I'm back !
Je suis sincèrement désolée de n'avoir pas du tout respecté ma promesse (car la mi-août est passée depuis longtemps).
Mon chapitre avait besoin de mûrir, d'autant plus que ce chapitre marque la fin de la première partie de Leçons de ténèbres. J'ai aussi constaté que mon scénario pour la deuxième partie était parsemé de zones grises et de trous noirs, c'est pourquoi j'ai pris quelques temps pour réfléchir à tout ça. Pour couronner le tout, j'ai eu terriblement envie de me lancer dans la réécriture des chapitres déjà publiés, mais rassurez-vous, j'y ai renoncé… pour l'instant. ;)
Merci mille fois pour vos commentaires ! C'est toujours source de motivation ! Merci entre autres à Stray cat, Lilith, ShadowSpark3110, Will et Zeugma, à qui je ne peux pas répondre directement. Tous les autres que je n'avais pas encore remerciés, je le fais demain. Je vous aime ! ^^
Note (peu) importante : J'ai (ré)appris par hasard que le Blaise Zabini de JKR est un fait un garçon de race noire dont la mère collectionne les maris. J'avais complètement oublié ces passages des livres. Comme il est un peu tard pour faire marche arrière et que j'aime bien mon petit Blaise à moi, je confirme qu'il est bel et bien Blanc et châtain dans cette histoire. Et sa mère, eh bien, vous pourrez la découvrir par vous-mêmes, car je parle d'elle dans ce chapitre. :) Mes excuses pour ces quelques fabulations.
Dernière chose : pardonnez-moi les inévitables coquilles. Il est très tard, j'ai le cerveau en compote, et je tenais mordicus à publier ce chapitre avant d'aller dormir. :)
Et maintenant, bonne lecture !
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16. La fin d'une époque
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Deux paires d'yeux me fixaient d'un air sombre, l'une vert émeraude, l'autre bleue.
Mal à l'aise, je remuai sur le rebord de la baignoire. Ron en fit autant sur le siège refermé de la cuvette. Seul Harry demeura immobile. Il était assis à mes pieds, le dos appuyé contre le mur.
Le désordre régnait en maître dans la salle de bain des garçons de septième année. Des uniformes de Quidditch étaient suspendus un peu partout et des chaussettes orphelines gisaient sur le carrelage. Quant au lavabo, je n'avais pas osé l'examiner, mais je l'imaginais constellé de dentifrice et de poils de barbe.
C'était la première fois depuis longtemps que Harry, Ron et moi nous retrouvions en tête-à-tête. Une salle de bain était un drôle d'endroit pour accueillir nos retrouvailles, mais en ce moment, les endroits tranquilles se faisaient rares à Poudlard.
Tous les cours avaient été annulés. Les élèves des quatre maisons étaient confinés dans leurs quartiers respectifs, où les repas étaient servis. À Gryffondor, des aurors montaient la garde devant le portrait de la Grosse Dame. Personne n'avait eu l'autorisation de sortir, sauf un élève claustrophobe de troisième année qui avait eu une crise de panique. Sans doute l'avait-on amené à l'infirmerie ou renvoyé à la maison.
Je rompis un silence devenu inconfortable.
- Harry, je…
- Hermione, je voulais te dire que…
Nous nous interrompîmes.
- Hermione, reprit-il après un moment de silence. Pour ce qui est du déménagement de tes parents…
Harry se frotta les cheveux d'un geste nerveux et lança un coup d'œil à Ron, qui l'encouragea d'un haussement de sourcils théâtral.
- Euh… j'ai sans doute eu tort de t'en vouloir, lâcha Harry. C'est juste que… j'avais du mal à comprendre pourquoi tu ne nous as rien dit.
Pourquoi fallait-il parler du déménagement de mes parents dans un contexte aussi dramatique ? Le mangemort fou, ce Walden MacNair, était bien le dernier de mes soucis en ce moment.
Je répondis mécaniquement.
- Il s'agit de mes parents, Harry. Je n'aurais pas voulu que vous ayez des problèmes à cause de moi.
- On ne te reconnaît plus, Hermione, dit Ron. Toute cette histoire…
Ses paroles planèrent dans la salle de bain.
- Ça ne te ressemble pas d'être aussi impulsive, enchaîna Harry.
- J'avais peur. Il y a tant de violences commises contre les moldus et les nés-moldus. Je n'aurais pas supporté qu'il arrive quoi que ce soit à mes parents parce que je suis une sorcière.
Cette excuse factice, je me l'étais répétée tant de fois que je commençais à y croire.
Les deux garçons me dévisagèrent avec une certaine inquiétude. Je me sentais si hébétée que mon expression était nécessairement inquiétante. J'aurais dû être accablée par les non-dits qui subsistaient encore entre nous, mais il y avait seulement du vide en moi, un vide si grand que j'en avais le vertige. Je n'avais pas assez d'énergie pour raconter mes hantises. Et nous avions tous des préoccupations bien plus graves.
Un cognement à la porte m'épargna des questions supplémentaires.
- Y'a pas moyen d'utiliser une salle de bain tranquillement ? beugla Ron.
- Mais ça fait une demi-heure que t'es là, protesta la voix de Seamus.
- T'as qu'à utiliser la salle de bain des sixième année!
Les ronchonnements inintelligibles de Seamus s'éloignèrent.
- Hermione, reprit Harry. Je suis désolé pour… tu sais quoi. Je sais que tu avais une certaine… euh… considération pour Rogue. Sans doute plus grande que nous tous.
La mention du maître des potions me fit cligner des paupières sans vraiment m'extirper de ma torpeur. Depuis hier, jour de l'invasion des mangemorts dans Poudlard, j'avais l'impression d'être droguée. Aucune pensée cohérente n'arrivait à frayer son chemin à travers le brouillard de mon cerveau.
- Mais tu sais, poursuivit Ron, même nous, on ne croyait pas vraiment que Rogue était un traître. Juste qu'il était vraiment détestable.
J'opinai sans conviction.
Rogue a tué Dumbledore.
Non.
- Quand je pense à tout le temps que tu as passé avec lui, grommela le rouquin. Qui sait ce qui aurait pu t'arriver.
C'est un mangemort. Un vrai.
Non !
- Il ne m'est rien arrivé, Ron. Pourquoi Rogue s'en serait-il pris à moi ?
- C'est un assassin !
Non. Impossible.
- Rogue n'a jamais eu la moindre raison de m'attaquer.
- Elle a sans doute raison, dit Harry. Hermione lui a été utile pour préparer ses potions quand il faisait semblant d'être du côté de Dumbledore. N'empêche que s'il t'avait fait du mal, Hermione, je l'aurais tué à mains nues.
Une remarque typique d'un adolescent. Comme si un élève de septième année avait pu faire le poids devant Severus Rogue.
J'appuyai le front sur mes genoux et caressai machinalement la formidable bosse qui ornait toujours l'arrière de ma tête, souvenir de ma bagarre avec l'apothicaire O'Riley. L'onguent cicatrisant de Rogue était venu à bout de mon œil au beurre noir en une seule nuit, si bien que j'avais pu annuler le sortilège de disparition qu'il y avait lancé. Mais la bosse, je ne savais pas quoi en faire. Et elle était tellement douloureuse que j'arrivais à peine à me brosser les cheveux. Ce désagrément était futile en pareilles circonstances, mais je n'avais que ça à ruminer, en plus de la mort du directeur et de la disparition du maître des potions.
Contrairement à toute la gente féminine de Poudlard, je n'avais pas versé une seule larme sur la mort d'Albus Dumbledore, sorcier à la puissance légendaire et directeur apprécié de tous. Et pourtant, je comptais parmi la poignée de gens qui avaient contemplé son corps sans vie à l'infirmerie. La réalité de son décès aurait dû me frapper de plein fouet, mais non. Je ne sentais rien.
- C'est un cauchemar, dis-je à voix haute. Je ne peux pas y croire.
En guise de réponse, Harry poussa un soupir accablé.
- J'aimerais pouvoir faire payer Rogue, dit-il.
- J'aimerais pouvoir parler à mon père, ajouta Ron. Il en sait sûrement plus long que nous sur la situation.
- Et moi, j'aimerais être à nouveau hier à 19 heures, laissai-je tomber sans réfléchir.
Harry et Ron me renvoyèrent le même regard perplexe.
- Pourquoi hier à 19 heures ?
Parce que hier à 19 heures, je me trouvais avec un Severus Rogue qui n'était pas encore un assassin.
Mais je répondis en esquissant un geste vague de la main :
- Peut-être que le cours du temps pouvait encore être changé à ce moment-là.
- Hermione, ne te tracasse pas avec ça. Ce n'est pas parce que tu étais l'assistante de Rogue que tu aurais pu te douter de ses manigances.
