La suite ! Considérez que c'est un cadeau de Noël un peu en retard. :)

D'abord, un grand merci à Bergere, Mrs Elizabeth Darcy31, Fantomette34, Zeugma, blupou, miss-svetlana-black, Tit-Chat-Sauvage, Jude-sama, Phaidora, Aurelie Malfoy, Etoile solitaire, shukrat et ceux que j'oublierais. Vos commentaires m'encouragent beaucoup. :) Merci de me lire !

Et avant de commencer, un avertissement important : Le rating de cette fic est justifié. Ce chapitre n'est pas pour les enfants. Si c'était un film, je serais moi-même incapable de le regarder, c'est pour vous dire. Je tiens pour acquis que vous avez compris le message. ;)

Bonne lecture !

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Tel est pris qui croyait prendre

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La frénésie des fêtes de fin d'année s'était emparée du Chemin de Traverse et des artères commerciales environnantes. La petite librairie Chapman & Son ne faisait pas exception. Elle avait beau paraître étouffée et miteuse entre les boutiques décorées des alentours, tout le monde savait que la marchandise était moins chère que chez Fleury & Bott.

Ce jour-là, de nombreux clients avaient pris d'assaut les étalages de Chapman & Son à la recherche du bouquin parfait. À travers le chaos, une employée grande et blonde replaçait patiemment les livres que les gens abandonnaient au mauvais endroit.

La grande blonde, c'était moi.

Parce que j'étais effectivement devenue blonde. Et j'avais grandi de sept pouces.

Un mois avait passé depuis la fermeture de Poudlard.

J'avais atterri à Londres sans plan précis, à la fois émerveillée et déconcertée devant ma liberté soudaine. Dans un accès de prudence, j'avais décidé de me désillusionner pour qu'aucun mangemort du nom de Walden MacNair ne me reconnaisse au hasard des rues. C'est ainsi que j'avais déniché un mannequin dans une publicité de chaussures et que j'avais imité ses traits.

J'avais ensuite trouvé un emploi dans une librairie, en ébahissant Chapman père avec mes connaissances, disons, supérieures à la moyenne en matière de livres. Puis j'avais loué un petit loft dans un quartier bourdonnant et branché, non loin du Chemin de Traverse.

- Mademoiselle…

- Oui, comment puis-je vous aider ?

La cliente était si minuscule que je dus me voûter pour saisir ses paroles à travers le bruit ambiant. Je ne m'étais pas encore habituée à ma taille de mannequin.

- Avez-vous le livre dont ils ont parlé dans le dernier numéro de Sorcière moderne ? Un truc à propos du vert…

- 50 nuances de vert ?

- Oui, c'est ça !

Oh, pas encore.

Chapman & Son devait sans doute la moitié de son chiffre d'affaires à ce bouquin insipide. L'autre moitié était due aux sept tomes de Tobby Rutter, une série mettant en vedette un jeune moldu orphelin qui devait sauver l'univers. Comme si c'était plausible. Décidément, je n'aimais pas les romans. Et ce n'était pas parce que j'en vendais que mes goûts allaient changer.

J'adressai un sourire sans faille à la dame.

- Bien sûr, nous l'avons. Par ici.

Je désignai un étalage, avant d'être interpelée par un autre client. Chez Chapman & Son, on n'avait pas une seconde de répit.

Au travail comme dans mes temps libres, je me tenais tellement occupée que je n'avais pas le temps de penser à Poudlard. Mais il suffisait d'un détail pour que la nostalgie me happe : la texture des pages d'un vieux livre, la vue de couleurs rouge et or sur des guirlandes de Noël, l'odeur de feuilles de thé rappelant les ingrédients du laboratoire…

Et parfois, les soirs où je me sentais seule et à l'étroit dans mon quartier de bruit et de bitume, les paysages verdoyants de Poudlard et le glougloutement tranquille des potions revenaient me hanter.

Je n'avais pas tracé une croix sur mon ancienne vie, je me contentais de repousser mes souvenirs. Je n'avais pas oublié Dumbledore. Ni Rogue. Seulement, j'avais renoncé à comprendre le drame qui s'était abattu sur l'école et le rôle que le maître des Potions y avait joué.

Mais dans le secret de mon loft, la cape d'hiver de l'assassin traînait en permanence sur mon canapé. Je m'y enveloppais souvent pour lire et siroter une tasse de thé. Et quand je n'arrivais pas à trouver le sommeil parce que la mélancolie me taraudait, les effluves – de plus en plus effacés – de sapin et de terre humide m'aidaient à avoir confiance au lendemain. C'était inavouable, mais… apaisant.

- Rosie, tu devrais aller manger un morceau avant de défaillir.

Rosie, c'était moi.

Parce que fausse apparence rimait forcément avec fausse identité, j'étais devenue Rosalind Buckley. Personne dans cette librairie n'avait jamais entendu parler d'Hermione Granger.

Chapman fils se posta à côté de moi, un sourire enjôleur accroché aux lèvres. Je devais repousser ses avances et ignorer ses commentaires flatteurs au moins dix fois par jour (et encore). Manifestement, le fils du patron aimait bien les blondes avec une carrure de mannequin et un visage parfait. C'était l'aspect le plus désagréable de mon travail. Ça et les romans.

- Vas-y, je te remplace, dit-il.

- Merci, Stephen, répondis-je avec une politesse toute mesurée. À plus tard.

Je serpentai à travers les clients pour gagner l'arrière-boutique, véritable havre de silence après tout un avant-midi dans la pagaille. J'enfilai mon manteau et remarquai la lettre déposée sur mon sac. Un hibou était passé pendant que je faisais les 400 coups dans la librairie.

Je décachetai l'enveloppe et un filet de sable blanc s'en échappa.

Sacré Blaise.

Il se faisait un devoir de me rappeler qu'il passait ses journées sur une plage de Cape Town chez ses parents pendant que je gelais dans la grisaille de Londres.

Je dépliai son message.

« Chère jumelle adoptée à la naissance pour ne pas souffrir de mon intelligence supérieure,

Tu ne devineras jamais à quel miracle j'ai eu droit ce matin.

Le Ministère a enfin daigné me répondre ! Ils m'ont autorisé à passer mes ASPIC par correspondance le 3 janvier.

Et toi ? Toujours dans les affres insupportables de l'attente ?

Ton jumeau. »

Je souris.

Les ASPIC, c'était encore une idée farfelue de Blaise. Le plan de match consistait à avaler toute la matière de septième année prévue pour décembre à juin, puis à obtenir notre diplôme au plus vite. Et avec des résultats indécents, évidemment. Le but de cette folie ? Être admis à l'Université pour le trimestre d'hiver. La candidature de Blaise figurait déjà dans la liste d'attente d'une prestigieuse école de médicomagie. Quant à moi, je n'étais pas encore fixée, mais j'avais ma petite idée.

J'attrapai un crayon sur le bureau de Chapman père et griffonnai une réponse au dos du message.

« Cher jumeau arrogant et prétentieux,

Mais pourquoi un ex-élève délinquant qui vit dans un trou perdu à l'autre bout du globe devrait-il recevoir une réponse du Ministère avant moi ?

Je dépose une plainte en bonne et due forme dès aujourd'hui, c'est sûr.

Et d'ici là, j'attends impatiemment mon autorisation pour les ASPIC.

Ta jumelle (plus humble et plus intelligente que toi) du Grand Nord.

P.S. : Ne vas surtout pas imaginer que tu pourrais obtenir des meilleures notes que moi seulement parce que les fonctionnaires ont eu l'idée saugrenue de t'envoyer ta lettre en premier ! »

Je repliai la réponse, lançai de la poudre de cheminette dans le foyer vide et y laissai tomber le papier sans plus de cérémonie.

- La poste express !

Mon courrier disparut dans un crépitement. Direction : l'Afrique du Sud, dans moins de dix minutes. Quand on avait un ami à l'autre bout du monde, on n'avait pas le choix d'utiliser des méthodes de communication supersoniques.

Je jetai un coup d'œil à l'immense horloge qui surplombait le bureau du patron (très utile pour culpabiliser les employés en retard). Il était midi moins une.

Mon sourire s'étira.

La vraie vie commençait.

Je nouai mon écharpe à la hâte et sortis dans l'animation du Chemin de Traverse.

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Midi moins une.

Il attendait, planqué dans une ruelle à l'ombre de la librairie Chapman & Son.

Elle sortirait d'une seconde à l'autre.

Severus avait tôt fait de retrouver la trace d'Hermione Granger – et plutôt facilement, il fallait l'admettre.

Depuis qu'il avait commis la bêtise de lui conseiller d'aller chez les Weasley, lors de leur rencontre clandestine dans le fort lunaire, il s'était senti responsable d'assurer sa sécurité. Comme il l'avait prévu, elle n'avait jamais séjourné avec le troupeau de rouquins, préférant partir de son côté.

C'est ainsi qu'il s'était lancé à la recherche de son ancienne assistante, partagé entre l'agacement et son inflexible sens du devoir. Il n'avait pas besoin d'une corvée supplémentaire dans son agenda délirant de suppôt du Seigneur des Ténèbres, mais d'un autre côté, il était conscient d'avoir lui-même placé la Gryffondor dans une situation délicate.

Il l'avait donc repérée au bout de quelques jours dans un quartier bon marché de Londres sorcière. Son charme de désillusion aurait pu être une bonne idée, s'il n'avait pas été accompagné d'un champ magique grotesque, pour qui savait le repérer.

Et son fichu charme de protection permanente était détectable à des kilomètres à la ronde, pour peu qu'on savait comment s'y prendre. Les immeubles de Londres qui comportait une protection de ce genre se comptaient sur les doigts d'une main, et celui de son ancienne élève en faisait partie. Manifestement, elle n'avait pas eu sa leçon avec cette histoire d'épuisement magique au cours de l'automne. Elle avait pris un grand risque, encore une fois.

Certes, Severus ne pouvait pas lui reprocher de vouloir se protéger. Ses efforts étaient louables, mais insuffisants face à un sorcier expérimenté comme lui… ou comme Walden MacNair.

Car le mangemort ne l'avait sûrement pas oubliée. Et il avait bien dû retrouver sa trace, lui aussi. C'est pourquoi Severus veillait à assurer en douce les arrières de la jeune femme. Par exemple en lançant sur son loft une protection plus puissante et indétectable. Ou encore en l'accompagnant incognito au travail ou à son retour chez elle.

Il décroisa les bras.

Hermione sortait à l'instant de la librairie, cachée sous son sortilège de désillusion.

Comment en était-il venu à penser à elle par son simple prénom ?

L'espionner lui avait peu à peu donné une illusion de familiarité, sans qu'il le veuille vraiment. Elle faisait désormais partie de son quotidien et de ses préoccupations, bien davantage qu'à l'époque où elle fréquentait son laboratoire. Pour lui, elle n'était plus Miss Granger, ni Hermione Granger, ni même son assistante.

Non.

Maintenant, c'était Hermione.

Juste Hermione.

Il quitta la ruelle et la suivit en veillant à ne pas heurter les passants, aux yeux de qui il était invisible.

L'avatar sous lequel Hermione se dissimulait ne pouvait pas être plus différent de sa véritable apparence. La blonde marchait perchée sur des talons hauts et dépassait d'une tête toutes les femmes qu'elle croisait. Son visage était sculptural, son corps plantureux. Les hommes se retournaient sur son passage. Elle dégageait une prestance qui n'avait rien à voir avec la discrétion et l'assurance tranquille d'Hermione.

La blonde pressa le pas.

Il en fit de même.

Pour une raison inexplicable, elle disparaissait trois midis par semaine dans un curieux endroit : l'hôpital Sainte-Mangouste. Il n'avait aucune idée pourquoi et n'avait jamais couru le risque de pénétrer dans l'hôpital pour le découvrir – il y avait un détecteur de Marque des Ténèbres dans le hall. Hermione sortait toujours une heure tapante plus tard, pour retourner à la librairie.

Était-elle malade ?

Sûrement pas. Elle se rendait à Sainte-Mangouste le pas si léger qu'elle semblait presque vouloir s'envoler.

Un rendez-vous ?

Mais quel idiot donnerait rendez-vous à sa soupirante dans un hôpital, lieu de tristesse par excellence ?

Alors qu'allait-elle fabriquer là-bas ?

Severus avait beau tourner la question dans tous les sens, elle demeurait une véritable énigme.

C'est lorsqu'ils parvinrent en vue de l'imposant bâtiment de pierre grise, quelques minutes plus tard, que Severus se décida. Aujourd'hui, il entrerait. Non pas par curiosité à l'endroit d'Hermione, mais plutôt pour vérifier si Remus Lupin se remettait bien du maléfice de magie noir sous lequel il était tombé deux jours plus tôt.

Bien sûr, Severus.

Bien sûr.

Et après, seulement s'il en avait le temps, il pourrait essayer de trouver ce qu'Hermione fabriquait si souvent ici.

Il lança un sortilège de filature dans le dos de la blonde, qui entrait sans se douter de quoi que ce soit. Il contourna ensuite l'établissement, emprunta la porte du personnel – qui elle ne comportait pas d'alarme anti Marque des Ténèbres – puis prit l'apparence du premier employé qu'il croisa. Il attrapa au passage une vadrouille et une serpillière abandonnées dans un corridor. Le déguisement était complet.

Par Merlin, entrer ici était un jeu d'enfant. C'était une bénédiction que les mangemorts n'aient pas encore eu l'idée de s'y infiltrer. Ce serait un véritable carnage.

Severus parcourut les couloirs en arborant l'air pressé d'un concierge qui avait un dégât urgent à nettoyer. Il trouva la chambre de Remus Lupin au quatrième étage, section Maléfices. Seulement, Lupin n'y était plus. Son nom et son dossier étaient encore affichés à la porte, mais le lit avait été refait et aucun médicament n'avait été laissé sur la table de chevet. Sans doute Lupin avait-il quitté l'hôpital le jour même, hors de danger.

Severus jeta un coup d'œil à sa montre. Si Hermione était fidèle à son habitude, elle quitterait l'hôpital dans 38 minutes. Ce qui donnait amplement le temps à Severus de la trouver.

Tu ne devrais pas faire ça.

Repoussant une pointe de culpabilité, il accéléra le pas. Personne n'aimerait être épié de la sorte, et Hermione ne faisait sans doute pas exception, mais il n'avait pas le choix. C'était pour son bien.

Rien ne t'oblige à la suivre jusqu'aux tréfonds d'un hôpital. Il est question de sa vie privée.

Et si la raison de sa présence à Sainte-Mangouste était importante ? Severus devait la connaître. C'était nécessairement utile. Pour…

Oui, pour faire quoi ?

Pour mieux la protéger, évidemment.

Curiosité déplacée.

Non. C'était la curiosité d'un espion.

Mauvaise foi.

Il essaya de faire fi de son dilemme intérieur. Le sortilège de filature le guida jusqu'au septième étage. Section pédiatrie.

Pédiatrie ? Était-elle enceinte ?

Et alors ?

De qui pourrait-elle être enceinte ?

Ça ne te regarde pas.

Il serra imperceptiblement les lèvres, en songeant qu'il se comportait comme un idiot. C'était l'étage de la pédiatrie, pas de l'obstétrique !

Plus que 31 minutes.

Il se pressa.

Direction ouest.

Ce couloir ?

Non, le suivant.

Severus ralentit le pas aux abords d'une salle au mur vitré.

Oui, c'était ici.

Il s'arrêta et regarda à travers la vitre.

Elle était là.

Il cligna des yeux, surpris de l'incongruité de la scène. La grande blonde avait disparu, remplacée par la Hermione Granger qu'il connaissait bien, avec sa carrure d'oiseau et sa chevelure brune. Elle était assise avec un groupe d'enfants en tenue d'hôpital. Les uns étaient entubés de partout, les autres pâles et cernés, mais tous arboraient la même mine réjouie. Au milieu d'eux, des pots de peinture et des pinceaux s'entassaient sur une table constellée de taches multicolores.

Voilà donc la mystérieuse occupation d'Hermione. Elle peinturait avec des enfants malades. C'était… déconcertant. Il n'aurait jamais imaginé l'éternel rat de bibliothèque se livrer à une activité aussi ludique un mois à peine après la fermeture de Poudlard.

Tu as assez traîné ici.

Mais il resta planté sur place.

- Vas-tu fabriquer du bleu magique, Memione ?

Un garçon de trois ou quatre ans était assis sur ses genoux, blotti contre sa poitrine, et lui triturait doucement la peau du cou comme si c'était un doudou. Devant eux, une peinture comportait à peine quelques coups de pinceau. L'artiste en herbe semblait s'être lassé rapidement.

Pendant ce temps, une fillette chauve d'une dizaine d'années s'appliquait allégrement à défaire le chignon d'Hermione et à lui tresser les cheveux. Une autre petite fille se désintéressa de sa propre peinture et se joignit à l'équipe Coiffure.

- Du bleu magique ? répéta Hermione en caressant le dos du gamin.

- Oui, du bleu magique. Pour que le ciel sur mon dessin, il change de couleur aussi. Comme le jaune magique.

Elle sourit, d'un sourire lumineux qu'il ne se rappelait pas lui avoir déjà vu.

- D'accord, William, je vais en apporter la prochaine fois.

- Tu es la reine des couleurs magiques.

Elle rit.

Il ne l'avait jamais entendue rire comme ça non plus.

- Regarde, Hermione, regarde mon dessin ! s'exclama un autre enfant en agitant fièrement son œuvre toute fraîche.

Des gouttelettes de peinture éclaboussèrent la table. Les rires fusèrent.

Il y avait quelque chose de déplacé dans cette pièce éclairée par les sempiternels néons d'hôpitaux. Les enfants s'animaient, se pressaient autour d'Hermione comme si elle était le centre de leur univers. Comme s'ils n'étaient pas bourrés de médicaments et de traces de piqûres sur les bras, comme si la vie ne désertait pas peu à peu leurs corps juvéniles. Ici, la maladie et la douleur n'existaient pas. Il n'y avait que des effusions étourdissantes de joie et de couleurs.

Comment son ancienne assistante, une personne désespérément cérébrale et rationnelle, pouvait-elle réussir un tel tour de force ? C'était encore plus déconcertant.

Au fond, peut-être qu'il la connaissait bien peu.

Pars, maintenant.

Tu n'es pas en train de la protéger, tu es en train de l'espionner.

Mais la culpabilité ne parvint pas à le faire bouger. Il n'avait pas vu Hermione sous sa véritable apparence depuis qu'il avait accueilli ses larmes sur son épaule, un mois plus tôt. Après tout ce temps, la revoir sous ses véritables traits lui donnait l'impression bizarre de se trouver devant une apparition. Il ne put s'empêcher de la détailler de la tête aux pieds.

Ces mains et ces poignets menus, il les connaissait par cœur, pour les avoir vus mille fois manipuler ingrédients et chaudrons.

Et ce champ de bataille lui faisant office de chevelure, par Merlin, il contrastait toujours autant avec le reste de sa personne, qui n'était que finesse et légèreté.

La ligne gracile de sa nuque n'avait pas changé, pas plus que les traits délicats de son visage.

Et ces fossettes joyeuses qui ponctuaient ses sourires.

Et l'éclat de ces yeux noisette.

Bon sang qu'elle était belle.

Et c'est maintenant que tu le remarques ?

Évidemment, il l'avait déjà remarqué, il n'était pas aveugle. Mais en ce moment, ça le saisissait. Elle était bien plus attirante que n'importe quelle grande blonde à la plastique irréprochable.

Le spectacle est terminé.

Fiche le camp.

Severus reprit la serpillière et tourna les talons, comme assommé.

Il quitta Sainte-Mangouste avec le sentiment d'avoir bêtement raté quelque chose pendant trop longtemps.

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Je revins au travail le cœur léger, prête à affronter la cohue qui se pressait dans la librairie.

Si on m'avait dit que j'amuserais un jour les enfants de Sainte-Mangouste avec des pots de peinture enchantée, je ne l'aurais pas cru.

En fait, la peinture avait débarqué dans ma vie par hasard. Tout avait commencé lors de mon emménagement dans mon minuscule loft, coincé dans une forêt d'immeubles plus hauts. Les lieux étaient malpropres, les robinets coulaient en permanence, mais ce qui me dérangeait le plus, c'était le manque de lumière. Les murs bordeaux étaient si foncés que j'avais l'impression d'habiter dans un cercueil. J'avais donc tout repeint en blanc, puis en un turquoise si vif qu'il me faisait larmoyer.

La couleur était devenue une allégorie. Celle de la vie contre la fatalité et la violence.

Même si Poudlard avait fermé ses portes, même si le monde magique était secoué par la haine, j'avais encore le pouvoir, à ma manière, de faire jaillir la lumière des ténèbres.

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La noirceur hâtive des après-midis de décembre avait englouti Londres.

C'était l'heure du retour à la maison.

Severus transplana dans son habituelle ruelle étranglée entre Chapman & Son et le commerce voisin. Il attendit. Son souffle se transformait en vapeur dans l'air glacial, seul signe tangible de sa présence.

Cette fois, Hermione sortirait de la librairie sous les traits de Miss Univers.

Bizarrement, il sentait que ce serait décevant.

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Le maître des Potions n'était pas le seul homme invisible qui guettait l'apparition de la grande blonde.

Planqué entre deux immeubles de logements miteux, un kilomètre plus loin, Walden MacNair patientait.

Il avait réussi à retrouver la trace de la brunette qu'il avait à moitié étranglée sur le Chemin de Traverse, en octobre dernier. Oh, il n'avait pas été difficile de repérer une Sang-de-Bourbe sans parents et livrée à elle-même à la fermeture de Poudlard. Les Sang-de-Bourbe étaient tous comme ça, orgueilleux et têtus. Ils s'obstinaient à se tenir le plus loin possible de leur véritable monde, celui des moldus. Il donc était évident que la fille se réfugierait à Londres, centre névralgique de l'activité sorcière. Les quartiers résidentiels abordables n'étant pas légions, la traque n'avait pas été longue.

Seulement, la fille avait encore une fois été plus futée qu'elle n'en avait l'air. Après avoir réussi (il ne savait trop comment) à faire disparaître sa racaille de famille dans la nature, elle avait maintenant modifié son apparence et placé des protections très puissantes sur son logement. Elle se promenait même avec un bouclier aussi impénétrable. Comment une idiote même pas diplômée pouvait-elle arriver à lancer des sorts d'une telle complexité ? Ça dépassait l'entendement.

De surcroît, la brunette arrogante se cachait sous l'apparence d'une géante blonde encore plus arrogante. Décidément, elle avait besoin d'une bonne leçon d'humilité.

Il se ferait un plaisir de la lui donner.

Et très bientôt.

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Le froid me fit frissonner à ma sortie de la librairie. Je marchai aussi vite que me le permettait la longueur de mes jambes.

Programme de la soirée : révision, révision et révision. Si Blaise avait reçu sa convocation du Ministère pour les ASPIC, je n'allais pas tarder à obtenir la mienne.

Dans l'obscurité du soir, le Chemin de Traverse revêtait une apparence sinistre. Les lumières jaunâtres des lampadaires transperçaient la noirceur et faisaient luire la chaussée mouillée. Les rares passants déambulaient tout encapuchonnés pour se protéger de la grisaille.

Je me mis à courir pour arriver plus rapidement chez moi.

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Severus sentit la Marque des Ténèbres lui brûler la peau.

Merde.

Hermione n'était pas encore arrivée chez elle.

Il prit le risque de ne pas répondre immédiatement à la convocation et observa de loin la grande blonde parcourir la rue d'un pas vif, en serrant son écharpe autour de son cou. Elle tourna à une intersection, parvint à son immeuble et grimpa l'escalier menant à son balcon. Quand elle atteignit la dernière marche, Severus mit fin au bouclier qui la protégeait à son insu.

Elle est en sécurité, pensa-t-il en transplanant.

Mais il se gourait royalement.

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Un cri rauque retentit au niveau de la rue lorsque je posai la main sur la poignée de ma porte.

Je fis volteface.

Au bas de mon escalier, un homme avec des lunettes teintées et une canne rouge et blanche s'était affalé sur le sol.

- Oh !

Je redescendis les marches à la volée pour rejoindre l'aveugle.

- Monsieur, vous allez bien ?

- Ça va, ça va, j'ai seulement glissé sur une plaque de glace.

Je lui pris le bras pour l'aider à se relever.

- Mais vous êtes d'une gentillesse, mademoiselle. Qui dois-je remercier ?

- Rosalind, répondis-je machinalement.

- Merci, Hermione Granger, merci beaucoup.

Entendre mon nom me fit l'effet d'un sceau d'eau glacée en plein visage.

- Finite incantatem, dit l'aveugle en pointant sa canne sur moi.

La bouche ouverte de stupeur, je me sentis rapetisser. Mes cheveux s'allongèrent, mes jambes se dérobèrent sous le trottoir, mon corps se perdit dans mes vêtements soudain trop grands.

L'aveugle retira ses lunettes noires.

Il avait les yeux bleus.

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Elle était enfin à lui.

Il allait la briser.

Il allait la souiller.

Il allait se moquer de ses grands yeux hagards.

Il allait la tuer.

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Severus parcourait les couloirs du quartier général des mangemorts quand un cri se fit entendre, quelque part dans les tréfonds du lieu.

Il se barricada l'esprit. Il ne devait pas céder à la moindre émotion. Jamais. De nombreux mangemorts ramenaient des victimes qu'ils s'amusaient ensuite à détruire. Severus devait accepter de ne pas pouvoir sauver tout le monde.

Et ceux qu'il ne pouvait sauver, il s'efforçait de ne pas penser à eux. Il se répétait que les cris lui vrillant les oreilles n'étaient qu'une illusion ou un bruit de fond anodin.

À la longue, il arrivait presque à croire à ses mensonges.

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Ce qui s'annonçait comme une banale soirée bascula dans l'enfer le plus indescriptible.

Tout se passa trop vite.

Beaucoup trop vite.

J'eus à peine le temps de saisir ma baguette que le faux aveugle me tordit le poignet. Ma seule chance de salut m'échappa des mains et roula derrière des poubelles. Je ne pus même pas esquisser un mouvement pour m'extirper de l'étau qui me retenait. Le claquement sec d'un transplanage retentit.

Au moment où le néant me happait, mon regard rencontra les yeux bleu de glace, emplis d'une cruauté effarante. Je compris que Walden MacNair n'avait pas attendu tout ce temps pour me tuer, mais pour me faire souffrir.

Il prendra sa revanche.

Mon hurlement se perdit dans une dimension parallèle, là où il n'y avait personne pour l'entendre.

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- Rogue.

Severus se retourna pour faire face à un mangemort aussi masqué que lui. Sans doute Nott, à en juger la carrure efflanquée.

- Le Seigneur des Ténèbres veut te parler.

Dans un monde idéal et parfait, Severus aurait soupiré et envoyé paître cet indésirable qui tentait de le retenir plus longtemps que de raison dans cet endroit malsain.

Mais dans un monde idéal et parfait, Severus n'aurait pas été un mangemort.

Alors il répondit d'un ton neutre :

- J'arrive.

Cet entretien ne serait sans doute pas bien long. Dans quelques minutes, tout au plus, il serait de retour chez lui.

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Je m'écroulai sur un sol de pierre froid et humide. Aussitôt, une puanteur insupportable me noua la gorge. L'odeur de la mort.

Tout allait trop vite.

Beaucoup trop vite.

Je me redressai, mais ne pus pas distinguer quoi que ce soit dans la pénombre. Un poing massif s'écrasa sur mon visage. Je tombai à la renverse et me cognai la tête sur la pierre.

Il prendra sa revanche.

Je savais qu'il prendrait sa revanche.

Une voix me parvint à travers les brumes de mon esprit. Une voix aussi rocailleuse que du gravier.

- Je vais te faire regretter de t'être mesurée à moi, Granger.

MacNair s'empara de ma gorge et me plaqua au sol de tout son poids.

Le supplice commença.

Trop vite.

Beaucoup trop vite.

Suffoquant, je tentai désespérément de faire lâcher prise au mangemort, mais je fus incapable de l'empêcher de déchirer mes vêtements puis d'entrer en moi en un brutal coup de rein. La douleur me déchira le bas-ventre comme un poignard. Mon cri resta emprisonné dans ma gorge.

Je n'avais jamais été touchée par un homme auparavant. Je n'aurais pas pu imaginer que le premier contact serait si atroce.

Le temps se dilata, me laissant percevoir avec une acuité troublante les sensations les plus infimes. Les aspérités pointues du dallage sous mon dos. Le filet de sang chaud qui coulait sur mon front et frayait des sillons irréguliers à travers mes cheveux. Le souffle de MacNair sur mon visage, mêlé à mes propres râles étranglés. Et cette odeur. Cette odeur écœurante de décomposition.

L'épreuve fut longue, insoutenable.

Mais ce n'était rien comparé aux coups qui allaient suivre.

Aux Doloris.

À la peau qui se fend.

Aux os qui se brisent.

Pour la première fois de ma vie, je priai pour mourir.

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Severus parcourut les couloirs sombres du manoir, pressé de retourner chez lui.

Un gémissement lointain se fit entendre. Celui d'une femme. C'étaient toujours des femmes.

Il jeta un regard en direction des donjons, là où cet abominable MacNair passait beaucoup trop de temps seul avec ses victimes, comme si c'était son passe-temps préféré.

N'écoute pas.

Oublie tout ça.

Tu n'y peux rien, de toute façon.

Mais un autre cri lui transperça les tympans, horrible.

Quelque chose se rompit d'un coup sec en lui, quelque chose qui n'était pourtant pas destiné à se briser : son sang-froid. Il ne chercha pas longtemps pourquoi ce hurlement précis avait provoqué un tel émoi chez lui.

C'était parce qu'il avait déjà entendu Hermione Granger hurler auparavant.

C'était elle.

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La flaque s'agrandissait sous moi. Un liquide poisseux et tiède m'engluait le visage, les mains, tout le corps. J'allais m'étouffer. Si je n'arrivais pas à bouger la tête, j'allais m'étouffer dans mon propre sang.

J'essayai de remuer.

Rien ne se produisit.

- Déjà fatiguée, Granger ? Ça ne fait que commencer.

Non.

Non.

S'il-vous-plaît.

Sans crier gare, un coup de pied me défonça l'abdomen.

Ça recommençait.

Je me recroquevillai, le ventre tellement contracté que je ne pouvais ni hurler ni même respirer. Mon estomac se tordit, mon pouls s'accéléra, mes poumons crièrent grâce.

Ne respire pas.

Laisse-toi mourir.

C'est la seule façon d'échapper à cet enfer.

Mais au bout d'un moment, mes muscles se relâchèrent brusquement et j'aspirai malgré moi une longue et brûlante goulée d'air. Une douleur épouvantable m'irradia le ventre. Je gémis.

Une grosse main m'empoigna la nuque et m'écrasa le front contre le dallage. MacNair me prit de force encore une fois, soufflant bruyamment dans mon dos. Des gargouillis sinistres accompagnaient ses mouvements. Le sang dégoulinait le long de mon corps, semblait fuir chaque pore de ma peau.

Je n'en pouvais plus. Je peinais à respirer, le visage enfoncé contre la flaque de sang.

J'inspirai, je toussai, je crachai.

Ne respire plus.

Laisse-toi partir.

Ça ira vite, ça ira bien.

- Tu vas mourir, Granger. Tu vas mourir ici, au bout de ton sang, et personne n'entendra plus jamais parler de toi.

Je le sais.

Et je voudrais que ça se fasse vite.

.

oOoOoOo

.

Severus était pétrifié.

C'était elle.

C'était Hermione.

MacNair avait réussi à mettre la main sur elle.

Mais comment était-ce possible ?

Secoue-toi.

Il l'avait pourtant accompagnée jusque chez elle, comme tous les soirs. Avait-il donc commis une bourde monumentale en la quittant quelques secondes avant qu'elle n'entre à l'intérieur de son logement ?

Une culpabilité sans nom lui broya les tripes. Hermione était tombée entre les griffes de MacNair et il en était responsable.

Garde la tête froide.

Il devait accepter de ne pas pouvoir sauver tout le monde. Il avait déjà accepté de sacrifier beaucoup de gens pour préserver son rôle d'espion, même des gens qu'il connaissait et côtoyait.

Mais pas elle, par Merlin, pas elle !

Pour une fois, aucune petite voix intérieure narquoise ne vint semer le doute en lui.

Vite.

Elle mourra si tu ne réagis pas immédiatement.

Il ferma les yeux et tenta de faire le vide dans son esprit. La solution se présenta toute seule, comme s'il la portait en lui depuis toujours et qu'elle n'attendait que ce moment pour jaillir de son cerveau.

Vas-y.

Il rouvrit les yeux, agita sa baguette, puis marcha vers le donjon d'où provenaient les cris sans vérifier si ses sortilèges avaient bien fonctionné. Il n'avait pas le temps.

Tu y arriveras.

Tu dois y arriver.

Il toqua à la porte, qui s'ouvrit à la volée au bout d'un long moment.

Une puanteur insoutenable prit Severus à la gorge. Un mélange de sueur, d'urine, de sang séché et de vomissure. Combien de personnes étaient donc mortes dans ce cachot ?

Son cœur battit plus fort, jusqu'à lui faire mal, mais son visage demeura impassible.

MacNair apparut, empêchant Severus de voir à l'intérieur du donjon obscur.

- Queudver, beugla le bourreau. J'aime avoir la paix quand je suis occupé, tu le savais ?

Sous l'apparence de Peter Pettigrew, Severus ne dépassait plus MacNair d'une tête. Il se sentit diminué.

- Je sais aussi que tu as plus de plaisir avec les femmes mortes qu'avec les vivantes, répliqua Severus. L'odeur de décomposition qui règne ici me le confirme.

Ce ne fut pas sa propre voix grave et veloutée qui se fit entendre, mais plutôt celle de Queudver.

MacNair s'agita, pressé de mettre fin à la discussion.

- Qu'est-ce que tu veux ? Une part du gâteau ? Il n'en reste plus assez pour deux.

- Je préfère la chair fraîche, MacNair.

- Alors pourquoi tu me déranges ?

- Je devais t'avertir que le rassemblement aura lieu à 19 heures. Mais je doute que tu en aies fini d'ici là, ajouta Severus en étirant le cou pour regarder par-dessus l'épaule du bourreau.

Quand il distingua Hermione dans la pénombre, la bile lui brûla le fond de la gorge.

Elle était là, prostrée sur le sol sale, semblable à un pantin désarticulé.

C'était horrible.

C'était plus horrible que tout ce qu'il aurait pu imaginer.

Concentre-toi.

Severus remua imperceptiblement sa baguette pendant que MacNair jetait lui aussi un regard à sa victime.

C'était fait.

Pars, maintenant.

Pars, Severus.

- Qu'est-ce que tu veux d'autre ? Tu vois bien que la fille m'attend.

La fille m'attend…

Severus dut se faire violence pour ne pas attaquer MacNair et mettre fin sur-le-champ à cette boucherie.

Tu ne peux pas.

Trop de vies dépendent encore de ton rôle d'espion, tu ne peux pas tout foutre en l'air maintenant.

Alors Severus détourna le regard à grand-peine et quitta le donjon.

Éloigne-toi.

Tu as fait ce que tu devais faire.

Il ne pouvait pas assister à la suite. Il n'arriverait pas à rester les bras ballants s'il entendait à nouveau Hermione pousser des cris d'agonie.

En quittant le couloir à la hâte, il tâta machinalement la manche gauche de sa chemise, sous son habit de mangemort.

Il y manquait un bouton de manchette.

.

oOoOoOo

.

Les bribes floues d'une discussion parvinrent à mes oreilles. MacNair s'était éloigné. Quelqu'un était entré dans le donjon. Mais les paroles ne purent pas se frayer un chemin jusqu'à mon cerveau. J'avais l'impression d'entendre une langue étrangère.

Je n'arrivais plus à réfléchir.

Mon corps était à feu et à sang.

- On continue à jouer, Granger ?

MacNair était revenu auprès de moi.

D'autres coups se mirent à pleuvoir, d'autres jets de lumière me secouèrent. Mais la douleur devenait de plus en plus imprécise, comme en sourdine.

Mes pieds et mes mains semblaient glacés.

Des picotements parcoururent mes bras, puis mes jambes. La sensation disparut, laissant un néant derrière elle.

J'avais quitté le sol de pierre.

Je flottais.

Je me détachais de mes membres.

- Tu n'en peux plus ? Tu préfères qu'on en finisse ?

Un voile froid se déposait sur ma tête, chassant mes pensées une à une.

- Dommage, Granger, dommage. On s'amusait bien.

Mon champ de vision s'obscurcit.

MacNair disparut.

Le donjon disparut.

Mon propre corps disparut.

Au moment où l'abîme m'avalait, une toute dernière sensation parvint indistinctement à ma conscience : celle d'un crochet me tirant par le nombril.

.

oOoOoOo

.

Quinze minutes.

Quinze interminables minutes devaient s'écouler avant que le portoloin n'amène Hermione à l'abri chez lui, à Talamhcríochnaigh. Autant dire l'éternité.

Tiendrait-elle le coup ?

Si non, Severus s'en voudrait perpétuellement, tout comme il s'en voulait encore pour son affiliation au Seigneur des Ténèbres, la mort de Lily, et tant d'autres choses.

Et même si Hermione tenait le coup, Severus se reprocherait perpétuellement ce délai supplémentaire en enfer qu'il lui avait imposé, même s'il était nécessaire pour préserver sa crédibilité de mangemort.

Il n'avait pas torturé Hermione, mais il avait laissé le supplice s'éterniser. Ce n'était pas mieux. C'était même horrible.

Il ne se le pardonnerait jamais.

.

oOoOoOo

.

La douleur se manifesta à nouveau, brutalement. Ce fut le réveil le plus intolérable de ma vie. Je me sentais comme une âme damnée à qui on aurait refusé le repos éternel.

Je n'en peux plus.

Je veux en finir.

Autour de moi, le silence.

À travers mes paupières closes, une lueur. Une lueur qui n'éclairait pas le donjon quelques instants plus tôt.

Sous moi, un sol lisse. Le rude dallage de pierre avait disparu.

Et toujours aucun bruit. Où était MacNair ? Qu'est-ce qui se passait ?

Une odeur incongrue me chatouilla les narines, très différente de celle de décomposition qui empestait le donjon. Du romarin. Étrange.

Ouvre les yeux.

Non.

Je voulais dormir.

Je voulais retourner dans le noirceur et le vide.

Courage.

Ouvre les yeux.

Je soulevai mes paupières lourdes. La profusion de lumière me fit ciller.

Je n'étais plus dans le donjon. Alors où étais-je ?

Je clignai encore des yeux pour voir plus clairement. Mon nez était collé contre un plancher de céramique vert mousse. À ma gauche, des chaises en bois clair. Une table de la même couleur. Un peu plus loin, un comptoir. Des longs rideaux d'un blanc immaculé. Un mur de pierre.

Une cuisine.

Je suis dans une cuisine.

Comment ai-je pu arriver ici ?

Je refermai les yeux, trop fatiguée pour penser.

Un léger claquement retentit quelque part dans la pièce. Quelqu'un venait de transplaner. Des pas résonnèrent sur le carrelage, s'approchèrent de moi.

Oh non.

Deux bras s'emparèrent de moi et me soulevèrent.

Non.

Non.

La douleur irradia tous mes membres. Les os cassés de mes jambes produisirent un bruissement sinistre.

J'allais mourir.

Je voulais mourir.

Ma tête vint mollement s'échouer contre quelque chose de chaud et ferme. Une poitrine d'homme.

Non.

S'il-vous-plaît.

Je laissai échapper une plainte étranglée.

Il m'amenait.

Il allait recommencer.

Je remuai faiblement, mais les bras se resserrèrent autour de moi et la souffrance me souleva le cœur. Je me laissai porter, impuissante.

L'étoffe douce d'une chemise caressa ma joue meurtrie.

Les battements réguliers d'un cœur taquinaient ma tempe.

La poigne était solide, mais pas brutale.

Quelque chose clochait.

Pourquoi me tenait-il dans ses bras ?

Pourquoi ne me traînait-il pas sur le sol en me tirant par les cheveux ?

Ce n'est pas MacNair.

.

oOoOoOo

.

L'adrénaline coulait à flot dans les veines de Severus lorsqu'il transplana à Talamhcríochnaigh.

Il avait réussi à coincer Peter Pettigrew pour lui injecter un faux souvenir, à quitter le quartier général des mangemorts sans croiser personne d'autre et enfin à rejoindre le manoir des Malfoy pour un prétexte fumeux, là où se trouvaient Lucius, Narcissa, Avery et Nott, qui pourraient affirmer l'avoir vu là-bas au moment où Hermione disparaissait sous le nez de MacNair.

Tout ça en quinze minutes.

Mais l'urgence était encore à son comble.

Severus apparut dans la cuisine et regarda autour de lui. Il jura entre ses dents en repérant Hermione.

Était-elle toujours vivante ?

Et si le portoloin lui avait amené un corps sans vie ?

Dépêche-toi.

Il s'agenouilla auprès d'elle et posa les doigts sur sa gorge tuméfiée. Il ne fut qu'à moitié soulagé lorsqu'il sentit une faible pulsation sous la peau. Hermione était vivante, mais tout juste. Elle n'aurait pas pu tolérer encore bien longtemps les traitements du bourreau.

Severus avisa la flaque de sang inquiétante qui s'agrandissait sous elle. Il la retourna sur le dos et la contempla, effaré. Son corps n'était plus que plaies béantes, brûlures et chairs palpitantes. C'était un carnage. Un véritable carnage. Et la contempler nue, souillée et cruellement mutilée lui donna l'impression de la violer, lui aussi.

Concentre-toi.

Il s'efforça de contenir ses pensées et de considérer Hermione d'un œil objectif, comme si elle avait été une victime inconnue. Il craignait de ne pas être à la hauteur, mais ses gestes étaient néanmoins assurés quand il lança une incantation pour ralentir les rigoles écarlates qui s'écoulaient du ventre de la jeune femme. Il l'agrippa ensuite et l'arracha du sol.

Un gémissement faible s'échappa des lèvres de la blessée.

Combien de temps tiendrait-elle ?

Et s'il n'arrivait pas à la sauver ?

Ne pense pas à cette éventualité.

Il la porta jusqu'à une chambre et la déposa sur un lit avec précaution, puis conjura rapidement potions, onguents, serviettes, pommades et fioles de toutes sortes. Quand tout son attirail fut prêt, il s'occupa d'elle.

Une salve de sortilèges de diagnostique lui indiqua les blessures les plus urgentes. Il n'était pas médicomage, mais son train de vie infernal l'avait obligé à apprendre beaucoup de choses en la matière. Il connaissait les contre-sorts de la plupart des maléfices de magie noire utilisés par les mangemorts. Il savait rafistoler coupures, brûlures et os fracturés. Il savait engourdir la douleur. Il savait faire disparaître les cicatrices, jeunes ou vieilles.

Il pourrait soigner le corps d'Hermione.

Mais il ne pourrait jamais effacer l'horreur et l'humiliation qu'elle avait subies.

C'était sa faute.

C'était entièrement sa faute.

S'il n'avait pas parlé à Hermione dans le fort lunaire, elle serait allée chez les Weasley, où MacNair n'aurait pas pu la trouver. Et quelques secondes de négligence de la part de Severus n'auraient pas suffit à ce qu'elle soit capturée par un bourreau.

Occupe-toi d'elle.

Elle a besoin de toi.

Il s'appliqua à suturer les plaies les plus sanglantes. Des jets de lumière bleus et roses fusèrent dans la demi-pénombre, illuminant la peau nue de la jeune femme.

Un flot de sang s'écoulait de son pubis.

Le salaud. Il ne s'était pas contenté de profaner son corps pour son propre plaisir, il lui avait aussi infligé les pires maléfices.

Concentre-toi.

Soigne-la.

Il roula en boule une serviette propre, la coinça entre les cuisses d'Hermione, puis posa la main sur son abdomen.

- Uternam regeneresis.

Une lamentation lui fit relever la tête.

Hermione avait ouvert des yeux hagards et le fixait. Elle l'avait reconnu.

