous ne pouvez pas démissionner de votre poste d'assistante ? Cette condition était précisée dans le contrat magique que vous avez signé en septembre dernier.
Il referma le dernier tiroir de son bureau, me contourna et s'intéressa aux fioles rangées dans une armoire de verre.
Je me sentis accablée par une profonde lassitude. Que je veuille démissionner, Rogue s'en fichait éperdument. Il se fichait de moi tout court.
- Alors renvoyez-moi, dans ce cas.
- Pourquoi devrais-je vous renvoyer ?
Il préleva quelques fioles pour les glisser dans une poche de ses habits, parfaitement indifférent à mon drame intérieur.
- C'est pourtant simple, répliquai-je sans pouvoir me retenir. Je manigance dans votre dos depuis des semaines. Je vous dégoûte parce que j'ai laissé votre apothicaire me tripoter. Je ne veux pas subir votre mépris. Et pour commencer, est-ce que ça vous tuerait de me regarder quand je vous adresse la parole ?
Je repris mon souffle, hébétée par ma propre franchise.
Cette fois, Rogue posa la fiole qu'il examinait et se détourna de l'armoire de verre. Il croisa les bras et vint lentement se planter à 30 centimètres de moi, profitant de cette proximité effrontée et de sa stature avantageuse pour me déstabiliser. Je renversai la tête pour lui faire face, refusant de lui donner la satisfaction de reculer d'un poil.
Comment avions-nous donc pris l'habitude de ce sempiternel petit jeu de force ?
Ses yeux noirs fouillèrent les miens avec cette insistance déroutante dont eux seuls avaient le secret. Je devais avoir une mine affreuse, avec mon teint blafard, mes cernes et mes yeux rougis par une nuit mouvementée. Finalement, il était peut-être plus facile de m'adresser au dos de Rogue que d'affronter son regard pénétrant.
- Assoyez-vous, dit-il en désignant un fauteuil derrière moi.
Il paraissait soudain aussi solide et rassurant que lorsque j'avais craqué devant lui, quelques jours plus tôt. Le professeur tyrannique avait disparu. L'homme était de retour.
Des papillons s'agitèrent nerveusement au creux de mon ventre.
- Non.
Rogue haussa un sourcil.
- Pourquoi prétendez-vous vouloir me parler si vous refusez ensuite de le faire ?
- Nous n'avons pas besoin de discuter. Je vous demande seulement de me renvoyer du poste d'assistante.
- Vos raisons sont mauvaises, Miss Granger. Je refuse votre démission.
Le désespoir me gagna.
- Pourquoi ? Vous avez bien Blaise.
- C'est vous que je veux. Zabini ne vous arrive pas à la cheville.
En d'autres circonstances, j'aurais rougi de plaisir en entendant pareil compliment de la bouche de Rogue, mais j'étais trop préoccupée par mon sort pour m'en formaliser.
- S'il-vous-plaît, murmurai-je, à bout d'arguments.
Les yeux sombres se firent graves.
- Miss Granger, je ne vois aucun prétexte raisonnable pour accepter votre démission. Si vous croyez que les récents… événements aient pu avoir la moindre influence sur vos aptitudes, vous faites erreur. Vous êtes toujours la même personne à qui j'ai choisi de faire signer ce contrat en septembre et je n'ai pas l'intention de revenir sur ma décision.
- Alors pourquoi me regardez-vous comme si j'étais répugnante ?
La question avait fusé d'elle-même. Je me mordis la lèvre.
- Qu'est-ce qui vous fait croire que je vous trouve répugnante ?
- Votre attitude.
Encore une fois, je crains d'en avoir trop dit, mais mon accusation ne fit pas broncher Rogue. Une lueur incongrue traversa ses prunelles d'onyx.
De l'amusement.
Oh, Merlin, s'il fallait en plus qu'il commence à se moquer de moi…
- Depuis quand êtes-vous si opiniâtre lorsque vous vous adressez à moi, Hermione Granger ? Devrais-je craindre une colère comme celle que vous m'avez servie, le jour où vous avez avoué le déménagement de vos parents à l'étranger ?
Je rougis et me tint coite, ne sachant quoi répondre. En effet, depuis quand étais-je si loquace devant lui ? Si cette soirée dans le laboratoire devait être la dernière, autant dire à Rogue tout ce que j'avais sur le cœur.
Il décroisa les bras et reprit :
- Mon attitude n'est aucunement destinée à vous blesser.
Il n'y avait plus aucune trace d'ironie dans sa voix.
- Alors à quoi est-elle destinée ?
Fait rare, mon professeur si imperturbable sembla chercher ses mots.
- Vous comprendrez plus tard.
C'était une réponse pour le moins évasive, mais Rogue me contempla sans rien ajouter. Je soutins son regard. Le silence s'installa entre nous sans devenir inconfortable. J'eus l'impression que mes pensées fuyaient l'une après l'autre pour laisser mon cerveau étrangement vide. Tout disparut peu à peu de mon champ de vision sauf ces yeux noirs, incisifs et captivants. Ce moment était irréel, tout comme cette conversation, et je n'avais pas envie qu'il prenne fin, comme si échanger un interminable regard avec Rogue était devenu une activité plaisante. Apaisante.
Sa voix veloutée s'éleva en douceur :
- Je ne peux pas m'attarder ici et j'ai une potion importante à vous faire préparer. Elle vous paraîtra simple, mais vous devez la réussir à la perfection.
Détachant ses yeux sombres des miens, il me contourna pour ramasser la lourde cape d'hiver posée sur un fauteuil. Je l'observai s'en recouvrir les épaules.
- Lisez attentivement les consignes et suivez-les à la lettre, poursuivit-il en capturant à nouveau mon regard.
Il fit une pause.
- Puis-je compter sur vous ?
Les battements de mon cœur s'étaient accélérés, signe d'un mauvais pressentiment. Toutes les potions devaient toujours être préparées à la perfection. Pourquoi Rogue le précisait-il cette fois ?
- Miss Granger ? insista-t-il.
- Oui, bien sûr, professeur. Vous pouvez compter sur moi.
Il retourna à son bureau, fourragea dans des rouleaux de parchemin et en rangea quelques-uns dans la poche de sa cape.
Sentant que la discussion était terminée, je m'approchai de la table de travail et pris la feuille d'instructions posée à côté du chaudron. Rogue y avait inscrit les consignes d'une calligraphie qui lui ressemblait, longue et pleine de prestance. Le parchemin n'était pas titré. Depuis quand Rogue nous faisait-il préparer des potions non identifiées ?
Je jetai un coup d'œil au chaudron. Il contenait déjà une potion d'un rose translucide, semblable à une boisson gazeuse moldue. Sans doute Rogue avait-il déjà accompli les premières étapes du mélange.
- Professeur… Quelle est donc cette potion ?
Il y eut un silence juste assez long pour que je comprenne qu'il pesait le pour et le contre.
- Un philtre d'Émergence, dit-il enfin.
Qu'est-ce que c'était que ça ? J'attendis la suite, perplexe. Il n'ajouta rien d'autre.
Mon cœur rata encore un battement. Il y avait quelque chose d'étrange dans l'attitude de Rogue et dans ce laboratoire.
- J'allais oublier de vous donner ceci, dit-il en extirpant un petit flacon violet de sa cape. C'est pour vous.
Il le déposa sur le coin de son bureau. J'allais l'observer de plus près, mais Rogue capta mon attention en rangeant une dernière enveloppe dans sa poche. Merlin, combien y avait-il donc de poches, dans cette cape ? Et où s'en allait-il, avec tout ce matériel ?
Il s'arrêta à quelques pas de moi. Ses prunelles d'onyx s'emparèrent à nouveau des miennes, leur communiquant encore cette impression de solidité et de sécurité.
- Ne vous laissez pas déconcentrer.
Depuis quand pouvait-on être déconcentré par quoi que ce soit dans le laboratoire, au fin fond des cachots de Poudlard ? Je faillis le lui demander, mais mes pensées étaient ailleurs.
Comment sa voix avait-elle le pouvoir d'être si apaisante ?
- D'accord, répondis-je, avec sept secondes de retard.
Il se détourna et marcha vers la porte.
- Professeur ? lançai-je sans réfléchir.
Il s'arrêta, la main sur la poignée.
Mais où allez-vous ? eus-je envie de demander.
- Je… Soyez prudent.
Il inclina brièvement la tête.
- Soyez prudente aussi, Miss Granger. Ne prenez pas de risque inutile.
Quoi ?
Soyez prudente aussi ?
Ne prenez pas de risque inutile ?
Le contact visuel se brisa. Rogue quitta le laboratoire, me laissant seule dans le silence.
Je réalisai que je retenais mon souffle et que mes mains s'agrippaient fermement aux rebords de la table de travail. Qu'est-ce qui m'arrivait ?
Il se passait quelque chose de bizarre. De vraiment bizarre.
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Hermione Granger, répugnante ? Non mais d'où lui venait une idée aussi saugrenue ? O'Riley le dégoûtait, mais pas elle. Qu'est-ce qu'il lui prenait ? Vraiment, elle avait beau être brillante, elle n'était pas particulièrement douée pour ce qu'on n'apprenait pas dans des livres.
Severus soupira.
Avait-il commis une erreur en lui faisant préparer le philtre d'Émergence ? Sans doute pas. Qui aurait pu s'en occuper, sinon ?
Severus n'en avait rien dit à Dumbledore. Il n'aurait pas été d'accord. En fait, il ne savait pas de quoi Hermione Granger était véritablement capable. Severus le savait, lui.
Plusieurs vies reposeraient sur les épaules de son assistante ce soir. Elle serait en mesure d'y faire face.
Il rangea ses pensées dans un coin de son esprit et essaya de se concentrer sur la mission dangereuse qui l'attendait.
Mais de grands yeux marron le hantaient.
Les yeux d'Hermione Granger.
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Ce soir-là, Severus n'était pas le seul homme dont les réflexions étaient tournées vers une Gryffondor de septième année à la chevelure fantasque.
Walden MacNair attendait son heure, la main jalousement refermée sur sa baguette comme une serre d'aigle sur sa proie.
Bientôt, les mangemorts allaient investir Poudlard, la célèbre école réputée pour être impénétrable. Cette même école où étudiait cette H. G., alias Hermione Granger, dont il n'avait pas eu le temps de s'occuper convenablement lorsqu'il avait croisé sa route sur l'allée des Irlandais, plusieurs semaines plus tôt.
MacNair était patient. Il pouvait attendre très longtemps pour terminer en beauté ce qu'il entreprenait. Surtout s'il était question d'une jeune femme aussi attirante que méprisable.
Ce soir, l'occasion était trop belle. Trouver cette brunette ne serait certes pas le but de l'intrusion des mangemorts dans Poudlard, mais le Seigneur des Ténèbres ne disait jamais non à de petites escapades d'agrément, pour autant que les missions soient exécutées dans les règles de l'art.
Ce plan prometteur donna à MacNair un sentiment de toute puissance.
Il pourrait enfin prendre sa revanche.
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Je fouillai dans mon sac à la recherche d'une plume, mais n'en trouvai pas.
Je soupirai. Rogue semblait tenir à ce que la potion soit réalisée à la perfection. Je n'allais sûrement pas prendre le risque de rater une instruction importante en négligeant de les annoter au fur et à mesure. Pour ça, j'avais besoin d'une plume.
Je m'approchai du bureau de Rogue pour lui en emprunter une, mais aucune ne traînait. Je lorgnai les tiroirs et tendis l'oreille, hésitante. Il n'y avait aucun bruit. Mon professeur semblait pressé, il n'allait sûrement pas revenir ici de sitôt. Je me décidai à ouvrir un tiroir de son bureau. Puis un autre, et un autre. Et enfin le dernier.
Ils étaient tous vides.
Ce fut seulement à ce moment que je compris l'étrangeté des lieux. Aucune pile de devoirs à corriger ne s'entassait sur un coin du bureau. Aucun parchemin vierge, aucun pot d'encre, aucun calepin noirci de notes.
Je balayai le laboratoire d'un regard circulaire. Même les sempiternels flacons qui s'alignaient sur les étagères avait disparu. Les chaudrons qui bouillonnaient jour et nuit à feu doux étaient tous soigneusement rangés sur le mur du fond, classés par grandeur et par épaisseur. Et où étaient passés les habituels calculs compliqués qui s'entassaient sur le tableau noir ? Effacés.
À croire que Severus Rogue n'avait jamais occupé ces lieux, ou encore qu'il comptait aménager son laboratoire dans une autre salle du château.
Mais qu'est-ce qui se passait ici ?
Les sourcils froncés, je revins à la table de travail et lus attentivement les instructions de Rogue, comme si, au fond de moi, je savais que j'y trouverais quelque chose d'inusité.
Ce fut à la toute fin du parchemin. Les dernières consignes me firent sourciller :
Rangez la potion sur la plus haute étagère de la réserve.
Rangez tout le matériel utilisé.
Allez immédiatement à l'infirmerie.
Aller à l'infirmerie ? À cause de mon œil au beurre noir ? Drôle d'idée. À l'heure où je terminerais ma retenue, Mme Pomfresh serait couchée depuis longtemps.
Important : La durée de vie de la potion est de 3 heures. Deux ou trois gouttes suffisent pour faire effet.
Je fixai le parchemin, perplexe.
Une potion avec une durée de vie de 3 heures ? Qu'est-ce que Rogue allait-bien en faire ? Serait-il seulement de retour dans 3 heures ?
J'examinai la fiole posée à côté du chaudron. Mon professeur y avait déjà posé une étiquette où on pouvait lire le nom du philtre.
Tout était prêt.
J'inspirai profondément et me mis au travail.
Mon intuition me soufflait que je ne devais surtout pas rater cette potion.
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C'était le chaos absolu.
Les gens hurlaient, se bousculaient, se piétinaient.
C'était le moment que MacNair préférait. Ce vacarme l'excitait, annonçait mille occasions de libérer ses pulsions.
Il jeta un regard aux autres mangemorts. Ils pourraient très bien se débrouiller sans lui.
Alors il agita sa baguette. Sa taille se rapetissa, son visage se lissa, ses cheveux poussèrent et blondirent. Il avait de nouveau 11 ans et portait un uniforme aux couleurs de Poufsouffle. Personne ne se méfiait jamais des Poufsouffle. Personne non plus ne remarquerait qu'un élève inconnu s'était immiscé dans la pagaille.
MacNair se faufila à travers les élèves paniqués, passant complètement inaperçu.
Maintenant, il n'avait plus qu'à trouver Hermione Granger.
Un jeu d'enfant.
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J'étais en train de mesurer 15 grammes d'écailles de sirène, lorsqu'un bruit inusité me fit sursauter. Je me figeai, le cœur battant.
Qu'est-ce que c'était que ça ?
On aurait juré une sorte d'explosion diffuse, comme en sourdine. Je posai la cuillère et la fiole que j'avais en mains et tendis l'oreille.
Le bruit recommença, enfla jusqu'à devenir un véritable vacarme. Des détonations irrégulières retentissaient d'un endroit lointain. Poudlard semblait trembler jusque dans ses fondations.
Merlin, mais que se passe-t-il ?!
Horrifiée, je me ruai sur la porte du laboratoire.
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Le jeune Poufsouffle inconnu se mêla aux élèves terrifiés qui se rassemblaient dans la Grande Salle.
- Par ici, criait un auror. Dépêchez-vous !
MacNair se dressa sur la pointe des pieds et chercha l'uniforme des Gryffondor dans la mer d'élèves. O'Riley lui avait dit qu'Hermione Granger portait les couleurs de cette maison. Ce n'était pas étonnant qu'une fille aussi arrogante se retrouve avec les écervelés de Gryffondor.
MacNair repéra de nombreuses jeunes adultes parmi les rouge et or, mais aucune brunette de taille délicate avec un chignon à moitié défait.
- Il n'y a plus personne dans les dortoirs, lançait un préfet de Serdaigle, suivi d'une dizaine d'élèves apeurés.
- Dans les dortoirs de Poufsouffle non plus, renchérissait une jeune fille arborant un uniforme avec du jaune.
MacNair fit tant bien que mal le tour de la Grande Salle. Il se rendit vite à l'évidence : Hermione Granger n'y était pas. Alors où pouvait-elle être ?
Il traversa à nouveau la masse d'élèves et se faufila dans le couloir, sous le nez d'un Kingsley Shacklebolt aux prises avec des fillettes en pleurs.
Au détour d'un couloir, il faillit percuter un Serpentard. Il était seul.
- Qu'est-ce que tu fais là ? demanda le Serpentard. Tu devrais être dans la Grande Salle.
Toi aussi, imbécile, eut envie de répliquer MacNair. Mais ça n'aurait pas été très crédible de la part d'un garçon de 11 ans, d'autant plus que ce garçon ne devait pas se faire remarquer.
MacNair jaugea le Serpentard. C'était un grand jeune homme d'environ 17 ans, avec un nez aquilin, des yeux gris et des cheveux châtains si décoiffés qu'ils tenaient mystérieusement dans les airs. Sa cravate était nouée n'importe comment. Il n'était sans doute pas un fils de mangemort, car MacNair ne reconnaissait pas du tout les traits de son visage.
Il hésita. Devait-il lui parler ou s'enfuir ? Lui parler. Les Serpentard les plus vieux ne s'intéressaient jamais aux jeunes élèves des autres maisons. Ce Serpentard ne se souviendrait même plus de lui dans cinq minutes.
- Où est Hermione Granger ? demanda MacNair de sa voix d'enfant.
Avait-il vraiment eu cette voix suraiguë un jour ? Ça faisait si longtemps.
Le jeune homme lui lança un regard dubitatif.
- Aucune idée. Pourquoi tu la cherches ?
- C'est McGonagall qui la cherche.
- Ah. Elle est sûrement dans la Grande Salle.
- Non, elle n'est pas là.
- Tout le monde est dans la Grande Salle, le rembarra le jeune homme en s'éloignant. Retourne voir.
MacNair faillit lui lancer un sort pendant qu'il avait le dos tourné, mais se fit violence pour garder la tête froide. Très bientôt, il pourrait lancer tous les sorts dont il aurait envie à Hermione Granger.
Où pouvait-elle bien être ?
MacNair savait une seule chose à propos de cette idiote, outre qu'elle était une Gryffondor, qu'elle était tout à fait appétissante et qu'elle flânait à Londres en octobre dernier, pendant un jour de classe.
Elle s'occupait d'aller chercher les ingrédients des potions pour l'école.
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Blaise s'éloigna dans le couloir en direction inverse de la Grande Salle. Il avait entendu un auror parler d'une attaque des mangemorts dans les étages supérieurs du château et il avait bien envie d'aller y jeter un coup d'œil, ne serait-ce que pour dresser l'inventaire des Serpentard qui iraient rejoindre leur père ou leur oncle dans la bagarre. Tous les professeurs y étaient. Parviendraient-ils à contenir l'attaque ?
Blaise fronça les sourcils.
Pourquoi McGonagall voulait-elle voir Hermione ? Et pourquoi avait-elle eu l'idée saugrenue de la faire chercher par un Poufsouffle de première année ?
Le Serpentard s'arrêta net, soudain alerté.
Il n'était pas un Zabini pour rien : il n'oubliait pas un visage.
Et il n'avait jamais vu celui du gamin auparavant.
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La porte du laboratoire était barrée.
Je m'escrimai à tourner la poignée, lançai des Alohomora, flanquai des coups de pied qui me donnèrent l'impression de m'être cassé les orteils.
La porte ne broncha pas.
Je m'arrêtai, à bout de souffle. Les explosions retentissaient de plus belle.
Qu'est-ce qui se passait ? Allais-je me retrouver ensevelie sous les décombres du château ?
Pourquoi Rogue avait-il barré la porte, pour commencer ? Il devait pourtant savoir que je n'étais pas le genre d'élève qui se sauvait d'une retenue ou qui laissait une potion en plan.
Non. C'était autre chose. Quelque chose de grave.
Paralysée, j'écoutai le vacarme en fixant le vide, ne sachant que faire, jusqu'à ce que les paroles de Rogue me traversent l'esprit.
Ne vous laissez pas déconcentrer.
Rogue savait-il ce qui se produirait pendant ma retenue ? Avait-il bloqué la porte pour m'empêcher de quitter le laboratoire, sachant que la tentation serait grande d'en partir ?
J'ai une potion importante à préparer.
Puis-je compter sur vous ?
Au prix d'un effort colossal, je revins vers la table de travail. Mon cœur battait jusque dans ma gorge. Je respirai profondément pour calmer sa course effrénée.
Ne vous laissez pas déconcentrer.
J'essayai de faire le vide dans mon esprit et je repris le mélange là où je l'avais laissé, en redoublant d'attention pour ne commettre aucune erreur.
Ce n'était plus du sang qui coulait dans mes veines, c'était de l'adrénaline.
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Blaise revint à la course vers la Grande Salle et pénétra dans la foule compacte, scrutant les visages autour de lui. Heureusement qu'il dépassait la plupart des élèves d'une tête. Mais tout le monde arpentait les lieux dans tous les sens, si bien qu'il ne parvint pas à repérer le gamin inconnu qu'il avait croisé dans le couloir.
Il accrocha une jeune Poufsouffle par le bras, la première qui lui tomba sous la main. La jeune fille poussa un cri terrorisé devant ce grand Serpentard qui l'avait saisie avec un peu trop d'insistance.
- Hé, du calme.
Elle était minuscule. Sans doute une première année. Il se pencha pour être à sa hauteur.
- Est-ce qu'il y a un garçon blond aux yeux bleus dans ton année à Poufsouffle ?
La fille le regarda, interloquée.
- Réponds, la pressa-t-il. C'est important.
- Non, il n'y a pas de gars blond. Pas à Poufsouffle. Il y a deux filles blondes, par contre.
- Et en deuxième année ?
- Euh… non plus.
- Tu es certaine ?
- Mais si.
- C'est ce que je croyais, marmonna Blaise pour lui-même.
Lâchant la Poufsouffle, il se redressa et pivota sur lui-même, ses yeux gris arpentant la salle à la recherche d'un auror. La pagaille était indescriptible. Kingsley Shacklebolt en avaient plein les bras avec des élèves paniquées. Les autres aurors semblaient aussi occupés que lui.
Blaise ressortit en douce de la Grande Salle et remarqua un adulte qui s'amenait en claudiquant.
Maugrey Fol Œil.
Parfait. Il avait justement besoin d'une personne un brin paranoïaque et encline à croire à des ruses extravagantes.
Blaise le rejoignit en courant.
- Qu'est-ce que tu fais là ? l'apostropha l'homme. Tu dois rester dans la Grande Salle.
Le Serpentard s'arrêta à sa hauteur, le souffle court.
- Un faux élève s'est infiltré dans l'école.
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Le vacarme mit un temps interminable à se taire. Les détonations finirent par se perdre dans le lointain. Les tremblements qui secouaient les murs du château s'évanouirent. Tout redevint calme et paisible, comme si le tumulte n'avait été qu'un mauvais rêve.
Il ne restait que quelques étapes à la préparation du philtre d'Émergence. Je m'appliquais à respecter les consignes dans le plus menu détail, comme si je n'avais jamais été interrompue par un véritable tremblement de terre, quand un bruit inattendu me dérangea à nouveau.
Quelqu'un cogna à la porte.
Une éprouvette en suspens au-dessus du chaudron, je relevai vivement la tête et fixai l'acajou chatoyant, comme si j'avais espéré voir au travers. Une sensation de froid m'avait envahi la poitrine. Après le chahut qui avait secoué Poudlard jusque dans ses entrailles, le son pourtant si familier d'un cognement me sembla étrangement déplacé.
Pendant quelques secondes, un silence assourdissant m'emplit les oreilles.
Avais-je rêvé ?
On toqua à nouveau. Quatre coups secs et rapides.
Il y avait vraiment quelqu'un. Dans le couloir. Quelqu'un qui voulait que je lui ouvre. Qui était-ce ?
Ne vous laissez pas déconcentrer.
Peut-être un professeur voulait-il voir Rogue, pensant le trouver ici alors qu'il s'était absenté pour la soirée ? Quoi de plus banal ?
Je déposai doucement mon éprouvette sur le comptoir et frottai mes mains l'une contre l'autre pour en retirer les miettes de pétales de rose qui s'y étaient agrippées. J'allais me diriger vers la porte, lorsqu'on cogna à nouveau, plus fort, de façon impérieuse. Plutôt que de réagir plus promptement, je restai pétrifiée.
Merlin, mais qui était dans le couloir ? Si c'était urgent, pourquoi le visiteur ne demandait-il pas qu'on lui ouvre ? À croire qu'il ne voulait pas être entendu…
Soyez prudente.
Ne prenez pas de risque inutile.
Je n'allais pas ouvrir la porte. J'étais en retenue. Et Rogue n'était pas, là de toute façon. La personne allait partir. Si elle avait vraiment besoin de dire quelque chose au maître des potions, elle lui collerait un message sur la porte.
J'attendis, osant à peine respirer, en proie à une peur aussi soudaine qu'irrationnelle. Je ne m'expliquais pourquoi, mais je sentais que l'inconnu ne devait surtout pas avoir vent de ma présence.
Soudain, une véritable explosion me transperça les tympans, toute proche, dans le couloir. La porte en trembla dans ses gonds.
Un violent haut-le-cœur me fit tressaillir.
Quelqu'un voulait vraiment entrer ici, quitte à faire voler la porte en éclats.
Luttant contre la nausée, je me penchai, retirai mes chaussures et traversai le laboratoire en courant sur la pointe des pieds.
L'intrus ne devait pas savoir que j'étais ici.
Soyez prudente.
J'ouvris la porte de la réserve à la volée, m'y engouffrai et la refermai silencieusement derrière moi.
Tremblant de tous mes membres, je fixai la noirceur, priant pour que l'indésirable ne réussisse pas à s'introduire dans le laboratoire.
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oOoOoOo
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Dans le couloir, un Walden MacNair de onze ans s'acharnait sur l'entrée du laboratoire de Rogue. Il testa les sorts les plus puissants, faisant quasiment exploser le lourd acajou, qui refusa de céder.
Une fureur froide s'insinua en lui.
Ça, c'était bien Rogue. Protéger ses appartements comme s'il y cachait la pierre philosophale. Qu'y avait-il de si précieux dans ce laboratoire ? Sa fortune ? La femme de sa vie ? Pour ce que MacNair en savait, Rogue ne possédait ni l'un ni l'autre.
On n'entendait pas un bruit de l'autre côté. Aucun interstice ne laissait entrevoir une raie de lumière entre la porte et le sol. Comment savoir si la petite arrogante se terrait à l'intérieur ?
Le mangemort brandit à nouveau sa baguette, mais s'arrêta lorsque la marque des ténèbres lui brûla l'avant-bras. C'était le signal du départ. Il ne devait surtout rester pas en arrière.
Il fit demi-tour en courant et s'enfonça dans la noirceur des cachots.
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oOoOo
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Les sorts fusaient de partout, mais la bataille était inégale. Un seul mangemort avait été blessé, alors que la moitié des professeurs, des aurors et des membres de l'Ordre étaient tombés au combat.
Severus avait fait le vide dans son esprit. Les regards de ses anciens collègues ne l'atteignaient pas. Pas maintenant, pas avant que le carnage ne soit terminé et que tous ne soient en lieu sûr. Après, Severus aurait tout son temps pour combattre l'amertume insupportable qui l'envahirait.
D'un rapide coup d'œil, il fit l'inventaire des mangemorts présents. Ils n'étaient que dix. Il manquait quelqu'un. Ce n'était pas difficile de deviner lequel des personnages masqués brillait par son absence.
Si MacNair avait pu attraper Hermione Granger ce soir, il l'aurait mise en pièces. Malheureusement pour lui, elle se trouvait dans le seul endroit de Poudlard où personne ne pouvait l'atteindre.
Le laboratoire.
Severus espéra qu'elle réussirait à terminer le philtre d'Émergence à temps.
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De longues minutes s'égrenèrent dans un silence tendu. Plus aucun bruit ne provenait du couloir. Bravant ma peur, je sortis de la réserve où je m'étais réfugiée. Tout était calme dans le laboratoire.
Cette potion est importante.
Ne vous laissez pas déconcentrer.
Je revins à la table de travail, mes chaussures dans les mains, n'osant pas faire le moindre bruit.
Puis-je compter sur vous ?
Oui.
Vous pouvez compter sur moi.
Je déposai doucement ses chaussures sur le dallage et poursuivis le philtre d'Émergence, veillant à ce que les ustensiles ne tintent pas contre le chaudron.
L'intrus dans le couloir était sans doute parti. Qui était-ce ? Que voulait-il ?
Je tremblais encore comme une feuille.
Ne vous laissez pas déconcentrer.
Au bout de quelques minutes, j'achevai la potion et la versai dans la fiole que Rogue avait déjà identifiée.
Rangez tout le matériel utilisé.
- Récurvite.
Je replaçai mon chaudron et mes ustensiles propres dans les armoires, puis me rendis dans la réserve avec la fiole brûlante. Je jaugeai les étagères. La dernière était très haute et Rogue semblait y entreposer seulement des ingrédients qu'il utilisait rarement.
Rangez la potion sur la dernière étagère.
Mais pourquoi la dernière étagère ? Je ne pouvais même pas l'atteindre !
Fais-le, Hermione, me souffla ma petite voix intérieure. Ne te pose pas de questions et fais-le.
Je dus grimper sur une grosse boîte remplie de fioles vides pour réussir à atteindre la dernière tablette. J'y déposai la fiole.
Aussitôt, un bruissement inquiétant retentit dans le laboratoire, me faisant sursauter.
Je sautai au sol, dégainai ma baguette et sortis de la réserve, les genoux flageolants.
Il n'y avait personne.
En revanche, le parchemin d'instructions de Rogue s'était mystérieusement enflammé.
Hébétée, je m'approchai et contemplai les flammes vertes consumer le papier. Le feu s'éteignit aussi vite qu'il avait commencé, laissant la table de travail propre et tiède, sans la moindre trace de cendres.
Mes mains tremblaient. Mon cœur cognait fort contre ma poitrine.
J'avais terminé la potion, mais je n'avais pas encore complété toutes les consignes.
Aller immédiatement à l'infirmerie.
Mais pourquoi ?
La durée de vie de la potion est de 3 heures.
Je tournai lentement la tête vers la porte du laboratoire, sachant très bien qu'elle s'était déverrouillée. Mais maintenant que je n'étais plus enfermée, l'appréhension me clouait sur place.
Vas-y, Hermione. Fais une Gryffondor de toi.
Je traversai la salle et remarquai le petit flacon violet que Rogue avait laissé pour moi avant de me quitter. Je le glissai dans ma poche sans me questionner sur son contenu.
La porte du laboratoire s'ouvrit sans problème. Il n'y avait personne de l'autre côté. Je m'enfonçai dans les ténèbres épaisses des cachots.
Dans moins de trois heures, j'allais revenir chercher le philtre d'Émergence, pour une raison que je ne connaissais pas encore.
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Lorsque je fis irruption dans le hall, je fus avalée dans une pagaille de cris et de mouvements désordonnés. Le brouhaha était assourdissant. Des élèves de toutes les maisons et de toutes les années se bousculaient les uns contre les autres, manquant se piétiner. Les visages se crispaient de peur ou se tordaient sous les sanglots.
C'était comme un rêve.
- Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je dans le vide.
Ma voix se perdit dans le vacarme. J'agrippai un élève au passage.
- Qu'est-ce qui se passe ?! hurlai-je pour me faire entendre.
Le garçon me regarda d'un air perdu.
- C'est Dumbledore.
- Quoi, Dumbledore ?!
- Il est mort.
- Quoi ?!
- Les mangemorts ont attaqué le château. Rogue a tué Dumbledore.
- QUOI ?!
- Tout le monde doit rester dans la Grande Salle, criait une voix de stentor. Allons, dépêchez-vous ! Regroupez-vous par maison !
Kingsley Shacklebolt s'escrimait à contenir la mer d'élèves.
Il est mort.
Rogue a tué Dumbledore.
Ce n'était pas un rêve, c'était un cauchemar.
Le chaos ressemblait à s'y méprendre à celui sur l'allée des Irlandais. Tous les cris suraigus étaient semblables à celui de la fillette blonde que j'avais sauvée des griffes de MacNair.
Il prendra sa revanche.
Un sentiment d'oppression monta lentement en moi, insoutenable. J'avais chaud. Mon champ de vision se constella de taches aveugles. Un gros genou invisible s'enfonça dans mon estomac. La douleur était horriblement réelle. Je ne pouvais plus respirer. J'allais vomir.
Il prendra sa revanche.
Je me faufilai dans le dos de Kingsley Shacklebolt, me heurtant aux élèves qui allaient en direction inverse, puis m'élançai dans les couloirs sombres sans allumer ma baguette.
Allez immédiatement à l'infirmerie.
Mon souffle erratique ponctuait le silence.
Rogue a tué Dumbledore.
Non. C'était impossible. Le garçon s'était trompé.
Ne vous laissez pas déconcentrer.
Je parcourus les étages comme une automate, jusqu'à ce qu'un point de côté me force à m'arrêter. Pliée en deux, j'aperçus une raie de lumière qui s'échappait dans le couloir par une porte grande ouverte.
C'était l'infirmerie. Il semblait régner de l'agitation à l'intérieur. Mon cœur tomba dans ma poitrine. Y avait-il des blessés ?
Allez immédiatement à l'infirmerie.
Je déglutis et entrai. On percevait des mouvements dans la section réservée aux malades. Les genoux tremblants, j'approchai silencieusement, jusqu'à pouvoir m'étirer le cou au-delà du rideau qui isolait les lits des visiteurs.
Le temps s'arrêta.
Sur le lit le plus près reposait Albus Dumbledore, les yeux ouverts mais vides, le visage blanc et figé.
Mort.
Il n'était pas le seul.
Les corps de Lupin, McGonagall, Tonks, Flitwick et Sinistra gisaient sur des lits, inertes.
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Tous les mangemorts avaient réussi à s'échapper, sains et saufs, hormis quelques blessures sans gravité. L'atmosphère était à la célébration.
Albus Dumbledore, le seul sorcier qui avait eu le pouvoir de faire frémir le Seigneur des Ténèbres, n'était plus.
Severus s'éloigna, tentant de repousser encore le moment où le dégoût le plus indescriptible le submergerait. Il tomba nez à nez avec un autre homme qui se tenait à l'écart, revêtu des habits noirs de la haine, le visage encore masqué. Manifestement, Severus n'était pas le seul qui devait feindre de ce réjouir ce soir-là.
- Où étais-tu passé ? gronda le maître des potions.
- Ça te regarde ? aboya MacNair en guise de réponse.
Severus serra les poings, sentant son sang s'échauffer.
Quand il était question de faire la peau à son assistante, oh que oui, ça le regardait.
- Tu étais introuvable pendant la moitié de l'attaque, répliqua Severus. Visiblement, tu avais mieux à faire que d'assurer la réussite de la mission.
MacNair le gratifia d'un sourire glacial.
- J'assurais les arrières.
Salaud.
- Lucius a failli être capturé à cause de ton absence.
- De quoi tu te plains, Rogue ? Tu as eu ton trophée de guerre. Fiche-moi la paix.
Severus dut réprimer une grimace en pensant à Dumbledore comme à un trophée de guerre.
- Si tu étais resté avec nous, tu aurais pu aussi avoir le tien, lâcha-t-il, l'air de rien.
Un éclair de fureur traversa les yeux bleus de MacNair. Severus fut rassuré. Le bourreau était en colère, une colère froide et souterraine qui ne demandait qu'à exploser. Il était clair qu'il n'avait pas pu toucher à la jeune femme qu'il recherchait coûte que coûte.
Hermione Granger était sauve.
Cette pensée fut vite éjectée par une autre, beaucoup moins agréable.
En ce moment, son assistante avait sans doute appris qu'il avait assassiné Albus Dumbledore.
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- Mais que faites-vous là ?!
J'eus un sursaut monstre.
Mme Pomfresh avait failli me percuter, des fioles plein les bras. Son visage était pâle comme la mort, ses cheveux échevelés.
J'ouvris la bouche, mais aucun son n'en sortit.
- Ça tombe bien, dit-elle, j'ai besoin de vous. Prenez cette fiole, vous allez m'aider. Vite, nous n'avons pas beaucoup de temps.
Une lueur de panique écarquillait ses yeux bleus. Je ne l'avais jamais vue dans état si agité.
Je pris la fiole mais ne bougeai pas. Mes pieds semblaient vissés au plancher.
La question qui me taraudait fusa de mes lèvres :
- Sont-ils tous… morts ?
- Pour l'instant, non, mais ça ne saurait tarder. Mais pourquoi restez-vous plantée là ?! Vite, ouvrez votre bouteille ! Faites couler le remède dans leur bouche. Quatre ou cinq gouttes.
Elle se précipita sur McGonagall, lui souleva le menton et inclina la fiole entre ses lèvres immobiles.
Le cerveau vide, je débouchai ma propre bouteille et m'approchai d'un lit.
Celui de Dumbledore. Ses yeux inanimés fixaient le plafond sans le voir. Ses yeux d'un bleu auparavant si pétillant.
Dumbledore est mort.
Rogue a tué Dumbledore.
Non, c'était impossible. Le garçon dans le hall s'était trompé. Ils faisaient tous erreur.
- Par Andromède, Miss Granger, pas lui ! s'exclama Mme Pomfresh. Il est mort. Oh, mon Dieu, Albus, je n'arrive pas à y croire. C'est épouvantable.
Elle étouffa un sanglot dans sa main, l'air terrifié. L'horreur de la situation semblait lui faire perdre ses moyens.
- Allons, activez-vous ! m'intima-t-elle.
Sa voix se cassa.
Je m'approchai de Remus Lupin et essayai lui ouvrir la bouche, d'une main maladroite et tremblante.
Les paroles de l'infirmière me firent à nouveau sursauter :
- Ça ne fonctionne pas, Merlin, ça ne fonctionne pas du tout !
Elle fixait les corps de McGonagall, Tonks et Flitwick d'un air désespéré.
- Mais qu'est-ce qui se passe ? demandai-je. Qu'est-ce qu'ils ont ?
Elle ne m'entendit même pas.
Des bruits de pas retentirent dans l'infirmerie et Jake Tisdale entra en courant, talonné par un homme corpulent et manifestement beaucoup moins agile que lui.
- Oh, merci Merlin, vous voilà enfin ! s'écria l'infirmière.
- Harold Harris… médicomage, se présenta l'homme en soufflant bruyamment. Spécialiste en… blessures et maléfices causés par… la magie noire. Mr. Tisdale m'a dit que des gens ont été atteints par un maléfice… d'Endormissement fatal.
- Exact, dit Mme Pomfresh. Dépêchez-vous, il faut faire quelque chose !
Ils s'approchèrent du corps de McGonagall pour l'examiner.
- Hermione, que faites-vous ici ?!
Jake Tisdale venait de remarquer ma présence. Ce n'était plus du tout le jeune professeur jovial et apprécié de tous, c'était l'auror en pleine situation d'urgence. Son regard était inhabituellement sérieux. Une fine couche de transpiration brillait sur son front. Son visage très rouge contrastait avec la blondeur de ses cheveux.
- Je…
- Descendez immédiatement à la Grande Salle.
- Mais…
- Sortez, Hermione.
J'obtempérai, tandis qu'il allait rejoindre l'infirmière et le médicomage.
Allez immédiatement à l'infirmerie.
Ne vous laissez pas déconcentrer.
Sans vraiment y réfléchir, je m'arrêtai de l'autre côté du rideau, à l'abri des regards.
Rogue a tué Dumbledore.
Non. C'était impossible. Cette information refusait de se frayer un chemin jusqu'à mon cerveau.
- L'Endormissement fatal est un maléfice ancien et très puissant, disait le médicomage. Les personnes atteintes sombrent dans un coma qui conduit invariablement à la mort au bout de quelques heures. Les alvéoles pulmonaires et les veines se détériorent, puis le cerveau cesse d'être oxygéné.
- Que peut-on faire ?
- Il y a un seul remède pour contrer les effets de l'Endormissement fatal. Le philtre d'Émergence.
Je tendis l'oreille, mon pouls battant fort contre mes tempes.
- Comment peut-on obtenir ce philtre ?
- À ce que je sache, un maître des potions du nom de Hans Barthelemy est la dernière personne qui a essayé d'élaborer un philtre fonctionnel. Sans succès.
- Alors où peut-on trouver cet homme ?
- On ne peut pas le trouver. Il est mort en 1823.
Il y eut un silence consterné. Puis Jake sortit de l'aire des lits en courant, sans doute dans l'espoir de trouver un miracle quelque part dans le château.
Je retrouvai tout d'un coup l'usage de mon cerveau.
- Jake, attendez !
- Hermione, vous êtes encore là ! Je vous avais dit de rejoindre tout le monde dans la Grande Salle !
- Jake…
- Vous ne pouvez pas restez ici.
- JAKE ! Je sais que vous me prenez pour une pauvre élève insignifiante, mais de grâce, écoutez-moi ! Je sais où trouver un philtre d'Émergence.
Stupéfait, le jeune auror me dévisagea, suspendu à mes lèvres.
Je repris mon souffle avant de poursuivre, soudain beaucoup plus calme. Dans certains moments où l'urgence est à son comble, l'intuition nous soufflait comment on doit agir sans même qu'on ait besoin de peser le pour et le contre.
Mens-lui.
- Il y a un philtre d'Émergence dans la réserve de Rogue. Je l'ai remarqué quand j'ai nettoyé les étagères, il y a quelques semaines. Peut-être que la bouteille s'y trouve encore.
Le cerveau de Jake semblait tourner à plein régime.
- Pourquoi Rogue aurait-il préparé ce philtre ?
- Je n'en sais rien ! Peut-être pour l'utiliser si un mangemort avait été atteint par mégarde par le maléfice ?
- Allons-y, dit-il.
Je m'élançai dans le couloir à sa suite.
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oOoOoOo
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Ils n'étaient pas encore sauvés.
Dissimulant soigneusement une nervosité grandissante, Severus jeta un coup d'œil à sa montre. Aucune alarme ne s'était déclenchée. Hermione Granger n'était pas encore revenue chercher le philtre d'Émergence.
Que se passait-il ?
Son assistante avait seulement de bonnes raisons de vouloir administrer la potion aux blessés. Si elle ne prenait pas ce risque, ils allaient tous mourir.
À présent, Severus ne pouvait rien faire, sinon prier pour qu'elle se comporte de façon aussi téméraire et entêtée qu'elle l'avait fait lors du déménagement de ses parents. Lorsque Hermione Granger croyait en quelque chose, elle allait jusqu'au bout de ses actes, coûte que coûte.
Il restait à espérer qu'elle réussirait à convaincre Mme Pomsfresh et tous les autres d'essayer un remède trouvé dans le laboratoire d'un assassin.
Vite, Hermione.
Foncez.
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- Vous pouvez entrer, Hermione ! lança Jake de l'intérieur du laboratoire.
Il avait tenu à d'abord inspecter les lieux seul. Je ne lui révélai pas que j'avais passé la soirée enfermée ici. Il n'avait pas besoin de le savoir.
- Où est la réserve ?
- Par là.
La baguette tendue devant lui, Jake entra par la porte que je pointais. Je le suivis. Il contourna une boîte qui traînait au milieu du passage.
Merde.
La boîte sur laquelle j'étais grimpée pour ranger la potion. Ma manœuvre manquait de subtilité.
- Vous souvenez-vous de la couleur de la potion ? demanda Jake.
Encore une fois, je sus que je devais jouer la comédie.
- Une teinte claire, répondis-je évasivement. Peut-être jaune ou crème. Ou rose. Ou oranger, je ne me rappelle plus très bien.
Il entreprit de fouiller toute la réserve. J'en profitai pour pousser la boîte du côté opposé où j'avais rangé le philtre. Mon professeur ne fit pas attention à moi.
Nous cherchâmes pendant de longues minutes tendues, le silence ponctué par des entrechoquements nerveux de bocaux. Quand je jugeai que la situation avait suffisamment duré, je fis mine d'examiner les étagères les plus hautes en plissant les yeux.
- Si mes souvenirs sont bons, la potion était entreposée dans une longue fiole, comme celles que Mme Pomfresh utilise pour donner des soins.
- Mmm, commenta distraitement Jake en continuant à examiner chaque fiole, bocal ou bouteille contenant une mixture à peu près liquide.
- Là ! m'exclamai-je en pointant le philtre d'Émergence. C'est la grande fiole rose, j'en suis certaine !
- Je croyais qu'elle était jaune ?
- Je me suis trompée, dis-je en m'approchant de l'étagère. Je suis convaincue que c'est celle-là !
Je me dressai sur la pointe des pieds et tendis inutilement le bras, sachant que j'étais trop petite pour atteindre la potion. Il fallait que Jake le sache, lui aussi.
- Écartez-vous, Hermione, je m'en occupe.
Jake étira le bras à son tour et saisit la fiole, puis l'examina, les sourcils froncés.
- C'est curieux. La potion est chaude.
Meeeeerde !
Le cœur battant à tout rompre, je tâtai la fiole en imitant l'air perplexe de Jake.
- Oui, c'est vraiment bizarre. Certaines potions peuvent être glacées même quand elles sont entreposées à la température ambiante. Je ne savais pas que d'autres potions conservaient de la chaleur comme celle-là.
- Bon. Le médicomage devra l'identifier avant que nous l'essayions.
Oh non…
Je me détournai et précédai Jake hors de la réserve pour lui cacher mon expression atterrée.
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- Nous avons un remède ! claironna Jake en faisant irruption dans l'infirmerie.
Je le suivis avec quelques foulées de retard, aussi essoufflée que l'avait été le médicomage quelques minutes plus tôt. Jake, quant à lui, ne cherchait pas du tout son souffle, mais son visage était de plus en plus rouge. On aurait juré que son cerveau était sur le point d'exploser.
Le médicomage nous rejoignit en courant. Il s'empara de la fiole et l'examina à la hauteur de ses yeux, les sourcils froncés. Tout le monde sembla retenir son souffle. Les poings serrés, je priai de toutes mes forces pour qu'il accepte d'administrer la potion aux blessés.
S'il-vous-plaît, s'il-vous-plaît, s'il-v…
- Je ne peux pas identifier cette potion, Mr Tisdale, dit-il, visiblement découragé.
Non !
- Je n'ai jamais vu un philtre d'Émergence auparavant. Je ne savais même pas qu'un maître des potions avait réussi à en concevoir une version fonctionnelle. Je ne sais rien à propos de cette potion, de ses effets et de son fonctionnement.
- Qu'est-ce que nous avons à perdre ? intervint Mme Pomfresh. La situation n'est pas à la prudence. Si nous ne tentons pas le risque de leur donner cette potion, ils vont tous mourir.
Je l'aurais embrassée.
- Vous avez raison, convint le médicomage. L'ennui, c'est que nous ne connaissons pas la posologie. Comment savoir quelle dose administrer ?
Deux ou trois gouttes suffisent pour faire effet.
- Nous n'avons pas une grande quantité de potion, lançai-je d'une voix claire. La solution la plus logique est d'en donner une petite dose à chacun des blessés.
Mme Pomfresh, Jake et le médicomage, qui semblaient avoir oublié ma présence, se tournèrent vers moi en affichant le même air surpris. Je soutins fermement le regard du médicomage, sachant que c'était à lui que reviendrait la décision finale.
- Vous avez raison, mademoiselle, admit-il. Allons-y. Il n'y a plus une minute à perdre.
Immobile comme une pierre, je les regardai s'activer auprès des mourants. Et si j'avais commis une erreur ? Et si Rogue nous avait véritablement trahis, et si la potion était destinée à tuer plutôt qu'à guérir ?
Mais pourquoi Rogue se serait-il donné ce mal ? Le maléfice d'Endormissement fatal allait tous les tuer, de toute façon.
Rogue a tué Dumbledore.
Non.
C'était faux.
- Par Andromède ! s'exclama Mme Pomfresh, que l'adrénaline rendait de plus en plus volubile. Ça fonctionne ! La potion fonctionne ! Ils sont vivants !
Lupin se redressa dans son lit, frais et dispos, l'air de se demander ce qu'il fabriquait là, comme s'il n'avait jamais été atteint par un maléfice mortel.
- Que se passe-t-il ? demanda-t-il. Avez-vous réussi à repousser l'attaque ?
- Avons-nous été blessés ? demanda McGonagall en s'assoyant à son tour.
Tout le monde se réveillait, sain et sauf.
Jake prit la parole, à la fois soulagé et abattu.
- Dieu merci, vous êtes vivants. Tous n'ont pas eu cette chance. J'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Pendant votre inconscience, les mangemorts ont…
Je quittai l'infirmerie sans bruit.
Je ne voulais pas entendre à nouveau que Dumbledore était mort, que Rogue était un traître. Comme une somnambule, j'arpentai les couloirs sans destination précise, croisant des groupes d'élèves affolés et dirigés par des aurors. Personne ne fit attention à moi.
Le nom de l'assassin était sur toutes les lèvres.
Mais j'étais la seule à savoir que cet assassin avait sauvé la vie de cinq personnes ce soir.
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Severus contempla fixement sa montre, dont les aiguilles s'étaient illuminées en vert, puis en jaune.
Il osait à peine en croire ses yeux.
Hermione Granger était revenue dans le laboratoire, puis dans la réserve. Elle avait donc réussi à convaincre les professeurs et aurors encore indemnes d'utiliser le philtre d'Émergence.
Les mourants étaient tous sauvés.
Le soulagement dénoua toutes les tensions dans sa poitrine, réduisant à néant l'extrême amertume de ce jour maudit.
Hermione Granger avait eu le culot de donner à cinq blessés une potion dont les instructions avaient été dictées par un assassin.
Severus Rogue n'avait jamais été si fier de son assistante qu'en ce moment.
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Mes pas me portèrent jusqu'à la tour d'Astronomie, dont la porte avait été condamnée. Mes jambes refusèrent de soutenir mon poids plus longtemps. Je m'échouai dans les marches, sous une fenêtre d'où on pouvait apercevoir un coin de ciel noir.
Ma main trouva le chemin de ma poche et en sortit le petit flacon que Rogue m'avait laissé avant de quitter le laboratoire. Je l'ouvris. Il contenait un morceau de parchemin, plié en quatre par-dessus une pastille de tissu visant à protéger la pâte violette des saletés.
C'était de l'onguent cicatrisant. Pour mon œil au beurre noir ?
Je dépliai le papier.
L'assassin m'avait écrit un mot.
« Appliquez-en deux fois par jour.
Si la douleur persiste, retournez voir Mme Pomfresh et dites-lui la vérité. Elle ne pose jamais beaucoup de questions.
SR. »
Je contemplai le message jusqu'à ce qu'il s'imbibe de larmes, jusqu'à ce que la calligraphie élégante se déforme, puis se brouille complètement.
Les dernières paroles de Severus Rogue disparurent.
Il était parti pour de bon.
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Ne tirez pas sur l'auteure !
Je sais, c'est un peu déprimant, mais nécessaire. Ces événements feront beaucoup progresser l'histoire et donneront une autre dimension à la relation d'Hermione et Severus. Car bien sûr, elle ne se terminera pas là.
Pour vous remonter le moral, j'ai une bonne nouvelle : un tête-à-tête important aura lieu entre nos deux portagonistes dès le prochain chapitre. Je suis certaine que vous allez l'adorer. Je n'en dis pas plus. ;)
Sachez aussi qu'outre la mort de Dumbledore et le déménagement des parents d'Hermione, je n'ai pas l'intention de reprendre d'autres éléments des livres ni de paraphraser l'histoire officielle. Vous n'entendrez pas donc pas parler de prophéties et de horcruxes dans cette fiction.
À quand la suite ? Je serai en mesure de vous la faire lire avant la mi-août.
À bientôt !