Le silence retomba.
- Nous devrions libérer la salle de bain, dis-je en me levant.
Mes deux amis m'emboîtèrent le pas.
Dans le dortoir des garçons, Seamus et Neville étaient affalés à plat ventre sur leurs lits, des bandes-dessinées entre les mains. Ils levèrent le nez en nous entendant et ouvrirent la bouche de surprise.
- Euh… Mais qu'est-ce que vous…
- …étiez en train de faire ?
- Des plans pour un coup d'État, répliqua Ron.
Nous le suivîmes hors du dortoir, affichant tous la même tête d'enterrement.
Dans la salle commune bondée, l'agitation était à son comble. Les Gryffondors s'entassaient dans les fauteuils, papotaient avec animation, faisaient les cent pas. Depuis hier, les rumeurs de tout acabit couraient sur le sort de l'école. Les élèves me harcelaient pour savoir si j'avais déjà vu le masque de mangemort de Rogue traîner dans son laboratoire. Ce surplus d'adrénaline me perturbait. J'avais besoin de silence.
- Je vous rejoins plus tard, lançai-je à Harry et Ron, qui s'éloignaient en direction de quelques fauteuils libres au bord de la cheminée.
Je parvins à gagner mon propre dortoir sans me faire remarquer par des élèves en mal de potins sur les habitudes secrètes de Rogue. Mission accomplie.
- Hermione !
Je sursautai.
Parvati et Lavande se désintéressèrent de leurs accessoires à cheveux et fondirent sur moi comme des abeilles sur un pot de miel.
Mission non accomplie, finalement.
- On se demandait justement où tu étais passée, dit Lavande.
- Ah bon.
Il n'y avait pas moyen d'avoir la paix, dans cette tour ?! Je me sentais comme une lionne en cage. J'aurais voulu pouvoir sortir courir dans le parc. Pas que c'était dans mes habitudes, au contraire, mais il y avait une première fois à tout.
- Qu'est-ce que tu penses du revirement de Rogue, Hermione ?
- Pas grand-chose.
- Est-ce que tu te doutais de quelque chose ? Est-ce qu'il t'a paru louche ? Dangereux ?
- Oui, comment tu l'as trouvé, ces derniers temps ?
Je les regardai tour à tour, désespérée.
- Salut les filles ! claironna une voix énergique.
Je sursautai à nouveau. La tête rousse de Ginny fit irruption entre Parvati et Lavande.
- Je m'en voudrais de troubler votre conversation passionnante, dit la rouquine en se frayant un chemin entre mes comparses, mais je n'ai pas le choix. Je dois absolument parler à Hermione.
Elle me captura le poignet et adressa un large sourire aux deux autres.
- On se voit plus tard ! Viens, Hermione.
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L'immense garde-robe des sixième année aurait fait pâlir de jalousie toute la gente féminine de Poudlard. Comme il n'y avait que deux filles dans cette année à Gryffondor, Ginny et sa comparse avaient adapté leur dortoir selon leurs envies les plus extravagantes.
Un mélange indescriptible de parfums me chatouillait le nez, à croire que les deux filles en portaient un différent pour chaque jour de la semaine. Il faisait noir comme dans un cercueil, mais en ce moment, c'était le seul endroit où on pouvait avoir une conversation à peu près tranquille dans les quartiers des Gryffondors.
Je repoussai délicatement le satin d'un vêtement qui me tombait sur les épaules. Sans doute une robe destinée à être portée le soir du bal de Noël. Bal qui n'aurait jamais lieu.
- Lumos.
Je posai ma baguette sur le sol et contemplai Ginny, le menton appuyé sur mes genoux. Ses cheveux roux flamboyaient à la lueur de ma baguette.
- Comment tu te sens ? demanda-t-elle.
La question plana entre nous.
- Mal, pour tout dire. Vraiment mal.
La rouquine attendit patiemment la suite.
Comment lui expliquer mon désarroi ? Mille émotions contradictoires auraient dû s'entrechoquer en moi, mais au contraire, il n'y avait rien. Juste une espèce de froid qui m'étreignait la poitrine. Mon cerveau semblait engourdi.
Je soupirai et passai une main dans mes cheveux, sans me préoccuper de détruire la moitié de mon chignon.
- Ginny, je ne sais plus du tout où j'en suis.
Elle hocha doucement la tête.
- Tu sais, dit-elle, personne n'en croyait ses yeux hier soir. Les aurors étaient pris au dépourvu. Même Kinsgley Shacklebolt semblait complètement désorganisé. Et Jake courait partout comme si tout le personnel de l'école avait été à l'article de la mort.
C'était justement le cas, mais je n'en dis rien. Je ne me sentais pas la force de le raconter.
- Personne ne soupçonnait la trahison de Rogue, poursuivit Ginny. Tu ne pouvais pas t'y attendre non plus.
Contrairement à Harry et Ron, elle parlait du maître des potions sans animosité. Je ressentis soudain l'urgence de parler à quelqu'un du Severus Rogue que j'avais connu.
- L'apothicaire de Rogue a essayé de me violer, lançai-je de but-en-blanc.
- Quoi ?! fit-elle en ouvrant de grands yeux horrifiés.
Dans le clair-obscur, sa peau semblait translucide et ses longs cils projetaient une ombre dramatique au-dessus de ses yeux. Son visage était digne d'un film d'horreur moldu des années 20.
- Si.
- Quand ?
- La semaine dernière. Et Rogue est intervenu. Exactement au moment où j'avais besoin de lui.
- Mais as-tu été blessée ?
- J'ai eu droit à un gros œil au beurre noir. Rogue m'a donné un onguent cicatrisant. Il a été…
La voix me fit défaut. Ginny tendit le bras et me prit la main. Le sienne était chaude, la mienne glacée.
- Il a été tellement protecteur, repris-je, que c'est inimaginable pour moi de croire qu'il a tué Dumbledore quatre jours après.
Ginny médita mes paroles.
- Je comprends ce que tu peux ressentir, dit-elle au bout d'un moment. Moi-même, j'ai toujours vu Rogue comme une espèce de héros ténébreux.
Un héros ténébreux. La description lui allait comme un gant, et Ginny n'avait pas idée à quel point.
Si le professeur était acariâtre et injuste, l'homme faisait preuve d'une intelligence et d'une abnégation remarquables. Severus Rogue n'aimait pas enseigner. Sa véritable vocation, c'était l'art des potions, la recherche, la défense de la paix dans la communauté sorcière, un mélange étourdissant de tout ça. Quand il croyait en quelque chose, il y consacrait tout de lui-même.
Je ne pouvais que l'admirer.
Mais comment avait-il pu assassiner Dumbledore ? C'était de la science-fiction.
Je passai une autre main dans mes cheveux. Mon chignon s'écroula pour de bon.
- Au fond, Hermione, peut-être que tu lui plaisais bien.
- Quoi ? fis-je, interloquée à mon tour.
- Allons, ne fais pas cette tête-là. Même si Rogue est un mangemort, il est aussi… un homme. Ce n'est pas parce qu'il a tué l'ennemi numéro un de Tu-Sais-Qui qu'il avait la moindre raison de te vouloir du mal. Les mangemorts sont peut-être des extrémistes, mais ils ne sont que des humains.
Pendant une seconde, les yeux bleu de glace de MacNair flottèrent dans mon esprit, mais je les repoussai bien vite.
Et si Ginny avait raison ? Et si Rogue était bel et bien du côté de Voldemort, mais qu'il m'avait protégée, écoutée et soignée parce que… je lui plaisais bien ?
Non, c'est n'importe quoi.
Comment aurais-je pu plaire à un homme comme Severus Rogue ? Il était si brillant, il avait une telle prestance ! À côté de lui, je n'étais qu'un insignifiant rat de bibliothèque qui récoltait les catastrophes et ne savait pas comment les gérer.
- Ginny, c'est impossible. Je n'aurais jamais pu plaire à Rogue.
Malgré la morosité de la situation, mon amie pouffa.
- Hermione, tu es tellement naïve. Merlin, regarde-toi un peu. Tu es jolie, intelligente, sérieuse. Et qui plus est, tu acceptais de passer des heures en compagnie de Rogue sans broncher. Ouais, plus j'y pense, plus ça me semble plausible. Rogue t'aimait bien. Ça expliquerait pourquoi il tolérait la présence d'une Gryffondor dans son labo.
Dans la pénombre, Ginny ne put pas voir que mes oreilles s'enflammaient. Heureusement.
- Tu te trompes, Ginny, vraiment.
Elle leva les yeux au ciel.
- Hermione, je ne peux pas imaginer Rogue donner un onguent de cicatrisation à une élève, peu importe les circonstances. Il se débarrasserait d'elle en l'envoyant chez Mme Pomfresh. S'il ne l'a pas fait avec toi, il devait avoir une très bonne raison.
Je me tins coite. Devant mon silence, Ginny me renvoya un haussement de sourcils éloquent.
Et le philtre d'Émergence ?
Rogue aurait-il sauvé les professeurs et membres de l'Ordre simplement parce qu'il trouvait une élève jolie ? C'était ridicule. On ne pouvait pas assassiner froidement un directeur d'école puis faire des pieds et des mains pour sauver cinq autres personnes.
Il y avait une autre explication.
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La tombe blanche était immense, presque aussi haute que moi. Des motifs celtiques s'entrelaçaient autour des inscriptions. Les gens avaient déposé tant de gerbes de fleurs que je dus marcher sur la pointe des pieds pour n'écraser aucun bouquet. De nombreux pétales secoués par le vent s'étaient dispersés sur la pelouse gelée du parc.
Je posai les doigts sur le marbre glacial et balayai la neige mouillée qui s'accumulait sur les lettres gravées.
« Albus Dumbledore, directeur bien-aimé.
Pour un esprit équilibré, la mort n'est qu'une grande aventure de plus. »
Voilà ce qui restait du grand Albus Dumbledore. Des fleurs déjà fanées, quelques mots qui disparaîtraient bientôt sous la mousse et beaucoup de souvenirs que les années se chargeraient d'éroder.
Ma gorge se noua. Je serrai les dents et rangeai la main dans la poche de mon manteau.
L'enterrement avait eu lieu quelques jours plus tôt, ici même, en présence d'une foule impressionnante. Le nombre d'aurors mobilisés pour l'événement était sans précédent. Or, maintenant que les quidams et les dignitaires étaient repartis, l'adrénaline était retombée et une morosité accablante s'était abattue pour l'école. Les aurors avaient cessé d'arpenter jour et nuit les moindres recoins du château, mais les cours n'avaient pas repris pour autant.
Tout le monde avait fini par comprendre ce qui allait se produire. McGonagall avait confirmé les rumeurs ce matin.
Poudlard fermait. Décision du Ministère.
La nouvelle avait été accueillie par un silence assourdissant et des mines consternées.
On invitait fortement les élèves à poursuivre leur cursus scolaire de façon autonome à la maison, et même à passer les examens par correspondance si l'école n'était pas rouverte en juin prochain. Que le Ministère ait prévu cette éventualité n'était pas rassurant.
Les tiroirs et les garde-robes avaient donc été vidés, les valises remplies. Le grand ménage s'était terminé dans les larmes et les étreintes.
Quant à moi, l'annonce de la fermeture de Poudlard m'avait assommée. Cette école était le centre de ma vie depuis mes 11 ans. Quitter Poudlard, c'était comme quitter le monde magique. Je ne savais même pas où aller. Mes parents ne se souvenaient plus de moi. Tous mes repères s'écroulaient.
- Mais comment tout ça a-t-il pu arriver ? demandai-je à haute voix.
Aucun fantôme de Dumbledore ne se matérialisa pour me donner la réponse.
Alors je laissai le mort dormir en paix et je revins vers le château.
Il me restait encore une chose à faire.
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La porte en acajou semblait avoir été barricadée par les aurors. Comme si Severus Rogue allait revenir dans ses appartements de professeur alors qu'il comptait maintenant parmi les hommes les plus recherchés au pays.
À tout hasard, je prononçai mon mot de passe. La porte se débarra dans un chapelet de cliquetis. Manifestement, personne n'avait pensé à condamner l'accès personnel des assistants de Rogue.
D'un pas lent, je pénétrai dans un laboratoire silencieux et agitai ma baguette. Quelques torches sur les murs s'illuminèrent, chassant l'obscurité ambiante. L'endroit était sans âme. Les tables de travail, immaculées. Les bocaux et les chaudrons, soigneusement ordonnés sur les étagères. Dans la cheminée, les cendres qui rougeoyaient doucement le soir de ma retenue avaient été ramassées par les elfes de maison. Il n'y avait plus aucune trace du maître des potions.
C'était irréel.
La porte d'acajou grinça derrière moi, m'arrachant à ma torpeur.
Je fis volte-face, le cœur battant, m'attendant à voir entrer Rogue d'un pas impérial et m'annoncer quelle potion nous devions préparer de toute urgence. Mais c'est un jeune homme aux cheveux châtains qui pointa le nez dans la pièce.
Blaise.
Mon cœur fit encore un grand bond dans ma poitrine. Un bond de joie. Je n'avais pas vu Blaise depuis la mort de Dumbledore, confinés que nous étions dans nos salles communes respectives. Sa complicité et sa bienveillance m'avaient manqué.
Il m'adressa un large sourire.
- Hermione ! Je me demandais justement si j'allais te croiser dans les cachots.
Il s'approcha. Sa chemise était froissée et mal boutonnée. Ce n'était pas maintenant que Poudlard fermait que Blaise Zabini allait arborer une allure plus soignée.
- Je ne pouvais pas quitter l'école sans revenir une dernière fois ici, dis-je.
- Moi non plus.
Un silence s'installa sans nous mettre mal à l'aise.
- Comment tu te sens ? demanda Blaise avec la même délicatesse que l'avait fait Ginny quelques jours plus tôt.
- Je ne sais pas. Je n'arrive pas à y croire.
J'essayai de sourire, mais je n'y parvins pas.
- Tu es encore sous le choc.
- Oui.
Blaise vint glisser un bras réconfortant autour de mes épaules. Nous contemplâmes le laboratoire vide, côte à côte.
- Rogue était différent avec nous, dis-je. Il était tellement plus…
Ma voix trembla. Blaise me frotta affectueusement les cheveux. À mon tour d'être décoiffée.
- Plus impartial, compléta le Serpentard.
- Et calme.
- Exact.
- Depuis le meurtre de Dumbledore, j'ai l'impression que ces derniers mois étaient un mirage.
Blaise hocha la tête.
- Et moi, dit-il, j'ai du mal à croire que Dumbledore et l'Ordre se sont laissé berner pendant tant d'années.
- Moi aussi. Je suppose que…
Mais je m'interrompis net. Depuis quand un élève de Serpentard connaissait-il l'existence de l'Ordre du Phénix ? Une sensation de froid m'envahit la poitrine.
- L'Ordre ? Mais de quoi tu parles, Blaise ?
Il roula des yeux.
- Oublies-tu à qui tu t'adresses, Hermione ? Tu n'es pas sans savoir que je traîne toujours aux endroits où je ne devrais pas être, pour entendre ce que je ne devrais pas savoir. Je parle de l'Ordre du Phénix, évidemment.
Je le regardai fixement, en proie à un doute qui ne m'avait jamais effleuré l'esprit auparavant.
Blaise était un Serpentard, autant que Malefoy, Crabbe, Goyle et une foule d'enfants de mangemorts. Il était sympathique, intelligent et différent, mais en bout de ligne, je ne savais quasiment rien de lui.
Blaise dut sentir mes réticences, car l'atmosphère s'alourdit. Ses yeux gris interrogèrent les miens, devinrent inhabituellement sérieux. Son bras quitta mes épaules. J'eus envie de lui dire que j'étais désolée, mais les mots restèrent coincés au fond de ma gorge.
Il soupira.
- Est-ce que je t'ai déjà parlé de ma famille, Hermione ?
Sa voix était douce et tranquille, comme s'il s'apprêtait à raconter une histoire à un enfant à son coucher.
- Mes parents sont médicomages. Mon père dirige une chaire de recherche sur le VIH en Afrique du Sud. Ma mère enseigne le traitement des morsures de créatures magiques porteuses de rage dans les universités de Londres, Cape Town, Atlanta et New York. Lui a appartenu à Serdaigle et elle a fait ses études aux États-Unis. Ils n'ont pas passé beaucoup de temps en Angleterre ces dernières années. Mes grands-parents étaient aussi des chercheurs. Alors, même si je suis à Serpentard… les magouilles de Tu-Sais-Qui n'ont jamais fait partie de mon environnement familial.
Mes joues étaient brûlantes de honte. Comment avais-je pu douter ainsi de lui ? Il était si différent des autres élèves de sa maison qu'il faisait figure d'anomalie parmi eux. Les Serpentards le respectaient, sang-pur oblige, mais sans plus. Il avait peu d'affinités avec l'élève moyen de Poudlard et préférait souvent la compagnie de ses livres à celle de ses semblables. Comme moi. Il était peu probable que Blaise soit un mangemort chargé de m'espionner pour le compte de Voldemort. Il était beaucoup trop bohème pour ça.
Les larmes me montèrent aux yeux.
- Blaise, dis-je, mortifiée. Je… Pardonne-moi. Je ne sais pas ce qui m'a pris.