Le pouls de Severus s'accéléra. Il aurait préférée que la jeune femme demeure inconsciente. Savoir qu'elle souffrait le martyr l'empêchait de se concentrer. Et affronter son regard horrifié le culpabilisait. Il avait beau ne vouloir que la soigner, ses propres gestes lui paraissaient obscènes.

Il essaya de poursuivre son labeur, mais il ne savait plus où donner de la tête. La blessée gémit à nouveau, comme une âme torturée.

Rassure-la.

- Hermione.

Sa propre voix lui parut inhabituellement rauque.

La jeune femme se mit à trembler. Severus lui attrapa les poignets, mais les relâcha en constatant qu'ils semblaient cassés. Par Circée, ce monstre l'avait quasiment démembrée.

Elle poussa un autre cri. Ses yeux se révulsèrent. Son souffle s'affola. Les tremblements devinrent des convulsions.

Un antidouleur.

Vite.

Il farfouilla parmi ses fioles, en préleva une et vint la porter aux lèvres d'Hermion. Elle s'agita, essaya de détourner la tête. Il n'eut pas le choix de l'immobiliser pour lui faire avaler la potion de force. Elle cracha, s'étouffa, toussa. Puis la tension relâcha son corps et les soubresauts cessèrent.

Severus posa la main sur son front. Merlin, son visage était tellement tuméfié qu'il était à peine reconnaissable.

- Calmez-vous, Hermione.

Elle ne comprenait sans doute pas ses paroles, mais il s'efforça quand même d'adopter une voix apaisante.

- Respirez. Essayez de vous détendre.

Les yeux noisette croisèrent à nouveau les siens, papillonnèrent, comme s'ils n'arrivaient pas à voir clair. Des larmes tracèrent des sillons clairs sur ses joues ensanglantées. Son souffle précipité ralentit.

Du pouce, Severus caressa une rare parcelle indemne son épiderme.

- Je m'occupe de vous, Hermione. Tout ira bien.

Elle referma les yeux, éreintée.

Il reprit son labeur et raccommoda les blessures, nettoya le sang et la poussière. Bientôt, le corps frêle d'Hermione parut intact. Il l'examina sous tous ses angles, de peur d'oublier la moindre égratignure.

Enfin, il la recouvrit et s'assit à son chevet.

La culpabilité lui noua le ventre de plus belle.

MacNair l'avait défigurée. Et dire qu'aujourd'hui même, Severus avait contemplé ce visage et l'avait trouvé beau. Les meurtrissures masquaient maintenant la finesse des traits. La bouche était fendue à plusieurs endroits. La peau translucide disparaissait sous le sang séché.

Severus serra les dents. Ces plaies, ces contusions et ces saletés, il les ferait toutes disparaître, une par une, jusqu'à ce qu'Hermione redevienne elle-même.

Il s'attela à la tâche, minutieusement, veillant à manipuler la moindre entaille avec délicatesse. Bientôt, plus aucune blessure ne fut visible. Le visage d'Hermione avait repris son apparence habituelle. C'était mieux. Beaucoup mieux. La pression qui accablait Severus s'allégea un peu.

Il fit couler une autre potion entre les lèvres entrouvertes d'Hermione. Cette fois, elle ne se débattit pas. Cet analgésique serait assez puissant pour la soulager pendant une journée, tout au plus.

Severus soupira en songeant aux effets secondaires des maléfices qu'elle avait subis. Le surlendemain, son réveil serait brutal. Et il ne serait plus là pour s'occuper d'elle.

Il claqua des doigts. Fioles et serviettes souillées se volatilisèrent.

C'était terminé.

Les yeux bruns le fixaient toujours, hébétés. Elle était consciente, mais en état de choc.

Il déposa à nouveau la main sur son front, avec lenteur, pour ne pas la brusquer.

- C'est fini, Hermione. Tout est fini. Vous avez été très courageuse.

Encore une fois, elle ne saisissait probablement pas ses paroles, mais elle écoutait sa voix.

- Vous devez dormir, maintenant.

Elle ne réagit pas.

Il lui ferma les paupières du bout des doigts, mais elle les rouvrit quelques secondes plus tard.

- Vous êtes en sécurité. Vous n'avez plus rien à craindre.

Il lui recouvrit les yeux de sa grande main.

- Dormez, Hermione.

Il attendit que sa respiration adopte le rythme caractéristique du sommeil. Son visage était encore d'une pâleur inquiétante, mais ses traits s'étaient détendus.

Il te reste une dernière chose à faire.

Severus soupira à nouveau. Maintenant que la catastrophe était passée, la fatigue et la lassitude s'étaient abattues sur lui, lui faisant ployer les épaules.

Fais-le, Severus.

Fais-le.

Il reprit sa baguette et la pointa vers Hermione.

- Oubliette.

Il replaça une mèche de cheveux bruns derrière son oreille. Ses doigts s'attardèrent la joue, maintenant lisse et propre. Elle était douce.

Laisse-la.

Tu as fait tout ce que tu pouvais pour elle.

Alors il se leva, rajusta les couvertures autour du corps endormi et quitta la chambre.

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oOoOoOo

.

Baratin de fin de chapitre : Ouf. Je ne sais pas si vous êtes assommés, mais moi oui. J'ai trouvé ce chapitre un peu éprouvant à écrire, d'autant plus que c'était à travers diverses festivités. Pour me mettre vraiment dans une ambiance glauque à souhait, j'ai écouté non stop une musique digne de la fin du monde, triste à mourir, qui cadre à mon avis très bien avec l'action. Arvo Part / Magnificat, pour ceux que ça intéresse. Quant à moi, je vous jure que cette chose est bannie de mes oreilles pour toujours. Bon, sur ce, je m'en vais cuisiner des gâteaux dans la joie et la bonne humeur.

Amuse-gueule en attendant le prochain chapitre : La suite s'intitulera Talamhcríochnaigh.

Baratin au sujet du titre du prochain chapitre : Si vous ne savez pas comment prononcer ce mot barbare, demandez à la madame de Google Traduction. Et si vous ne savez pas ce que ce mot barbare signifie, je vous avertis tout de suite : la madame de Google Traduction non plus. Et enfin, pour ceux qui se demandent comment écrire rapidement et souvent un mot comme Talamhcríochnaigh sans se tromper, je vous recommande la fonction de correction automatique de Word. Super cool.

Vœux pour le Nouvel An : Bonne Année 2014 ! Je vous souhaite de l'amour et plein d'histoires palpitantes à lire ! =)

À bientôt !