Devinez quoi ?
J'ai un chapitre super long pour vous ! :)
Mouhahaha, avouez que vous ne me croyiez pas du tout quand je prétendais pouvoir publier la suite « bientôt » ! Mouais, bon, j'admets que moi-même, je n'y croyais pas trop. ;)
Je remercie un million de fois toutes les personnes qui ont pris le temps de commenter le chapitre précédent, et vous tous qui me lisez. Si j'ai oublié de répondre à certains d'entre vous, je m'en excuse et je le ferai dans les prochains jours. Donc, merci-merci-merci, je vous adore ! =) Je sais que dans votre grande indulgence, vous saurez pardonner les coquilles et autres énormités que je ne vois plus à cette heure indécente.
Avertissement : Ce chapitre comporte une scène de violence. Vous êtes avertis. (Ce n'est pas un viol et ça ne met pas en scène Hermione.)
Commentaire sur la longueur de la chose que vous avez sous les yeux : Réjouissez-vous, j'ai failli couper ce chapitre en plein milieu vu sa longueur gargantuesque, mais je me suis ravisée. Comme j'adore jouer avec vos nerfs, j'ai préféré vous laisser sur une fin digne d'un c**t interrompu. Pauvres vous, je n'aimerais pas être à votre place, hin hin hin.
Commentaire musical : J'ai écrit ce chapitre au son de Winter Song (de Sara Bareilles et Ingrid Michaelson) et d'une adorable reprise de Summertime Sadness par Daniela Andrade et Gia Margaret. Deux chansons dont la nostalgie correspond à merveille à ce stade de l'histoire. Les gurlz, je vous salue bien bas, et merci pour l'inspiration.
Sur ce, bonne lecture !
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Chapitre 19 – Cape Town
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Inverness s'était réveillée sous un manteau de neige et de givre qui scintillait à la lumière lointaine du soleil hivernal. Les guirlandes et les couronnes de houx accrochées aux portes ressemblaient à des sculptures de sucre blanc. La chaussée avait pris des allures de patinoire. Ce matin était comme un matin de Noël.
Je serrai les bras autour de ma taille et allongeai de le pas, pressée de retourner à l'auberge. Mon souffle se condensait en vapeur dans l'air. Ma tenue était quasi indécente pour un jour de décembre au nord de l'Écosse, mais mon corps était trop engourdi pour percevoir le froid avec acuité.
J'avais avalé quatre comprimés d'analgésique une demi-heure plus tôt. Depuis, je respirais un peu mieux. La douleur qui me vrillait les muscles s'était assourdie. Mon angoisse avait fait place à la torpeur. J'avais les neurones aussi gourds qu'à mon réveil dans la maison du marin barbu, la veille. C'était presque confortable.
Je poussai la porte de l'auberge et dus cligner des yeux pour m'habituer à la pénombre ambiante. L'endroit paraissait aussi moribond qu'à mon arrivée la veille. Je parcourus les couloirs sans croiser âme qui vive, me réfugiai dans ma chambre et barrai la porte à double-tour.
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Inverness.
Toujours Inverness.
Sur la carte de filature, le point de lumière verte semblait stationné pour de bon.
Severus plia soigneusement la carte et la rangea dans une poche de sa lourde cape d'hiver, dont il ajusta ensuite les pans sur ses épaules. Ses gestes précis et assurés ne laissaient en rien deviner son agitation intérieure.
Pourtant, mille appréhensions se bousculaient dans son esprit. Il avait connu des missions bien plus périlleuses que celle d'aller chercher un minuscule bout de femme sans défense dans un quelconque logis miteux, mais il ne pouvait s'empêcher de redouter les retrouvailles.
Comment Hermione réagirait-elle ? Comment une femme se relevant tout juste d'une agression brutale pourrait-elle réagir en se retrouvant nez-à-nez avec un autre mangemort ? En ce moment, leur tête-à-tête incongru dans le fort lunaire n'était plus qu'un lointain souvenir. L'époque de Poudlard et du laboratoire semblait appartenir à une autre ère.
Pendant quelques secondes, de grands yeux noisette épouvantés apparurent dans la tête de Severus. Il serra les dents et s'efforça de repousser cette image. Arriverait-il à gagner sa confiance à nouveau, à la convaincre de ses véritables allégeances ? Serait-il contraint d'employer la force pour la ramener à chez lui ? S'il avait à le faire, il le ferait. Il n'abandonnerait pas Hermione à elle-même une deuxième fois.
Réprimant un soupir, il redressa les épaules et jeta un coup d'œil à sa montre.
9 h 42.
C'était l'heure.
Severus fit le vide dans son esprit et transplana.
Direction : Inverness.
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Il était 9 h 45 lorsque je posai mes emplettes sur la table de chevet : mon précieux flacon de médicaments, un gros muffin à peine entamé et le reste de l'argent que le moldu barbu avait eu la bonté de me donner.
J'hésitai à mordre à nouveau dans le muffin, mais me ravisai. Mon estomac était déglingué. Autant j'avais une faim de loup une heure plus tôt, autant la nausée m'avait prise après seulement quelques bouchées de mon petit-déjeuner. Je ne souhaitais pas devoir me ruer encore une fois aux toilettes pour y vomir.
Poussant un soupir fatigué, je m'assis sur le lit et retirai mes chaussures. J'avais mal aux pieds, mais ce n'était rien comparé à la douleur qui m'avait broyé le corps toute la nuit. J'avais réussi à dormir de façon intermittente, après une interminable douche d'eau froide et le nettoyage de ma flaque de vomi sur le plancher.
Je balayai la chambre dépouillée d'un regard circulaire.
Et maintenant ? Qu'est-ce qui va m'arriver ?
Est-ce que MacNair était toujours à mes trousses ? Je ne pouvais pas retourner à mon loft. Je n'oserais même pas me rendre à Gringotts, c'était trop prévisible. Quant à demander de l'aide à Harry et Ron, c'était hors de question. Si mon bourreau avait été capable de retrouver ma trace dans toute l'Angleterre, et sous les traits d'une grande blonde avec une fausse identité, il n'aurait sûrement aucun mal à dénicher où demeuraient mes amis.
Alors que faire ?
Je me sentais complètement démunie.
Le moldu joufflu m'avait donné une généreuse somme d'argent, mais j'aurais vite fait de l'épuiser en louant une chambre.
Je massai mes tempes. Le serrement annonciateur d'une grosse migraine commençait à poindre, malgré l'effet bienfaisant des médicaments.
Tap, tap, tap.
Je tournai vivement la tête et aperçus derrière la vitre sale un Grand-duc à la robe mouchetée. Mon cœur eut un petit sursaut de joie. Me sentant aussitôt un peu moins seule, je me précipitai à la fenêtre pour cueillir le message à la patte du hibou. Il n'était pas signé, mais c'était facile d'en deviner l'expéditeur. Mes yeux s'embuèrent à la vue de cette calligraphie familière.
« Youhoooou !
Ici la Terre !
Qu'est-ce qui t'arrive ? Te serais-tu perdue dans une autre galaxie où la poste Express ne peut pas se rendre ? »
Blaise.
Oh, Merlin, pourquoi n'avais-je pas pensé à lui ?
Le cœur battant, je fouillai les tiroirs de la table de chevet, dénichai un bout de crayon de plomb mal aiguisé et rédigeai deux phrases nébuleuses à même le message du Serpentard, d'une main tremblante :
« Il est arrivé tu sais quoi avec tu-sais-qui.
Le tu-sais-qui que tu sais. »
Je repliai le papier et le renvoyai par la cheminée. En moins de dix minutes, la réponse de Blaise me parvint sur le même bout de parchemin, gracieuseté de la poste Express. Une pièce de monnaie était collée sur le papier.
« Prends la mornill 55.
Apporte tes valises.
Je t'attends. »
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9 h 48.
Dissimulé sous un sortilège d'invisibilité, Severus serpenta à travers les passants qui déambulaient à petits pas prudents sur la chaussée enneigée. Il s'arrêta devant une petite auberge étranglée entre deux bâtiments plus grands. C'était ici. Il s'écarta du trottoir et examina les fenêtres minuscules qui s'alignaient comme des soldats sur la façade aux briques brunes et décrépites. À en croire les sortilèges de filature qu'il avait lancés sur les chaussures et le bouton de manchette, Hermione avait trouvé refuge à cet endroit.
À bien des égards, cette mission était une véritable promenade de santé. La Gryffondor ne se planquait sûrement pas dans un endroit piégé ou protégé comme ceux que Severus avait l'habitude de pénétrer. Elle n'était ni une espionne, ni une auror, ni une adepte de magie noire. L'atteindre serait un jeu d'enfant. Seulement, c'était là que l'aventure commencerait vraiment, que les choses se corseraient. Severus devrait se manifester à elle. Lui parler. Gagner sa confiance, par il ne savait quel tour de force.
Il posa la main sur la porte.
Vas-y.
Il est temps d'en finir.
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9 h 51.
Comme une lionne en cage, je faisais les cent pas dans la chambre étriquée, les doigts serrés autour de la mornille de Blaise comme s'il s'agissait d'une bouée de sauvetage. J'avais tôt fait de rassembler mes maigres possessions : ma baguette de dépannage, mon argent moldu, mes analgésiques. Le muffin avait fini à la poubelle. J'étais trop fébrile pour avaler quoi que ce soit. Maintenant, les minutes s'écoulaient avec une lenteur cruelle. J'étais pressée de quitter Inverness. Rejoindre Blaise m'apparaissait comme ma seule chance de salut.
Mon regard tomba sur un minuscule objet laissé sur la table de chevet. Je le ramassai et l'examinai en le bougeant à la lumière pour faire briller ses lignes noires et luisantes. Le bouton de manchette pesait agréablement au creux de ma paume. Sans doute était-il en verre. C'était un accessoire résolument… classe.
Est-ce que Walden MacNair portait des boutons de manchettes ?
Il y avait fort à parier que non. Pour ce que j'en savais, le costume traditionnel des mangemorts n'en comportait pas, et MacNair ne revêtait sûrement pas des chemises élégantes pour exécuter son travail pour le Ministère (bourreau), encore moins pour ses loisirs personnels (bourreau aussi).
Une sorte de ricanement sec s'échappa de mes lèvres, puis se mua en un sanglot étranglé.
Calme-toi.
Ne pense pas à ça.
J'inspirai profondément.
Il était 9 h 53. Bientôt, je serais en sécurité, loin de l'horreur et du danger.
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9 h 54.
Dans le corridor désert et mal éclairé, Severus s'arrêta devant une porte close dont la peinture blanche s'écaillait.
Hermione Granger se tenait de l'autre côté.
Severus jeta un regard de part et d'autre du couloir. Personne en vue. Un murmure à peine audible franchit ses lèvres :
- Alohomora.
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À 9 h 54 et 51 secondes, je remarquai les chaussures abandonnées au pied du lit. Merde. Dans ma nervosité, je n'avais même pas songé à les remettre.
Tant pis. Là où j'allais, des sandales seraient sans doute bien plus confortables.
Au moment où la trotteuse de l'horloge atteignait le 12, un cliquetis sonore se fit entendre de l'autre côté de la porte, me faisant sursauter. Le cœur affolé, je fis volte-face juste à temps pour voir le verrou se soulever tout seul.
Qui ça peut être ? Un concierge ?
Je n'eus pas le loisir de confirmer mon hypothèse. Il était 9 h 55. La chambre miteuse disparut, remplacée par un mélange étourdissant de couleurs. Le portoloin m'aspira dans une dimension parallèle.
Destination : le bout du monde, à des milliers de kilomètres de Walden MacNair.
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Sa baguette tendue devant lui, Severus ouvrit la porte, s'y faufila en coup de vent et la referma aussi vite dans son dos. Aucun témoin indésirable dans le couloir n'aurait pu soupçonner qu'un intrus venait de s'engouffrer dans cette chambre.
Le regard de Severus scanna rapidement la pièce, traquant le moindre signe de présence humaine. Un lit aux couvertures impeccablement tirées, une table de chevet pour seul mobilier, une penderie vide et tellement étroite que même une jeune femme frêle aurait eu du mal à s'y glisser…
Il n'y avait personne.
Severus traversa la chambre en trois enjambées silencieuses et alluma d'un coup sec la lumière dans la salle de bain laissée ouverte. Personne non plus.
Il laissa échapper le souffle qu'il avait gardé emprisonné dans sa poitrine, ne sachant pas s'il se sentait soulagé ou déçu. Baissant sa baguette, il sortit à nouveau la carte géographique, qu'il déplia fébrilement. Bon sang, il n'était pas aveugle, le point lumineux indiquait toujours cette auberge, cette chambre !
Il examina à nouveau la pièce, à la recherche du bouton de manchette sur lequel il avait lancé un sortilège de filature, mais il eut la surprise de plutôt repérer les affreuses chaussures noires qu'il avait métamorphosées pour Hermione la nuit où elle avait dormi à Talamhcríochnaigh.
Severus les fixa sans comprendre. Hermione avait-elle perdu la tête ? Où pouvait-elle être partie, pieds nus par cette température ?
Il consulta encore la carte. La lumière verte indiquait la présence d'un seul traceur à Inverness. Les chaussures, dans cette chambre. Alors… où était le bouton de manchette ? Son traceur aurait dû apparaître quelque part sur la carte, qu'Hermione ait jeté le bouton ou qu'elle l'ait gardé avec elle.
Severus étendit la carte sur le lit et la tapota de sa baguette. Les rues d'Inverness rapetissèrent jusqu'à disparaître complètement, laissant place au Royaume-Uni tout entier. Nulle trace d'un deuxième point lumineux.
Impossible.
Vraiment impossible.
Severus n'avait jamais raté un sortilège de filature de sa vie. Fronçant les sourcils, il agrandit encore et encore l'échelle de la carte, jusqu'à pouvoir contempler toute l'Europe. Pas d'autre lumière verte.
Par les couilles de Merlin, où était ce maudit bouton de manchette ?!
Il ajusta la configuration de la carte de façon à pouvoir embrasser les 197 pays du globe.
Lorsqu'il repéra enfin le second point lumineux, il n'en crut pas ses yeux.
Le traceur indiquait que son bouton de manchette avait atterri en Afrique du Sud.
À Cape Town, plus précisément.
Qu'est-ce qu'Hermione pouvait bien fabriquer là-bas ?
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- Hermione !
Lorsque mes pieds entrèrent brutalement en contact avec la terre ferme, une vague de chaleur s'abattit sur moi. Déséquilibrée, j'eus tout juste le temps d'apercevoir une grande chose élancée se précipiter sur moi avant d'avoir la vue obstruée. Je me perdis dans une étreinte aussi étouffante que la température. Mon estomac protesta dangereusement.
- Comment tu vas ? demanda Blaise en me libérant enfin.
La pression qui me serrait l'abdomen se dénoua. Je poussai un soupir inaudible.
- Ça va, croassai-je, encore surprise par son accueil énergique.
- Oh, ma pauvre, tu es pâle comme un drap, dit-il en me tenant les épaules à bout de bras pour mieux m'observer.
Quant à lui, je ne l'avais jamais vu aussi bronzé ni aussi blond.
- C'est le portoloin, c'est ça ? Moi aussi, ça a tendance à me donner mal au cœur. J'ai hâte de passer mon examen de transplanage. Viens, on va aller discuter au grand air, ça va te faire du bien. Oh, tiens, tu as échappé ta baguette.
Il me prit par le poignet et me pilota à travers un immense salon. Je regardai autour de moi, un peu perdue, avec l'impression d'avoir été parachutée au beau milieu d'un magazine de design intérieur. L'endroit respirait le chic et l'ultra-moderne, avec ses grands canapés en cuir blanc et ses peintures aux couleurs vives accrochées sur les murs pâles.
- Tu as oublié tes chaussures ? remarqua Blaise en jetant un coup d'œil à mes pieds nus. Je vais te prêter celles de ma mère, elles devraient te faire.
Il farfouilla dans une grande corbeille remplie d'un nombre impressionnant de sandales et en pigea deux dépareillées au hasard.
- Tiens.
- Euh, merci.
- Viens, allons discuter au soleil.
J'enfilai les sandales en vitesse et suivis le Serpentard à travers un hall aussi luxueux.
Lorsque nous sortîmes dehors, une fournaise indescriptible m'empêcha de respirer.
Oh mon Dieu.
Blaise remarqua mon expression atterrée.
- Ah oui, il faut chaud, pas vrai ? Bienvenue à Cape Town ! C'est le paradis, ici.
- Oh, Merlin. C'est un four crématoire, tu veux dire.
- Un four crématoire ? Qu'est-ce que c'est que ça ?
- Oh, rien d'important, dis-je en esquissant un vague geste de la main, moi-même surprise qu'une comparaison aussi macabre m'ait traversé l'esprit.
Les émois des derniers jours étaient en train de me rendre complètement givrée.
- T'inquiète pas, s'amusa Blaise. Une fois passé le choc thermique, on s'habitue très vite. Viens, installons-nous ici.
Les jambes molles, je me laissai choir à ses côtés dans la large balançoire qui occupait le jardin.
Ouf.
Mission de fuite hors de l'Angleterre : accomplie.
Un soupir silencieux franchit mes lèvres. Après cette arrivée étourdissante, je pris le temps de regarder autour de moi avec curiosité. La cour des Zabini était petite et intime, et croulait sous les arbustes luxuriants et les fleurs de toutes les couleurs. Des chants d'oiseaux inconnus fusaient de partout dans une joyeuse et exotique cacophonie.
C'était une autre planète. Pour la première fois depuis deux jours, je me sentis réellement en sécurité.
Je tournai la tête vers Blaise, dont la gaieté avait fait place à une expression plus sérieuse. Ma gorge se noua. Quel soulagement de revoir un visage ami après toutes ces semaines ! Ces yeux gris et bienveillants, ce sourire amical, ce nez aquilin m'avaient manqué. Mettant de côté ma réserve habituelle, je m'emparai de la main du Serpentard et la serrai très fort.
- Oh, Blaise. Je suis tellement contente de te voir.
Il sourit doucement et serra ma main en retour.
- Moi aussi, Hermione.
Nous échangeâmes un long regard.
- Alors ?
J'essayai de mettre de l'ordre dans le fouillis de mes idées. Les 48 dernières heures avaient été à la fois les plus horrifiantes et les plus étranges de ma vie.
- Je ne sais pas par où commencer. Tout est tellement… Ça me dépasse.
Les jacassements allègres des oiseaux ponctuèrent mes paroles, ajoutant une note incongrue à un récit qui s'annonçait des plus effrayants.
- Comment c'est arrivé ?
Je fermai les yeux, essayant de repousser le sentiment de terreur qui s'emparait de moi.
- C'était avant-hier.
Ma voix était devenue tremblante.
- Je rentrais du travail. Je… Il était là. Il m'a trouvée.
Je rouvris les yeux dès que le visage de MacNair apparut dans ma tête avec une précision effarante.
- Oh, Merlin. Comment a-t-il pu retrouver ma trace ? Je me cachais, Blaise ! Je portais un sortilège de désillusion 24 heures sur 24, tu imagines ? J'avais même un faux nom ! Personne autour de moi ne connaissait l'existence d'Hermione Granger, même pas mon patron à la librairie !
Je repris mon souffle, laissant à Blaise le temps de digérer mes paroles.
- Je croyais que tu n'étais pas inquiète en quittant Poudlard, dit-il lentement. Je croyais que le mangemort ne te chercherait plus.
- Je sais, c'est ce que je t'ai dit. J'essayais de m'en convaincre moi-même. Mais j'ai eu tort.
- Comment a-t-il pu te repérer ?
- Je n'en ai aucune idée. Je n'ai dit à personne où se trouve mon loft, même pas à Harry et Ron.
- Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ?
- Il… Je suis arrivée dans une espèce de… de cachot.
Le simple fait de prononcer ce mot fit jaillir mille sensations fantômes dans mon esprit. L'odeur infecte de sang séché et d'urine. Le craquement horrible des os. L'écoulement du sang. Mes gargouillis inhumains alors que je cherchais de l'air. Mes propres cris qui me vrillaient les tympans.
Déjà fatiguée, Granger ? Ça ne fait que commencer.
Je déglutis pour chasser le filet de bile qui menaçait de jaillir dans ma gorge et je m'empressai de poursuivre l'histoire en escamotant les passages les plus insoutenables. C'est-à-dire presque tout.
- Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé. Tout d'un coup, j'ai… je me suis réveillée dans une maison moldue. C'était tellement bizarre. Le moldu qui habitait là m'a donné de l'argent pour que je puisse prendre le bus et retourner en ville. Et… et c'est tout. J'ai reçu ton hibou, je t'ai écrit, tu connais la suite.
Blaise demeura silencieux, essayant de comprendre ce récit troué comme un gruyère.
- Je ne suis pas sûr de saisir. Le mangemort t'a capturée avant-hier, tu t'es réveillée dans une maison moldue hier, tu as pris le bus et… Qu'est-ce qui s'est passé entre ce moment et ce matin ?
- Je… J'étais à Inverness.
Blaise haussa les sourcils.
- Comment es-tu arrivée là-bas ?
- Je ne sais pas. C'est là que le bus m'a conduite.
Pendant un long moment, il sembla perdu dans ses pensées.
- Est-ce que… Est-ce que tu vas bien ?
La question me prit au dépourvu. Qu'y avait-il à répondre à ça ?
MacNair m'a torturée, m'a violée. J'ai encore le goût de son sperme sur la langue. Je suis droguée aux analgésiques. Mon cerveau est devenu aussi empoussiéré que la section interdite de la bibliothèque de Poudlard.
Oh, Merlin…
- Je vais bien, dis-je brusquement.
Bien sûr, merveilleusement bien.
Je me redressai dans la balançoire, soudain tendue et fébrile.
- Aussi bien que possible en pareilles circonstances, renchéris-je pour faire taire ma petite voix intérieure.
C'était la vérité. J'aurais pu être morte, mais j'étais vivante, en un seul morceau, en sécurité avec un ami, dans un trou perdu où aucun mangemort ne pourrait jamais me trouver.
Ce n'était pas si mal. C'était même miraculeux.
Bien sûr, idiote, bien sûr. Continue à te complaire dans le déni. Le retour à la réalité sera brutal.
Si Blaise était perplexe, il n'en laissa rien paraître. J'en fus soulagée.
- J'ai soif, pas toi ? dis-je en posant une main sur mon front.
La racine de mes cheveux était humide de transpiration.
- Oh, c'est vrai, je ne t'ai rien offert à boire, excuse-moi.
Il tira sa baguette de la poche de son bermuda et l'agita.
- Accio eau. Eau froide, en fait. Avec des glaçons. Beaucoup de glaçons. Et aussi deux verres.
Bientôt, la porte s'ouvrit toute seule, livrant passage à deux verres lévitant dans les airs, suivis de peu par un broc d'eau menaçant de déborder. Les verres se posèrent bruyamment sur la terrasse et le broc y déversa son précieux liquide, puis acheva son destin en volant en éclats sur les dalles.
Je sursautai.
- Oups, fit distraitement Blaise, qui semblait habitué à voir les objets se casser autour de lui. Reparo.
Le pichet reprit vie de ses débris de verre. Le Serpentard allongea son pied nu et poussa dans les plates-bandes les glaçons déjà en train de fondre sous le soleil de plomb.
- Tiens, dit-il en me tendant un verre rempli à ras bord qui dégouta sur mes genoux.
- Merci.
Abandonnant toute retenue, j'en bus la moitié d'un trait, puis plongeai une main en coupe dans ce qui restait pour m'en asperger le visage.
Ouf.
La porte s'ouvrit à nouveau. Cette fois, ce fut une femme aux cheveux noirs et courts qui apparut sur le seuil. Elle était encore plus bronzée que Blaise, si c'était possible.
- Tu nous as amené une invitée pour le déjeuner, Blaise ? demanda-t-elle en venant nous rejoindre.
- Oh, salut maman. Je te présente Hermione. Hermione, voici ma mère, Clara.
Je m'empressai d'essuyer l'eau qui coulait sur mon visage et me levai. La mère de Blaise me dépassait d'une demi-tête. Elle portait un débardeur et des shorts qui dévoilaient des jambes et des épaules musclées. Avec une telle silhouette, elle n'avait pas l'air d'une médicomage, mais plutôt d'une athlète.
- Enchantée, Hermione, dit-elle en me tendant une main énergique.
Son sourire dévoila des dents éclatantes et parfaitement alignées. Des fossettes joyeuses se nichèrent aux commissures de ses lèvres.
- Moi aussi, Mrs Zabini.
- Appelle-moi Clara, je t'en prie.
- Hermione va passer quelques jours ici, annonça Blaise. N'est-ce pas, Hermione ?
- Euh…
Je coulai un regard gêné à Mrs Zabini, mais son sourire fut si spontané qu'il dissipa immédiatement mon malaise.
- Oh, excellente idée ! s'exclama-t-elle. De toute façon, nous ne laissons jamais repartir les visiteurs avant au moins une semaine, ajouta-t-elle en m'adressant un clin d'œil. Viens, je vais te faire choisir une chambre. Nous en gardons trois libres pour des invités, mais ils se font rares.
Je lui emboîtai le pas.
- Ils ne nous croient pas quand on leur dit que Cape Town est l'endroit le plus merveilleux du monde, renchérit Blaise en fermant la marche.
Nous regagnâmes la pénombre rafraîchissante de la maison.
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Encore abasourdi, Severus replia lentement la carte de filature et la rangea dans sa poche.