Il m'offrit un maigre sourire.
- Ne t'en fais pas, Hermione. Tout le monde est un peu paranoïaque en ce moment. Et je sais très bien que les Serpentards ont mauvaise réputation. Mais, tu sais, dans ma famille, les conversations portent davantage sur les propriétés des cellules de cheveux de sirène que sur les guerres de pouvoir et la magie noire.
À mon tour, je lui offris un sourire penaud.
- Je suis certaine que j'adorerais ta famille.
- Elle t'adorerait aussi. Tu nous ressembles beaucoup, en fait. Peut-être que tu es ma jumelle, mais que tu as été adoptée à notre naissance.
Je pouffai, pour la première fois depuis très longtemps. Un peu de chaleur emplit le gouffre qui m'habitait. C'était le sentiment le plus réconfortant du monde.
- Oui, renchéris-je. Peut-être que nos parents me trouvaient trop intelligente et avaient peur que tu aies un complexe d'infériorité.
- Ou plutôt l'inverse : moi dans le rôle du jumeau le plus intelligent.
- Ça m'étonnerait.
- Alors laissons la question en suspens en attendant une analyse génétique en bonne et due forme.
Nos sourires flottèrent quelques instants sur nos lèvres avant de devenir plus amères. On ne pouvait pas oublier très longtemps que notre école fermait ses portes parce que le directeur avait été assassiné.
- Hermione, il y a quelque chose dont je voulais te parler.
La gravité était de retour dans ses yeux gris.
- Tu savais que plusieurs profs ont été frappés par un sortilège mortel et qu'ils ont été sauvés in extremis ?
Je ne songeai même pas à feindre la surprise.
- Oui, je le savais. Et toi aussi, on dirait.
- Le philtre d'Émergence, c'est toi qui l'as préparé ?
Cette fois, la question me fit l'effet d'une brique sur la tête. Je regardai Blaise, hébétée. Comment pouvait-il savoir ça ?
- Comment tu sais qu'un philtre d'Émergence a été préparé ?
Il eut un demi-sourire.
- Ta stupeur est éloquente. Pauvre Hermione. Tu es tellement transparente.
- Le philtre était dans la réserve de Rogue.
- Ouais, j'imagine que c'est toi qui l'as rangé là.
- Mais… Comment sais-tu que…
- Hermione, as-tu oublié que je veux devenir médicomage ? J'ai déjà entendu parler du maléfice d'Endormissement fatal. Je sais qu'aucun remède fonctionnel n'a été commercialisé et que les meilleures tentatives avaient une durée de vie de seulement quelques heures. Si quelqu'un a réussi à préparer un philtre d'Émergence efficace, c'était nécessairement le soir même du meurtre de Dumbledore.
Il reprit son souffle.
- Et je vois seulement trois personnes capables de préparer un tel philtre dans cette école. Il y a moi, à condition que j'aie pu mettre la main sur la recette, mais je suis bien placé pour savoir que ce n'est pas le cas. Il y a Rogue, mais j'ai bien peur qu'il était occupé à autre chose que préparer une potion ce soir-là.
J'attendis le coup de grâce.
- Ça ne laisse qu'une seule possibilité : toi.
Je niai bêtement l'évidence, même en sachant que ce serait inutile. Je ne pouvais pas révéler le secret du philtre. Je ne voulais pas. C'était entre Rogue et moi.
- Alors, tu crois que j'ai conçu moi-même une recette réussie du philtre d'Émergence ?
- Bien sûr que non. C'est Rogue qui te l'a fournie et tu as préparé la potion.
Mes oreilles bourdonnaient. Mon cœur voulait me sortir de la poitrine. Je me sentais comme une condamnée au pied de l'échafaud.
Blaise soupira.
- Hermione, je ne t'accuse de rien. Tu voulais seulement sauver des mourants. Mais cette histoire ne me dit rien qui vaille. De grâce, sois prudente.
J'abandonnai tout faux-semblant. À quoi bon mentir à Blaise ? Il devinait tout de lui-même, de toute façon. Exactement comme Rogue. Ces fichus Serpentards…
- C'est aussi ce qu'il m'a dit, lâchai-je, amère.
- Quoi ?
- Il m'a dit d'être prudente, avant de me laisser préparer le philtre. Avant de tuer Dumb…
Ma voix flancha. Je déglutis.
- C'est moi qui ai fait le philtre, poursuivis-je. Je ne savais pas à quoi il servait. J'ai raconté à Jake Tisdale qu'il traînait dans la réserve depuis des mois. Il n'aurait jamais voulu l'utiliser s'il avait su la vérité.
Mon comparse semblait réfléchir à toute vitesse.
- Blaise, je t'en prie, essaie de comprendre ! Je ne savais pas que Rogue nous trahirait ! Et si je n'avais pas pris le risque de refiler le philtre à Jake, les professeurs et les aurors seraient morts !
Le Serpentard posa les mains sur mes épaules. Une vive inquiétude animait ses yeux gris. Je ne l'avais jamais vu ainsi.
- Arrête, Hermione. Tu n'as rien à te reprocher. C'était très courageux de ta part. Mais…
Il pesa ses mots avec soin.
- Ça ne fait pas de Rogue un innocent pour autant. Il aurait très bien pu t'aider à sauver les professeurs pour… gagner ta confiance.
Je le dévisageai, incapable d'accepter ses paroles.
- Si Rogue a véritablement rejoint le camp de Tu-Sais-Qui, poursuivit-il, il pourrait avoir besoin d'une relation au sein de l'école. Et il lui serait assez facile de te convaincre, toi. Tu as établi un lien particulier avec lui et…
- Un lien particulier ?
- Allons, Hermione. Cesse de jouer à l'autruche. Rogue était différent avec toi. Ensemble, vous n'aviez pas l'air d'un professeur et d'une élève, vous aviez l'air…
Il chercha le terme juste en affichant une moue pensive.
- L'air de quoi ?
- Peu importe. Ce qui m'inquiète, c'est que Rogue ait pu profiter de la situation pour te manipuler plutôt que pour simplement sauver les professeurs.
Je ne savais pas quoi répondre. Je me sentais mal. L'innocence de Rogue était un espoir auquel je m'accrochais comme une naufragée à une bouée. Sans cet espoir, j'allais couler à pic.
- Hermione, méfie-toi. Si jamais Rogue essaie d'entrer en contact avec toi…
- Ça n'arrivera pas, coupai-je. Rogue est parti. Pour de bon.
Il soupira pour la énième fois.
- Si tu le dis. Mais… il y a autre chose dont je voulais te parler.
Mon estomac se remplit de cailloux. Qu'est-ce qui pouvait bien être pire que la trahison de Rogue ?
- Le soir du meurtre, j'ai croisé un garçon que je n'avais jamais vu auparavant. Ce n'était pas un élève de l'école, mais il portait l'uniforme des Poufsouffles. Et il te cherchait, toi. Supposément au nom de McGonagall, mais c'est peu probable puisqu'elle était inconsciente. Maugrey Fol'Oeil et moi avons essayé de le retrouver dans l'école, mais nous n'avons pas réussi.
Oh non.
Pas lui.
Ça ne peut pas être lui.
- Fol'Oeil a cru que je me moquais de lui. Mais moi, je pense que c'était un faux élève déguisé.
Un faux élève qui te cherche au moment où des mangemorts ont envahi le château ?
Bon sang, ouvre les yeux. Qui veux-tu que ce soit ?
- Cette histoire est vraiment bizarre, tu ne trouves pas ?
Il prendra sa revanche.
Non.
- Hermione, ça va ? As-tu besoin de t'asseoir ?
- Tout va bien, dis-je d'une voix faible.
- Ne dis pas n'importe quoi, tu es pâle comme un drap. Tu sais c'était qui, ce gamin ?
- Ce n'était pas un gamin, c'était un mangemort.
- Quoi ?
- Un mangemort me cherche, Blaise.
Ses sourcils escaladèrent son front.
Très lasse, je pesai le pour et le contre. Autant économiser ma salive.
- J'étais à Londres le jour de l'attaque des mangemorts, en octobre dernier. J'ai désarmé un mangemort et…
Il prendra sa revanche.
- Et il prendra sa revanche.
C'était la première fois que je prononçais ces mots à haute voix. Ils m'écorchèrent la langue.
Blaise me regarda d'un air médusé, mais je savais que les rouages de son cerveau tournaient à plein régime.
- Le déménagement de tes parents... c'est à cause de tout ça ?
- Je… oui.
- Qui est au courant de cette histoire ?
Je soupirai.
- Rogue l'a su, justement. Il a mis Dumbledore au courant.
- Et ?
- Et c'est tout.
Blaise parut encore plus accablé. Je lui avais fourni un argument massue pour confirmer son hypothèse : Rogue m'avait manipulée en accueillant mes confidences, puis en m'aidant à sauver les professeurs et aurors mourants. Tout ça pour que je le croie innocent.
Et si Blaise avait raison ?
Cette perspective était tellement douloureuse que j'essayai de l'éjecter de mon esprit.
- Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant, Hermione ? Qu'est-ce que tu vas faire avec un mangemort à tes trousses ?
- Il n'essaiera plus de me trouver.
N'importe quoi.
Il prendra sa revanche.
- Comment peux-tu en être sûre ?
- Blaise, c'est évident.
C'est faux, et tu le sais.
- Je l'avais seulement désarmé, poursuivis-je. Il n'y a pas de quoi en faire tout un plat. Si le mangemort s'est vraiment infiltré dans Poudlard déguisé en gamin et qu'il n'a pas réussi à me trouver, il m'oubliera. Maintenant que Dumbledore est mort, Tu-Sais-Qui tiendra sûrement les mangemorts suffisamment occupés pour qu'ils ne perdent pas leur temps avec des étudiants. Remarque, ce n'est pas plus rassurant.
Non. Il prendra sa revanche.
Tu le sais.
Tu l'as toujours su.
- Alors où vas-tu aller, demain, quand l'école va fermer ?
- Je ne sais pas. Je n'ai pas encore décidé.
Il prendra sa revanche.
Non. J'ai dit non.
Par Merlin, regarde la réalité en face !
Non.
- Tu pourrais venir avec moi en Afrique du Sud, dit Blaise.
Une sensation de chaleur m'emplit le creux du ventre. Je regardai mon ami avec gratitude.
- Merci de me l'offrir, mais j'ai besoin de réfléchir avant de prendre une décision.
- Hermione, je suis inquiet pour toi. Promets-moi que tu vas m'écrire.
Tout à coup, la fermeture de Poudlard devenait cruellement réelle. Mes paupières se chargèrent de larmes. Je ne pouvais même plus distinguer le Serpentard.
- Promis, je vais t'écrire, dis-je d'une voix cassée.
Deux bras m'étreignirent et ma joue vint s'appuyer contre l'épaule de Blaise.
- Hermione, dit-il en me tapotant le dos. Si je m'intéressais aux filles, tu serais sûrement mon genre.
Surprise, je m'essuyai les yeux et reculai d'un pas pour le regarder.
- Allons, me sermonna-t-il. Ne me dis pas que ça ne t'avait jamais effleuré l'esprit.
- Euh… Non.
Il renifla, amusé, et m'ébouriffa affectueusement les cheveux. Je devais maintenant être aussi décoiffée que lui.
- Tu es intelligente, mais tellement naïve.
Je roulai des yeux. À en croire Blaise et Ginny, la naïveté était mon principal trait de caractère.
- Allez, viens, dit-il en jetant un dernier regard dans le laboratoire.
Il agita sa baguette pour éteindre les torches.
- Les profs et les aurors ont vraiment fait tout un plat de cet endroit, commenta-t-il. Il paraît que Flitwick a passé des heures à essayer de déverrouiller les quartiers personnels de Rogue. Ils n'ont rien trouvé de particulier à l'intérieur. Même Madame Chourave est venue jeter un coup d'œil, comme si Rogue était du genre à faire pousser des fleurs ou des plantes vertes.
C'est à ce moment que le déclic se fit dans ma tête.
Des fleurs.
Oui, Rogue en faisait pousser. Dans la Forêt Interdite. Des plaintes argentées, ces fleurs mystérieuses qui servaient à concocter le philtre Remue-mort.
Et si Rogue m'avait montré les plaintes afin que je les utilise pour redonner la vie à Dumbledore, même temporairement ?
Et si tout n'était pas perdu ?
- C'est bientôt l'heure du dîner, dit Blaise en refermant la porte derrière nous. Tu vas à la Grande Salle ?
- Pas tout de suite. J'ai encore quelques trucs à faire à mon dortoir.
Ce n'était qu'un demi-mensonge.
J'avais effectivement des trucs à faire, mais quant à savoir où, c'était moi que ça regardait.
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oOoOoOo
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Le vent et la neige mouillée me fouettaient le visage. Mes vêtements me collaient à la peau, lourds d'eau. Je n'avais pas pris le temps d'aller chercher une cape à la tour des Gryffondors. Sous moi, les cimes des arbres me donnaient le vertige. J'avais toujours détesté voler. Mon vieux Nimbus 1999 n'aidait pas. Je serrais le manche si fort pour éviter les soubresauts que mes mains glacées me faisaient mal.
En arrivant aux abords du terrain de Quidditch, j'avais constaté que tous les joueurs de Poudlard avaient récupéré leurs balais dernier cri. J'avais dû me rabattre sur un balai d'entraînement usé par des centaines de jeunes fesses.
Prudemment, je lâchai le balai d'une main et sortis ma baguette pour repérer ma destination. Elle pointa une butte où des conifères filaient vers le ciel, étroitement serrés les uns contre les autres. Le fort lunaire était tout près. Heureusement que je connaissais un sortilège d'orientation, car je n'aurais jamais pu retrouver le fort. Pas plus que je ne me serais aventurée seule dans la Forêt Interdite.
Me préparant à un atterrissage risqué, j'inclinai le manche de mon balai et essayai de ralentir ma descente, mais peine perdue. Je m'échouai littéralement entre les branchages denses des conifères et roulai sur le sol boueux, perdant mon balai et une de mes chaussures. À la fois soulagée et honteuse, je restai quelques secondes affalée sur le dos, la neige fondante s'écrasant sur mon visage.
Merlin, mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter d'être si nulle en vol ?
Me rappelant la raison de cette escapade, je me redressai. Je n'avais pas beaucoup de temps. Les portes de Poudlard se verrouilleraient bientôt pour la nuit. Je regardai autour de moi, plissant les yeux pour distinguer quelque chose à travers l'obscurité. Le fort lunaire était tout près. Je récupérai ma chaussure, posai le balai contre un arbre et m'approchai. C'est seulement en tendant la main vers la porte qu'un détail important me revint à l'esprit.
Le mot de passe.
Il fallait un mot de passe pour entrer.
Oh, merde.
Qu'est-ce que c'était, déjà ?
Les sourcils froncés, je cherchai furieusement à me rappeler les paroles de Rogue, le soir où je l'avais accompagné ici.
- Les morts sont… là ?
Rien ne se produisit.
- Les morts sont loin.
Rien.
- Les morts sont ici.
Je me mis à grelotter.
- Les morts sont là-bas.
Je contemplai le fort lunaire, le cœur serré. Allais-je devoir abandonner si près du but ?
- Les morts sont plus loin qu'ici ! Les morts se cachent en bas ! Les morts sont au loin, les morts se croient loin, les morts…
Calme-toi.
Tu peux y arriver.
Je me forçai à fermer les yeux, à faire abstraction de la neige qui s'était changée pour de bon en pluie verglacée. Je respirai profondément. Nous étions en octobre. Rogue se tenait à mes côtés, grand et droit. Son sortilège réchauffait mes vêtements. Sa voix était grave et veloutée. J'adorais sa voix. À bien y penser, je l'avais toujours adorée. Il parlait très distinctement. Il voulait que j'entende le mot de passe. Que je le retienne.
Les mots jaillirent dans mon esprit, aussi clairs que si Rogue les avait soufflés à mon oreille.
Oui.
C'était ça.
- Les morts ne sont jamais si loin qu'on croit.
La porte gémit dans ses gonds en s'ouvrant toute grande et un nœud m'étreignit la gorge quand je pensai au visage sans vie de Dumbledore. Ce mot de passe étrange ne pouvait pas avoir été choisi par hasard.
Le cœur battant, je pénétrai dans le fort.
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oOoOoOo
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Pendant quelques secondes, Severus demeura figé. Des émotions contradictoires s'enchevêtrèrent en lui tandis que son visage restait impassible. Il fixa sa montre enchantée sans trop y croire. Mais les alarmes ne pouvaient pas le tromper.
Elle était là. Seule.
Ça ne pouvait être qu'elle.
Mais pourquoi ?
Elle aurait dû être abattue, terrorisée, furieuse. Comme tous les autres. Elle aurait dû se tenir loin du fort lunaire. Alors qu'espérait-elle ? Trouver des indices sur lui ? Mettre la main sur les plaintes argentées ? Croyait-elle vraiment pouvoir sauver un homme enterré depuis des jours avec un philtre Remue-mort ?
Severus se leva, serrant et desserrant machinalement les poings, seul signe de la fébrilité qui l'agitait.
Il avait tendu une perche à Hermione Granger le soir où il l'avait emmenée dans la Forêt Interdite, dans l'espoir un peu fou qu'elle comprendrait la situation. Mais elle ne pouvait pas comprendre, il lui manquait trop de pièces du puzzle pour être en mesure de le reconstituer. Qui plus est, Severus s'était juré de se tenir loin d'elle.
N'empêche qu'Hermione Granger était au fort lunaire en cet instant précis. Alors Severus irait la rejoindre. Ce n'était pas une bonne idée, il le savait. Affronter le regard de ceux qui se sentent trahis n'était jamais une bonne idée. Mais il allait le faire quand même. Ne serait-ce que pour apprendre à la Gryffondor qu'on ne va pas traîner dans un lieu appartenant à un mangemort. Hermione Granger avait besoin d'une bonne leçon en matière de témérité, et un homme recherché pour meurtre était bien placé pour la lui donner.
Sa petite voix intérieure le nargua.
Quel altruisme, Severus. Est-ce vraiment la seule raison qui justifie de risquer ta peau en retournant sur le terrain de Poudlard ?
Peut-être pas, mais il n'allait sûrement pas se l'avouer.
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oOoOoOo
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Une déception insupportable me coupa le souffle.
Le fort lunaire était sombre et vide. Aucune substance mystérieuse n'emplissait le bassin de pierre. Les plaintes argentées n'y flottaient plus. Rogue les avait prises. Pour faire quoi ? Sûrement pas pour sauver Dumbledore, puisqu'il était mort et enterré !
Il est temps de te rendre à l'évidence, Hermione.
Le gouffre en moi s'emplit tout d'un coup, de chagrin et de douleur. J'eus l'impression d'aspirer une longue goulée d'air, après des jours et des jours d'apnée.
C'est fini. Accepte la réalité. Rogue a véritablement changé de camp.
Le désespoir me broya le ventre.
Tu ne le reverras plus.
Je pris conscience que je tremblais de tous mes membres. Mes mains étaient engourdies. Ma robe trempée dégouttait sur le sol. À mes grelottements se joignit un grincement sinistre qui retentit derrière moi.
Une décharge d'adrénaline propagea un goût âcre dans ma bouche.
La porte.
La porte s'ouvrait.
Quelqu'un entrait !
Sans réfléchir, je fis volteface et tendis ma baguette pour affronter le nouvel arrivant.
- Protego ! lançai-je d'une voix trop aiguë.
Un halo éblouissant m'enveloppa, m'empêchant de voir plus loin que le bout de mon nez.
Merde.
J'avais commis la bêtise de manifester ma présence et, pire encore, de me rendre visible. Je me trouvais maintenant en position de faiblesse. La main crispée sur ma baguette, je plissai les yeux pour voir qui se trouvait au-delà de mon bouclier lumineux.
- Experlliarmus.
La voix n'avait été qu'un chuchotement à peine audible, impossible à identifier. Mon bouclier s'éteignit comme une bougie sous un coup de vent et ma baguette m'échappa des mains pour se perdre dans la noirceur.
Meeeerde.
Pendant quelques secondes horribles, il ne se passa rien du tout. Seul mon souffle précipité troubla le silence, à croire que l'intrus ne respirait pas du tout.
- Qui… Qui est là ?
Aucun bruit.
J'avançai d'un pas et parvins à distinguer les contours de la porte, au fond du fort lunaire. Il n'y avait personne. Une bouffée de panique me monta à la tête. Qu'est-ce qui se passait ?
Puis, une voix grave et soyeuse, sortie de nulle part, murmura tout près de mon oreille :
- Mais qu'est-ce que vous espérez exactement ? Vous faire tuer ?
Je poussai un hurlement à glacer le sang. Une force magique riva mes pieds au sol, m'empêchant de me retourner. Une silhouette imposante me contourna lentement, comme un prédateur devant une proie facile.
- Lumos, murmura cette voix grave inimitable.
Une baguette s'alluma, projetant une lueur à peine suffisante pour me permettre de reconnaître un nez aquilin, une mâchoire anguleuse et des prunelles d'onyx. L'homme le plus recherché au pays se campa à vingt centimètres de moi.
Bizarrement, j'avais imaginé que tous les mangemorts avaient dans le regard la même cruauté glaciale que MacNair. Mais celui du maître des potions n'avait pas changé. Il était encore de ce noir si vif qu'un brasier perpétuel semblait le consumer. Severus Rogue avait peut-être assassiné Dumbledore, mais paradoxalement, il était resté exactement le même.
La force magique qui m'immobilisait s'évanouit, mais je n'esquissai pas le moindre mouvement.
- Vous aventurer ici n'est pas exactement ce que j'entendais par « prudence », Miss Granger. Auriez-vous oublié que je me tiens informé des allées et venues des intrus dans les lieux qui m'appartiennent ?
Les alarmes. Comment avais-je pu ne pas y penser ?
- Ils savent que…
La fin de ma phrase se perdit dans un balbutiement inintelligible.
Rogue haussa un sourcil ironique.
- Je vous demande pardon ?
- Ils savent que je suis ici, répétai-je, sans préciser à qui je faisais référence.
Rogue eut un reniflement amusé.
- Non, ils ne le savent pas, sinon vous ne seriez pas ici, ou du moins vous n'y seriez pas seule.
Le ridicule de la situation me frappa soudain. Comment avais-je pu être assez stupide pour venir au fort lunaire ? Merlin, j'étais un cas désespéré.
- Vous avez pris les plaintes argentées, dis-je d'une voix tremblante.
- Quelle perspicacité.
- Je sais quelle potion vous avez préparée.
- Vraiment ? Et savez-vous aussi à quoi elle a pu me servir ?
Je me mordis la lèvre.
- Dix points de moins pour Gryffondor.
Comme si les circonstances étaient aux sarcasmes.
Rogue reprit la parole, cette fois sans ironie :
- Aucune potion n'a le pouvoir de redonner la vie aux morts, Miss Granger.
- Si ! Le philtre Remue-mort le peut !
- Non. Seulement temporairement. Personne ne peut échapper à la mort.
Alors, l'escapade dans la Forêt Interdite, les plaintes argentées, le mot de passe bizarre… ce n'étaient que des faux indices pour m'attirer ici ? Ce n'était qu'un piège ? Pour faire quoi, me tuer ? Après avoir fui un mangemort anonyme pendant des semaines, allais-je donc mourir de la main d'un homme que je côtoyais tous les jours ? Décidément, le destin était un vieux farceur.
Je reculai. Je ne pourrais jamais échapper à Rogue, mais j'allais au moins lui compliquer un peu la tâche.
Il approcha.
- Où croyez-vous aller ? Ne me dites pas que vous voulez jouer ?
Et s'il me livrait à MacNair ? À devoir choisir, je préférerais de loin être assassinée par Rogue que par un bourreau. Rogue travaillait toujours proprement. Il n'aimait pas se salir. Il tuait sans doute rapidement.
- Qu'est-ce que vous allez faire ? lançai-je du ton bravache de ceux qui n'ont plus rien à perdre. Me tuer ?
Rogue roula des yeux.
- Épargnez-moi vos formules mélodramatiques. Je croyais que vous étiez une personne raisonnable, Hermione Granger.
- Peut-être que vous vous êtes trompé.
- Tout porte à croire que oui. Pourtant, après toutes vos… mésaventures des dernières semaines, vous auriez pu vous abstenir de commettre des bêtises supplémentaires.
- Comme quoi ? Tuer un directeur d'école, par exemple ?
La ferme, Hermione.
Les prunelles sombres flamboyèrent. Leur propriétaire s'approcha dangereusement.
- Non, gronda-t-il. Plutôt comme venir rejoindre un homme recherché pour le meurtre d'un directeur d'école.
Il était effrayant. Blaise avait tort : Rogue n'essayait pas de gagner ma confiance pour me manipuler, il essayait de terroriser. Et il le faisait à merveille.
Tremblante comme une feuille, je reculai encore. Un pas de trop. Ma tête se heurta à la courbe d'un mur qui grimpait vers le plafond en dôme. La douleur irradia ma grosse bosse hypersensible. Je ne pus retenir un gémissement. Les larmes me montèrent aux yeux.
Rogue fronça les sourcils.
- Qu'est-ce que vous avez ?
- Rien.
Ses yeux fouillèrent les miens.
- Encore un affront d'O'Riley que vous avez décidé de passer sous silence, je présume.
- Non.
Il approcha, encore.
Je me tassai contre le mur.
- Que vous a-t-il fait ?
- Rien.
-Répondez-moi.
- Je ne vois pas ce que ça peut vous faire. Vous êtes un mangemort, vous avez…
La feeeerme, Hermione.
Les yeux sombres de Rogue vrillèrent les siens, emplis de colère. Il cueillit mon visage dans ses longues mains. Mon souffle se précipita.
- Préférez-vous que je trouve moi-même les réponses à mes questions ? demanda Rogue de sa voix de velours et d'acier.
La panique me souleva le cœur quand je compris qu'il parlait de pénétrer mon esprit. Je fermai les yeux de toutes mes forces.
- S'il-vous-plaît, ne faites pas ça.
J'étais en train de supplier un mangemort. C'était pathétique.
Et c'est ce que tu appelles mourir en Gryffondor ?
Des larmes de désespoir s'accumulèrent sous mes paupières closes.
Je ne pourrais pas lui résister. Il était un légilimens redoutable, un sorcier puissant et… un homme. Un homme dans la force de l'âge, me dominant de toute sa hauteur, un homme qui n'aurait même pas besoin de magie pour me maîtriser et fouiller mes pensées de fond en comble. Il ne ferait qu'une bouchée d'un poids plume dans mon genre. Je ne voulais pas lui opposer la moindre résistance.
Alors j'ouvris les yeux, vaincue.
Or, Rogue ne semblait pas sur le point de violer mon esprit. La colère avait déserté ses prunelles sombres, mais quelque chose d'impérieux les animait toujours. Des larmes roulèrent sur mes joues et s'échouèrent sur ses pouces.
Pendant quelques secondes, le temps retint son souffle. Puis les mains de Rogue glissèrent autour de ma tête, pour aller se frayer un chemin à travers ma tignasse emprisonnée en chignon.
- Qu'est-ce que vous faites ? bredouillai-je.
- À votre avis ?
Son ton cinglant n'avait rien à voir avec la délicatesse du geste. Les doigts tâtèrent mon cuir chevelu avec une douceur déconcertante, tous mes cheveux se hérissant à leur passage. Je frémis et fermai les yeux à nouveau, comme pour me protéger d'un trop grand émoi. Personne ne m'avait jamais touchée de cette manière. Surtout pas un homme.
Les longs doigts effleurèrent la grosse bosse cachée sous mon chignon et s'y immobilisèrent.
- Ah. Voilà.
Son murmure grave sembla vibrer jusque dans ma propre poitrine.
- Medeorus.
La chaleur des mains de Rogue se propagea tout autour de ma tête. La douleur, les tensions s'évanouirent, aussitôt remplacées par une sensation irrésistible de détente. Même mes genoux s'amollirent. Je me mis à trembler de plus belle.
Lorsque je rouvris les yeux, je me retrouvai tout près de la poitrine contre laquelle je m'étais heurtée lorsque j'avais voulu m'enfuir de la boutique d'O'Riley. De part et d'autre de ma tête, les bras de Rogue me confinaient à un minuscule espace, d'où je pouvais percevoir la chaleur de son corps et l'odeur de forêt foisonnante qui émanait de ses vêtements.
Un besoin violent et douloureux me fit tressaillir à nouveau. Je voulais me réfugier contre cette poitrine. Tout de suite.
C'est un mangemort, Hermione, un mangemort !
Je voulais que ces deux grands bras me capturent. Immédiatement.
Il a tué Dumbledore !
Je voulais qu'il me serre contre lui. Fort.
Mais c'est un assassin !
Je voulais retrouver le Severus Rogue que je connaissais, celui que j'avais découvert au fil des semaines et des potions.
Une boule de chagrin enfla dans ma gorge.
- Je ne peux pas y croire.
- Vous ne pouvez pas croire quoi ? demanda Rogue.
Ses mains s'étaient figées dans mes cheveux.
- Dumbledore. Vous. C'est impossible. Vous êtes tellement…
Un sanglot me vola les derniers mots.
- Tellement vous-même.
Un autre sanglot me comprima la poitrine. Je repris mon souffle dans un long sifflement. Les grands doigts apaisants désertèrent ma tête, me laissant vide et brisée. J'enfouis mon visage dans mes mains encore engourdies par le froid. C'était fini. J'étais seule. Severus Rogue allait disparaître pour de bon.
Mais la réalité sembla basculer dans le rêve.
Un tissu lourd et chaud vint me recouvrir les épaules. Deux grands bras m'enveloppèrent étroitement et mon visage vint se nicher contre un torse solide. L'étreinte se resserra, m'emprisonnant dans une dimension parallèle où plus rien au monde ne pouvait m'atteindre.
C'était mieux, terriblement mieux que tout ce que j'aurais pu imaginer.
Je sanglotai de plus belle.
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oOoOoOo
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Severus était sous le choc.
Ses yeux fixaient la noirceur alors qu'il maintenait contre lui une Hermione Granger bouleversée, lui frictionnant le dos à grands cercles lents. Bon sang, elle était glacée. Quelle idée de voler sans cape ni manteau par un temps pareil. Il raffermit sa prise autour d'elle. Elle se mit à trembler davantage.
Réconforter Hermione Granger était à la fois la chose la plus étrange et la plus naturelle du monde. Il n'avait pas eu besoin de réfléchir, ni même de surmonter une hésitation. Ses bras avaient trouvé seuls leur chemin et ce corps frêle était venu se mouler parfaitement au sien.
Ce moment était irréel. Depuis quand recueillait-il des jeunes femmes en pleurs contre lui ?
Depuis quand des jeunes femmes en pleurs se blottissent-elles contre toi ?
Car c'était bien ce qui s'était produit. Hermione Granger s'était réfugiée dans son étreinte comme si sa vie en dépendait. Son étreinte à lui, Severus Rogue, mangemort recherché pour meurtre. Elle aurait pourtant dû être plus prompte à le mépriser qu'à lui accorder sa confiance.
Qu'importe.
Bizarrement, il en avait envie. Et bizarrement, elle aussi.
Ils ne dirent rien. Il n'y avait rien à dire.
Pendant un long moment, il oublia tout le reste.
Puis, lentement, très lentement, il fit glisser ses mains jusqu'aux coudes de la jeune femme et il l'écarta de lui avec précaution. Elle se redressa et s'essuya les yeux.
- Vous devez retourner à Poudlard. Les portes se verrouilleront bientôt.
- Je m'en fiche. Poudlard ferme demain matin.
Sa voix était usée d'avoir tant pleuré.
- Vous ne vous en ficherez plus si vous devez passer la nuit dehors dans un état de quasi hypothermie.
Elle eut le bon goût de ne pas répliquer.
Il rajusta les pans de sa propre cape sur elle pour la protéger du froid, puis entreprit de retirer les brindilles et les feuilles mortes qui s'étaient accrochées à sa tignasse. Si un auror ou un professeur la voyait dans cet état, elle devrait mentir, et elle mentait mal.
Pendant ce temps, elle le dévisageait, ses yeux noisette chargés de points d'interrogation.
Il soupira.
- Je ne peux pas répondre à vos questions pour l'instant.
- Alors quand ?
- Je ne sais pas.
Elle serra les dents pour réprimer d'autres larmes, en vain. Il les essuya du bout des doigts. Ses yeux étaient rougis et gonflés. Il n'aimait pas la voir ainsi.
- Jurez-moi que vous serez prudente.
- Je le serai, articula-t-elle d'une voix étranglée.
- Allez chez les Weasley et vous serez en sécurité.
Un autre sanglot étouffé.
Il posa les mains sur ses épaules frêles et les pressa doucement.
- Secouez-vous, Miss Granger. Vous devez garder la tête froide.
Elle acquiesça, incapable de proférer un mot sans pleurer.
- Allez-y. Soyez vigilante avec le Nimbus. Ce modèle est une catastrophe pour les atterrissages.
Il la regarda quitter le fort, la tête basse, les épaules secouées par des sanglots mal contenus, les bras serrés autour de sa propre cape deux fois trop grande pour elle.
Ce fut le moment le plus difficile depuis qu'il avait lancé un sortilège mortel à un Albus Dumbledore désarmé devant une dizaine de témoins.
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oOoOoOo
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- Tu viens, Hermione ? demanda Parvati à travers la porte de la salle de bain.
Je lançai un sort de nettoyage à ma robe boueuse et trempée.
- Oui, j'arrive !
Je m'aspergeai les yeux et je raccommodai mon chignon à toute vitesse.
- Il ne faudrait pas que tu sois en retard pour le dernier dîner à Poudlard !
J'ouvris le robinet d'eau chaude et plongeai mes doigts sous le jet. Ils étaient encore glacés.
- J'ai presque terminé. Je vous rejoins tout de suite.
- D'accord ! On t'attend !
Je m'essuyai les mains et risquai le nez dans le dortoir.
Personne.
Je courus ouvrir ma valise pour y ranger la cape. J'hésitai. Je portai le tissu à mon visage.
Il était chaud et robuste. Il sentait bon.
Je me sentis plus confiante.
Tout irait bien.
J'enfonçai le vêtement en boule et je refermai ma valise de peine et de misère.
- J'arrive, lançai-je, le souffle court, à Lavande et Parvati qui m'attendaient de pied ferme dans le couloir.
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oOoOoOo
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C'est seulement beaucoup trop tard que Severus réalisa quelle bourde monumentale il avait commise.
Il avait dit à Hermione Granger de se rendre chez les Weasley.
Il ne portait pas particulièrement Jake Tisdale dans son cœur, mais il pria pour que son charmeur de collègue se rende utile et réussisse à gagner la confiance de son ancienne élève.
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oOoOoOo
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- Hermione ?
Je cherchai à travers la cohue la personne qui avait prononcé mon nom.
Jake Tisdale se tenait devant moi, au pied du grand escalier. Autour de nous, une mer d'élèves allait déposer bagages et cages à hibou dans le hall, où Hagrid et Rusard s'affairaient à remplir des chariots. Direction : la gare de Pré-au-Lard. Le Poudlard Express partait dans une heure.
- Puis-je vous parler un instant ? demanda Jake.
Méfiante, je le rejoignis en tirant ma valise derrière moi, Pattenrond niché sous mon bras libre. Je n'avais pas dormi de la nuit, mais contrairement aux autres élèves, je ne m'étais pas sentie aussi calme depuis longtemps. J'avais mes raisons. Des raisons… secrètes.
Seulement, j'avais l'impression que toute l'école pouvait deviner que ma valise contenait la cape d'un assassin.
Jake m'entraîna un peu à l'écart, sous les regards envieux d'un groupe de filles de troisième année.
- Hermione, Dumbledore m'avait parlé de vous avant de décéder.
J'attendis la suite, sur mes gardes.
- Il m'a dit que vous aviez des raisons de craindre un mangemort.
Oh non.
Pas encore ça.
- Je lui ai parlé en coup de vent, poursuivit Jake. Il a été un peu évasif.
Je me rendis compte qu'il attendait des explications.
- Euh… C'est un peu compliqué.
Mon professeur me dévisagea, perplexe.
- Eh bien… j'ai rencontré un mangemort un jour et… enfin… il a peut-être encore une dent contre moi.
Il prendra sa revanche.
Oh, arrête ça. Tu t'en fais pour rien.
- Je comprends, dit Jake, qui n'avait pas l'air de comprendre du tout.
Son regard se perdit au-dessus de mon épaule.
- Gustave, Henry ! lança-t-il. Vous connaissez le règlement : pas de chat dans les cages à hibou. Vous apportez votre chat avec vous dans le train. Allons, circulez.
Le jeune auror reporta son attention sur moi.
- Hum, oui, bon, où en étions-nous ?
- Vous parliez de Dumbledore.
- Ah oui, évidemment. Gustave, Henry ! Je vous ai dit de vous dépêcher ! Bon, excusez-moi. C'est la pagaille, ce matin. Dumbledore m'a dit que vous feriez bien de résider chez les Weasley lorsque vous auriez besoin de quitter Poudlard. Apparemment, ça aura lieu plus tôt que prévu, ajouta-t-il d'un air sombre.
Un malaise s'insinua lentement en moi.
- Les Weasley ? répétai-je.
- Mais oui, vos amis, Hermione, dit-il distraitement en faisant signe à quelques élèves de ne pas jacasser en plein milieu de l'escalier.
Jurez-moi que vous serez prudente.
Allez chez les Weasley et vous serez en sécurité.
- Jake, je… je ne pense pas que ça soit une bonne idée.
- Je ne vois pas pourquoi, Hermione. Vous devez bien trouver un endroit où aller. Ce sera parfait chez les Weasley.
Je dévisageai Jake. Comme beaucoup de personnes au caractère extraverti, il arrivait mal à décoder le langage non-verbal de ses interlocuteurs.
- Jake, je crois que… Rogue sait aussi que je devais me rendre chez les Weasley.
L'auror haussa les sourcils.
- Je ne pense pas, Hermione. Dumbledore m'a parlé à moi seul.
- Mais…
- Hermione, vous m'excuserez, mais je n'ai pas beaucoup de temps pour cette discussion. Rappelez-moi de parler à Molly et Arthur tout à l'heure, à la gare de Londres. Je risque de l'oublier, sinon. Avec toute cette agitation…
Je fixai ma valise, où la cape de Rogue était rangée.
Il m'avait fait préparer le philtre d'Émergence. Il m'avait laissé pleurer contre lui. Il m'avait même caressé le dos avec une patience exemplaire pendant mon numéro d'idiote larmoyante.
Mais il avait aussi tué Dumbledore, inexplicablement. Il était parti avec les mangemorts, il figurait parmi la liste des mages noirs les plus recherchés.
- Hermione ? Vous allez bien ?
- Très bien.
- Puis-je compter sur vous pour me rappeler de parler à Arthur et Molly ?
- Bien sûr, Jake. Comptez sur moi.
- Parfait.
Il s'éloigna rejoindre un groupe de professeurs.
Je miniaturisai ma valise, la glissai dans ma poche et passai devant les chariots à bagages sans m'y arrêter.
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oOoOoOo
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Elle n'irait pas.
Severus avait beau examiner la situation sous tous ses angles, il n'envisageait qu'une seule conclusion.
Hermione Granger n'était pas idiote. Elle ne suivrait pas le conseil d'un mangemort, même si ce mangemort avait accueilli ses pleurs sur son épaule. Elle n'accepterait jamais de faire courir le moindre risque à des êtres chers. Elle en avait fait la démonstration flagrante en planquant ses parents à l'étranger, une entreprise aussi bête qu'audacieuse.
Mais si elle n'allait pas chez les Weasley, où irait-elle ?
Bon sang, pourquoi n'avait-il pas simplement modifié sa mémoire pour qu'elle oublie leur rencontre au fort lunaire ?
Parce que tu ne voulais pas qu'elle l'oublie, votre rencontre.
Il soupira.
Depuis quand se permettait-il de telles erreurs de débutant ? Ce n'est pas en agissant de la sorte qu'il avait survécu si longtemps à sa périlleuse double-vie.
Quoi qu'il en soit, Hermione Granger avait maintenant sans le savoir un beau problème sur les bras. Si elle croyait, après les catastrophes qui avaient secoué Poudlard, que MacNair l'avait oubliée, elle se trompait.
Elle était en danger, maintenant plus que jamais.
Et c'est aussi ton problème, puisque tu en es le responsable.
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La pluie verglaçante tombée la veille avait transformé le quai de la gare de Pré-au-Lard en une véritable patinoire. Les élèves tombaient comme des dominos, ce qui ajoutait une touche burlesque à un départ pourtant dramatique.
- J'arrive pas à croire qu'on quitte l'école en plein milieu de l'année.
- J'espère qu'elle rouvrira bientôt.
- Au moins, papa va pouvoir nous tenir au courant. Il a sûrement entendu plein de trucs au Ministère que les profs ne veulent pas nous dire.
Ron se tourna vers moi.
- T'es sûre que tu ne changes pas d'idée, Hermione ?
- Oui, Hermione, t'es sûre ? renchérirent Harry et Ginny.
Je leur souris.
- Ne vous en faites pas pour moi. Tout ira très bien. Je dois pouvoir voler de mes propres ailes désormais.
- En tout cas, on t'invite pour Noël, c'est sûr !
- Écris-nous le plus vite possible !
Les embrassades ne s'éternisèrent pas. Le Poudlard Express était sur le point de s'ébranler.
- Bon voyage ! lançai-je en leur agitant la main.
Je m'éloignai sur le quai, serpentant à travers la cohue. Au loin, Jake Tisdale semblait très occupé à faire embarquer les élèves. Parfait. Personne ne remarqua que je partais en direction opposée du train. Personne ne remarqua non plus que je portais une cape inhabituellement longue, tellement longue que je devais en tenir les pans pour qu'elle ne traîne pas sur le sol.
Je regardai la silhouette de Poudlard une dernière fois, la baguette à la main, prête à transplaner. Malgré le froid, des effluves de forêt et de terre humide me chatouillèrent les narines. Je resserrai la lourde cape d'hiver autour de moi, puis, comme son propriétaire, je disparus de la circulation.
Une nouvelle vie commençait.
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Et voilà ! C'est la fin… de la première partie. :)
Quoi que la disparition de Severus puisse laisser croire, la seconde partie sera davantage axée sur la relation d'Hermione et Severus. Ne vous inquiétez pas : on les retrouvera à nouveau ensemble dès le chapitre 17. :)
Je ne peux vous promettre aucune date pour l'instant, car j'ai encore quelques zones d'ombre à éclaircir pour avoir un scénario bien solide, mais je vais faire mon possible pour que la suite arrive raisonnablement bientôt. ;)
À la prochaine !
