Petit cadeau pour les vacances de Pâques !
J'ai cru que je ne verrais jamais la fin de ce chapitre, mais finalement, ça y est.
Pour leurs adorables commentaires, merci exposant 1000 à Nathea, Shukrat, Bergere, Nimyr, Tralapapa, Ccile, Math'L, Philou, Lylajulia, Mrs Elizabeth Darcy31, Robinhood, Fantomette34, Prismiria, Zeugma412, Camille et ceux que j'oublierais.
Cian Endoloris : Hum, désolée pour le délai, je n'ai pas vraiment abandonné ma fic « un ou deux mois de plus », c'est juste que ce chapitre m'a donné un peu de fil à retordre. ;) Je tâcherai de faire plus vite (mouais, je dis ça chaque fois). Et je te rassure : Hermione et Severus ne seront plus séparés dans les prochains chapitres comme ils l'ont été dans les précédents. Merci pour tes encouragements !
Nina : Je comprends quand tu dis préférer généralement le début d'une histoire. Ces moments où les relations commencent à se tisser sous la surface, j'ai adoré les écrire dans cette histoire. D'ailleurs, le projet de réécriture que j'ai en tête porte principalement sur cette partie. J'aimerais que la relation initiale d'Hermione et Severus soit encore plus lourde, tendue, troublante. Si la réécriture se concrétise un jour, j'ai donc bon espoir qu'elle te plaise. :) Cela dit, l'histoire actuelle doit tout de même avancer, et je préfère te prévenir tout de suite qu'elle avance vers une fin heureuse… Je serais incapable d'écrire une histoire qui finisse mal ! Je suis consciente que je perdrai probablement ton intérêt tôt ou tard, mais je comprends très bien car j'ai moi-même de la difficulté à terminer mes lectures, peu importe le talent de l'auteur. Seulement, mon stade de désintérêt survient habituellement plus tard que le tien dans l'histoire. :) Pour ce qui est de ta question par rapport au déguisement d'Hermione lorsqu'elle est à Londres, il est vrai que la différence de taille peut l'avoir rendue maladroite, mais sa préoccupation première était d'adopter le déguisement le plus différent possible de son apparence réelle. (Pour tout dire, je suis moi-même grande, c'est peut-être pour cette raison que je n'ai pas imaginé que quelques centimètres de plus puissent poser problème à Hermione. ;)
Je n'ai pas encore répondu aux derniers commentaires (honte à l'auteure !), mais je le ferai très vite.
Bonne lecture !
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Chapitre 22 – Baguettes et pérégrinations
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Une odeur alléchante de pain grillé et de café montait du rez-de-chaussée lorsque je descendis l'escalier, vêtue d'un short et d'un débardeur, prête à affronter une autre journée de canicule. J'allais poser le pied sur la dernière marche quand, à travers les tintements des ustensiles et les conversations tranquilles de mes hôtes, j'entendis mon prénom.
Je me figeai.
- Qu'est-ce qu'Hermione va faire ? demandait Clara Zabini.
Il y eut un silence, comme si sa question avait provoqué un malaise.
J'hésitai. J'avais le choix entre débarquer dans la cuisine au moment où on parlait de moi ou rester plantée ici et prendre le risque d'être surprise en train d'écouter aux portes. Dur dilemme.
Je restai immobile, ne sachant quoi faire.
- Je ne sais pas trop, répondait finalement Blaise, d'un ton vague qui signifiait que cette conversation ne l'enchantait guère.
- Je ne veux pas qu'elle ait l'impression que nous la mettons à la porte, reprit Clara.
Mon cœur rata un battement.
- … mais nous pouvons difficilement reporter notre départ. Tante Isabelle nous attend dès le premier janvier au Nevada. Et il est hors de question que tu rates les vacances. Tu parleras donc à Hermione, n'est-ce pas ?
Blaise marmonna une réponse inintelligible.
- Retournera-t-elle chez ses parents ?
- Elle ne vit plus avec ses parents, lâcha Blaise.
- Pourquoi ?
- Oh, c'est un peu compliqué.
- Elle a fait une fugue ?
- Maman ! Peux-tu imaginer Hermione faire une fugue ? Elle a 18 ans, pas 13.
- Où vit-elle, dans ce cas ?
- À Londres.
- Est-ce qu'il y a une raison particulière pour que tu l'aies invitée ici ? Elle fait une dépression, c'est ça ?
Je ne voulus pas entendre la suite.
Le visage brûlant d'embarras, je remontai l'escalier sur la pointe des pieds, puis le descendis à nouveau d'un pas lourd, en veillant à faire claquer mes sandales contre mes talons. Si les Zabini ne m'entendaient pas, ils étaient sourds.
J'accrochai un sourire à mes lèvres, traversai le salon et pénétrai dans la cuisine la tête haute, comme si je ne venais pas de surprendre une conversation dont j'étais l'objet.
- Bonjour ! lançai-je, feignant une bonne humeur paisible.
Clara me répondit avec naturel, tandis que Blaise et Owen me saluèrent en rougissant.
- Une tasse de café ? offrit Owen, le regard un peu fuyant.
- Elle n'en prend jamais, mon chéri, objecta sa femme en levant les yeux au ciel.
Je me forçai à rire.
- Je n'ai pas encore saisi comment vous pouvez avoir envie de boire du café par cette température, dis-je.
- Je te comprends, dit Clara avec un clin d'œil. Moi aussi, il m'a fallu pas mal de temps avant de m'habituer à ce climat.
Je m'installai à table, me servis des toasts et m'efforçai de participer aux conversations avec naturel, alors que j'aurais plutôt eu envie de disparaître sous le plancher.
Ainsi, mes hôtes partaient en vacances aux États-Unis. Je devrais quitter Cape Town. D'ailleurs, depuis combien de temps résidais-je ici ? Une semaine ? Davantage ? Mais où avaient filé toutes ces journées ? J'étais en train d'abuser de l'hospitalité des Zabini. Vacances ou pas, la politesse la plus élémentaire exigeait que je mette enfin un terme à mon séjour.
Je tâtai machinalement le bouton de manchette noir suspendu sous mon débardeur.
Au fond… peut-être que les vacances des Zabini au Nevada tombaient à point.
Un visage aux traits anguleux et aux yeux sombres et vifs flotta quelques secondes dans mon esprit. Je m'efforçai de le chasser et d'écouter les plaisanteries d'Owen au sujet de ses étudiants.
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Severus se frotta les mains pour en chasser des miettes de chicorée sauvage, puis examina d'un œil attentif les cinq chaudrons qui mijotaient à feu doux. Tout était sous contrôle. Dans une heure, la cuisson serait terminée et les mixtures, prêtes à être embouteillées. D'ici là, il avait amplement le temps de prendre son petit déjeuner en lisant la Gazette du jour.
Il quitta le laboratoire et entra dans le salon en plissant les yeux. Les matins d'hiver, le soleil se réfléchissait sur les parois de la verrière, projetant dans le cottage une lumière éblouissante.
Severus observa machinalement la pièce. La théière et les tasses laissées sur la table basse avaient maintenant disparu, mais la grosse couverture de laine abandonnée sur le fauteuil près de la cheminée trahissait encore le passage de son invitée de la veille.
Pendant une seconde, Severus faillit céder à la tentation idiote de consulter l'emplacement d'Hermione à l'aide de la carte de filature, mais il repoussa cette idée avec agacement. À quoi bon ? Il était hautement improbable qu'Hermione se trouve ailleurs qu'à Cape Town, de si bon matin après la soirée mouvementée de Noël. Bon sang, il l'avait littéralement kidnappée, pour la deuxième fois en 24 heures. Sans compter qu'il avait presque assisté à un strip-tease involontaire de sa part et qu'il l'avait effrayée en l'attendant dans la noirceur de sa chambre.
Il ne pouvait pas nier que le Serpentard en lui était satisfait de sa petite mise en scène, mais le but de son escapade à Cape Town n'était pas d'impressionner Hermione avec son savoir-faire d'espion. Ni de lui donner matière à faire des cauchemars – elle en avait sans doute déjà suffisamment comme ça. À présent, il regrettait de s'être manifesté à elle de cette manière.
Severus prit machinalement la couverture pour la replier, ses pensées tournées vers la brunette frêle et fatiguée qui s'y était enveloppée hier.
Aurait-il mieux fait de la confronter, plutôt que de céder à son désir manifeste de silence et de pudeur ?
Non.
Severus voulait faire les choses bien. Il voulait mériter la confiance d'Hermione, pas la lui soutirer.
N'empêche que sa situation était on ne peut plus inquiétante – et entre les potions et les machinations des mangemorts, on aurait dit qu'il n'avait plus que ça à faire, s'inquiéter pour Hermione Granger. Il lui avait un peu forcé la main pour qu'elle accepte d'aller se procurer une nouvelle baguette en sa compagnie, ce serait toujours un détail de réglé, mais ce n'était pas suffisant. Elle était isolée, désorganisée, tendue à bloc. Et il avait senti qu'elle portait encore le sort de Désillusion – il se demandait bien pourquoi !
Que pouvait-il faire? Voudrait-elle de son aide? Elle l'avait connu pendant des années comme le professeur le plus imbuvable de Poudlard.
Des flammes vertes apparurent soudain dans la cheminée vide, faisant légèrement sursauter Severus.
Merde.
Le moment était plutôt mal choisi.
Severus fit disparaître la couverture d'un claquement de doigt, s'approcha vivement de la bibliothèque où s'entassaient des centaines de livres en rangs serrés et se posta devant le lourd vase de faïence noire niché à travers les bouquins de botanique. Il ferma les yeux, porta sa baguette à sa tempe et s'appliqua à remplir le vase de tout souvenir mettant en scène lui et la brunette fatiguée le soir de Noël.
Au moment où il faisait volte-face, un visage parcheminé et encadré de longs cheveux argentés apparut à travers les flammes de la cheminée.
Severus le salua d'un signe de tête.
- Severus, dit Dumbledore. Pardonnez mon intrusion à une heure si hâtive. Je voulais simplement m'assurer que vous n'avez pas eu d'ennuis avec Hermione Granger.
Bien sûr. Severus aurait dû se douter que ce vieux fou ne lâcherait pas le morceau de sitôt. Tant pis, il faudrait improviser.
- Tout est réglé, répondit-il. Seulement, les choses ont été plus compliquées que ce que je prévoyais.
Dumbledore fronça imperceptiblement les sourcils.
- Que s'est-il donc passé ?
- Quelques désagréments, sans plus. La maison des Zabini portait une barrière anti-transplanage.
Mensonge no. 1 : livré.
- Surprenant, commenta Dumbledore.
- Pas tant que ça. Les Zabini vivent dans un quartier cossu qui doit attirer la convoitise des cambrioleurs.
- Hmm.
Mensonge no. 1 : réussi.
- J'ai donc dû forcer la porte d'entrée. Les Zabini et Hermione Granger étaient dans le salon. Je n'ai pas eu le choix de les stupéfixer et de modifier leur mémoire à tous.
Mensonge no. 2 : livré.
- Hmm, répéta Dumbledore, cette fois songeusement. Un sort d'amnésie laisse des traces.
Mensonge no. 2 : réussi.
- Certes, mais les Zabini n'ont aucune raison de soupçonner d'avoir été ensorcelés hier soir. Ce ne sont que des médicomages, Albus, pas des chasseurs de mages noirs. De surcroît, il aurait été plus long et délicat d'essayer d'atteindre Hermione Granger seule dans la maison. J'ai préféré ne pas laisser l'intervention s'éterniser.
Mensonge no. 3 : livré.
- Vous avez raison, Severus. Je suis soulagé que tout soit réglé. Je savais que je pouvais compter sur vous.
Mensonge no. 3 : réussi.
Affaire classée.
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Pour une rare fois depuis mon arrivée à Cape Town, le temps était couvert. De grandes bourrasques venues du large froissaient l'eau et secouaient les couronnes de Noël accrochées aux portes des maisons.
- Il va y avoir de l'orage cet après-midi, prédit Blaise en regardant le ciel gris qui contrastait avec la mer turquoise.
Des vagues plus revêches qu'à l'habitude nous frappaient les chevilles. Sans le soleil de plomb, le sable était agréablement tiède sous nos pieds nus.
- C'est la température parfaite, commentai-je.
Nous nous tenions plutôt silencieux depuis le début de notre promenade. De toute évidence, Blaise était préoccupé par la mission confiée par sa mère – celle de m'annoncer leurs vacances imminentes aux États-Unis – et il ne savait pas comment aborder le sujet.
Sur un coup de tête, je décidai de voler à son secours.
- Est-ce que je t'ai raconté que Ron m'a invitée à passer quelques jours chez lui ? lançai-je d'un ton dégagé.
- Ah oui ? s'étonna-t-il avec le plus vif intérêt.
Ce n'était qu'un demi-mensonge. Seulement, l'invitation de Ron datait du jour de la fermeture de Poudlard, et non du Réveillon de Noël.
- Oui, répondis-je. Je lui ai dit que j'arriverais dans deux jours. C'est-à-dire demain.
Mon cœur s'accéléra lorsque je prononçai ces mots.
Deux jours, Hermione ?
Deux jours.
Je déglutis et poursuivis.
- Je vais donc repartir en Angleterre demain midi.
En fait, je n'avais pas encore réfléchi à une stratégie pour fausser compagnie aux Zabini le jour convenu avec Rogue, mais les choses semblaient se placer d'elles-mêmes.
- Ça alors, fit Blaise, dont le soulagement était palpable. Justement, mes parents et moi, on part en vacances dans l'Ouest américain avec ma tante et mes cousins. On quitte Cape Town le premier de l'An.
- C'est super. Es-tu déjà allé là-bas ?
- Non, ce sera la première fois. On restera trois semaines. Je passerai même mes ASPIC sur place, tu imagines ? Le Ministère permet de faire les examens par correspondance n'importe où dans le monde. Si tout se déroule comme prévu, je pourrai être admis à l'Université de Cape Town dès mon retour.
Je lui souris en essayant de masquer la pointe de désarroi qui s'était emparée de moi. Qu'est-ce que j'allais devenir, loin de Blaise et de Cape Town ?
Ce n'est pas le moment de penser à ça.
De loin, un surfeur envoya la main dans notre direction. Je plissai les yeux pour distinguer ses cheveux noirs rejetés en arrière, son grand corps mince et bronzé. Blaise répondit à son salut, le sourire soudain très joyeux.
Je laissai fuser un petit rire.
- Beau spécimen, lâchai-je.
Pour toute réponse, le sourire de Blaise s'élargit de plus belle.
- Comment il s'appelle ? demandai-je.
- David.
- Tu l'as rencontré ici ?
- Oui. Il essayait de faire du surf. Très maladroitement, je dois dire. J'ai essayé de lui donner un petit cours, mais il n'est vraiment pas doué. Au moins, il persévère.
- J'espère qu'il est intelligent.
- Oh si. Mais pas autant que toi. Il étudie en génie mécanique.
- C'est un moldu ?
- Oui.
- Est-ce qu'il sait que tu es sorcier ?
- Je ne le lui ai pas dit clairement, mais s'il est un tant soit peu futé, il s'en doute. Ici, en Afrique du Sud, le Ministère de la Magie n'est pas aussi restrictif qu'en Grande-Bretagne sur le secret vis-à-vis des moldus. On cohabite de façon trop étroite pour se cacher complètement. L'Université sorcière de Cape Town a ses locaux à même l'université moldue, tu imagines ? J'ai raconté à David que je me préparais pour l'examen d'admission en médecine bio-quantique, mais il a bien dû se rendre compte que ce programme n'existe pas. En plus, il n'y a aucune admission en janvier dans le programme de médecine moldue.
- Avez-vous le droit de faire de la magie devant les moldus ?
- En principe, non. Si ça arrive, on reçoit un avertissement du Ministère, mais il faut pas mal d'avertissements avant d'avoir une véritable sanction. Ce qui fait que beaucoup de moldus disent avoir déjà vu des sorciers. C'est devenu une espèce de légende urbaine. Certains moldus se prétendent sorciers pour alimenter les rumeurs. Et d'autres moldus qui savent que la magie existe vraiment s'amusent à perpétuer le mythe. C'est sympa. Plus qu'en Grande-Bretagne.
- On s'assoit un peu ? demandai-je d'un ton léger qui ne pouvait pas laisser deviner que tout mon corps commençait à me faire mal.
Mon flacon d'analgésiques était presque vide, c'est pourquoi j'avais décidé de réduire mes doses au minimum. Jusqu'à maintenant, c'était infernal. Mais la douleur finirait bien par passer. N'est-ce pas ?
Nous nous laissâmes choir dans le sable et étendîmes nos jambes pour laisser les vagues nous lécher les pieds.
- Ouch ! fit Blaise en grimaçant.
Je suivis son regard et écarquillai les yeux en apercevant David tomber à plat ventre dans l'eau et manquer de se faire assommer par sa propre planche.
- Celle-là ne passera pas aux annales, commenta Blaise.
- Ça me semble assez risqué comme sport.
- Ça oui.
- Est-ce que tes parents le savent ?
- Pour David ? Non, ce n'est rien de sérieux.
Il traça lentement un cercle dans le sable.
- Mais ils savent depuis longtemps que je préfère les garçons. Je ne m'en suis jamais caché.
- À part à Poudlard, glissai-je.
- C'est vrai. Le monde magique anglais n'est pas très…
Il chercha le mot juste.
- Ouvert à la diversité ? suggérai-je.
- Ouais, c'est ça. Je me voyais mal annoncer que je suis gay dans une école où on se faisait encore étiqueter par la prétendue pureté de son sang.
- C'était un milieu très conservateur.
- Exact. Alors, j'ai toujours préféré jouer les inatteignables que prendre le risque d'alimenter les rumeurs pendant toute ma scolarité.
- On dirait que ça a bien fonctionné. Je n'ai jamais entendu une seule rumeur à ton sujet en six ans et demi.
- Tant mieux, dit Blaise avec un sourire un peu amer. J'aimerais pouvoir te retourner la remarque, mais c'est malheureusement impossible.
- Oh, je sais très bien que tout le monde a toujours raconté n'importe quoi à mon sujet. C'est le prix à payer pour avoir des garçons comme meilleurs amis.
- Harry et Ron.
- Oui. Ginny Weasley a toujours affirmé que je donnais l'impression de fréquenter un des deux et que ça faisait fuir les éventuels soupirants.
- Faut avouer qu'elle a raison. La moitié des Serpentard prétendait que tu sortais avec Harry et Ron à la fois. Preuves à l'appui.
Je roulai des yeux. Même si la fin de Poudlard avait été synonyme de tragédies, je n'étais pas fâchée d'en avoir fini avec cette étape. À 18 ans, je commençais à me lasser des rumeurs et des enfantillages.
- Et maintenant ? demanda Blaise.
- Maintenant quoi ?
- Maintenant que c'en est fini de l'école et des adolescents idiots, as-tu rencontré quelqu'un ?
Pendant une seconde, le souffle me fit défaut. Je dus repousser l'image horriblement précise de yeux bleu de glace qui me contemplaient gémir de douleur. Je repliai mes genoux et les entourai de mes bras pour masquer le frisson qui me secoua.
- J'ai bien peur que non, dis-je.
- Pas de beau Londonien ?
- Eh non.
- Oh, allez, tu as travaillé deux mois dans une librairie et tu n'as croisé aucun amateur de livres potentiellement intéressant ?
- Justement, je travaillais dans cette librairie, Blaise, je n'étais pas là pour draguer les clients.
Je me rendis compte une seconde trop tard que j'avais parlé au passé. Blaise ne sembla pas le remarquer.
- Toujours aussi sérieuse. Aucun collègue de ton âge ?
Stephen Chapman et son sourire racoleur me vinrent immédiatement en tête. Je levai les yeux au ciel.
- Oui, il y en a un et il est exaspérant. Le fils du patron.
- Est-ce qu'il est beau, au moins ?
- Oui, concédai-je. Mais… il ne m'intéresse pas.
- Tu n'as jamais envie de t'amuser, parfois ?
Je méditai un instant en traçant à mon tour des dessins dans le sable.
- Non, dis-je enfin. Je n'aime pas m'amuser.
Ça pouvait paraître bizarre, mais c'était vrai. Je m'étais toujours réfugiée dans des livres sérieux quand les autres se livraient à des activités triviales comme jouer aux cartes ou au Quidditch.
- Tu es spéciale, Hermione Granger. Très spéciale.
J'abandonnai mon dessin de triangle dans le sable et levai les yeux vers Blaise, un sourcil haussé.
- Tu m'encourages, Blaise Zabini. Vraiment.
- Ce n'est pas négatif. C'est juste que tu te démarques du lot. Je parie que tu resteras toute ta vie une éternelle différente, celle qui sera toujours passée par le chemin le moins fréquenté. Celle qu'on regardera avec curiosité et admiration.
Je le dévisageai. Pendant un long moment, le silence ne fut troublé que par le bruit des vagues et les cris lointains des surfeurs.
Le chemin le moins fréquenté… Blaise n'avait sans doute pas tort. Je ne connaissais personne qui avait une soif de perfection et de savoir égale à la mienne, qui avait amnésié ses propres parents, qui s'était fait prendre de force par un mangemort dans un cachot infect et qui allait bientôt acheter une baguette en compagnie du présumé assassin d'un directeur d'école.
Certes, j'avais un drôle de pedigree. Quant à savoir si c'était digne d'admiration, j'en doutais. Ce n'était que ma vie. Tout le monde avait la sienne.
Je fixai l'horizon, là où des nuages gris sombre se profilaient.
- Et tu en connais beaucoup, lâchai-je, des gens qui empruntent le chemin le moins fréquenté ?
Blaise ne répondit pas tout de suite.
- Est-ce que je t'ai déjà raconté comment mes parents se sont rencontrés ?
- Non, dis-je, curieuse.
Je m'étais justement déjà posé la question.
- À l'époque, mon père dirigeait le travail des étudiants au doctorat en traitement des maladies auto-immunes. Ma mère était son étudiante. Elle avait 22 ans, lui en avait 45. Mon père est plutôt du genre… timide, avec le nez toujours dans ses livres et ses éprouvettes. Mais ma mère sait ce qu'elle veut et elle a les moyens de ses ambitions. Une heure après avoir abandonné officiellement ses études de doctorat – ce n'était pas son créneau –, elle a convaincu mon père de sortir avec elle.
Il allongea le bras et dessina d'autres cercles autour de mon triangle de sable.
- L'histoire a provoqué un scandale dans leurs familles respectives, poursuivit-il. Mon père aurait mis fin à leur tentative de relation si ma mère n'avait pas été aussi casse-pied. Elle disait qu'il ne fallait pas s'en faire, que tout le monde finirait par accepter l'idée. Aujourd'hui, la famille de mon père adore ma mère, mais il leur a fallu pas mal de temps.
Je méditai quelques instants cette histoire.
- Donc, ton père a autour de 65 ans ? Il a l'air plus jeune.
- Oui, 63, précisa-t-il. Il prétend que c'est ma mère qui lui garde le cœur jeune. Je préfère ne pas avoir plus de détails à ce sujet.
Je ris.
- Ma mère me radote son histoire chaque fois que j'ai la bêtise de manifester un doute ou un manque de confiance. Elle dit qu'être soi-même n'est pas une option. Qu'on doit se faire un devoir de mener à bien nos ambitions, même si ça heurte les gens. Tu imagines, ce que j'ai dû endurer toute mon adolescence avec une mère pareille ?
- Ça me semble plein de bon sens.
- Mouais, peut-être, mais on n'a pas nécessairement envie d'entendre ce petit discours à chaque dîner de famille. Bref, ma mère serait sans doute enchantée d'apprendre que tes meilleurs amis ont toujours été des garçons, que tu passes plus de temps à lire des encyclopédies qu'à parler de maquillage, que tu détestes ton beau collègue libraire et que tu as eu le culot de devenir l'assistante de Severus Rogue alors que tu es une Gryffondor.
Je tressaillis à la mention du Maître des potions, mais Blaise ne le remarqua pas.
- Elle trouverait que tu es exceptionnelle et merveilleuse. Un conseil : ne lui dis jamais que tes parents sont rendus je ne sais où à l'étranger et qu'ils ne se souviennent plus de toi, sinon elle va vouloir t'adopter à coup sûr, et ta vie deviendra un enfer.
Je lui souris, d'un sourire indulgent. Pauvre gamin, s'il croyait qu'avoir Clara Zabini pour mère était un enfer, il ne connaissait pas grand-chose de la vie.
- Je trouve que tes parents sont exceptionnels, Blaise. Tu devrais t'estimer chanceux.
- Oh, je sais, je le suis. J'exagère juste un peu pour rendre le portrait plus comique.
Je laissai planer mon sourire, mais il se fana peu à peu. Blaise me prit la main.
- Est-ce qu'ils te manquent beaucoup ? demanda-t-il avec douceur.
Il n'était pas difficile de deviner qu'il parlait de mes parents. J'ouvris la bouche pour répondre, mais ne trouvai pas les mots.
- Ouais, marmonna Blaise, c'est une question idiote, évidemment qu'ils te manquent.
Je déglutis et m'efforçai de parler d'une voix posée.
- Ils me manquent, confirmai-je. Mais c'est encore… irréel. C'est comme s'ils étaient partis pour un long voyage. Comme si leur absence n'était que temporaire.
- Mais c'est temporaire, non ?
Je haussai les épaules sans conviction.
- Quand vas-tu les revoir ? insista Blaise.
- Je ne sais pas. Je n'ai encore jamais pensé à cette éventualité. Je ne sais même pas comment inverser un sortilège d'amnésie.
- Pfff. Ce n'est qu'un détail. Tout s'apprend. Si tu as été capable de les amnésier, tu es sûrement capable aussi de leur redonner la mémoire.
- J'imagine. C'est juste que… j'ai peur qu'ils soient heureux sans moi.
Blaise s'anima :
- Ne dis pas n'importe quoi ! Imagine plutôt comme ils seraient heureux de te retrouver.
Je serrai les dents, incapable de répondre. Blaise me pressa la main plus fort.
Ce moment touchant prit brutalement fin quand une planche de surf jaune se planta dans le sable à un mètre de nous, me faisant sursauter.
- Salut ! lança une voix énergique. Est-ce que je vous dérange ?
David s'était posté devant nous, un sourire jovial accroché aux lèvres, ses cheveux noirs et humides ondulant dans le vent. La façon dont il plissait les yeux pour nous regarder laissait deviner qu'il portait habituellement des lunettes, quand il ne se livrait pas à des activités comportant des risques de noyade et de coups de planche de surf dans la figure.
Blaise et moi répondîmes d'une seule voix :
- Pas du tout.
Le Serpentard se leva d'un bond. J'essayai de l'imiter, mais la douleur m'obligea à ralentir la manœuvre.
- David, je te présente Hermione. Hermione, David.
- Salut Hermione.
- Salut David.
- Hermione va à la même école que moi.
- Ah oui, bien sûr, votre prestigieuse école écossaise qui n'a pas de site Internet, dit David avec un petit air entendu qui montrait qu'il n'était pas dupe de cette bizarrerie.
Le sourire de Blaise s'élargit.
- Exact, confirma-t-il.
Je me mordis les lèvres pour ne pas rire.
- Qu'est-ce que tu penses de ma nouvelle technique ? reprit David.
- Pas mal, tu as fait tu progrès. Mais tu pourrais mieux positionner ton poids au-dessus de ton pied gauche quand tu te lèves, ça t'aiderait à garder ton équilibre.
Il n'en fallait pas plus pour que je me sente comme la cinquième roue du carrosse. J'avais déjà assisté à mon lot de conversations barbantes sur le sport, mais c'était encore pire quand les sportifs se regardaient avec des yeux ravis et des sourires dignes d'un Bisounours.
- Hum hum, fis-je, sans pouvoir retenir un petit sourire. Allez surfer, les gars, je vais vous regarder de loin.
- T'es sûre ? demanda Blaise avec un air d'excuse.
- Évidemment que je suis sûre. Tu m'imagines sur une planche de surf ? Allez, à plus tard !
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Les oiseaux multicolores qui gazouillaient dans la journée avaient disparu. Des gros nuages d'un bleu sombre et inquiétant avaient envahi le ciel, prêts à déverser leurs torrents de pluie. La tempête approchait.
Accoudée à la fenêtre de ma chambre, la tête entre les mains, j'offris mon visage aux vents furieux qui s'étaient levés, partagée entre l'envie de savourer la fraîcheur et celle de fermer les volets à double-tour avant le premier fracas du tonnerre.
Je lançai un coup d'œil derrière moi. Dans la chambre, il faisait presque noir comme en pleine nuit, mais on pouvait quand même distinguer les trois petites piles de monnaie qui s'alignaient tristement sur la commode.
Cinq gallions.
Sept mornilles.
Quatorze noises.
Voilà tout ce qui restait de la somme que m'avait généreusement donnée le moldu barbu, alias l'ex-directeur qui refusait de mourir, lors de mon premier passage à Talamhcríochnaigh. J'avais payé une nuit à l'auberge miteuse d'Inverness, acheté quelques vêtements et effets personnels – le strict minimum – et offert des menus cadeaux de Noël à mes amis.
À présent, j'étais quasiment sans le sou. De surcroît, je n'avais pas donné signe de vie à mon employeur, le libraire Chapman, depuis une dizaine de jours. Autant dire que j'avais perdu mon emploi. Et comme si la situation n'était pas déjà suffisamment catastrophique, je devais payer le loyer – Merlin sait comment ! – de mon loft londonien d'ici la fin du mois, sans quoi le propriétaire se débarrasserait sans doute de toutes mes possessions et offrirait le toit à quelqu'un d'autre.
Je passai une main fébrile sur mes yeux.
Qu'est-ce que je devais faire ? Par les couilles de Godric Gryffondor, mais qu'est-ce que je devais faire ?
Demander de l'aide à Harry et Ron ?
C'était le plan parfait pour que tout le clan Weasley – et sans doute aussi l'Ordre du Phénix – apprenne que j'avais été torturée et violée par un mangemort. Non, mais qui avait envie d'être le centre d'attention pour cette raison ?
Je devais me prendre en mains, voilà la seule solution. Je devais rassembler mon courage et accéder à mon coffre-fort à Gringotts. Vider mon loft de mes possessions. M'établir à un autre endroit que Walden MacNair ne connaissait pas, dans une autre ville. Me trouver un nouvel emploi.
Tout était à recommencer.
Seulement, je ne m'en sentais pas la force. Tout mon corps tombait en miettes. Ma seule ambition était de trouver un refuge tranquille où je pourrais pleurer quand bon me semblait et vomir sans avoir besoin de me cacher.
Je glissai la main sous mon débardeur et en sortis le bouton de manchette noir, que j'observai longuement.
Deux jours, Hermione ?
Deux jours.
Je déglutis pour dissiper l'émotion qui me nouait la gorge.
La nuit dernière, je n'avais pas réussi à fermer l'œil. Les plus menus détails de mon passage à Talamhcríochnaigh avaient défilé encore et encore dans ma tête, comme un film qui refusait de s'arrêter. Le crépitement tranquille du feu. Les bourrasques venues du large. Les silences étrangement confortables. Les regards graves de Rogue. Ses préoccupations non dissimulées pour moi. Notre conversation avait été à la fois toute nouvelle et déjà familière, troublante et apaisante.
Des larmes brûlantes menacèrent de déborder. Je clignai des yeux.
Depuis le Réveillon de Noël, j'avais trouvé… un allié.
Un allié temporaire.
Allait-il disparaître de ma vie dès que ma baguette serait achetée ?
Bang.
Le premier fracas de l'orage faillit me transpercer les tympans. Je sursautai violemment et fermai les volets d'un coup sec, le cœur battant à tout rompre.
Ça commençait.
Je m'éloignai de la fenêtre, me laissai choir sur mon lit et écoutai la pluie qui se déversait dans la cour.
.
oOoOoOo
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Mon dernier midi chez les Zabini arriva beaucoup trop vite.
La soirée à jouer aux cartes pendant l'orage avait passé à la vitesse de l'éclair. L'avant-midi à la bibliothèque de l'Université avait vite été expédié. L'ultime balade au bord de la mer était maintenant de l'histoire ancienne. J'avais finalement fait le ménage de la chambre d'invité, ramassé et miniaturisé mes maigres possessions pour les glisser dans mes poches. Le pot d'analgésiques vide avait disparu dans la poubelle.
Plus aucune trace ne subsistait de mon passage chez les Zabini.
Je m'étais efforcée de paraître de bonne humeur durant le déjeuner, que j'avais mastiqué lentement, en priant pour ne pas le vomir. Par miracle, j'avais réussi à garder tout ce que j'avais avalé, malgré mon estomac plus noué que jamais.
Et maintenant, je me tenais déjà au salon, entourée du clan Zabini, prête pour les au revoir. Clara fut la première à me serrer longuement dans ses bras.
- Ce fut un plaisir de te connaître, Hermione, dit-elle en s'écartant ensuite pour me regarder, les yeux inhabituellement brillants. N'oublie pas que tu seras toujours la bienvenue chez nous.
- Merci, Clara, répondis-je d'une voix qui sonnait soudain comme de la vieille porcelaine ébréchée. Ce fut un plaisir pour moi aussi.
Owen cilla comme s'il avait une poussière dans l'œil et me donna une accolade à son tour.
- Prends bien soin de toi, Hermione.
- Vous aussi, Owen. Au revoir.
Blaise me serra enfin contre lui.
- À bientôt, Hermione. N'oublie pas de m'écrire souvent.
- À bientôt, Blaise.
Je me reculai pour les regarder tous.
- Passez de bonnes vacances, lançai-je à la ronde. Vous m'enverrez une carte postale du Nevada.
Puis ce fut terminé.
Le salon chic des Zabini disparut, emportant avec lui son petit univers peuplé de plages ensoleillées et de magazines scientifiques. Mon passage à Cape Town, ce refuge au bout du monde, avait pris fin.
Une seconde plus tard, j'apparaissais sur l'immense terrain vague de l'aire de transplanage international, d'où partaient les voyageurs qui se déplaçaient sur une très grande distance. Je me doutais bien qu'un sorcier de la trempe de Severus Rogue n'avait aucunement besoin des facilités offertes par cet endroit pour transiter sans peine entre l'Irlande et l'Afrique du Sud, mais je ne savais pas où lui donner rendez-vous.
En proie à une nervosité de plus en plus inconfortable, je plaçai mes mains en visière au-dessus de mes yeux et regardai autour de moi. Il n'y avait personne en vue, alors que les voyageurs fourmillaient le soir du 24 décembre. Sans doute les gens se remettaient-ils tranquillement des excès de Noël, enfermés dans la fraîcheur – relative – de leur maison ou étalés sur la plage.
Ça y est.
Le champ est libre.
Mais plutôt que de contacter Rogue, je marchai lentement jusqu'aux abords de la piste, là où poussaient de rares touffes d'herbes aigries sous un arbre aussi desséché. Avec le soleil à son zénith, la chaleur était intolérable. J'avais revêtu ma tenue la plus décente en prévision de la sortie chez le fabricant de baguettes, en l'occurrence la robe noire et la tunique pâle avec lesquelles j'avais quitté Talamhcríochnaigh la première fois, mais en ce moment, ces vêtements me paraissaient étouffants.
Je me réfugiai sous l'ombre de l'arbre mort.
Attendre n'arrangera rien.
Tu ne fais que repousser le moment où tu le contacteras.
Je passai une main fébrile sur mon front.
Pourquoi la perspective de le revoir était-elle toujours si éprouvante ?
Pour ajouter à mon anxiété, la douleur recommençait déjà à poindre dans mon corps. J'avais réservé mon tout dernier comprimé d'analgésique pour cet après-midi, mais il ne suffirait jamais à me soulager.
Autant en finir au plus vite.
Dès que j'aurais ma nouvelle baguette, je me rendrais à Inverness. L'argent qui me restait me permettrait de passer la nuit à la même auberge où j'avais déjà dormi. Le lendemain, j'essaierais de me trouver du travail dans la ville.
Rassemblant mon courage, je pris le bouton de manchette suspendu à mon cou. Mais je ne pus pas aller plus loin.
Ce que je redoutais arriva.
Tous les signes annonciateurs y étaient : le léger vertige, la sensation de froid sur le front et dans le cou, la pointe de douleur au creux de l'estomac, la contraction involontaire de l'abdomen.
Je me penchai, tins le bouton de manchette loin de ma bouche et vomis mon repas, qui éclaboussa le sol aride.
Merde, merde, merde.
Comment allais-je survivre à cet après-midi le ventre vide ?
- Evanesco, croassai-je. Aguamenti.
Je m'aspergeai copieusement la bouche d'eau fraîche, en recrachai sur le sol, en avalai. Je dénichai ensuite dans mes poches un de ces bonbons à la menthe dont Clara raffolait et dont elle remplissait toujours un plateau dans le salon – j'en avais avalé des dizaines durant mon séjour, pour changer le goût. Je m'assis contre l'arbre mort, déballai mon bonbon et le savourai de longues minutes, les yeux fermés, le temps de reprendre mes esprits.
Quand je me sentis incapable de tolérer la chaleur plus longtemps, je me remis debout, pris le bouton de manchette et le regardai, la gorge soudain sèche malgré la quantité d'eau que je venais d'avaler.
Qu'est-ce qu'il fallait que je fasse, maintenant ?
Vous n'aurez qu'à prendre le bouton et à vous adresser à moi. J'aurai connaissance de vos paroles.
Je pris une profonde inspiration et parlai en direction du bouton, avec l'impression d'être parfaitement ridicule :
- Je… Je suis prête.
Était-ce suffisant ?
Fallait-il que je parle plus fort ?
Rogue allait-il me répondre ?
Dans le doute, j'approchai le bouton de mon oreille, guettant le moindre son. Il ne se passa rien.
Et si ça ne fonctionnait pas ?
Et si Rogue était occupé ?
Et si…
Du calme.
Je poussai un soupir et me mis à déambuler sous le soleil de plomb pour tromper mon angoisse. Au bout de quelques minutes, je portai à nouveau le bouton à mon oreille. Juste au cas où.
Une voix grave et soyeuse se fit entendre, mais elle ne venait clairement pas du bouton :
- Exactement deux jours. Je reconnais votre ponctualité habituelle.
Je ne pus m'empêcher de sursauter même si le propriétaire de cette voix inimitable ne laissait aucun doute. Je tournai la tête et scrutai les alentours. Il n'y avait personne. Que du bitume sombre entouré de champs sablonneux.
Oh, Merlin, étais-je en train de devenir folle ?
- Êtes-vous là ? demandai-je dans le vide.
- Oui, dit la voix de Severus Rogue. Derrière vous.
- Où ça ?
Je tournai sur moi-même, regardai dans toutes les directions, prête à voir se matérialiser à tout moment une haute silhouette sombre, puis heurtai un grand corps invisible.
Je tressaillis à nouveau.
- Juste ici, dit la voix de Rogue, quelques centimètres au-dessus de ma tête. Vous m'avez trouvé.
- Oh.
Un peu désorientée, je me tournai pour me tenir face à lui, mais m'empêtrai dans une paire de pieds qui n'était pas la mienne et me cognai le nez dans une poitrine d'homme. Une bouffée de forêt et de terre me chatouilla les narines.
Deux mains se posèrent sur mes épaules.
- Ne bougez plus, Miss Granger. Nous allons transplaner.
- D'accord.
Le bitume de l'air de transplanage se brouilla. Je fermai les yeux et luttai contre le réflexe de m'agripper à Rogue lorsqu'une sensation fugitive de vertige me prit.
- Nous sommes arrivés.
Les mains quittèrent mes épaules. J'ouvris les paupières et reculai d'un pas, pour me retrouver nez à nez avec… un pur inconnu. J'écarquillai les yeux et eus un mouvement de recul. L'homme me retint par le poignet, doucement mais fermement.
- C'est moi, Miss Granger. N'ayez pas peur.
Le cœur battant, je fixai cet homme qui ne ressemblait en rien à Rogue. Il était plus vieux et moins imposant, avait les yeux bleus et les cheveux bruns, des lèvres charnues, un nez court et épaté. Même sa tenue moldue – veston gris acier, chemise claire – ne pouvait pas rappeler le Maître des Potions que je connaissais.
- Vous comprendrez que je n'ai pas le loisir de déambuler dans les rues sous ma véritable apparence.
Ces notes profondes. Ces inflexions veloutées. C'était bel et bien sa voix. C'était son odeur.
J'exhalai le souffle que je retenais prisonnier.
- Excusez-moi, dis-je enfin, la voix un peu tremblante. Vous m'avez surprise.
Rogue me libéra le poignet, visiblement rassuré de ne pas avoir à m'amener de force.
Je regardai autour de nous. Nous nous trouvions au milieu d'une rue dallée à peine assez large pour laisser passer une voiture. D'un côté, des maisons et des commerces aux toitures rouges s'alignaient contre le flanc d'une colline enneigée. De l'autre côté, un canal ceinturait un quartier rempli d'autres bâtisses aux toits rouges. On aurait dit une ancienne cité médiévale.
- Où sommes-nous ?
- À Český Krumlov.
Je fronçai les sourcils. Ce nom n'évoquait rien en moi.
- En République Tchèque, précisa Rogue devant ma perplexité.
Je hochai la tête en frissonnant. La différence de température entre Cape Town et cette ville était pour le moins brutale.
Rogue ouvrit un bras pour m'inviter à le suivre.
- Vous n'aurez pas froid longtemps, dit-il. Nous sommes arrivés.
Je lui emboîtai le pas en marchant avec précaution sur la chaussée enneigée. Si mes sandales de plages convenaient pour Cape Town, elles étaient terriblement déplacées à Český Krumlov.
- C'est ici.
Rogue s'arrêta devant un petit commerce dont l'enseigne de bois était envahie par le givre.
Alexej Novák.
Výrobce hůlek.
Je le précédai à l'intérieur.
C'était sombre, silencieux et à l'étroit. Derrière un comptoir désert, des centaines d'étagères carrées s'empilaient une par-dessus l'autre, remplies de baguettes de toutes les tailles et de toutes les couleurs.
Rogue s'approcha du comptoir pendant que je secouais mes pieds pour chasser la neige fondante qui s'était nichée entre mes orteils.
- Dobrý den, dit une voix inconnue. Mohu vám pomoci ?
Un homme était sorti de l'arrière-boutique.
- Dobrý den, répéta Rogue d'une façon tellement approximative qu'elle aurait pu être comique.
Seulement, dans la voix grave et soyeuse de Rogue, même les pires bêtises sonnaient agréablement bien.
- Nous parlons anglais, ajouta-t-il.
Alexej Novák haussa les sourcils.
- Anglais, ovšem. Vítejte ! Vous êtes Britanniques ?
La formulation était correcte, mais son accent était aussi épouvantable que celui de Rogue.
- Non, Sud-Africains, dit Rogue.
Le mensonge passa comme lettre à la poste devant le fabricant de baguettes, qui n'avait manifestement pas l'oreille assez aiguisée pour distinguer un accent d'un autre.
- Ovšem. Vous avez besoin d'une nouvelle baguette ?
- C'est moi qui ai besoin d'une nouvelle baguette, dis-je en m'approchant d'eux.
- Ovšem, ovšem, dit l'homme en m'observant attentivement à travers ses lunettes épaisses. Qu'est-ce qui est arrivé à votre baguette, madame ? Est-elle brisée ?
- Non, je l'ai perdue, dis-je d'un ton que j'espérais posé.
- Ah, špatně. Dommage, c'est regrettable. Comment était constituée votre ancienne baguette ?
Je me surpris à répondre la bouche sèche.
- 24 centimètres, bois de vigne et…
Je dus m'éclaircir la gorge pour terminer.
- … et ventricule de dragon.
Le fabricant hocha la tête, l'air songeur. Je soutins son regard en combattant l'envie de cligner des yeux pour en chasser l'humidité soudaine.
Pourquoi l'émoi me gagnait-il maintenant ?
J'avais perdu ma baguette depuis déjà plusieurs jours, mais dans l'univers insouciant et exotique de Cape Town, je n'avais pas vraiment mesuré l'ampleur de ma perte. À présent, la réalité me rattrapait.
Ma baguette.
Ma fidèle baguette.
Elle m'avait choisie le jour de mon passage chez Ollivander, à l'époque lointaine où j'étais encore une pré-adolescente aux dents proéminentes et émerveillée à l'idée de posséder des pouvoirs que les autres n'avaient pas.
Depuis, ma baguette m'avait ouvert les portes du monde de la magie, elle avait été complice de mes accomplissements et de mes découvertes, elle avait fait partie de ma vie, elle avait fait partie de moi-même.
Et je l'avais perdue.
Je dus me faire violence pour ne pas baisser les yeux. J'aurais voulu que Rogue regarde dans une autre direction.
- V pořádku, dit Alexej Novák en hochant la tête. Nous allons prendre quelques mesures.
Il plongea la main dans la poche de son tablier, puis en sortit un ruban qui se déroula tout seul et vint s'agiter autour de moi pour mesurer la taille de mes membres. Pendant ce temps, le fabricant posa un calepin sur le comptoir et examina d'un œil critique la série de chiffres qui apparaissait sur la feuille.
- Mmmm, v pořádku.
Le ruban retomba sur le comptoir. Novák le rangea dans sa poche et se tourna vers son immense collection de baguettes, qu'il observa pensivement avant de se pencher pour en sélectionner une.
- Bois de houx, 24 centimètres, ventricule de dragon, récita-t-il en revenant vers nous. Velmi dobře, une excellente baguette. Similaire à celle que vous avez perdue.
Je la pris et tentai de percevoir une sensation quelconque dans ma main, mais Novák ne m'en laissa pas le temps.
- Já ne. Essayons autre chose.
Il reprit la baguette et retourna fouiller dans ses étagères.
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oOoOoOo
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- Celle-ci ?
- Non.
- Celle-là ?
- Non, vraiment pas.
- Mmmm, v pořádku. Plus court, peut-être ? Essayez celle-là, 21 centimètres.
- Oh… non.
- 22 centimètres ?
- Ça ne marche pas non plus.
- Et celle-là ?
- Non.
- Êtes-vous vraiment droitière ?
- Si.
- Ah, je sais : bois de roseau. Allez-y.
- Ça ne fait rien du tout. Désolée.
- Mmmm. À combien évaluez-vous votre puissance magique sur une échelle de dix ?
- Euh… Je ne sais pas trop. Cinq, peut-être…
- V pořádku. Et votre dextérité magique sur une échelle de dix ?
- Oh… Environ sept, je dirais.
Un reniflement ironique se fit entendre à ma droite.
- Plutôt neuf, intervint la voix de velours.
- Je… je n'en pas sûre.
- Moi si.
- V pořádku, v pořádku, essayez donc celle-là.
- Rien.
- Ou celle-là ?
- Rien non plus.
- Bon. V pořádku. Essayons plutôt avec des modèles plus longs.
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oOoOoOo
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Sur le comptoir, la montagne de baguettes avait pris une taille décourageante, à un point tel que je ne voulais même plus la regarder. Si le fabricant avait sélectionné les baguettes avec soin au début, il avait accéléré la cadence après le vingtième essai. À présent, un Alexej Novák de plus en plus perplexe me mettait des baguettes dans la main gauche pendant que j'en avais encore une dans la main droite. Rogue me les retirait avec une efficacité militaire et les posait sur le comptoir sans attendre mon pronostic : il était invariablement négatif.
Ça n'allait pas du tout.
Aucune baguette ne produisait le moindre effet. Pas de sensation diffuse de chaleur, pas d'étincelles, pas de frémissement, rien. Qui plus est, cet essayage à la chaîne commençait à me donner le tournis. J'avais chaud, j'avais faim, j'avais mal partout.
Je croisai le regard de Novák.
- Vous dites que votre baguette est perdue ? demanda-t-il encore.
- Oui.
Ses sourcils se haussèrent au-dessus des lunettes.
- En êtes-vous vraiment certaine ?
Rogue tiqua.
- Si, répondis-je en essayant de faire fi de mon cœur qui s'accélérait.
Je n'avais pas envie de parler de mon ancienne baguette, mais pas du tout.
- Depuis combien de temps ?
Oh, bon sang…
- Je… plusieurs jours.
- Combien ? insista le fabricant.
J'ouvris la bouche, mais ne trouvai rien à répondre.
Oui, depuis combien de temps ?
Combien de jours pénibles et de nuits tourmentées s'étaient écoulés depuis qu'un faux aveugle m'avait capturée devant chez moi ?
Mon cœur s'emballa, ma gorge se serra. J'essayai de réfléchir, mais les dates se confondirent dans ma tête, se mélangèrent avec des images affreuses.
Ce fut la voix grave et soyeuse qui répondit à ma place :
- Onze jours.
- Onze jours, répéta Novák, qui ne semblait pas avoir remarqué mon trouble.
Il se gratta le front.
- C'est beaucoup de temps. Habituellement, une baguette perdue devient inutilisable au bout d'une semaine, tout au plus. C'est ce qu'on appelle la mort de la baguette. Le sorcier qui l'a perdue n'a alors pas de difficulté à se procurer une nouvelle baguette.
Je suivis tant bien que mal ses explications que son accent approximatif rendait laborieuses.
- Bien sûr, poursuivit-il, une baguette peut prêter allégeance à un nouveau maître si elle est prise de force au cours d'un duel, mais je présume que ce n'est pas ce qui est arrivé.
Il gloussa, puis se reprit en constatant que Rogue et moi demeurions de marbre.
- Dans un tel cas, il ne serait pas difficile non plus de trouver une nouvelle baguette, conclut-il.
Du coin de l'œil, je vis que Rogue avait brusquement tourné la tête vers moi. Je ne devinais que trop bien sa perplexité. Il croyait sans doute que Walden MacNair m'avait arraché ma baguette et que, par conséquent, je ne devrais pas avoir tant de difficulté à en trouver une nouvelle.
- Ce n'est pas ce qui est arrivé, dis-je, la voix tremblante. J'ai perdu ma baguette. Dehors. J'en suis absolument certaine.
Rogue prit la parole :
- Alors comment expliquez-vous la situation ? demanda-t-il au fabricant.
Ce dernier hocha la tête.
- Je ne vois qu'une seule possibilité : quelqu'un a ramassé la baguette de madame et l'a mise en sûreté en attendant de pouvoir la lui remettre. La baguette est encore en état de fonctionner et n'a pas changé de maître. C'est pour cette raison que madame a tant de difficulté à en trouver une autre qui convienne.
J'eus l'impression que l'oxygène se raréfiait dans la boutique.
Soudain, tout devinait évident.
Rogue tourna à nouveau la tête vers moi, mais je n'osai pas le regarder en face, j'avais trop peur de voir son expression. Je savais que nous avions tiré la même conclusion : MacNair était allé récupérer ma baguette là où je l'avais perdue. Et il la gardait quelque part, sans l'utiliser.
Le fabricant nous regarda alternativement, l'air perplexe.
- Est-ce que…
La voix me fit défaut. Je déglutis.
- Si quelqu'un a gardé ma baguette, pourrai-je… arriver à en trouver une autre ?
- Oui, ovšem. Seulement, ce peut être… ardu. Très ardu.
Je me sentis tout d'un coup nauséeuse.
- Vous devriez demander à vos proches si l'un d'eux a trouvé votre baguette, suggéra Novák. Ce serait le plus simple.
- Nous poursuivons les essais, répliqua Rogue, aussi sec qu'une feuille morte.
- Ovšem, si vous le souhaitez, répondit le fabricant en tournant vers moi un regard interrogateur.
Les deux hommes attendirent ma réponse. J'opinai. Je n'avais pas le choix.
Les essais reprirent, aussi infructueux que les précédents. Une multitude de baguettes me passèrent entre les mains, mais elles n'avaient de magique que le nom. Plus personne ne parlait. Novák avait accepté notre échec depuis longtemps. Même Rogue ne semblait poursuivre que pour la forme. Quant à moi, j'aurais voulu quitter cet endroit au plus vite, mais ç'aurait été accepter la défaite. Pourrais-je encore être qualifiée de sorcière si je sortais d'ici les mains vides ?
- J'ai besoin d'une pause, dis-je soudain, catégorique.
Je ne regardai ni Novák ni Rogue. Une brève hésitation plana dans l'air, puis les deux hommes se remuèrent pour me débarrasser des baguettes que j'avais dans les mains. Je me détournai, repérai le petit fauteuil tout raide et recouvert de brocart défraîchi au fond de la boutique, et allai m'y laisser choir, partagée entre soulagement et abattement.
À travers la fenêtre, on apercevait la neige qui avait commencé à tomber, envahissant les rebords du canal. Je fixai le paysage sans le voir. Derrière le comptoir, le fabricant s'activait pour ranger les baguettes. Des pas lents s'approchèrent de moi. La silhouette gris acier vint se poster dans un coin de mon champ de vision, mais aucune voix grave ne parla. Rogue n'avait rien à dire. C'était on ne peut plus clair : je n'arriverais pas à me trouver une nouvelle baguette.
Au bout d'un moment, Alexej Novák reprit la parole :
- Nous pouvons poursuivre les essais, si vous le souhaitez, proposa-t-il sans aucune conviction.
Je me tournai vers lui. Les baguettes qui envahissaient le comptoir étaient toutes retournées sommeiller dans leurs cases, en attendant leurs futurs propriétaires. Valait-il la peine d'en essayer encore des dizaines sans succès ? Je n'en aurais jamais la force. Je me sentais épuisée.
- Pas aujourd'hui, répondit Rogue, à qui mon air découragé n'avait pas échappé.
- Vous devriez consulter vos voisins et vos proches, conseilla une nouvelle fois Novák. Ils ont peut-être retrouvé votre baguette. Sinon, vous pouvez toujours revenir me voir dans quelques jours pour faire d'autres essais.
À son expression réticente, on devinait plutôt qu'il espérait ne jamais me revoir dans sa boutique. Mon cas était un véritable casse-tête.
- D'accord, merci, dis-je d'une voix sans timbre.
Mes muscles et mes articulations protestèrent lorsque je m'arrachai du fauteuil. Je serrai les dents et emboîtai le pas à Rogue. Ou plutôt, à l'homme aux cheveux bruns et aux yeux bleus sous lequel se cachait Rogue. Lorsque nous fûmes dehors, il se tourna vers moi et je le regardai en face, pour la première fois depuis notre entrée dans la boutique. J'aurais voulu pouvoir détecter une expression dans ce visage inconnu, un mouvement de sourcils, un plissement de lèvres, n'importe quoi de familier et de rassurant. Mais il n'y avait rien.
- Qu'est-il réellement arrivé à votre baguette ? demanda-t-il sans détour.
C'était tellement bizarre d'entendre cette voix grave fuser d'une autre bouche que de celle de Rogue. Je détestais ça.
- Je l'ai perdue, répétai-je pour la énième fois. Elle m'a échappé des mains et elle a roulé derrière des poubelles. Dans la rue, devant chez moi. À Londres.
Je serrai les bras autour de moi et portai mon regard au loin, comme pour imprimer sur mes rétines une autre image que celle de l'aveugle à qui j'avais eu la bêtise d'offrir mon bras. Le canal coulait paisiblement, les maisons étaient mignonnes avec leurs toits rouges et enneigés. Cette ville sortait tout droit d'un conte de fée.
- L'a-t-il prise ? demanda Rogue.
Je réprimai un tressaillement. C'était la première fois qu'il faisait allusion à MacNair depuis nos retrouvailles.
- Non. Nous avons t-transplané immédiatement.
- Il est sans doute retourné la chercher.
- C-croyez-vous que…
La voix me fit défaut. J'essayai de trouver les mots pour terminer ma question, mais n'y parvins pas. Il fallait vraiment que MacNair ait tout saccagé en moi pour que je n'arrive même plus à formuler une phrase complète à son sujet.
Je serrai les dents et priai pour que Rogue ne remarque pas que mes yeux étaient devenus humides.
- Il garde probablement votre baguette dans la simple intention de vous nuire, dit-il à voix basse, comme s'il avait deviné mon interrogation silencieuse.
Je fis oui de la tête, la gorge trop nouée pour parler. De longues secondes s'écoulèrent avant que je ne me risque à reprendre la parole.
- Qu'est-ce que nous faisons, maintenant ? demandai-je sans parvenir à masquer mon désarroi.
- Nous allons ailleurs, dit Rogue comme si c'était une évidence.
- Mais où ? Je ne vois pas ce que ça pourrait changer. Je viens d'essayer au moins 60 baguettes et aucune n'a fonctionné.
- Seulement 49, vous exagérez.
- Peut-être que Novák a menti juste pour m'encourager. Peut-être que je ne trouverai pas de nouvelle baguette.
Le visage déguisé de Rogue haussa un sourcil, ce qui n'était qu'une pâle imitation de son expression ironique habituelle.
- Je vous ai connue plus déterminée, Miss Granger.
Je soupirai et piquai du nez vers mes sandales. Il avait raison. J'étais devenu une véritable loque.
- Les communautés sorcières n'ont pas toutes les mêmes traditions ni les mêmes façons d'appréhender la magie, reprit-il. Et, par conséquent, pas les mêmes façons de concevoir leurs baguettes. Novák se situe dans une lignée de fabrication typiquement européenne, mais d'autres fabricants exercent leur métier différemment ailleurs dans le monde.
Je méditai ces paroles en fixant les flocons de neige qui se posaient et fondaient sur mes pieds.
- Vous croyez que j'aurais plus de chances de trouver une baguette auprès d'un fabricant non-européen ?
- Je crois qu'il vaut la peine d'essayer, rectifia Rogue avec une prudence qui n'était pas vraiment encourageante.
- Alors, où devons-nous aller ?
Une main se présenta dans mon champ de vision. Ce n'était même sa vraie main. Celle-ci ne dégageait pas cette impression de force et d'élégance. Les doigts était moins allongés et moins réguliers, la paume moins ample.
- Aurais-je réussi à piquer votre curiosité ? demanda la voix de velours.
En guise de réponse, je déposai ma main dans la sienne. La sensation était bizarre, moins… confortable que les autres fois.
Nous transplanâmes.
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oOoOoOo
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La première chose dont j'eus conscience fut la trombe d'eau tiède qui s'abattit sur moi tout d'un coup.
Un cri de surprise m'échappa.
J'ouvris les yeux et plaçai mes mains en visière pour essayer d'y voir quelque chose.
De la pluie.
Un mur de pluie.
Je distinguai une ruelle étroite et boueuse, des toitures de tôle et des abris de toile qui ployaient dangereusement sous le poids des intempéries. Et surtout, des gens, des tonnes de gens qui se pressaient autour de moi, encapuchonnés dans des grands foulards dont les couleurs vives contrastaient avec la grisaille.
- Par ici ! cria la voix de Rogue pour couvrir le martèlement de la pluie.
Je n'eus même pas le loisir de le chercher du regard. Une main s'empara de la mienne et me pilota à travers la foule. Je courus derrière Rogue à l'aveuglette, perdis l'équilibre à cause de mes sandales que la boue avait rendues glissantes et réussis par une manœuvre peu gracieuse à amortir ma chute sur un genou plutôt que de m'étaler de tout mon long.
Rogue fit volteface.
- