Chers lecteurs,

À travers le marathon de préparatifs entourant le Réveillon, il me restait un dernier cadeau à compléter au plus vite. Vous l'avez sous les yeux.

J'espère que ce chapitre vous plaira, car jamais un tête-à-tête entre Severus et Hermione m'a donné autant de fil à retordre. Il était grandement temps que ces deux-là soient réunis, avant que je perde complètement le tour de les mettre en scène ensemble !

Maintenant, quelques remerciements à : Nekozuni, Bergere, Tralapapa, shukrat et son indulgence indéfectible devant ma lenteur à publier, Ghiltoniel pour ses judicieuses remarques qui (je l'espère) m'aideront à faire progresser l'histoire (ou du moins sa réécriture un jour), Philou, Fantomette34, Mayunna pour ses longs commentaires passionnants, WFdarkness, Math'L, schaeffer et Nams.

Camille : Je sais, je suis inhumaine pour jouer ainsi pour vos nerfs, mais lire vos commentaires impatients me procure une satisfaction malsaine dont je n'ai pas l'intention de me passer de sitôt. J'espère que les développements seront à la hauteur de tes attentes. Merci pour ton commentaire !

Zeugma : Merci pour ton commentaire ! Bonne lecture !

Celoone : J'espère que tu as vite pu rattraper les heures de sommeil perdues. ;) Merci de me lire ! J'espère que la suite te plaira !

Gabrielle : Merci pour ton enthousiasme ! ^^

Walkie : Hum, oui, tu as dû constater que je suis friande des fins qui laissent sur notre faim… Il faut bien cultiver l'attente. =) Merci pour ton commentaire !

Lulu : Vraiment désolée pour le délai de publication, c'est malheureusement en été et durant le temps de Noël que j'ai le plus de temps pour des marathons d'écriture… Merci de me lire !

Oh, et une mention spéciale pour Guest, qui m'a écrit « :! ». Je vais feindre de comprendre et répondrai : « ! » Merci de me lire! ;)

Dernière chose : mes excuses pour les déchets linguistiques qui auraient échappé au nettoyage.

Sans plus attendre, voici mon cadeau de moi à vous, avec tout mon amour.

Bonne lecture et Joyeux Noël !

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Chapitre 20 – Les morts ne sont jamais si loin qu'on croit

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Pop !

Après une brève sensation d'apesanteur, le transplanage prit fin et je m'affalai sur un sol dur et lisse.

Les paupières fermement closes, la respiration bloquée quelque part entre mes poumons et mes dents serrées, j'attendis que la voix grave qui m'avait fait tressaillir dans la ruelle se manifeste à nouveau. C'était lui. Ça ne pouvait être que lui. J'aurais reconnu sa voix entre mille. Mais où était-il passé ? Le calme plat régnait autour de moi. Seul un bruissement lointain et régulier troublait le silence. Des vagues. Où étais-je donc ?

J'ouvris les yeux, pris appui sur mes mains et me soulevai de quelques millimètres, pour me retrouver nez à nez avec un plancher de céramique.

Vert mousse, la céramique.

Oh, Merlin.

Dites-moi que je rêve.

Je me redressai comme si j'avais été étendue sur des charbons ardents.

La cuisine rustique qui hantait mes pensées depuis l'agression apparut devant mes yeux ébahis, mais aussitôt, les rideaux crème et les boiseries claires se mirent à tournoyer autour de moi, le plancher commença à tanguer comme s'il allait se dérober sous mon poids.

Oooooooh, Merlin.

Le maléfice. C'était le maléfice que cet imbécile saoul m'avait lancé dans la rue. Dans l'urgence de ma fuite, je n'en avais pas perçu les effets, mais maintenant que j'étais immobile, les étourdissements me prenaient de plein fouet.

Je plaquai une main sur ma bouche, appréhendant l'ultime haut-le-cœur qui me ferait vomir, lorsque le décor se fixa enfin dans mon champ de vision. Devant le mur de pierre se tenait un homme qui n'était pas celui que je m'attendais à voir.

Un cri étranglé s'échappa de mes lèvres.

La carrure trapue, le cheveu roux et rare, la barbe broussailleuse, les yeux si noirs qu'ils me firent frémir cette fois encore… C'était lui. Le vieux marin joufflu qui prétendait m'avoir recueillie inconsciente dans la forêt, alors que je me rappelais clairement avoir été prostrée ici, seule, dans sa cuisine. Au milieu d'une flaque de sang.

Nous nous jaugeâmes avec la même surprise. Il ne s'attendait manifestement pas à voir Rosalind Buckley, alias moi, apparaître à ses pieds au beau milieu de la nuit de Noël.

J'essayai d'analyser la situation à toute vitesse. Ma baguette de dépannage était tombée dans la rue, mais l'homme ne semblait pas en avoir lui non plus. Il ne pouvait pas être bien dangereux, il n'y avait pas une once de malice dans ces yeux noirs…

Oh, ça alors. La similarité était incroyable. Ces yeux, c'étaient… les siens.

Je m'assis avec précaution pour éviter des étourdissements supplémentaires.

- Je sais que vous n'êtes pas moldu, dis-je d'une voix rauque, sans m'embarrasser de la moindre formule de politesse.

La barbe flamboyante se fendit pour laisser apparaître un léger sourire.

- Vous êtes fidèle à vous-même, Miss Granger, répondit mon mystérieux interlocuteur d'un ton badin. Toujours perspicace.

J'ouvris la bouche comme un poisson hors de l'eau. Comment savait-il mon nom ? Je m'étais pourtant présentée à lui sous ma fausse identité.

Mais le barbu ignora ma stupeur, leva les yeux et s'adressa à un point invisible, quelque part au-dessus de moi, révélant ainsi la présence d'une troisième personne dans la pièce.

J'arrêtai de respirer.

- Des désagréments, je présume ? demanda le barbu.

- Maléfice de tangage, commenta laconiquement une voix très grave.

Sa voix.

C'était lui.

Le barbu joufflu baissa les yeux pour guetter ma réaction, comme s'il pouvait soupçonner quel émoi la présence de son interlocuteur suscitait en moi. Il y eut un étrange moment de flottement, comme si le temps s'était dilaté. Lentement, très lentement, je pivotai sur mon séant pour remarquer la paire de jambes plantée à un mètre de moi, remontai les yeux le long des robes noires et regardai enfin leur propriétaire en face.

Je cillai.

Severus Rogue ne correspondait pas à l'idée que je me faisais d'un fugitif. Il se tenait droit, fier, impeccable. Sa barbe taillée bien nette ne ressemblait en rien à celle longue et hirsute qu'avait arborée Sirius Black. Les mèches de jais qui lui balayaient les épaules à l'époque de Poudlard étaient maintenant courtes et quelques-unes lui tombaient devant les yeux.

Il me fixait, stoïque. Il y avait quelque chose de différent et d'effrayant dans cette façade immobile, dans le contraste frappant de la barbe noire sur la peau pâle, dans ces yeux qui me transperçaient comme s'ils pouvaient lire au fond de mon âme.

Je réalisai que je retenais mon souffle, mais j'étais clouée par la peur, je n'arrivais pas à respirer. Un enchevêtrement de sentiments me nouait le ventre. En ce moment précis, je sentis que le maître des potions que j'avais côtoyé n'existait plus que dans mes souvenirs. Celui qui me surplombait avec un maintien impérial était un pur inconnu, un homme au masque glacial et impitoyable qui ne m'inspirait aucune certitude. Je ne savais pas ce qu'il allait faire. Je ne savais plus rien. Pour la première fois, je pris conscience que je ne savais rien du tout de Severus Rogue.

Le barbu joufflu brisa un silence devenu assourdissant :

- Vous savez que je ne peux m'attarder plus longtemps, Severus. Souhaitez-vous que…

La question demeura inachevée, mais mon ancien professeur sembla en connaître le sens caché. Il répondit sans me quitter des yeux :

- Vous me faciliteriez la tâche, Albus.

Albus.

Mon cœur rata un battement, voire deux ou trois, et j'aspirai enfin une goulée d'air. Je fixai les yeux d'onyx en quête de compréhension, mais aucune émotion n'y filtrait. Le contact visuel se brisa. Rogue avait porté son attention sur le barbu joufflu. Je suivis son regard, à nouveau prise d'étourdissements.

Le marin barbu inclina la tête dans un geste qui avait quelque chose de solennel, puis son visage et sa silhouette devinrent étrangement flous, si bien que je dus ciller pour m'assurer que mes yeux ne me jouaient pas des tours. La taille épaisse de l'homme s'allongeait, la barbe rousse poussait et pâlissait, le crâne chauve se couvrait d'une longue chevelure argentée, les rides grossières s'amincissaient, la peau tannée par le soleil virait au rosé, les prunelles si noires prenaient une couleur bleu ciel.

En un clin d'œil, le marin barbu s'était volatilisé, remplacé par une copie conforme du sorcier le plus improbable qui soit.

Albus Dumbledore.

L'illusion était si parfaite que j'y aurais cru. Mais ce n'était pas réel. Ça ne pouvait pas être réel.

Le clone prit la parole :

- Je suis navré de vous imposer une telle surprise, Miss Granger.

Même la voix était identique à celle de Dumbledore. C'était sidérant.

- Mon intention n'est nullement de vous effrayer. Cependant, je fais le pari qu'il sera plus facile pour vous de rester aux mains de Severus en sachant qu'il n'est pas un assassin, puisque sa présumée victime se tient devant vous en ce moment.

Que disait-il ?

Un drôle de sifflement se faisait entendre en sourdine dans mes oreilles. Le plancher s'était remis à tanguer. La sensation d'apesanteur était revenue. Je portai une main à ma bouche, par réflexe, sans trop savoir si j'étais sur le point de m'évanouir ou de vomir.

Mais il ne se passa rien.

- Dumbledore est mort, dis-je.

Ces mots avaient fusé tout seuls.

- Je suis bien vivant, Miss Granger.

C'était faux.

- Ce n'est pas vous, dis-je d'une voix de plus en plus rauque. Vous êtes mort.

- Je vous assure que c'est bien moi.

C'était une supercherie. Rogue et cet imposteur me manipulaient. Dans quel but ? Allez savoir. Je n'étais ni un auror redoutable, ni une employée influente du Ministère, ni un membre de l'Ordre du Phénix. Je n'étais qu'une ex-étudiante insignifiante qu'il suffisait de capturer devant chez elle pour ensuite la prendre de force dans un cachot sale.

Tu vas mourir, Granger.

Tu vas mourir ici, au bout de ton sang.

Un frisson courut le long de ma colonne vertébrale.

- Vous êtes vraiment mort, répétai-je. J'étais là à votre enterrement.

Une lueur malicieuse incongrue traversa les yeux bleus de l'imposteur.

- Je dois avouer que j'y étais aussi. J'étais curieux, ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion d'assister à son propre enterrement.

N'importe quoi. Il était fou. Le corps de Dumbledore devait être à moitié grugé par la vermine, à pareille date.

Tu dois trouver le moyen de ficher le camp d'ici au plus vite.

Je contemplai l'homme, essayant de jauger l'opacité de ses vêtements et de sa peau, mais l'examen prit fin lorsque ma vue se parsema de taches noires. Le sifflement dans mes oreilles s'amplifia.

- Êtes-vous un fantôme ? m'entendis-je demander.

- Non, Miss Granger. Je suis aussi vivant que vous.

Les taches noires se dissipèrent tout juste assez pour me permettre de surprendre le regard appuyé qu'il lança à Severus Rogue au-dessus de moi.

Tu vois ?

Ils te manipulent.

Sauve-toi, avant qu'il ne soit trop tard !

- J'espère que vous m'excuserez de vous fausser compagnie si rapidement, Miss Granger, mais je suis confiant que vous êtes entre bonnes mains. Severus, j'ai appris que les deux jeunes Duncan ont été retrouvés sains et saufs. Nous en reparlerons demain.

Duncan.

Duncan.

Le nom flotta dans mon esprit, mais le souvenir qu'il évoquait en moi était trop flou pour que je puisse l'identifier.

Je ratai les dernière paroles de mon interlocuteur, puis me trouvai à fixer un mur de pierres nu, là où le clone du directeur de Poudlard s'était tenu une fraction de seconde plus tôt.

Un de moins à affronter.

Il ne reste plus que Rogue.

Tu dois le faire.

Tu n'as pas le choix.

Le silence revint et le sifflement dans mes oreilles reprit de plus belle. Bravant les vertiges, j'agrippai une chaise et me remis debout tant bien que mal. La cuisine se remit à tourner affreusement et la nausée m'assaillit, mais je serrai les dents et tins bon.

Lorsque je regardai à nouveau Rogue en face, les battements de mon cœur me martelèrent la cage thoracique. Nous nous dévisageâmes, aussi méfiants l'un que l'autre. Sa baguette n'était pas en vue, mais il était très grand, faisait facilement le double de mon poids et n'avait sans doute pas besoin de baguette pour faire de la magie. Et ses yeux noirs semblaient aussi acérés que des poignards.

Tu vas mourir, Granger.

Tu vas mourir ici, au bout de ton sang.

Non.

J'embrassai la cuisine d'un regard circulaire. Rogue entravait la seule issue. Restait toujours la fenêtre, cachée derrière les longs rideaux pâles, mais sans doute était-elle bien fermée à ce temps-ci de l'année. Mon regard tomba alors sur l'assortiment de couteaux rangés dans leur bloc de bois sur le comptoir. À peine eus-je le temps de songer à en prendre un que la voix de velours et d'acier me fit sursauter :

- Evanesco.

Le bloc de bois disparut, emportant avec lui les seuls moyens de défense disponibles dans la pièce.

Rogue eut un reniflement dédaigneux.

- Manifestement, l'apparition miraculeuse d'Albus Dumbledore ne prouve rien pour vous.

Je n'écoutai que d'une oreille son commentaire ironique.

Bouge, Hermione.

C'est maintenant ou jamais.

- Je ne gaspillerai pas ma salive pour essayer de vous convaincre de quoi que ce soit cette nuit. Votre cerveau est résolument hors fonct...

Bouge !

San crier gare, je tentai le tout pour le tout et me ruai vers l'unique sortie. Rogue m'intercepta au passage, mais je me débattis avec l'acharnement d'une damnée, je le frappai comme je n'avais jamais frappé personne. Contre toute attente, l'étau de ses bras me libéra et je pus m'élancer dans le couloir, mais les étourdissements avaient repris avec une telle frénésie que je ne voyais même plus où j'allais. Je courus à l'aveuglette, je me heurtai aux murs, je débouchai enfin dans une pièce que j'espérais être le hall d'entrée, mais je m'empêtrai les pieds contre un meuble et perdis l'équilibre pour de bon.

Tu vas mourir, Granger.

Tu vas mourir ici, au bout de ton sang.

Les pas de Rogue se firent entendre derrière moi, mais je n'arrivais plus à remuer. Tout tournait horriblement autour de moi, je ne pouvais même plus distinguer le plancher du plafond. Je fermai les yeux, incapable de regarder la scène apocalyptique qui allait suivre, et me protégeai le visage de mes bras, appréhendant le premier coup.

On continue à jouer, Granger ?

Mais les représailles ne vinrent pas. Qu'est-ce que Rogue attendait ? Qu'est-ce qu'il allait faire de moi ? Voulait-il me livrer intacte à MacNair ?

Un haut-le-cœur me secoua.

N'importe quoi mais pas ça.

- Tuez-moi.

Il me fallut quelques secondes pour comprendre que cette requête horrible était vraiment sortie de ma bouche.

- Vous délirez, Miss Granger.

- Tuez-moi, répétai-je, la voix cassée. Si je dois mourir, tuez-moi immédiatement.

- Taisez-vous.

Mes paupières closes s'emplirent de larmes brûlantes.

Déjà fatiguée, Granger ?

Ça ne fait que commencer.

- S'il-vous-plaît.

- Arrêtez cela immédiatement.

Et si MacNair me gardait captive pour toujours ? Et s'il faisait de moi le souffre-douleur des mangemorts, celle avec qui tous s'amuseraient et se défouleraient ?

Oh, Merlin.

Jamais je ne leur donnerais cette satisfaction, je ferais tout pour m'y soustraire, je me suiciderais. Je me cognerais la tête le plus fort possible contre un mur, en espérant que ça serait suffisant pour me tuer.

- Miss Granger.

Je me recroquevillai, tremblante comme une feuille. Un soupir se fit entendre, suivi d'un bruissement de tissus. Je devinai que Rogue s'était agenouillé devant moi.

- Regardez-moi.

Toute trace de colère avait disparu de sa voix. Pourtant, je venais tout juste de le frapper et de le griffer. Il aurait dû être furieux.

- Hermione.

Mon souffle se bloqua. Entendre cette voix grave prononcer mon prénom avait quelque chose d'incongru et d'apaisant à la fois.

Des doigts se glissèrent entre mes bras, se posèrent sous son menton, m'obligèrent à tourner la tête. Au prix d'un effort de volonté considérable, j'ouvris les yeux. Le décor vacilla autour de moi, puis se fixa peu à peu jusqu'à ce que je puisse soutenir ce regard incisif qui m'avait toujours captivée. J'eus soudain l'impression d'être aspirée des semaines en arrière et de me tenir à nouveau devant l'homme qui avait retiré des brindilles et des feuilles mortes de mes cheveux, dans la Forêt Interdite. Des larmes traîtresses roulèrent sur mes joues et vinrent s'échouer sur les longs doigts qui me soutenaient le visage.

- Vous n'avez pas à vous protéger de moi, dit Rogue. Personne ne vous fera du mal ici.

Il me lâcha le menton et laissa retomber sa main. Ses paroles mirent un temps infini à se frayer un chemin jusqu'à mon cerveau. Je déglutis avec difficulté.

- Alors pourquoi m'avez-vous amenée ici ? bredouillai-je.

Pendant une seconde, je sentis qu'il pesait le pour et le contre.

- Parce que vous vous êtes perdue en transplanant et que vous étiez en mauvaise posture.

Je fixai les yeux noirs sans comprendre.

- Comment pouvez-vous le savoir ?

Un autre silence indécis.

Cette fois, Rogue détourna la tête et se remit debout.

- Il y a beaucoup de choses que vous devriez savoir, mais vous n'êtes pas en état de les entendre. Nous parlerons demain.

Il disparut de mon champ de vision et le bruit de ses pas s'éloigna dans le corridor. Était-ce ma dernière chance pour essayer de m'enfuir ? À tâtons, je pris appui sur ce qui semblait être un fauteuil, mais renonçai à me mettre debout. Mes jambes ne répondaient plus à mes commandes, tous mes muscles étaient agités de soubresauts, la douleur familière recommençait à me vriller le corps parce que l'heure des analgésiques était passée.

Si Rogue mentait quand il prétendait que je n'avais rien à craindre de lui, j'étais morte.

Un sanglot silencieux me noua la gorge. J'aurais donné dix ans de ma vie pour me trouver encore au Terrier avec les Weasley. Je n'arrivais plus à réfléchir. Je ne savais même pas où je me trouvais.

Très lentement, je tournai la tête de façon à pouvoir scruter la pièce plongée dans la pénombre. Des murs tapissés d'étagères remplies de livres, des fauteuils invitants, un tapis épais... Le salon se prolongeait dans une petite verrière donnant une vue panoramique sur le ciel étoilé, le terrain qui se terminait en une falaise irrégulière et l'océan qui se mouvait dans la lueur bleutée de la lune. En d'autres circonstances, j'aurais identifié cet endroit comme le nirvana.

Un bruit de pas annonça le retour de Rogue, suivit d'un claquement de doigts. Un éclairage tamisé éclaira soudain le salon, me forçant à ciller. Sous le regard perçant de Rogue, je m'essuyai les yeux et tirai le tissu de ma robe pour couvrir mes cuisses le mieux possible. Cet accoutrement avait beau paraître normal à Cape Town, il me faisait sentir vulnérable et exposée ici.

- Est-ce que quelqu'un attend votre arrivée quelque part en ce moment ?

La question me prit au dépourvu. Personne ne m'attendait nulle part, et c'était sans doute ce qui expliquait comment j'avais pu me retrouver dans un bled perdu en compagnie d'un mangemort et du clone d'un homme décédé. Je baissai les yeux au sol, me sentant tout d'un coup affreusement seule. D'autres larmes menacèrent de déborder de mes paupières.

- Je vais prendre votre silence pour un non, dit Rogue.

Il approcha d'un pas lent et me présenta sous le nez un gobelet de verre contenant un liquide mauve.

- Que… Qu'est-ce que c'est ?

- Vous pouvez sûrement reconnaître une potion de sommeil, répondit-il d'un ton neutre. Il n'existe aucun contre-sort au maléfice de tangage. Les désagréments peuvent durer plusieurs heures, dépendamment de la puissance du sorcier qui le lance. Et votre adversaire, bien qu'en état d'ébriété avancée, m'a semblé coriace.

Une vague de nausée s'empara de moi à l'idée d'être étourdie pendant le reste de la nuit.

- Je ne devrais pas boire ça, murmurai-je, plus pour moi-même que pour Rogue.

- Je vous le recommande, sans quoi les prochaines heures risquent d'être interminables. Ce serait un acte de bravoure totalement inutile.

Comme je demeurais immobile, Rogue s'agenouilla à nouveau, me prit la main et y déposa le gobelet.

En proie à des sentiments confus, je fermai les yeux pour me soustraire à ceux de Rogue. Je sentis plus que je ne vis ses longs doigts serrer brièvement les miens autour du gobelet, leur communiquant une chaleur apaisante, avant de se retirer.

- Qu'est-ce que vous allez faire ? demandai-je d'une voix tremblante.

- Je vous demande pardon ?

- Qu'est-ce que vous allez faire si je bois la potion ?

La réponse se fit attendre. Je rouvris les yeux, avec la nette impression que Rogue ne savait encore une fois pas quoi répondre. C'était le monde à l'envers.

- Je ferai la même chose que la plupart des gens à trois heures du matin, dit-il enfin.

Dormir.

Bien sûr.

Pour la première fois cette nuit, je remarquai son regard vitreux, ses traits tirés, son teint terne. Je l'avais suffisamment côtoyé au temps de Poudlard pour savoir détecter quand il était fatigué et sous pression. Deux marques rouges s'étaient imprimées sur sa joue et sur sa tempe, là où mes poings l'avaient atteint. Je me mordis la lèvre. Il ne semblait même pas m'en vouloir. Depuis quand Severus Rogue se laissait-il frapper sans broncher ?

J'aurais voulu lui poser des questions, mais les mots ne me venaient pas, les pensées ne faisaient que se bousculer en désordre dans ma tête, ce qui me donnait le tournis plus que jamais.

- Serez-vous encore là demain ? demandai-je encore.

Sa voix était calme et rassurante quand il répondit.

- Oui. Je serai là.

J'arrachai mes yeux des siens, terriblement consciente de ma vulnérabilité. Ses paroles et son regard avaient le pouvoir de réduire mes peurs à néant, de me convaincre de n'importe quoi. Ce n'était pas pour rien que Severus Rogue était considéré comme un espion redoutable : il était un maître de la manipulation. Devant lui, je n'étais qu'une vulgaire marionnette.

Et s'il te voulait du bien ?

Et s'il voulait te protéger ?

Comme pour appuyer cette intuition, Rogue détacha sa lourde cape et la déposa sur mes jambes nues. Alors je sus que c'était perdu d'avance. Que la raison ne gagnerait pas la partie cette nuit. Mes pensées s'évanouirent l'une après l'autre, laissant mon cerveau étrangement engourdi, comme si ses rouages se coinçaient dans la ouate.

Je levai lentement le gobelet, comme mue par une volonté extérieure à la mienne, et le humai. Une forte odeur de lavande m'envahit les narines. Mes paupières s'alourdirent. D'un mouvement approximatif, j'approchai le verre de mes lèvres, mais me sentis vaciller avant même que le liquide ne me mouille la langue. Une grande main chaude me retira le gobelet, une autre vint soutenir ma nuque.

Puis ce fut le néant.

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oOoOoOo

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Severus déposa la tête d'Hermione contre le fauteuil et la contempla, guettant le moindre frémissement de ses paupières closes, le moindre froncement de sourcils. Mais son visage blafard se détendit, ses lèvres entrouvertes exhalèrent un faible soupir puis laissèrent entendre le souffle caractéristique du sommeil. Elle dormait à poings fermés.

Alors Severus, perdant sa superbe, laissa à son tour échapper un soupir. Ses épaules s'affaissèrent dans une posture bien peu roguienne. Il était lessivé. Cette nuit de Noël était à la fois la plus affreuse et la plus étrange de toute sa vie.

Il frotta ses yeux fatigués.

Les retrouvailles auraient-elles seulement pu se dérouler plus mal ? Sans doute pas. Ça avait été un désastre. Il n'était pas du tout préparé à devoir kidnapper Hermione cette nuit ni à la garder avec lui à Talamhcríochnaigh. Qui plus est, il était supposé la convaincre de son innocence alors qu'il venait d'assassiner une vieille femme célébrant le Réveillon. Quelle ironie. Quand Hermione avait affiché une expression d'effroi, il n'avait pas pu s'empêcher de céder à ses réflexes de pseudo-mangemort et de jouer la carte de la méchanceté.

Oh, il se doutait bien que les choses se seraient déroulées ainsi, mais ça le heurtait quand même de voir Hermione poser sur lui un regard horrifié, surtout après tous les efforts qu'il avait mis à veiller sur elle.

Donne-lui une chance.

Elle aura besoin de temps.

Il effleura distraitement son visage, là où les coups l'avaient atteint. Difficile de croire qu'une jeune femme si menue pouvait avoir tant de nerfs. Bien sûr, elle avait eu raison d'essayer de se défendre contre lui, il ne lui en voulait pas outre mesure, mais il y avait néanmoins quelque chose de profondément dérangeant dans le fait de recevoir les coups de cette personne, parmi toutes les autres.

Ce n'est pas de ta faute.

Tu as fait de ton mieux.

Tu n'es pas dans ton état normal et elle non plus. Elle se relève tout juste d'une agression horrible, il y a de quoi être terrorisée lorsqu'elle se retrouve à nouveau devant un homme réputé pour être un mangemort.

N'empêche.

C'était bizarre de penser à quel point il était devenu proche d'elle depuis quelques semaines, mais que cette familiarité n'était pas réciproque. Dans ces circonstances, pas étonnant qu'il se sente si malhabile à interagir avec une Hermione… consciente. Désormais, il n'était à son aise que lorsqu'elle était endormie.

Comme elle était loin, l'époque révolue de Poudlard…

D'un claquement de doigts, Severus fit disparaître le gobelet encore rempli de liquide lilas. Il n'avait jamais vu quelqu'un sombrer aussi rapidement en respirant les effluves d'une potion de sommeil. Hermione devait être bonne à ramasser à la petite cuillère.

Il ne put s'empêcher de la détailler, non sans un certain sentiment de culpabilité et d'impudeur. Un maquillage discret agrémentait ses paupières. Sa robe vert bouteille – outrageusement trop légère pour l'hiver anglais – contrastait avec les reflets dorés de ses cheveux, emprisonnés de leur habituel chignon. Les clavicules saillaient légèrement sous la peau claire. Sous le corsage de la robe, la poitrine ronde mais menue se soulevait et s'abaissait à un rythme régulier. Les mains inertes étaient délicates. Elle avait toujours été comme ça, particulièrement frêle, elle devait peser 45 kilos toute mouillée. En fait, elle paraissait… parfaitement elle-même, seulement pâle et fatiguée, ce qui n'avait rien d'étonnant pour quelqu'un qui venait de se prendre un maléfice de tangage à deux heures du matin.

Inconsciemment, Severus s'était attendu à voir sur elle des signes physiques de l'agression, mais non. Tout portait à croire que la jeune femme qui dormait sur le tapis de son salon était exactement la même qui avait occupé si souvent son laboratoire. Or, il savait très bien que ce n'était pas le cas.

Louche.

Severus approcha ses doigts à quelques millimètres du front d'Hermione, assez près pour en percevoir la chaleur. Il sentit le champ magique indiquant la présence d'un sortilège actif, qu'il détecta comme un charme de désillusion.

Encore.

Cette fois, il n'était pas difficile de deviner à quoi il pouvait servir, et ce n'était pas à se déguiser en un grand mannequin blond.

Severus retira sa main et contempla encore Hermione longuement. Sans doute ne voulait-elle pas que ses proches s'inquiètent. Il pouvait très bien comprendre. Quand on avait subi une humiliation cuisante, sauver les apparences était souvent tout ce qui restait pour récupérer un tant soit peu de dignité. Mais son état était-il donc si grave pour qu'elle ressente le besoin de se désillusionner ?

Demain, il devrait lui tirer les vers du nez, et Merlin savait que ce ne serait pas facile. Après avoir été pour elle un mangemort et un assassin pendant des semaines, il devrait user de doigté pour l'amener à se confier à lui.

Comment réagirait-elle quand elle apprendrait qu'il l'avait rescapée du cachot de MacNair, qu'il avait lui aussi violé sa pudeur, d'une certaine manière ? Il devrait improviser. D'ici là, il n'avait qu'une envie : dormir comme une bûche durant le peu d'heures qui le séparait du lever du soleil.

Severus hésita.

Devait-il laisser Hermione sur un canapé ?

Le salon était froid, et elle se réveillerait à coup sûr avec un torticolis au petit matin.

Mais serait-elle mal à l'aise de savoir qu'il l'avait transportée à une chambre ?

Oh, bon sang, il était aussi celui qui l'avait examinée nue sous toutes ses coutures. Une gaffe de plus ou de moins…

Chassant ses doutes, il déplaça un pan de sa cape de façon à couvrir le coin de mollet qui attirait machinalement son regard d'homme. Elle était tellement pâle, à croire que le soleil de Cape Town n'avait pas de prise sur sa peau laiteuse. Il glissa un bras autour de ses épaules, un autre sous ses genoux, l'arracha du sol et marcha vers l'escalier, sans trop savoir pourquoi, alors qu'il aurait pu directement transplaner à l'étage.

Il arriva le souffle court à la chambre, déposa Hermione sur le lit et récupéra sa propre cape avec précaution, de peur que la robe légère ne se soit déplacée durant le processus. Il entreprit ensuite de retirer l'autre cape d'homme dont Hermione était affublée. D'où sortait ce vêtement, d'ailleurs ? Sûrement une délicate attention de Zabini, son présumé petit-ami qui n'était pas foutu de l'accompagner lorsqu'elle se déplaçait au beau milieu de la nuit. Avec une baguette de dépannage, qui plus est. Comment un élève si brillant pouvait-il avoir si peu de jugeote ? C'était navrant.

Lorsque Severus enleva les sandales qu'Hermione avaient aux pieds – des sandales de plage, une autre idée farfelue, mais où cet imbécile de Zabini avait-il donc la tête ? – un objet miniaturisé tomba sur le tapis.

Severus se pencha pour le ramasser, lui redonna sa taille normale et l'examina à la lueur de la lune. Il s'agissait d'un flacon de médicaments.

Ibuprofène.

90 capsules.

Il fronça les sourcils en secouant le flacon pour en estimer le contenu. Sans doute ne restait-il pas plus d'une dizaine de capsules au fond.

Mauvais.

Très mauvais.

La discussion de demain serait urgente.

Il déposa le flacon sur la table de chevet et acheva d'enterrer Hermione sous plusieurs épaisseurs de couvertures, avec une sensation désagréable de déjà-vu.

Cette fois, cependant, il serait présent à son réveil. Cette fois, il ne l'abandonnerait pas à un Albus déguisé, il ne la laisserait pas se débrouiller toute seule avec quelques billets en poche.

Et tant pis si elle était à nouveau terrorisée, tant pis si elle essayait encore de le frapper dans un moment de panique.

Cette fois, il ne se défilerait pas.

.

oOoOoOo

.

Dans la Forêt Interdite, la clairière des plaintes argentées transperçaient l'obscurité. On y voyait comme en plein jour. Les branches des arbres formaient un dôme opaque au-dessus du tapis de fleurs.

- Les morts ne sont jamais bien loin.

- Mais de quoi parlez-vous, professeur ?

- C'est un mot de passe, Miss Granger.

La lueur des plaintes argentées découpaient son nez aquilin et sa mâchoire anguleuse dans un clair-obscur fantomatique, faisaient briller ses prunelles d'onyx comme des joyaux.

Rogue. Rogue n'avait tué personne. Il était innocent.

À la lueur du feu mourant dans la cheminée, elle tournait fébrilement les pages du livre de botanique que Neville avait oublié sur un fauteuil.

Son regard marron refléta l'incompréhension la plus totale lorsqu'elle trouva la définition qu'elle cherchait.

« À ce jour, la seule utilité connue de la plainte argentée est de servir à la fabrication du philtre Remue-mort, qui a le pouvoir de redonner temporairement vie à un cadavre. »

Dumbledore était vivant. Vivant ! Comment était-ce possible ? Oh, mon Dieu, si seulement Harry, Ron, Blaise et tous les autres savaient ça…

- Vous avez pris les plaintes argentées !

- Quelle perspicacité.

- Je sais quelle potion vous avez préparée.

- Vraiment ? Et savez-vous aussi à quoi elle a pu me servir ?

Rogue n'était pas un assassin. Il n'avait pas changé de camp. Il disait vrai. Il ne me ferait aucun mal.

- Aucune potion n'a le pouvoir de redonner la vie aux morts, Miss Granger.

- Si ! Le philtre Remue-mort le peut !

- Non. Seulement temporairement. Personne ne peut échapper à la mort.

Si Dumbledore était vivant, qu'est-ce qu'on ferait de sa tombe, dans le parc de Poudlard ? Il faudrait retirer la pierre, ou du moins effacer la date de décès, c'était le minimum.

Je vais te faire regretter de t'être mesurée à moi, Granger.

Non.

Non.

Déjà fatiguée, Granger ? Ça ne fait que commencer.

Non.

NON !

- N-n…

J'essayai de porter les mains à mon visage pour me protéger, mais je dus lutter contre des couvertures épaisses, si bien que j'achevai de me réveiller avant même d'avoir réussi à extirper les bras de mon cocon. Le cœur me martelant la poitrine, je poussai un profond soupir, à la fois soulagée et découragée par les cauchemars qui hantaient invariablement mes nuits. Je repoussai de peine et de misère les lourdes couvertures dans lesquelles j'étais aussi bien enrobée que Toutânkhamon lui-même.

Depuis quand on avait besoin de toutes ces couvertures à Cape Town ?

C'est parce que tu n'es pas à Cape Town.

J'ouvris les yeux et regardai si brusquement autour de moi que je faillis me faire un torticolis.

La chambre claire, les longs rideaux translucides, le bruit de la mer. Le cottage dans son bled perdu. Un seul coup d'œil suffit pour que je reconnaisse le lieu où je m'étais réveillée au lendemain de l'agression et pour que les événements de la nuit dernière me reviennent en mémoire.

La voix lançant mon prénom dans la noirceur de la ruelle.

Le transplanage.

Le barbu joufflu.

Dumbledore.

Rogue.

Je me laissai retomber sur l'oreiller et refermai les yeux.

Oh, Merlin.

Ne me dites pas que tout ça est vraiment arrivé…

Je n'avais pas envie de tenter de démêler le vrai du faux dans cette histoire de fous. J'étais fatiguée, j'étais affamée, tout mon corps me faisait mal, le lit était désespérément confortable… J'aurais voulu me rendormir pour cent ans au moins. Mais mon cerveau se remit sur les rails, malgré moi.

Rogue est innocent.

Dumbledore est vivant. Je ne suis pas cinglée, je l'ai bel et bien vu cette nuit. C'est juste que j'étais trop patraque pour gober une nouvelle aussi monumentale à ce moment.

Rogue a dit que personne ne me ferait du mal. S'il avait menti, je ne serais pas en train de lézarder dans le lit le plus douillet de toute l'histoire de l'humanité.

Mais comment Dumbledore peut bien être vivant ?

Comment plusieurs personnes peuvent l'avoir vu mourir ?

Toutes ces questions ne me laisseraient pas de répit tant que je ne leur trouverais pas des réponses logiques. Alors je poussai un nouveau soupir, rouvris les yeux et m'assis sur le matelas moelleux. Mes muscles semblaient avoir pris feu. Je tâtai fébrilement ma robe froissée à la recherche des analgésiques. Où étaient passés ces foutus médicaments ? J'examinai la chambre. Mes sandales avaient été placées au pied du lit, la cape de Harry pliée sur le fauteuil, une baguette de dépannage (qui n'était pas la mienne) déposée sur la commode.

Le soulagement m'envahit lorsque je repérai mon précieux flacon de médicaments à côté de la baguette. Était-il tombé de ma poche ? Comment avait-il retrouvé sa taille normale ? J'étirai le bras en grimaçant de douleur, m'emparai du pot et en sortit quelques cachets. J'avisai le grand verre d'eau qu'on avait laissé sur la commode. Serait-ce prudent d'en boire ? Sans doute pas…

J'essayai d'avaler les cachets, mais j'avais la bouche tellement pâteuse que je déclarai forfait et pris le verre pour y plonger les lèvres avec satisfaction. Ma gorge était si sèche que la première lampée d'eau fraîche me fit mal. Je calai tout le verre, puis me frottai les yeux, essayant de mettre de l'ordre dans mes idées

La nuit de Noël avait été épouvantablement éprouvante. Pouvais-je avoir confiance en Rogue ? Je l'avais frappé et il n'avait pas bronché. Il m'avait recouverte de sa cape. Il m'avait donné une potion de sommeil pour que je ne souffre pas des désagréments du maléfice de tangage.

Mais comment savait-il que je m'étais perdue en transplanant ?

Et pourquoi débarquais-je dans ce cottage perdu pour la deuxième fois ?

Au fur et à mesure que les mystères s'empilaient dans ma tête, un sentiment d'oppression monta en moi. Ce n'était sûrement pas un hasard si je me retrouvais ici à nouveau. Tout était lié. Tous les indices étaient là. La cuisine ensanglantée, le barbu roux qui se prétendait moldu. Ma fuite inexplicable du donjon de MacNair. Le bouton de manchette de Rogue dans mes cheveux. Toute trace de blessure disparue de mon corps.

Était-ce possible que…

Oh, Merlin.

Il n'y avait pas mille possibilités. Seulement… La conclusion me faisait trop peur pour que j'ose la formuler. Je tâtai nerveusement le bouton noir accroché à sa chaîne, sous le tissu léger de ma robe.

Était-ce Rogue ou Dumbledore qui m'avait…

Ma pauvre, c'est l'évidence même.

Qu'as-tu fait de ton cerveau ?

Mon cerveau, MacNair en avait fait une passoire, justement.

Je me mordis les lèvres. Un seul homme entre Rogue et Dumbledore pouvait avoir eu vent de ma capture et être en mesure de me sauver à même le donjon d'un mangemort. Un seul. Et ce n'était sûrement pas le fondateur de l'Ordre du Phénix, à plus forte raison s'il était supposé être mort.

Oh non.

Non, non, non.

J'enfouis mon visage entre mes mains, soudain prise de nausée. Pourquoi lui ? Pourquoi fallait-il que ce soit lui ?

Pourquoi pas ?

L'image de Rogue flotta quelques secondes dans mon esprit. Quelle prestance il avait, quelle fierté il affichait. Ce maintien altier. Cette voix grave qui usait et abusait de son pouvoir de persuasion. Ces yeux noirs qui vous mettaient au défi de leur dissimuler quelque secret que ce soit.

Je ne voulais pas qu'il sache, lui moins que n'importe qui d'autre. Je ne voulais pas qu'il connaisse quels stigmates invisibles mon corps portait.

Trop tard.

Vraisemblablement, il sait déjà tout.

Oh, Merlin, m'avait-il vraiment vue nue, mutilée, humiliée ? C'était affreux. Je n'oserais plus jamais soutenir son regard en sachant quel souvenir il avait de moi. J'en crèverais de honte. Je ne voulais plus jamais le voir.

Ça tombe mal, vous êtes justement supposés discuter ensemble ce matin.

Eh bien, ce matin serait la dernière fois de ma vie que je verrais Severus Rogue.

Agitée de tremblements qui n'étaient pas seulement dus à la faim et à la douleur, je m'extirpai brusquement du lit. Dès que je posai les pieds sur le tapis moelleux, un vertige m'assaillit. J'essayai de garder mon équilibre en me retenant à la commode, mais ce fut une erreur. La seconde d'après, le calme immuable du cottage était troublé par le vacarme d'un meuble renversé, d'un verre volant en éclats et d'une personne s'écroulant comme un poids mort.

Oh, merde.

Hébété, je contemplai le désastre. Quand des pas vifs firent craquer le parquet de bois, dans le couloir, je n'eus même pas la présence d'esprit de me lever et d'essayer de me donner contenance.

Sans avertissement, la porte de la chambre s'ouvrit en grand, laissant apparaître un Severus Rogue qui s'arrêta net en m'apercevant étalée sur le plancher. Un sourcil haussé, il regarda tour à tour la commode, les éclats de verre et moi, puis son visage se détendit, comme si rien n'était plus normal que de me voir briser du mobilier en tombant du lit.

- Reparo.

La chambre fut remise en ordre en un clin d'œil. Seule anomalie au tableau : moi, étendue à terre, figée comme une pierre.

Rogue s'approcha d'un pas lent. Je me sentis furieusement déplacée avec ma robe courte et froissée, ma tignasse en bataille et mes yeux bouffis. Si ça se trouvait, j'avais aussi une marque d'oreiller dans le front.

- Vous êtes-vous coupée ?

J'essayai de répondre, mais aucun son ne sortit de ma gorge. Les yeux noirs de Rogue s'attardèrent sur mes jambes et mes bras à découvert.

- Êtes-vous en mesure de vous lever ?

- Oui, réussis-je enfin à croasser.

Mais je ne bougeai pas d'un poil.

Alors Rogue me tendit une main, que je regardai, la bouche entrouverte, comme si c'était la première que je voyais de ma vie.

Vas-y.

Prends-la.

Je déposai une main tremblante dans sa paume. Rogue referma les doigts autour des miens et tira sur mon bras, mais je le laissai faire, toute molle et sans force, rendant la manœuvre totalement inefficace.

Ma pauvre, tu es devenue une véritable loque.

Les coins des lèvres de Rogue frémirent comme s'il retenait un sourire ironique, mais son regard n'avait rien de moqueur quand il posa un genou à terre pour être à ma hauteur. J'avalai une bouffée de son odeur de sapin et de terre humide.

- Permettez…

Avant que j'aie pu deviner ses intentions, il glissa les mains sous mes aisselles et me souleva. Pendant quelques secondes, le sang battit à mes tempes et mon champ de vision se cerna de noir. Je vacillai et m'agrippai instinctivement à ses bras. Ma vue se réajusta lentement et le visage de Rogue réapparut plus clairement.

De tout près, ses prunelles d'onyx commandaient toute l'attention. La longueur des cheveux et la barbe étaient reléguées au second plan, de telle sorte que je n'eus pas l'impression de me trouver devant un étranger comme lors de notre tête-à-tête houleux. Il ne semblait plus tendu et fatigué, mais sa tempe portait encore une marque rouge que j'attribuai à mes coups. La culpabilité me noua l'estomac.

L'avais-je vraiment frappé en plein visage ?

Si fort ?

Rogue haussa à nouveau un sourcil interrogateur qui me rappela à l'instant présent. Je pris conscience que je me cramponnais encore à lui comme si j'allais m'écrouler. Je le lâchai aussitôt. Il en fit autant et recula à une distance plus naturelle.

- Il serait plus prudent de vous asseoir, dit-il en désignant le fauteuil d'un geste de la main.

Je m'y laissai choir, les jambes en guimauve.

- Je vais vous faire monter quelque chose à manger. Vous pourrez descendre au rez-de-chaussée quand vous vous sentirez mieux.

Il allait se détourner, mais s'arrêta lorsque j'ouvris la bouche pour parler.

Qu'est-ce que je devais dire à un homme que j'avais frappé ? Un homme dont j'avais gardé la cape en secret pour m'y emmitoufler lorsque la nostalgie me prenait ? Un homme qui m'avait, selon toute vraisemblance, épargné une mort atroce ?

Mes pensées s'entrechoquaient, me laissant désespérément muette.

Rogue inclina la tête, comme s'il avait perçu ma détresse silencieuse.

- Nous parlerons lorsque vous serez sur pied.

Il quitta la chambre.

Je contemplai la porte close, qui devint floue lorsque des larmes brûlantes m'emplirent les yeux. J'étouffai un sanglot dans mes mains, sans trop comprendre le pourquoi de mon chagrin. Je n'arrivais plus à démêler les sentiments contradictoires qui m'assaillaient. D'une part, j'avais retrouvé Severus Rogue, mais d'autre part, je venais de me jurer de ne plus jamais croiser son chemin. Peut-être qu'il y avait de quoi être chamboulée.

Un autre sanglot silencieux me tordit la gorge.

Pop !

Une elfe de maison, les bras chargés d'un plateau lourd de victuailles, choisit ce moment très opportun pour apparaître dans la chambre.

Ou comment avoir l'air absolument lamentable en une étape facile.

- Bonjour, Miss. Oh, ça alors, mais qu'est-ce qui arrive à Miss ? Miss ne doit pas pleurer le matin de Noël.

- Hum… Bonjour, articulai-je d'une voix cassée en m'essuyant les yeux.

- Kari a apporté une collation à Miss, dit-elle en déposant sur la commode son cabaret dont le contenu ne pouvait sûrement pas être qualifié de collation.

Fruits, toasts et croissants s'empilaient dans un amoncellement précaire. Je n'avalerais pas le dixième de ce petit-déjeuner gargantuesque.

- Maître Severus a dit que Miss se sentait faible.

- C'est que…

- Oh, par les caleçons de Merlin, Kari n'a jamais vu une chevelure humaine aussi épouvantable que celle de Miss ! La nature n'a pas choyé Miss.

- Euh…

- Miss est plutôt maigre, en plus. Pas étonnant qu'elle soit si fragile.

- Je…

- Comment Miss s'appelle-t-elle ?

- Hermione.

- Miss Hermione a peut-être des cheveux affreux, mais elle a un prénom ravissant.

- Euh… merci ?

- Allons, il faut manger, maintenant. Que Miss Hermione veut-elle ?

J'allais me lever, mais l'elfe se précipita sur moi, les mains dressées.

- Non, non, non ! Maître Severus a dit à Kari que Miss Hermione ne devait pas se lever ! Miss Hermione doit manger avant.

- Oh… fis-je en me laissant retomber dans le fauteuil. Dans ce cas, je prendrais un croissant et une pomme, s'il-te-plaît.

L'elfe haussa les sourcils, l'air d'attendre la suite.

- Ce sera suffisant, Kari.

Elle écarquilla les yeux et agita les oreilles avec atterrement.

- C'est tout ? Nom d'un hippogriffe, Miss doit manger si elle ne veut pas disparaître !

- Je n'ai jamais très faim le matin, mentis-je. Ne t'en fais pas, Kari.

- Bon, d'accord, dit-elle en m'apportant mon petit-déjeuner dans une assiette. Miss Hermione peut manger autre chose si elle change d'idée. Et Miss Hermione peut ensuite aller faire sa toilette si Miss le souhaite, la salle de bain est juste là. Joyeux Noël, Miss Hermione.

Pop !

Ouf.

Je poussai un faible soupir et entrepris de manger le croissant à toutes petites bouchées. Bientôt, mon estomac déglingué me commanda de cesser de le remplir. Je me levai avec précaution, bénissant les analgésiques qui avaient calmé les tiraillements dans mes muscles, et me rendis à la salle de bain attenante à la chambre.

Dans le miroir, mon reflet me renvoya une image pathétique. Mon chignon et mes tresses s'étaient à moitié effondrés durant la nuit et le peu de maquillage que j'avais porté pour le Réveillon avait laissé des sillons verdâtres tout autour de mes yeux.

Oh, bon sang, était-ce vraiment ainsi que Rogue m'avait vue tout à l'heure ?

Mais ce n'était rien en comparaison avec l'état dans lequel il m'avait trouvée une semaine plus tôt. Un état qui incluait beaucoup de sang, autant de saleté et du sperme dans le visage.

Tu n'en peux plus, Granger ?

Tu préfères qu'on en finisse ?

Dommage, Granger, dommage. On s'amusait bien.

À nouveau, les larmes me brûlèrent les yeux. Pourquoi fallait-il que Rogue ait été témoin de ma déconfiture ? C'était tellement humiliant.

Il peut sûrement comprendre.

Je devais le dégoûter, maintenant.

As-tu vu la moindre trace de répulsion dans ses yeux ?

D'un geste brusque, j'ouvris le robinet d'eau froide pour m'asperger le visage. Je fis un brin de toilette, tentai de remettre de l'ordre dans mes cheveux, puis regagnai la chambre pour chausser mes sandales, m'envelopper dans la cape prêtée par Harry et récupérer ma nouvelle baguette de dépannage. L'autre trempait probablement dans une flaque d'eau de la rue inconnue où j'avais transplané par erreur durant la nuit.

Je m'arrêtai devant la porte close de la chambre, en proie à un mélange de fébrilité, de honte et de peur.

Vas-y.

Il t'attend.

Je pris une grande respiration, échouai une dernière tentative de lisser ma robe et sortit dans le couloir.

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oOoOoOo

.

Finite !

Je ne ferai pas de promesse pour la prochaine date de publication, mais je compte bien profiter du fait que je suis en vacances pour écrire le plus possible. Je croise les doigts pour être en mesure de vous adresser mes vœux pour la nouvelle année dans plus ou moins une semaine…

Je vous souhaite un Réveillon moins mouvementé que celui d'Hermione et Severus ! ;)

À bientôt !