Ainsi, Hermione était bel et bien partie. Quant à savoir pourquoi aussi loin, ça lui échappait complètement. Il laissa son regard errer sur la chambre vide. Hermione n'avait rien laissé derrière elle, hormis les chaussu…
Severus fronça les sourcils en remarquant un papier tombé sous le lit. Il le ramassa et l'examina. Le bout de parchemin portait deux calligraphies différentes. Severus nota mentalement la grande écriture désordonnée et le ton farfelu du premier message.
« Youhoooou !
Ici la Terre !
Qu'est-ce qui t'arrive ? Te serais-tu perdue dans une autre galaxie où la poste Express ne peut pas se rendre ? »
Deux lignes laconiques avaient été ajoutées au plomb, d'une écriture ronde et régulière, clairement féminine. L'écriture d'Hermione.
« Il est arrivé tu sais quoi avec tu-sais-qui.
Le tu-sais-qui que tu sais. »
Une façon pour le moins nébuleuse de résumer la situation. Qui pouvait être le mystérieux interlocuteur ? Un membre de la famille d'Hermione ? Un ami ?
Le dernier message était à peine lisible, comme s'il avait été rédigé à toute vitesse.
« Prends la mornill 55.
Apporte tes valises.
Je t'attends. »
Une mornille ? Sans doute un portoloin.
Et 9 h 55 ?
Quoi ?
Severus sortit sa montre et y jeta un coup d'œil incrédule. Il était 10 h 02.
Oh, Circée.
Est-ce qu'Hermione venait vraiment de lui filer entre les doigts parce qu'il était arrivé cinq minutes trop tard ? Mais qu'est-ce que c'était que ce karma de pacotille ?
Roulant des yeux, Severus reporta son attention sur le parchemin. Cette calligraphie étirée et brouillonne, il l'avait vue de nombreuses fois. Sans doute celle d'un élève de Poudlard. Mais lequel ? Potter ou Weasley ? Non. Malgré la brièveté des messages, on pouvait détecter une prose trop élégante pour être celle des deux sempiternels comparses d'Hermione.
Alors qui ?
Severus essaya de passer en revue le cercle de connaissances d'Hermione (pour ce qu'il en savait), quand l'évidence le frappa.
Zabini.
Blaise Zabini, dont les parents étaient d'éminents universitaires bourlinguant leur vie entre l'Afrique du Sud et les États-Unis. Chaque fois que Severus avait dû envoyer des lettres aux parents des élèves de Serpentard, Mr et Mrs Zabini avaient toujours mis trois fois plus de temps que les autres à répondre, pour la bonne raison que leur courrier venait du bout du monde.
Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ?
Comme pétrifié, il fixa les mots de son ancien étudiant, essayant de faire le tri des pensées qui lui envahissaient le cerveau.
Il aurait dû se sentir soulagé. Mr et Mrs Zabini étaient tous les deux médicomages. Hermione était au bon endroit. Qui plus est, MacNair ne pourrait jamais imaginer qu'une Gryffondor s'était réfugiée chez un Serpentard en Afrique du Sud. Elle était inatteignable.
Oui, il aurait dû se sentir soulagé.
Seulement…
Hermione Granger et Blaise Zabini ?
Severus n'avait jamais envisagé cette éventualité. Oh, bien sûr, il constaté que ses deux assistants s'étaient entendus à merveille dès le premier jour. Avec leur passion commune pour le savoir, ils étaient deux anomalies ambulantes parmi leurs congénères.
Mais quand même. Hermione était aussi sérieuse que Zabini était insouciant. De surcroît, Severus avait du mal à imaginer Hermione formant un couple avec un étudiant de Poudlard. Avec tout le temps qu'elle passait à materner ces idiots de Potter et Weasley, à lire des bouquins qui n'intéressaient personne ou encore à enlever des points aux élèves récalcitrants, Severus aurait parié 100 gallions que tous ses comparses de sexe masculin la voyaient davantage comme une grande sœur ennuyante que comme une éventuelle petite amie.
Il relut la courte missive pour la dixième fois. Le ton de l'échange n'avait rien de romantique, mais on devinait entre les lignes une complicité indiscutable.
Ainsi, Hermione avait parlé de Walden MacNair à Zabini, chose qu'elle avait pourtant refusée de faire avec Potter et Weasley. S'était-elle aussi réfugiée dans les bras de Zabini pour pleurer sur son épaule, comme elle l'avait fait avec Severus un soir de novembre ?
Arrête.
Tu dérapes.
Hermione peut bien se confier à qui elle en a envie.
Il tiqua.
Entre accueillir les confidences d'une amie et voler à son secours, il y avait tout un monde. Zabini ne pouvait pas être parfaitement désintéressé.
Et toi, es-tu parfaitement désintéressé ?
Évidemment. Hermione était en danger en partie par sa faute, c'était la moindre des choses que de vouloir la protéger.
Tu es vexé parce que tu t'es fait prendre de vitesse. Admets-le.
Severus tiqua à cette pensée agaçante. Il n'avait rien à prouver vis-à-vis d'un gamin de 17 ans.
Zabini est peut-être un gamin de 17 ans, mais il n'a pas abandonné Hermione à elle-même après cette horrible agression.
- Destructo.
Le parchemin disparut dans une volute de fumée bleue.
Ce sera Zabini qui veillera sur Hermione.
Ton devoir est terminé, maintenant.
Bravo pour l'effort.
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oOoOoOo
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Je me forçai à sourire pendant qu'Owen Zabini racontait avec emphase un épisode comique de sa journée de travail.
Blaise et lui se ressemblaient comme deux gouttes d'eau, à la différence que l'aîné avait les cheveux d'une blondeur délavée, sans doute à cause du soleil sud-africain. Il était tellement bronzé que sa tignasse et sa barbe pâle contrastaient de façon spectaculaire avec la couleur de sa peau. Il semblait beaucoup plus âgé que son épouse Clara. En fait, on n'aurait jamais cru que cette femme pouvait être la mère d'un garçon de 17 ans. Je me demandais bien comment ce couple s'était rencontré.
Je portai ma tasse de thé à mes lèvres – du thé tiède, bien sûr, un incontournable par une telle température – et remuai dans le fauteuil dans lequel j'étais enfoncée. Le cuir collait à ma peau moite, c'était agaçant. Les Zabini, eux, ne semblaient pas être affectés par la chaleur. L'habitude, sans doute.
J'avais élu domicile dans l'une des chambres d'invité, à l'étage. J'avais ensuite pris un déjeuner très frugal en compagnie de Blaise et de Clara, en prétextant avoir déjà mangé avant d'arriver à Cape Town. En vérité, mon estomac semblait encore trop dérangé pour que je puisse manger librement. Puis, j'avais avalé une autre dose généreuse d'analgésiques, de sorte que la douleur demeurait lointaine, comme en sourdine. Blaise m'avait fait visiter les alentours tout l'après-midi. Enfin, j'avais fait la connaissance d'Owen Zabini pour le dîner.
À bien des égards, la journée s'était déroulée de façon presque insouciante.
Seulement, j'étais horriblement fatiguée. La nausée m'avait prise alors que je mastiquais les dernières bouchées du repas. Mes articulations commençaient à me faire souffrir. Je devais tenir fermement ma tasse pour empêcher mes mains de trembler. Tout ce que j'espérais, c'était de pouvoir me coucher tôt. Clara me servit le prétexte parfait.
Je surpris son regard posé sur moi. Elle sourit.
- Tu es pâlotte, Hermione. Est-ce que c'est la chaleur qui t'incommode ?
La chaleur n'était pas la seule à blâmer, mais l'occasion était trop belle pour que je n'en profite pas. Je lui souris à mon tour.
- Oui, le soleil m'a fatiguée.
- Ne te gêne pas si tu as besoin de te reposer.
- Je crois que c'est ce que je vais faire, je tombe de sommeil.
- N'hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit, dit Owen Zabini.
- Tu peux allumer le ventilateur au plafond de ta chambre, ajouta Blaise. Ça te fera du bien.
- D'accord, merci beaucoup, dis-je en posant ma tasse sur la table basse.
Je me levai.
- Bonne nuit à tous.
- Bonne nuit, Hermione.
Le sang battit à mes tempes lorsque je quittai le salon et montai l'escalier.
Mon estomac se noua.
Merde.
Vite.
Une fois à l'étage, je parcourus le couloir en courant sur la pointe des pieds et en priant pour que les Zabini ne m'entendent pas me ruer dans la salle de bain.
Dépêche-toi.
Je soulevai le siège de la cuvette et y vomis in extremis mon seul repas de la journée.
Nauséeuse et tremblante, je restai longuement prostrée sur le plancher avant de trouver la force de me réfugier dans ma chambre.
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Le silence plana sur le salon jusqu'à ce que le bruit des pas d'Hermione se soit évanoui à l'étage.
Blaise se tourna vers ses parents, qui lui lancèrent le même regard déconcerté. Les sourires avaient disparu.
Son père prit la parole en premier.
- Elle n'était pas pâlotte, Clara, elle était verte.
- Qu'est-ce qu'elle a ? enchaîna cette dernière. Qu'est-ce qui se passe ?
Blaise soupira. On ne pouvait pas cacher à deux parents médicomages qu'une copine était bonne à ramasser à la petite cuillère. Et même si Blaise n'avait pas laissé paraître son inquiétude devant Hermione, il n'avait besoin d'être ni médicomage ni devin pour savoir que son récit vague dissimulait beaucoup de non-dits.
Mais allez expliquer ça à des parents, alias les deux personnes les plus angoissées de tout l'univers observable.
- C'est compliqué, lâcha-t-il.
- Blaise…
Il choisit soigneusement ses mots.
- Papa, maman. Hermione est… Elle traverse quelque chose de difficile.
Comment expliquer la situation sans trahir l'extrême pudeur d'Hermione ? Elle était tellement secrète.
- S'il-vous-plaît, ne lui posez pas de questions. Sinon… je crois qu'elle voudra partir d'ici. Et dans l'immédiat, ça ne serait pas une bonne idée.
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oOoOoOo
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Une heure plus tard, je me roulais encore dans mon lit en quête d'une position confortable, lorsqu'un détail me traversa l'esprit.
Pattenrond.
J'enfouis mon visage entre mes mains, atterrée et honteuse.
Oh, Merlin, comment avais-je pu oublier mon chat tout ce temps ?
Il se débrouillera, tu le sais bien.
Mes yeux se noyèrent de larmes.
Il réussira à sortir du loft et il capturera des souris et des oiseaux pour se nourrir, comme le font tous les chats errants.
Un sanglot silencieux me tordit la gorge.
Pattenrond était le dernier être que j'aie encore pu considérer comme un membre de ma famille.
Et je l'avais abandonné derrière moi.
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Dès le petit matin, la maison des Zabini semblait aussi animée que celle du clan Weasley, en dépit d'un nombre d'occupants bien inférieur. Clara était sortie tôt pour courir ses cinq kilomètres quotidiens. Elle était maintenant rentrée et racontait les nouvelles du voisinage avec animation dans la cuisine. Pendant ce temps, Owen préparait le petit-déjeuner, rassemblait ses livres pour sa journée de travail et cherchait ses lunettes égarées tout en faisant tomber plein d'objets et en sifflotant gaiement.
À l'étage, la porte de la salle de bain était entrouverte. On entendait l'eau du lavabo couler.
Je cognai, nerveuse.
Un Blaise décoiffé et ensommeillé ouvrit grand la porte, sa brosse à dents à la main, la bouche pleine de dentifrice.
- Oh, halut, ha va ?
- Salut. As-tu des projets pour l'avant-midi ?
- Hon.
- Parfait. J'ai besoin de ton aide. Il me faudrait une brosse à dents, des bermudas, une brosse à cheveux, des sous-vêtements, des… Ce genre de choses. Tu vois ?
Blaise m'adressa un sourire rassurant et leva le pouce.
- Huper. Ne t'en hais pas, on va t'arranher tout ha.
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En compagnie de Blaise et d'Owen, je poussai la barrière de la cour des Zabini, arborant mes propres sandales et mon nouveau bikini bleu pétrole – seul accoutrement tolérable par cette canicule.
Clara était occupée à tailler un massif de grosses fleurs jaunes. Elle écarquilla les yeux en m'apercevant.
- Oh, ma pauvre. Tu es rouge comme une écrevisse ! Owen, Blaise, vous auriez pu penser à lui offrir une protection solaire. Vous avez vu comme elle a la peau claire ?
Le père et le fils me lancèrent un regard coupable.
- Ah, les hommes, soupira-t-elle en m'adressant un clin d'œil complice. Attends, je vais te donner une lotion d'aloès pour faire disparaître tout ça.
Elle claqua des doigts et un grand tube turquoise se faufila à travers une fenêtre ouverte du premier étage pour voler dans notre direction. Clara l'attrapa et me le tendit.
- Tiens, ma chère.
Je la remerciai et m'engouffrai dans la maison, soupirant de soulagement après une longue heure à cuire sur la plage brûlante pendant que Zabini père et fils profitaient des grands vents de fin d'après-midi pour faire du surf.
Je retirai mes sandales pleines de sable dans le hall. Ce simple mouvement m'arracha une grimace. Quand je montai l'escalier, ce fut tous les muscles de mes jambes qui crièrent grâce. Le souffle court, je me rendis dans ma chambre au bout du couloir, armée de la précieuse lotion d'aloès. Mais dans l'immédiat, j'avais des préoccupations plus urgentes que les coups de soleil. C'était l'heure de ma dose d'analgésiques.
Je tirai le tiroir de la table de chevet, m'emparai du flacon de médicaments et tentai maladroitement de l'ouvrir. Mes doigts tremblaient, encore. C'était bizarre.
Pendant ce temps, la douleur se réveillait aussi dans les muscles de mes bras.
Vite, Hermione.
J'extirpai ma baguette de mon chignon et la pointai sur le flacon… qui éclata en morceaux. Hébétée, je regardai tour à tour la baguette et les éclats de plastique.
C'est la baguette qui est défectueuse ou c'est moi qui deviens cinglée ?
Serrant les dents, je me penchai pour ramasser les précieux comprimés dispersés sur le tapis.
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- De quoi tu as envie ? demanda Blaise en plongeant la tête dans le réfrigérateur. Bièraubeurre ? Thé glacé ? Limonade ?
Les boissons se bousculaient à la hauteur de ses yeux à mesure qu'il les énumérait.
- Oh, un verre d'eau me suffira.
- Sûre ?
- Oui.
Un pichet vint se placer au premier rang sur la tablette du réfrigérateur. Blaise le prit et attrapa une bièraubeurre qui retournait se ranger derrière un pied de brocoli.
- On pourrait aller se promener dans le Downtown avant que le soleil devienne trop fort. Ça te dit ?
- Oui, bonne idée.
Je m'accoudai au comptoir de granit pendant qu'il me servait un verre. La surface était agréablement fraîche. En fait, tout dans cette cuisine respirait l'ombre et la fraîcheur : l'acier chromé du four et du réfrigérateur, les comptoirs sombres, les accessoires vert lime…
Le cerveau engourdi par la chaleur, je laissai un autre décor se former dans mon imagination. Le vert lime et l'acier s'effacèrent, remplacés par des boiseries claires, de la pierre, de la céramique vert mousse. La cuisine du moldu joufflu apparut aussi clairement que le matin où j'y avais mis les pieds. Je me souvenais de chaque détail. Les longs rideaux vaporeux. Les chaises de bois avec leurs coussins crème. Le mur de pierre.
J'entrouvris la bouche, soudain perplexe.
Il y avait quelque chose d'incongru dans ce décor champêtre. Je ne me rappelais pas avoir vu de grille-pain. Pas de cafetière. Pas de luminaire au plafond. Pas de lampe.
L'évidence me frappa.
Ce n'était pas une maison moldue.
Le moldu barbu était en fait un sorcier barbu.
Oh, Merlin.
Je ne comprenais plus rien.
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Je coupai soigneusement mon filet de porc et en trempai un morceau dans la sauce avec minutie.
Encore une bouchée.
Tu peux y arriver.
Mon estomac protestait avec vigueur.
- Et le plus drôle dans tout ça, racontait Owen Zabini, c'est que les propriétés de coagulation de la sève de baobab n'ont été découvertes que trois ans plus tard.
- Pas étonnant que les géants pharmaceutiques s'en mettent encore plein les poches, commenta Blaise en terminant son assiette comme s'il n'avait pas mangé depuis une semaine.
- Toujours aussi voraces, tous les deux, commenta Clara. Vous devriez prendre exemple sur Hermione et manger plus lentement.
Je priai pour ne pas rougir comme une voleuse prise sur le fait.
- Mais je suis en pleine croissance, maman ! protesta Blaise.
- Au contraire, je crois justement que ta croissance est terminée.
- Bah, au moins, je suis plus grand que papa.
- Je n'en suis pas si sûr, rétorqua le principal intéressé.
Père et fils s'affrontèrent du regard en bombant le torse. Clara rigola. Personne ne regardait dans ma direction.
Je portai innocemment la main à ma baguette fichée dans mes cheveux et me concentrai.
Evanesco.
La quasi-totalité du porc disparut de mon assiette. Ne restaient plus que les carottes et le riz.
Courage.
Ça ira.
Tu iras vomir quand la vaisselle sera terminée.
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Sous le jet tiède de la douche, je savonnais méticuleusement mon corps pour en enlever toute trace de sel de mer. Je serrai les dents et fermai les yeux. Voir mon propre épiderme me donnait la nausée. Je ne pouvais m'empêcher d'y imaginer des mains fantômes, des plaies béantes, d'affreuses rigoles de sang.
Des larmes se mêlèrent à l'eau qui ruisselait sur mon visage.
C'était ça le plus horrible.
J'avais beau avoir survécu au supplice, j'avais beau m'être enfuie à des milliers de kilomètres de Walden MacNair, c'était quand même lui qui avait gagné.
Son souvenir serait sur moi, en moi.
Pour toujours.
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L'Écarteleur est un puissant maléfice de magie noire qui provoque chez la victime un écartèlement des tendons, des muscles et des articulations.
Qui provoque quoi ?
L'Écarteleur est un puissant maléfice de magie noire qui provoque chez la victime un écartèlement des tendons, des muscles et des articulations.
Hein ?
L'Écarteleur est un puissant maléfice de magie noire qui provoque chez la victime un écartèlement des…
Je refermai le livre d'un coup sec et y appuyai le front.
Mon cerveau était devenu pire qu'un rafiot qui prenait l'eau. J'avais du mal à lire pendant plus d'une demi-heure sans être ensuite aux prises avec des maux de tête lancinants. C'était sans compter que toutes ces descriptions de sorts de magie noire me donnaient mal au cœur.
Je me redressai et laisser errer mon regard sur les rayons bien fournis de la bibliothèque de l'Université sorcière de Cape Town. En d'autres circonstances, j'aurai considéré cet endroit comme le nirvana, avec sa quantité gargantuesque d'ouvrages sur tous les sujets imaginables.
Mais je me contentais de me réfugier ici sans autre ambition que celle de profiter de l'air climatisé et de lire quelques pages dans des vieux bouquins décrépits sur la magie noire. Pendant ce temps, Blaise étudiait d'arrache-pied pour ses ASPIC qui approchaient à grands pas. Quant à moi, ce projet cinglé était devenu la dernière de mes priorités. De toute façon, je n'avais jamais reçu ma convocation du Ministère. La lettre avait dû atterrir dans mon loft à Londres, où je ne trouverais jamais le courage de remettre les pieds.
Je massai mon front et repoussai mon livre, dégoutée. Comme prévu, le mal de tête se pointait.
Tu perds ton temps.
Qu'est-ce que tu espères ? Identifier les 100 000 maléfices que MacNair t'a infligés ?
À quoi bon ?
Ça n'effacera pas l'horreur.
Ça ne te rendra pas intouchée.
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Dans la salle de bain du premier étage, j'ouvris le robinet à grande eau pour couvrir les bruits ambiants et m'agenouillai devant la cuvette, appréhendant le moment où mon estomac se contorsionnerait sans merci. Je ne m'habituerais jamais à cette sensation pénible.
Encore une fois, les vomissements me laissèrent pantelante et en nage.
Combien de temps ça durera, tout ça ?
Je m'essuyai le front et me rinçai soigneusement la bouche, mais la sensation désagréable de brûlure au fond de ma gorge persista longtemps.
Ça non plus, je ne m'y habituerais jamais.
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Owen Zabini haussa les sourcils en me croisant au pied de l'escalier, prêt à partir travailler, ses livres et ses piles de notes dans les bras.
- Tu vas bien, Hermione ?
- Très bien, merci.
- Fatiguée ? Blaise et toi êtes rentrés tard hier, je crois.
- Oui, mais je n'ai pas beaucoup dormi, avouai-je. La nuit a été très chaude.
- C'est vrai. Je crois que le temps est à l'orage.
Après son départ, je me réfugiai dans ma chambre et me plantai devant le miroir.
Oh mon Dieu.
Je compris l'étonnement de Mr Zabini.
La brunette qui me faisait face n'en menait pas large.
En fait, elle dépérissait à vue d'œil.
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Ses bras étaient chauds, et forts, et réconfortants. Dans leur étreinte, rien au monde ne pouvait m'atteindre. Sa poitrine d'homme était ample et confortable, parfaite pour y enfouir le visage et ne plus jamais s'en éloigner. Il sentait bon. Terriblement bon.
Tu n'en peux plus, Granger ?
La sensation des grands bras forts autour de moi s'évanouit. Le froid m'envahit. La terreur me noua la gorge.
Je veux mourir.
Tu veux qu'on en finisse ?
Je veux mourir.
Dommage, Granger, dommage. On s'amusait bien.
BANG.
Je plaquai les mains sur mes oreilles, violemment tirée du sommeil par le fracas du tonnerre. Il me fallut quelques secondes avant de me rappeler où je me trouvais.
À Cape Town.
Dans ma fournaise du bout du monde.
J'exhalai un long souffle nerveux et laissai retomber mes mains sur l'oreiller. J'étais étalée en crêpe sur mon lit, dans une vaine tentative d'échapper à la chaleur, et revêtue de mon sempiternel bikini que je lavais chaque soir puis que je remettais tout mouillé. J'entrepris de refaire mon chignon, dont la moitié des cheveux s'étaient échappés et plaqués contre ma nuque en sueur.
Il faisait si chaud, c'était infernal.
Dehors, un rare orage se déchaînait. Les rideaux de ma fenêtre battaient au vent. Je me levai, encore tremblante à cause de mon cauchemar, et vins m'accouder derrière la moustiquaire pour profiter des bourrasques bienfaisantes. Les éclairs incessants illuminaient le jardin comme en plein jour. Les arbres étaient pliés en deux et les trombes d'eau détruisaient allégrement les massifs de fleurs que Clara Zabini se faisait un bonheur d'entretenir.
BANG.
Mon cri de terreur se perdit dans le coup de tonnerre qui fit trembler la maison.
Du calme, ce n'est qu'un orage.
Es-tu une Gryffondor ou une poule mouillée ?
Le cœur dans la gorge et les jambes flageolantes, je fermai la fenêtre d'un coup sec et revins m'échouer sur le lit.
C'était une de ces nuits pénibles où j'aurais voulu pouvoir serrer étroitement Pattenrond contre moi et m'envelopper dans la grande cape noire qui traînait sur le canapé de mon loft, à Londres.
Mais je me trouvais en Afrique du Sud, à des milliers de kilomètres de là. Pattenrond devait être en train de batifoler dans les ruelles de la ville, son beau pelage orangé maintenant sale et emmêlé. Et la cape n'était plus qu'un lointain souvenir inaccessible. Tout comme son propriétaire.
Je fermai les yeux très fort et déglutis pour détendre le nœud qui me serrait la gorge.
Y avait-il une date d'expiration à la nostalgie ?
J'avais pourtant fait de mon mieux.
Je m'étais démenée pendant des semaines pour subvenir à mes besoins. J'avais fait les 400 coups à la librairie, je m'étais lancée à corps perdu dans la préparation de mes ASPIC et le nettoyage de mon loft, j'avais occupé mes dernières heures de temps libres à amuser des enfants malades à Ste-Mangouste et à leur fabriquer des peintures qui changeaient de couleur.
J'avais été tellement occupée, tellement épuisée, que je n'avais plus d'énergie pour penser à l'époque révolue de Poudlard, ni à mes parents qui refaisaient leur vie quelque part en Suisse, ni à l'homme recherché pour meurtre contre lequel je m'étais réfugiée un soir, dans le secret de la Forêt Interdite.
Combien de temps tout ça allait durer ?
Combien de temps encore allais-je devoir repousser le souvenir de ses yeux noirs, de ses mains, de sa poitrine contre ma joue ?
Ça suffit.
Pense à autre chose.
Oh, Merlin, avec quelle minutie il avait retiré les feuilles mortes emprisonnées dans ma chevelure après mon atterrissage désastreux avec le vieux Nimbus…
Avec quelle précaution il m'avait tenue contre lui pendant que les sanglots m'empêchaient de respirer…
Arrête.
Tu t'accroches à des chimères. Une cape, des souvenirs…
C'est fini, tout ça. Poudlard est fermé. Dumbledore est mort. Severus Rogue est recherché pour meurtre.
Je laissai les larmes couler sur mes joues et triturai machinalement le bouton de manchette en forme de losange qui reposait sur ma poitrine, suspendu au bout de sa fine chaîne dorée. Je ne savais pas pourquoi j'avais gardé cet objet insignifiant trouvé dans ma tignasse. Le lendemain de mon arrivée à Cape Town, j'avais ramassé une chaîne bon marché abandonnée sur un trottoir et j'y avais fixé le bouton de manchette, comme si, maintenant que je n'avais presque plus rien, c'était devenu une nécessité de garder tout ce qui me tombait sous la main.
Secouez-vous, Miss Granger.
Vous devez garder la tête froide.
Il avait raison. Je ne devais pas me laisser aller à la mélancolie et à l'abattement.
Pendant quelques secondes, j'imaginai son visage, ses prunelles noires, son nez aquilin.
Oh, mon Dieu, que penserait-il de moi s'il voyait quelle épave j'étais devenue ? J'avais refusé de suivre son conseil et d'habiter au Terrier, préférant partir de mon côté. J'avais laissé MacNair me capturer, me briser, me réduire à une moins que rien.
Je serrai les dents.
Ouvre les yeux.
Tu es seule, tu n'as plus de parents, tu n'as pas de diplôme. Et maintenant, tu es détruite. MacNair t'a salie pour toujours.
C'est ça ta vie, désormais.
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La nuit était noire et paisible lorsque Severus transplana chez lui, à des milliers de kilomètres au nord de Cape Town.
D'un geste las, il retira le masque fantomatique qui lui dissimulait le visage et se débarrassa de ses lourdes robes noires, qu'il abandonna sur le plancher de la chambre. Un grand poids invisible s'envola de ses épaules.
- Evanesco.
L'accoutrement de mangemort disparut du décor.
Severus s'approcha du secrétaire et cueillit le verre d'irish whiskey délicieusement ambré qui ne demandait qu'à être siroté sans délai.
À côté de la bouteille à moitié pleine, la carte géographique soigneusement repliée le nargua. Il ne l'avait pas consultée depuis une semaine. C'était inutile, désormais. Il savait bien qu'il avait perdu la trace d'Hermione. Même si elle avait traîné par mégarde le bouton de manchette en Afrique du Sud, il n'y avait aucune raison pour qu'elle le garde en sa possession. Elle l'avait sans doute jeté aux ordures. La lueur verte sur la carte demeurerait stationnée à Cape Town à jamais. Ou encore à un dépotoir des environs.
Severus posa le verre d'alcool sans y avoir goûté et frotta ses paupières fatiguées.
Était-elle… indemne ?
Chaque fois que ce doute lui effleurait l'esprit, il ne pouvait s'empêcher de passer mentalement en revue toutes les blessures qu'il avait soignées sur son corps affreusement mutilé. Les jambes étaient blanches et lisses quand il avait terminé les soins. Les poignets et les doigts cassés avaient retrouvé leur forme normale. Les brûlures et les griffures avaient disparu de ses seins.
Tu n'as rien oublié, tu le sais bien.
Il l'avait examinée méticuleusement, sans fausse pudeur. Indemne, elle l'é à savoir si elle se portait bien, c'était une toute autre histoire. Il la connaissait assez bien pour se douter qu'elle n'avait rien révélé de l'agression, ni à Zabini, ni à ses parents médicomages. Elle n'était plus isolée comme elle l'avait été pendant un mois à Londres, mais son plus grand allié demeurait néanmoins un gamin insouciant de 17 ans qui ne connaissait rien de l'horreur ni des écorchures de la vie.
Poussant un soupir, Severus se laissa choir dans un fauteuil et étira ses longues jambes pour les croiser sur le secrétaire, dans une position bien peu roguienne. Il s'en foutait, il n'avait personne à impressionner ici. Aucun élève à effrayer, aucun mangemort à convaincre de sa supériorité et de sa maîtrise de lui-même. De la frime, tout ça.
Tu savais que ce serait difficile.
Oh, ça oui, il le savait.
Seulement, après la fermeture de Poudlard, il avait été très occupé à assurer les arrières d'une certaine Gryffondor têtue aux cheveux ébouriffés. La filer chaque jour tout en assurant ses fonctions de suppôt du Seigneur des Ténèbres avait été un véritable casse-tête, mais en revanche, l'avait aussi empêché de ruminer ce qu'il avait laissé derrière lui. La confiance, l'estime et le soutien de ses pairs. La normalité à travers son train de vie impossible.
Maintenant qu'Hermione s'était réfugiée à l'autre bout du globe, Severus baignait sans répit dans une atmosphère de violence et de haine qui le grugeait de l'intérieur comme un poison lent. Il avait du mal à se l'avouer, mais il aurait souhaité revoir le sourire innocent de la brunette qui peinturait avec les enfants à Ste-Mangouste, ne serait-ce que pour se rappeler que s'il existait une occupation aussi futile que la peinture, le monde ne pouvait pas être pourri jusqu'à la moelle. Mais la brunette était maintenant très loin, et détruite, et son sourire innocent avait sans doute disparu lui aussi.
Severus tendit le bras pour reprendre le verre de whiskey et le huma. Les effluves de l'alcool le firent saliver, mais il n'en but pas.
Il avait l'impression d'osciller au bord du gouffre.
Combien de temps arriverait-il à tenir ainsi ?
Il avait déjà expérimenté cette immersion totale dans la noirceur, à l'époque lointaine où Lily venait d'être assassinée et où Severus ne voyait plus d'issue au désastre de son existence. Cette immersion, elle était dangereuse. La raison cédait peu à peu du terrain à l'angoisse. La folie guettait. Les convictions, bonnes ou mauvaises, n'étaient plus que de vieux souvenirs. L'instinct de survie devenait une option. Mourir en mission prenait l'allure d'un dommage collatéral.
Plus rien n'avait d'importance.
Severus fixa le liquide ambré qui emplissait son verre. Il serra les mâchoires. L'engourdissement et la torpeur ne serviraient à rien.
Il se leva brusquement et alla vider l'alcool sans cérémonie dans la plante que son insupportable elfe de maison s'entêtait à essayer de faire pousser dans le couloir – et où il n'y avait même pas de fenêtre, soit dit en passant.
Pendant une ou deux secondes, Severus songea à aller s'acharner sur des potions jusqu'à l'abrutissement complet de ses neurones. Mais le souvenir de son laboratoire désordonné suffit à le décourager. Tout dans cet endroit lui rappelait le marasme dans lequel il s'embourbait de plus en plus.
Alors il allait se livrer à la dernière activité qui avait encore le pouvoir de lui vider l'esprit et de chasser ses démons.
Il revint dans la chambre, retira ses vêtements sombres qui allèrent aussi rejoindre les robes de mangemort dans un endroit hors de sa vue, puis enfila une chemise de lin pâle et un pantalon souple.
Quand il sortit dehors, il fut accueilli par un bienheureux vent glacial prêt à l'engourdir. Mille étoiles lointaines transperçaient le ciel sans lune. Le bruit du ressac à marée haute se faisait entêtant.
Le souffle de Severus et le rythme de sa course dans l'herbe givrée se joignirent aux vagues et aux bourrasques. Il allongea la foulée. Sa respiration s'accéléra. Ses pensées tenaces s'évanouirent une à une, et bientôt, sa seule préoccupation fut de se rappeler à combien d'années-lumière de la Terre se situait la constellation d'Orion.
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Penchée devant le grand miroir de ma chambre, je retins mon souffle et appliquai minutieusement un trait de crayon vert translucide sur ma paupière.
Réussi.
Je dus serrer le poing pour empêcher ma main de trembler avant de maquiller l'autre œil. Quand l'opération fut complétée, je jaugeai mon reflet.
Le maquillage chatoyait à la lumière et mettait en valeur la couleur de mes yeux. Ma petite robe chiffon vert bouteille ondoyait agréablement au gré de mes mouvements. J'avais remonté mes cheveux en un inévitable chignon – on ne pouvait pas survivre plus d'une heure à Cape Town avec les cheveux détachés – mais j'y avais ajouté une touche de fantaisie en tressant quelques mèches avant de les attacher.
J'aurais pu paraître élégante, mais lorsque je me regardais dans le miroir, je faisais face à un squelette. Des cernes violacés assombrissaient mon regard, mon teint n'avait jamais été aussi blême, mes côtes et mes clavicules semblaient vouloir jaillir de ma poitrine.
Huit jours avaient passé depuis l'agression.
Les courbatures, les raideurs, les élancements ne s'étaient pas amoindris. Toutes les quatre heures, j'avalais mes analgésiques avec une précision scientifique, avant que la douleur ne s'amplifie jusqu'à me donner envie de vomir. Heureusement, les médicaments avaient le pouvoir bienfaisant d'engourdir à la fois le mal et l'angoisse.
Mon poids avait fondu comme un glaçon égaré sur l'asphalte brûlant de Cape Town. Je n'arrivais pas à manger des portions plus grosses qu'un jeu de cartes moldu, sinon je devais m'éclipser à la salle de bain, secouée de hauts-le-cœur.
Je perdais une quantité effarante de cheveux chaque fois que je prenais une douche, si bien que j'avais renoncé à les brosser. Chaque soir, à la même heure, mes mains se mettaient à trembler de façon incontrôlable. Et mes nuits étaient hantées de cauchemars plus atroces les uns que les autres. J'avais lancé un sortilège d'insonorisation sur ma chambre, sans quoi les Zabini auraient été réveillés par des cris à glacer le sang.
Je soupirai et m'enduisis les joues et les lèvres de crème hydratante pour en faire disparaître les gerçures et les peaux mortes. Tout mon épiderme était en train de se dessécher, et je n'étais pas certaine que le soleil et le sel de l'océan étaient les seuls à blâmer.
Je glissai sous ma robe la chaîne mince où était suspendu le bouton de manchette, puis pris ma baguette pour ajouter la touche finale à ma tenue : un sort de désillusion. Mes cernes se volatilisèrent, mes cheveux reprirent leur éclat, mes joues s'arrondirent, mon teint se colora, ma peau s'épaissit par-dessus mes côtes saillantes.
Parfait.
J'étais redevenue moi-même.
J'avais commencé à cacher ma véritable apparence lorsque les regards des Zabini s'étaient faits trop insistants. Oh, ils étaient accueillants, généreux, absolument adorables avec moi. Mais je me doutais bien qu'ils n'étaient pas dupes des sourires que je m'efforçais de leur servir avec naturel. Blaise était trop perspicace pour se laisser berner par mes faux semblants. Quant à ses parents, ils auraient été les pires médicomages de l'histoire sorcière s'ils n'avaient pas remarqué mon dépérissement.
Malgré tout, les Zabini s'étaient tacitement prêtés à mon jeu et avaient feint de ne pas voir comment je me portais mal. Pour cela, je leur serais éternellement reconnaissante. Après avoir été humiliée jusqu'au plus profond de moi-même par les sévices de MacNair, simuler la normalité était tout ce qui me restait de fierté.
Je piquai ma baguette dans mes cheveux et allai m'accouder à la fenêtre. Encore une nuit caniculaire. Au-delà des toitures de maisons du quartier, on apercevait un gigantesque arbre de Noël artificiel qui pointait à travers les palmiers du centre-ville. Encore plus loin, des minuscules lumières vertes et rouges transperçaient la noirceur, disposées en forme de sapin sur le flanc d'une montagne.
Nous étions le 24 décembre. Et ce réveillon de Noël s'annonçait comme le plus étrange de ma vie. Avec un pincement au cœur, je pensai à mes parents amnésiés. J'imaginai leur cottage coquet enjolivé de glaçons et de givre, niché dans son décor de collines blanches scintillant à la lueur de la lune.
Oh, Merlin.
J'aurais vendu dix ans de ma vie pour pouvoir retourner dans le passé, à l'époque bienheureuse où Noël était encore synonyme de famille et d'insouciance.
Je soupirai et m'éloignai de la fenêtre, l'estomac noué.
C'était l'heure de partir au Terrier.
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oOoOoOo
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- Hermione, tu es ravissante ! s'exclama la mère de Blaise en me serrant dans ses bras.
Ses bracelets tintèrent joyeusement lorsqu'elle me relâcha.
- Merci, Clara. Vous êtes très jolie aussi.
- Passe un bon réveillon. Et ne te couche pas trop tard.
- N'écoute pas ce qu'elle dit, répliqua Owen Zabini en venant m'embrasser à son tour. Tu n'auras qu'à dormir plus tard demain. Reviens-nous en forme pour le déjeuner.
Il posa les mains sur mes épaules et les serra fort, comme si j'étais sur le point de me livrer à une épreuve olympique.
- Merci, Owen. Bon réveillon.
Un Blaise à l'apparence inhabituellement soignée me serra contre lui.
- Fais attention à toi, Hermione. J'ai hâte de te revoir demain.
- Moi aussi, Blaise. Bon réveillon.
Il me libéra.
- Sois prudente durant le voyage, conseilla Owen, qui distribuait le pot de poudre de cheminette à sa femme et à son fils.
Ils étaient attendus chez des membres de leur famille, aux États-Unis.
- Et n'oublie pas qu'alcool et transplanage ne font pas bon ménage, ajouta Clara, pendant que Blaise roulait des yeux par-dessus son épaule.
Je leur offris un sourire rassurant.
- Ne vous en faites pas pour moi, tout ira bien. À demain.
Je pris ma baguette, me concentrai et transplanai. La noirceur avala les Zabini et leur chic salon. Une seule image subsista dans ma tête. Celle des mains d'Owen manipulant de pot de poudre de cheminette.
BOUM.
Mes pieds atterrirent brutalement sur le bitume de l'aire de transplanage international, d'où étaient facilités les déplacements sur de longues distances. En ce 24 décembre, la piste était bondée. Des dizaines de voyageurs allaient et venaient, leurs apparitions accompagnées des craquements typiques du transplanage.
Même avec le soleil couché, le sol exhalait encore sa chaleur torride engrangée durant la journée.
Mais je n'y fis pas attention.
Pour une raison obscure, j'étais encore hantée par les mains de Mr Zabini.
Ses manches de chemise qui dépassaient sous son costume.
Ses boutons de manchette nacrés.
Machinalement, je tâtai mon propre bouton de manchette, suspendu à sa chaîne, sous le tissu vaporeux de ma robe. Il y avait quelque chose qui m'échappait au sujet de ce maudit bouton. Mais quoi, bon sang, quoi ?
Tout à coup, un souvenir jaillit dans mon cerveau, représentant une autre main grande et élégante, des poignets enserrés dans une impeccable chemise noire, des boutons de manchette en losanges qui brillaient à la lumière comme des joyaux.
L'évidence me frappa.
Je portais autour du cou un bouton de manchette ayant appartenu à Severus Rogue.
L'oxygène se raréfia dans l'air. J'écarquillai les yeux et plaquai les mains sur ma poitrine, indifférente aux voyageurs qui fourmillaient autour de moi, pressés de retrouver leur famille pour Noël.
Qu'est-ce que ça signifie ?
Comment son bouton a pu arriver dans mes cheveux au lendemain de l'agression ?
Rogue était-il dans le cachot avec MacNair et moi ?
M'a-t-il rudoyée lui aussi ?
C'était impossible.
Rogue ne pouvait pas s'être joint au bourreau pour me martyriser. Même s'il était un mangemort et un assassin, il ne m'aurait pas fait de mal, pas de cette façon-là.
Pas à moi.
Qui plus est, si Rogue s'était trouvé dans le cachot, je m'en serais souvenu.
Alors comment un de ses boutons de manchette avait bien pu apparaître sur moi ?
Oh, Merlin.
J'ai mal à la tête. Ça promet pour ce soir.
Je renonçai à comprendre et transplanai à nouveau.
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oOoOoOo
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Dans la petite pièce sombre, Severus patientait en serrant et en desserrant son poing sur sa baguette, seul signe tangible de son agitation intérieure. Ce genre de mission lui insufflait toujours un trop-plein d'adrénaline. Entre ses préoccupations pour jouer un mangemort crédible et limiter les dégâts au maximum, la pression était immense.
Bientôt, deux autres mangemorts transplanèrent à ses côtés, habillés et masqués. Dans la pénombre, la couleur des yeux devenait difficile à distinguer, les silhouettes et les corpulences se perdaient dans les robes épaisses et amples, si bien que les mangemorts n'étaient plus reconnaissables qu'au son de leur voix.
- Prêts ? demanda Severus d'un ton froid.
- Prêt, répondit un baryton grinçant.
C'était Avery.
- Ouais, renchérit l'autre.
Voix haute. Ton nasillard. Nott.
Severus exhala silencieusement le souffle qu'il retenait. Avery et Nott étaient faciles à manipuler, la mission se passerait aussi bien que possible.
Mais à peine s'était-il laissé gagner par le soulagement qu'un autre claquement de transplanage se fit entendre. Une voix rocailleuse s'éleva derrière eux :
- C'est l'heure.
Par les couilles de Merlin.
Severus se tourna pour faire face au nouveau venu. Il le toisa de toute sa hauteur, pour la première fois depuis cette soirée fatidique. Celui qui avait fait d'Hermione une moins que rien. Celui qui l'avait salie. Brisée.
Le salaud.
Severus s'était préparé à ce face-à-face inévitable, mais la force de sa répulsion le prit néanmoins de court. La fureur monta en lui comme un brasier dans un réservoir d'essence, l'obligeant à crisper la mâchoire pour empêcher le dégoût de déformer son visage, à serrer les poings pour en cacher les tremblements. Mille images fulgurantes lui mitraillèrent l'esprit. Son propre poing s'écrasant sur le visage de MacNair. Les gouttelettes de sang jaillissant dans l'air. Du sang, beaucoup de sang.
Il avait chaud. La tête lui tournait. Un filet brûlant de bile lui monta dans la gorge. Il dut se faire violence pour déglutir et décontracter l'abdomen.
Reprends-toi.
Ce n'est pas le moment de perdre ton sang-froid.
- Allons-y, réussit-il à dire d'une voix neutre.
Ils transplanèrent tous.
Quelques secondes plus tard, quatre silhouettes encapuchonnées apparaissaient dans la cour des Duncan, un couple sans histoire qui avait pour principal défaut d'occuper des postes influents à la direction de la Brigade de police magique.
Bien vite, les barrières invisibles qui protégeaient la maison furent brisées, la porte arrière fracassée, les intrus entrés. Lorsqu'un Mr Duncan ébahi se présenta dans la cuisine, alerté par le bruit, il s'écroula comme un poids mort avant d'avoir pu formuler ses dernières prières. Quant à Mrs Duncan, elle s'affala quelques secondes plus tard sur son mari, son visage figé en une expression de surprise.
Avery et Nott baissèrent leurs baguettes avec le sentiment du devoir acccompli.
C'était tout.
Ces attaques méticuleusement orchestrées passaient toujours à la vitesse de l'éclair.
Mais Severus se raidit en constatant qu'un élément indésirable s'était faufilé à travers sa stratégie à la mécanique bien huilée.
D'où il se trouvait, on pouvait apercevoir deux petites paires de jambes recouvertes de pyjamas aux couleurs pastel, remuant sous la table de la cuisine.
Merde.
Il avait espéré que les enfants soient au lit.
C'est Noël, idiot. Évidemment que les enfants sont encore debout !
Sa réaction fut un réflexe. Il se concentra et lança une incantation informulée.
Impero.
Il débita mentalement ses instructions à toute vitesse, pendant qu'Avery s'approchait dangereusement de la table.
Ne faites aucun bruit et reculez-vous contre le mur.
Ne bougez plus.
Avery choisit un cupcake dans un plateau, en prit un bouchée, puis le laissa tomber avec nonchalance, sans soupçonner que deux potentielles victimes supplémentaires étaient cachées à ses pieds.
- À l'étage ! aboya Rogue. Il faut encore s'occuper des enfants.
MacNair les précéda dans l'escalier avec un empressement malsain.
Levez-vous.
Sortez dans la cour, enfourchez le balai qui traîne contre le mur, à côté de la porte, et donnez un coup de pied à terre.
Volez le plus loin possible.
VITE !
Les enfants étaient sans doute trop petits pour avoir appris à voler, et encore moins à atterrir, mais tant pis. Ils se remettraient mieux de quelques os cassés que d'un sortilège de mort.
MacNair eut tôt fait d'émerger d'une chambre, au bout de l'étage.
- Les enfants ne sont pas là.
On devinait au ton de sa voix que cette disparition le courrouçait au plus haut point.
- La salle de bain, répondit Severus, pour gagner du temps.
Avery se chargea de la fouiller.
- La chambre des Duncan, dit-il encore.
- C'est déjà fait, Rogue ! s'impatienta MacNair.
- Alors redescendons voir au salon.
Le bourreau fut le premier dans l'escalier.
- Tiens, tiens… Qu'avons-nous là ? dit la voix rocailleuse, au bas des marches.
Severus plissa les yeux, sachant qu'il était impossible que les enfants ne se soient pas déjà enfuis. Lorsqu'il arriva au pied de l'escalier, il comprit.
Une vieille dame horrifiée, toute frêle dans la robe de chambre qui pendait sur ses épaules, pointait sur eux une baguette dans une main parcheminée et tremblante.
Merde, merde, merde !
MacNair ricana.
- Joyeux Noël, grand-mère.
D'un claquement de doigts, le bourreau envoya valser la baguette de la femme à l'autre bout du salon.
- Endoloris.
La malheureuse s'échoua sur le plancher en poussant le cri d'une bête qu'on égorge.
- Nous n'avons pas de temps à perdre, MacNair ! tonna Severus.
- C'est pour ça que j'ai mis de côté des préliminaires. Endoloris.
- Mets fin à ça. Les aurors vont débarquer.
- Relaxe, Rogue, intervint Nott, qui s'était approché pour contempler ce spectacle macabre. C'est Noël.
Mais Severus n'écoutait plus. Ce n'était plus une plainte de bête mourante qui emplissait la pièce, c'était un cri jeune et vigoureux, suraigu. Ce n'était plus une vieillarde dans sa robe de chambre qui se tordait de douleur sur le carrelage, c'était une jeune femme nue et ensanglantée, avec une masse de boucles brunes et désordonnées dissimulant son visage.
Bon sang, il était en train de perdre la tête.
Fais-le, Severus.
C'était trop lui demander.
Cette vieille femme aurait pu être Hermione.
Ne laisse pas MacNair s'occuper d'elle.
À devoir choisir, n'importe qui préférerait une mort rapide et sans douleur.
Pendant une seconde, Severus s'imagina mettre les trois mangemorts K.O., les laisser être capturés par les aurors, se soustraire à tout jamais des rangs des fidèles du Seigneur des Ténèbres.
Il y a d'autres mangemorts, Severus.
Il y aura d'autres tueries. D'autres tortures. Et tu ne serais plus là pour y mettre fin. Tu ne serais plus là pour laisser les enfants s'échapper. Tu ne serais plus là pour orchestrer la chute du Seigneur des Ténèbres.
Les os de la vieille femme se brisèrent en une série de craquements sinistres.
- Endolor…
- Avada kedavra.
Les cris affreux se turent. La femme s'affaissa.
Avery et Nott se figèrent comme des pierres, leurs regards allant et venant entre Severus et MacNair, redoutant l'affrontement qui menaçait d'éclater.
Severus baissa sa baguette.
- Nous partons, aboya-t-il. Vite !
Avery et Nott disparurent sans demander leur reste, trop heureux d'échapper à l'orage.
Lentement, MacNair se tourna Severus, une lueur meurtrière dans ses yeux bleu de glace. Autour de sa baguette, les jointures serrées étaient blanches.
- Tu me paieras ça, Rogue, siffla-t-il.
- Ne compte pas sur moi pour te rappeler à l'ordre la prochaine fois que tu perdras la carte. Tu expliqueras toi-même au Seigneur des Ténèbres comment tu as fait foirer une mission parce que tu faisais joujou avec une femme de l'âge de ton arrière-grand-mère.
Écumant de rage, MacNair transplana.
Severus quitta la scène à son tour, sans un regard pour les trois cadavres qui gisaient au pied du sapin illuminé et d'une pile de cadeaux encore emballés.
Joyeux Noël, Severus.
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- Alerte ! Une demoiselle assoiffée !
George Weasley surgit devant moi, armé de sa bouteille d'hydromel fraîchement ouverte.
- Prête pour un deuxième service, Hermione ?
Je plaçai les doigts au-dessus de ma coupe vide au moment où il y inclinait la bouteille.
- Merci George, peut-être plus tard.
- Oh, allez, Hermignonne, c'est Noël ! protesta-t-il en s'emparant de ma coupe pour y verser une généreuse rasade d'alcool doré. Et je suis Fred, au fait.
- Oh, excuse-moi. Mais je…
- Je plaisante, je suis bel et bien George, rigola-t-il en me remettant ma coupe pleine entre les mains. Et toi, Harry, à nouveau assoiffé ?
- Oui, mais je me réhydrate à la bièraubeurre, dit-il en levant sa propre bouteille.
- Ron ?
- De l'hydromel ? Pouah, tu veux rendre complètement ringard ? C'est pour les vieux, ce truc. Et pour les Hermione Granger, eut-il le bon goût d'ajouter en m'adressant un clin d'œil. Sais-tu où Charlie a fourré la caisse de bièraubeurre ?
Je regardai les deux rouquins s'éloigner vers la cuisine, en me demandant dans quel pot de plante j'allais bien pouvoir me débarrasser de mon hydromel. Avec mon estomac qui faisait des siennes, je n'allais sûrement pas empirer mon cas en enfilant les verres d'alcool un après l'autre.
- Est-ce que ton patron t'a donné plusieurs jours de congé pour le période des fêtes ? demanda Harry.
La question me prit au dépourvu. Le libraire Chapman m'avait sans doute déjà rayée de sa liste d'employés, après une longue semaine sans recevoir le moindre signe de vie de ma part. Comment expliquer à Harry dans quel cauchemar j'avais basculé huit jours plus tôt ? Un réveillon de Noël bondé n'était sûrement pas le meilleur moment pour ce genre de confidences.
- Eh bien…
- Salut Hermione ! claironna une voix enjouée.
Avant d'avoir pu en identifier le propriétaire, je fus étouffée dans un câlin à me rompre les os.
- Nymphadora ! reprocha gentiment la voix de Remus Lupin. Tu lui as fait peur.
- Oh, c'est vrai ? fit l'auror aux cheveux violets en me libérant enfin. Excuse-moi, tu sais comme j'ai tendance à m'emporter.
Je me forçai à rire.
- Ne t'en fais pas, Tonks, on t'aime comme ça. Joyeux Noël.
- Joyeux Noël ! Wow, mais regarde-toi ! s'extasia-t-elle en me tenant les épaules à bout de bras. Tu es superbe, une véritable reine du surf ! Il ne te manque plus que le bronzage ! L'air de l'Afrique du Sud te sied à merveille, on dirait.
- Tu es très jolie sans bronzage, dit Remus en faisant mine de pousser Tonks de son chemin. Joyeux Noël, Hermione. C'est bon de te revoir.
Il se pencha pour m'embrasser sur les joues, avec beaucoup plus de douceur que sa compagne exubérante.
- Joyeux Noël, Remus. J'espère que tu vas bien.
- Tu as sûrement déjà vu Hermione ? dit Mr Weasley en arrivant près de moi.
Je cillai en constatant avec qui il jouait les hôtes : un homme de grande taille, au crâne chauve et aux prunelles du même brun chocolat que sa peau.
Kingsley Shacklebolt.
Il y eut un moment de flottement.
Ce fut comme si, tout à coup, on venait de me tirer des mois dans le passé. Combien de fois avais-je vu cet homme au laboratoire, en train de discuter avec Albus Dumbledore et Severus Rogue ? Nous nous étions croisés plusieurs fois sans jamais faire officiellement connaissance. Je sentis aussitôt que sous ses apparences joviales, il me jaugeait et passait en revue tout ce qu'il savait de moi : Gryffondor de septième année ayant inexplicablement expédié ses parents à l'étranger et ancienne assistante d'un mangemort recherché pour le meurtre d'un directeur d'école.
C'était plutôt lourd, comme pedigree.
- Bien sûr, répondit enfin Kingsley Shacklebolt. La surdouée en potions.
Je rougis.
- Euh… Oui, effectivement, bafouilla Mr. Weasley, dont les oreilles s'étaient aussi empourprées.
Au Terrier, tout sujet touchant de près ou de très loin à Severus Rogue, à Poudlard ou à Vous-Savez-Qui était un tabou absolu, surtout en ce 24 décembre. Mrs Weasley veillait au grain, prête à foudroyer du regard ou à gaver de gâteau tout malheureux qui se risquait à violer cette loi non écrite.
Mais Kingsley Shacklebolt ne se formalisa pas du malaise de son hôte et m'adressa un sourire qui dissipa ma gêne.
- Joyeux Noël, Hermione, dit-il en me serrant la main.
Sa poigne était chaude et solide.
- Joyeux Noël, Mr. Shacklebolt.
- Kingsley.
- Kingsley, répétai-je.
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Dans mon assiette, mon immense pointe de gâteau au chocolat me narguait.
Je n'avais pas eu le choix d'avaler l'entièreté de l'entrée et du plat principal. Nous étions si nombreux autour de la table que quelqu'un m'aurait forcément vue si j'avais magiquement vidé mon assiette. À présent, j'avais l'estomac dangereusement noué et la simple vue d'un dessert me soulevait le cœur. Autant finir ce plat au plus vite, pour aller ensuite le vomir dans les toilettes. Sus à l'ennemi.
Je m'armai de ma cuillère et découpai un généreux morceau de ganache.
- À quelle heure ? chuchotait Bill à deux sièges de moi, assez bas pour rester hors de portée des oreilles trop fines de sa mère.
- Vers 19 heures, répondit Remus sur le même ton.
Je tendis l'oreille malgré moi.
- Sont-ils tous…, commença Mr Weasley sans terminer sa question.
- Morts ? Non. Les Duncan le sont. C'est eux que l'attaque visait. La mère de Gregory Duncan est morte également. Quant aux enfants…
- Ils ont disparu, compléta Tonks, le regard inhabituellement inquiet.
- Oh non, souffla Bill en affichant une mimique horrifiée. Est-ce que les mangemorts les ont capturés ?
J'arrêtai de respirer.
- Non, murmura Remus. Des traces dans la neige indiquent qu'ils ont pris la fuite sur un balai. Les deux petits n'ont même pas sept ans. Comment ils ont pu réussir à s'envoler, c'est un véritable mystère. Les aurors croient qu'ils se sont réfugiés quelque part au village et qu'on les retrouvera dans les prochaines heures.
- Quels enfants débrouillards, commenta Tonks, les larmes aux yeux. C'est incroyable.
- Et qu'en est-il du reste de la famille ? demanda Mr Weasley. Est-ce que…
Une autre question inachevée.
Le regard de Remus s'assombrit à nouveau.
- Les corps de Gregory et de Nicole ne portaient pas de trace de violence, dit-il. En revanche, la grand-mère…
- Ils se sont acharnés sur elle, expliqua Tonks avec une amertume que je ne lui avais jamais entendue.
Mon estomac se contorsionna de plus belle.
- Oh non…
- C'est affreux.
- Ils sont tellement inhumains, dit Tonks en essuyant une larme. Torturer ainsi une vieille femme sans défense. C'est horrible. Si ça arrivait à un membre de ma famille, je ne m'en remettrais jamais.
- Moi non plus, jura Bill.
Je piquai du nez dans mon assiette, comme si j'avais peur que tout le monde puisse soudain deviner que j'avais été passée à tabac par un mangemort une semaine plus tôt. Oh, Merlin, je ne voulais jamais voir ces regards affligés posés sur moi.
- Nouveau service ! clama Fred Weasley dans mon dos, me faisant sursauter violemment.
Les quatre adultes s'interrompirent et tournèrent les yeux dans ma direction.
- Hermione, ma pauvre, ton verre est vide !
Je m'en emparai avant qu'il ne le remplisse comme son jumeau une demi-heure plus tôt.
- Fred, non, je…
- Je suis George, coupa-t-il en me l'arrachant des mains.
- Oh, désolée, mais je ne veux pas d'autre vin, j'ai suffisamment b…
- Je blague, je suis bien Fred, dit-il en me redonnant ma coupe pleine.
Je roulai des yeux.
- Quelqu'un d'autre veut un verre de vin rouge ? Bill ?
- Tiens, prends le mien, dis-je en allongeant le bras pour planter ma coupe devant Bill.
- Merci, Hermione, mais je préfère le blanc. Tiens, papa.
- Bill, j'ai déjà une coupe pleine…
- Ça suffit, intervint Tonks, qui avait retrouvé son sourire allègre. Vous ne savez pas boire, messieurs. Donnez-moi ce verre.
Elle se leva, s'empara elle-même de la coupe que Bill avait poussée devant son père et en but la moitié d'un trait.
- Tonks, de grâce ! s'exclama George d'un ton scandalisé, à l'autre bout de la table. Ne fais pas ça devant une mineure !
Il essaya de couvrir les yeux de Ginny, qui menaça de lui lancer une cuillère de glaçage au chocolat en guise de vengeance.
Tout le monde éclata de rire.
Les mines accablées de Bill, Mr Weasley, Tonks et Remus disparurent. Les discussions reprirent, sur un ton plus léger, comme s'il n'avait pas été question de meurtres et de torture quelques secondes plus tôt.
Je posai les yeux sur mon gâteau au chocolat, un sourire étrange se formant sur mes lèvres. Je venais de comprendre une chose très importante.
Ce pouvoir-là, je l'ai entre les mains.
J'avais le pouvoir de laisser ces sourires heureux et intacts. MacNair m'avait peut-être détruite et souillée, mais je pouvais l'empêcher de semer la désolation dans le cœur des gens que j'aimais. Alors, soit. Je garderais le silence à jamais.
MacNair avait peut-être été le plus fort, mais il n'avait pas gagné.
C'était moi qui avais gagné.
Je posai ma cuillère et me levai discrètement pour me rendre à la salle de bain.
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oOoOoOo
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- Est-ce qu'ils ont retrouvé les enfants Duncan ? demanda Remus à mi-voix.
Kingsley jeta un regard à la cuisine bondée. Les discussions allaient bon train. Personne ne fit attention à eux.
- Oui, confirma-t-il. Emmeline Vance m'a contacté il y a dix minutes. Les enfants se sont réfugiés chez des voisins, à un demi-kilomètre de la maison.
- Comment vont-ils ?
- Ils sont sains et saufs. Rien de cassé. La neige a amorti leur chute.
- C'est un miracle que ces petits aient réussi à s'enfuir. Quelle chance.
- Oui. Nous en saurons plus demain matin.
Remus opina et entra dans la cuisine pour regagner sa place. Kingsley allait le suivre, quand une silhouette solitaire capta son attention, dans le couloir.
Hermione Granger était accoudée à la fenêtre et contemplait le jardin en triturant distraitement un pendentif accroché à son cou.
Cette jeune femme l'intriguait, pour plusieurs raisons.
D'abord, elle avait été l'assistante de Severus Rogue. Recevoir l'estime et la confiance de cet homme était en soi quelque chose de phénoménal. Ensuite, elle avait fait beaucoup parler d'elle l'automne dernier par des professeurs et des membres de l'Ordre. La préfète-en-chef qui avait perdu son titre. L'élève modèle qui avait mal tourné. La née-moldue qui avait fait déménager ses parents pour des raisons plus ou moins claires. Qui plus est, elle faisait cavalier seul depuis la fermeture de Poudlard. Alors que tout le monde veillait à resserrer les liens en ces temps sombres, il n'avait pas vu Hermione Granger une seule fois au Terrier ou encore à Square Grimmaurd, des endroits que fréquentaient continuellement ses proches.
Il marcha vers elle. Elle se retourna en l'entendant approcher. Il lui adressa un sourire jovial, auquel elle répondit poliment, et il se posta à côté d'elle, observant lui aussi la cour enneigée à travers la vitre givrée.
Du coin de l'œil, il constata qu'elle le regardait avec curiosité, attendant qu'il prenne la parole.
- Molly m'a dit que tu séjournais en Afrique du Sud.
- Oui, chez un ami. Blaise Zabini. Ses parents vivent là-bas.
- Vraiment ? Je connais bien Owen Zabini. Il était dans la même année que moi à Poudlard. Il était à Serdaigle. J'étais à Serpentard.
- Ah oui ? s'étonna-t-elle, comme si ce détail était une agréable surprise.
- Oui. Owen me donnait des cours de rattrapage en histoire de la magie, une matière qui m'ennuyait à mourir. Je me souviens de lui comme d'un petit génie avec le nez toujours dans ses livres.
Elle rit, d'un rire clair.
- Blaise est exactement pareil.
- Je n'en doute pas. Tu es donc revenue au pays spécialement pour Noël ?
- Exact.
Il la détailla. Malgré ses traits délicats et son apparence frêle, on lui donnait aisément quelques années de plus que ses amis Harry et Ron. Ses yeux étaient différents. Elle soutenait le regard de ses interlocuteurs avec une assurance tranquille, un maintien très droit. Elle s'exprimait avec une voix douce et posée.
Mais il y avait quelque chose de tendu dans son port de tête. Elle était un peu blême. Et son sourire avait semblé figé toute la soirée. De surcroît, il se demandait pourquoi elle portait un charme de désillusion, dont il avait clairement détecté l'empreinte magique quand il lui avait serré la main. Ce genre de coquetterie était beaucoup plus courant chez des femmes deux fois plus vieilles, qui voulaient dissimuler quelques rides ou quelques kilos en trop.
- As-tu un pied-à-terre ici ? s'enquit-il.
Il se demandait comment elle se débrouillait depuis qu'elle avait expédié ses parents à l'étranger, la mémoire lessivée.
- Oui, j'ai un appartement. À Londres. Je travaille dans une librairie.
Le ton de la conversation était léger, mais Hermione le jaugeait de façon manifeste. Il comprit pourquoi Severus Rogue avait eu confiance en ses aptitudes. Elle était intelligente. Et elle reconnaissait en lui un homme qui avait étroitement côtoyé un traître et un directeur assassiné. Il la considérait avec la même curiosité.
Il lui adressa un clin d'œil, auquel elle répondit par un petit sourire en coin. Aucun mot n'avait été prononcé, mais une entente tacite avait été conclue.
- J'imagine que ce Noël n'est pas le plus joyeux, dit-il.
La remarque pouvait laisser sous-entendre beaucoup de choses. Il lui laissa le soin de l'interpréter comme elle le voulait.
- Je ne suis sans doute pas la seule pour qui ce Noël n'est pas le plus joyeux, Kingsley, répondit-elle, parfaitement à propos.
Elle avait raison. Ce n'était pas de gaieté de cœur qu'on apprenait, un mois avant Noël, qu'un homme dont on était le bras droit avait été assassiné par un autre qu'on considérait comme un ami.
Ils esquissèrent le même sourire, un sourire complice mais sans joie.
Elle riva son regard sur le jardin croulant sous la neige et se mordilla la lèvre. Les éclats de rire provenant de la cuisine ponctuèrent le silence.
- Vous le connaissiez bien, n'est-ce pas ? demanda-t-elle enfin.
Elle n'eut pas besoin de nommer qui que ce soit pour qu'il sache de qui elle parlait.
- Je le connaissais bien, confirma-t-il.
Elle tourna à nouveau la tête vers lui et soutint longuement son regard sans ciller.
- Tu sais, Hermione… Parfois, connaître une personne ne suffit pas pour comprendre tous les choix qu'elle fait.
- J'imagine.
Elle referma la main sur la chaîne qu'elle portait au cou et ne dit plus rien, son regard se perdant dans le vague.
- Que faites-vous là à comploter dans le noir, tous les deux ?
La pauvre Hermione sursauta comme si on l'avait électrocutée. Décidément, cette jeune femme était nerveuse, pour une raison qui échappait à Kingsley.
Il se tourna vers Mrs Weasley, qui avait passé la tête hors de la cuisine et leur lançait un regard suspicieux. Il lui adressa un sourire innocent.
- Nous admirions ton jardin, Molly. Même en hiver, il est des plus ravissants avec ses sapins enneigés.
- Oh, ça…, soupira Molly. Je répare leurs branches cassées trois fois par semaine. Les jumeaux passent leur temps à tester leurs nouveaux produits dessus à mon insu. Allons, ne restez là, venez rejoindre tout le monde.
Kingsley adressa un sourire à Hermione et, d'un geste de la main, l'invita à le précéder vers la cuisine.
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- Hermione, t'es sûre que tu pars déjà ? insista Ron pour la quatorzième fois. Il n'est même pas deux heures du matin !
- Je suis fatiguée, Ron. Il est temps de rentrer chez moi.
C'était un mensonge. Je n'avais évidemment pas l'intention m'aventurer dans le loft au pied duquel Walden MacNair m'avait capturée, mais les Weasley n'avaient pas besoin de le savoir. Quant aux Zabini, je leur avais dit que je passerais la nuit ici, au Terrier, pendant qu'eux étaient chez leur famille en Amérique.
Seulement, j'étais épuisée. J'avais réussi à survivre au fastueux repas du réveillon en vomissant seulement à deux reprises, ce qui n'était pas si mal vu la quantité de nourriture que j'avais avalée. Mais j'avais aussi dû veiller à masquer les tremblements qui agitaient mes mains et à m'éclipser plusieurs fois pour prendre mes analgésiques aux heures habituelles, tout ça en essayant de paraître joyeuse et de rire au bon moment aux blagues des invités.
J'avais tout donné.
Tout ce que je voulais, c'était me planquer dans un lit quelconque, avec ma bouteille de médicaments comme seule compagne de chambre et une salle de bain dans laquelle me réfugier dès que mon estomac me le commanderait.
L'auberge à Inverness ferait l'affaire. C'était tranquille et seulement à quelques centaines de kilomètres d'ici.
- Bonne nuit, Hermione, dit Harry en me serrant dans ses bras.
- Bonne nuit, Harry. À très bientôt. Oh, j'ai oublié de te rendre ta cape.
Il me l'avait prêtée plus tôt dans la soirée parce que je commençais à frissonner dans ma petite robe parfaite pour la chaleur de Cape Town, mais bien peu adaptée à l'hiver anglais.
- Non, garde-la, m'arrêta Harry. Tu en as plus besoin que moi. Tu me la redonneras quand on se reverra.
Mrs Weasley m'engloutit à son tour dans son étreinte.
- Au revoir, Hermione. J'espère que tu n'as pas trop bu pour transplaner ?
- Mais non, ne vous inquiétez pas.
- Sois prudente en chemin. Il est tard, et Londres est loin, et il fait un de ces froids !
- Je serai prudente, Mrs Weasley. Merci pour tout.
Je remarquai Kingsley Shacklebolt, qui avait sorti sa baguette et ajustait sa propre cape sur ses épaules.
- Vous partez aussi, Kingsley?
- Eh oui, le devoir m'appelle.
- À cette heure ?
- Oui, j'en ai bien peur. Au revoir, Hermione. Fais attention à toi.
Je m'assurai que personne ne faisait attention à nous et lâchai avec un petit rire :
- Oh, ne vous en faites pas pour moi. Je n'ai même pas bu le quart de tout l'alcool que les jumeaux Weasley ont essayé de me faire ingurgiter.
- Rappelle-moi de conseiller à Tonks de te demander des conseils sur l'art de boire, dit-il en m'adressant un clin d'œil.
Je souris.
- Au revoir, Kingsley.
Je transplanai.
Dans trois minutes, je serais à Inverness, sous une montagne de couvertures chaudes.
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oOoOoOo
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Il était près de deux heures du matin quand Severus revint à Talamhcríochnaigh, abruti de fatigue.
Le Seigneur des Ténèbres avait été satisfait de leur rafle chez les Duncan, daignant même ne punir aucun des quatre mangemorts pour avoir laissé les enfants s'échapper. Même le plus grand mage noir de tous les temps s'était laissé gagner par la magie de Noël. Si on pouvait s'exprimer ainsi.
Severus retira ses bottes, les abandonna sur son chemin et se laissa tomber en travers de son lit comme un poids mort, avec encore dans la tête les cris agonisants de la vieille Duncan.
Quelle soirée épouvantable.
Il avait fini par réussir à décamper de cette interminable réception chez les Malefoy, où l'alcool coulait à flots et où des jeunes invitées aussi peu consentantes que vêtues se frottaient de force à tout ce qui avait une queue entre les jambes.
Severus tourna la tête vers le secrétaire et, pendant une seconde, envisagea de terminer la nuit en beauté (façon de parler, encore une fois), en s'enivrant en bonne et due forme. La culpabilité serait aussi grande demain, et de surcroît assortie d'un mal de crâne pire que celui qui lui martelaient les tempes en ce moment, mais il pourrait au moins dormir quelques heures l'esprit tranquille.
À côté de la bouteille de whiskey qui lui criait de la boire, un point lumineux attira son regard.
Il fronça les sourcils.
Le traceur s'était déplacé sur la carte géographique. Ce qui signifiait que son bouton de manchette avait bougé. Elle aussi, accessoirement.
Évidemment, imbécile. C'est Noël. Elle est sans doute à la tanière des rouquins.
Il allongea machinalement le bras, attrapa la carte et la déplia pour confirmer ce qu'il savait déjà.
Mais plutôt que de conforter ses certitudes, la lueur verte fit apparaître des points d'interrogation dans ses yeux fatigués.
Il fronça les sourcils et ajusta l'échelle de la carte pour s'assurer que la pénombre ne lui jouait pas des tours.
Eh non.
Son bouton de manchette avait vraiment abouti à Elgin.
Mais qu'est-ce que c'était que ce bled ?
Pourquoi traînait-elle encore ce satané bouton avec elle ?
Et surtout, que foutait-elle là-bas ?
Severus leva les yeux au ciel. Cette maudite baguette de dépannage avait dû avoir quelques ratés. Prévisible. Mais bon sang, il n'avait jamais eu à l'idée qu'Hermione puisse utiliser une baguette de dépannage pour parcourir des distances aussi grandes. Avoir su, il ne lui aurait donné aucune baguette et il aurait gardé la jeune femme à Talamhcríochnaigh, tout simplement. Pourquoi faire si compliqué quand il aurait pu faire si simple ?
Que se passait-il, maintenant ?
Hermione était-elle accompagnée de Zabini, son ami si dévoué ? Sans doute pas, sinon elle n'aurait pas atterri dans ce trou perdu. Pourquoi diable Zabini la laissait-il se balader seule à une heure pareille, surtout après l'enfer qu'elle avait vécu la semaine dernière ?
Était-elle perdue ?
Était-elle trop fatiguée pour transplaner à nouveau ?
Severus froissa la carte et la fourra sans cérémonie dans la poche de sa cape.
Il s'en allait chercher Hermione.
Cette fois, il ne la laisserait pas lui filer entre les doigts.
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oOoOoOo
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BOUM !
Lorsque j'émergeai du néant, quelqu'un choisit cet heureux moment pour passer dans la rue.
- AOUCH ! protesta une voix.
Je poussai un cri aigu, aussi surprise que la personne avec laquelle je venais d'entrer en collision. Puis j'eus tout juste le temps d'aspirer une bouffée d'une haleine très avinée avant d'être brutalement bousculée. Je glissai sur une plaque de glace et m'étalai de tout mon long.
- Hé, demi-portion ! Ta maman ne t'a pas appris à t'excuser quand tu fonces dans les gens ?!
Déboussolée, je repérai le jeune homme qui tempêtait devant moi, manifestement dans un état de stupidité éthylique avancée.
- Du calme, protestai-je. C'était juste un accident !
- T'as une voix de fillette, en plus.
Imbécile.
Il me prenait pour un garçon, avec la grande cape de Harry dans laquelle je m'étais emmitouflée.
J'essayai de transplaner au plus vite, mais ma baguette ne produisit qu'une grosse déflagration, juste sous le nez furieux du jeune homme, qui se mit à tousser.
Oh, Merlin. Mais qu'est-ce que c'est que cette baguette de merde ?
- HÉ ! Cette fois, tu l'as fait exprès ! rugit-il, les sourcils fumants.
- Je n'ai pas fait exprès !
- Tu veux te battre, c'est ça ?
- N'importe quoi !
Le garçon dégaina sa baguette, mais je fus plus rapide.
- Experlliarmus ! criai-je
Une pluie d'étincelles désordonnées fusa de ma baguette, qui m'échappa des doigts pour voler de l'autre côté de la rue.
Merde !
L'idiot laissa fuser un gros rire gras.
- Un sort de désarmement, tu veux rire ? Ton père ne t'a pas appris à te battre comme un homme ?
Sans demander mon reste, je me levai et me mis à courir, mais le garçon cria une incantation et un jet de magie me toucha entre les omoplates, me projetant à nouveau au sol.
- C'est très malpoli de se sauver en courant en plein duel !
Crétin.
Trop paniquée pour percevoir les effets du maléfice, je me relevai et me ruai dans une ruelle au moment où un autre jet de lumière me frôlait. Le sort s'échoua bruyamment sur des poubelles de tôle.
Affalée contre la façade glaciale d'une bâtisse, je jetai un regard désespéré à ma maudite baguette tombée sur le trottoir, trois mètres plus loin. Je fronçai les sourcils en remarquant le décor la rue. Je ne savais pas où le transplanage m'avait menée, mais ce n'était pas à Inverness. J'étais perdue.
Oh, bon sang, dans quel guêpier m'étais-je donc fourrée ?
Joyeux Noël, Hermione.
C'est alors qu'une voix retentit quelque part à ma gauche, me faisait sursauter :
- Hermione !
Cette voix. Grave, riche, curieusement familière. Je connaissais cette voix.
Je scrutai les profondeurs de la ruelle. Il y faisait noir comme dans un cercueil.
- Qui… qui est là ?
Aucune réponse.
Je me levai et m'approchai à l'aveuglette, le cœur battant à tout rompre. Sans ma baguette, je me sentais cruellement vulnérable. J'allais rebrousser chemin quand, sans crier gare, un étau se referma sur moi, plaquant mes bras le long de mon corps et me soulevant littéralement du sol. Une main bâillonna le cri de terreur qui voulut s'échapper de mes lèvres.
- Décidément, vous êtes une catastrophe ambulante, murmura la voix à mon oreille.
Ce ton narquois, il était impossible que je ne le reconnaisse pas.
Je connaissais la voix de Severus Rogue par cœur.
Nous transplanâmes.
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oOoOoOo
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Eh bien, eh bien… Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais il me semble que Severus et Hermione méritent de se retrouver enfin. ;) C'est au programme dans le prochain chapitre.
D'ici là, si vous cherchez une bonne histoire à vous mettre sous la dent, je vous conseille Bound to Him de georgesgurl117 (en anglais). Elle fait 65 chapitres (jusqu'à maintenant), elle a récolté plusieurs milliers de reviews (je n'exagère pas) et elle est ab-so-lu-ment ahurissante, puissante, vraie. Je vous jure, c'est le meilleur HG/SS de l'histoire de l'humanité.
Par contre, je vous préviens : se plonger dans cette fic est une véritable descente aux enfers. Vous deviendrez dépendant et obsédé, vous ne voudrez plus dormir ni travailler, vous ne voudrez même plus aller faire pipi, vous serez trop occupé à vouloir toujours connaître la suite ! Donc beaucoup de bonheur en perspective, mais aussi beaucoup de souffrance. À lire à vos risques et périls.
Fin de la publicité.
Allez, ciao, on se revoit en cure de désintox !
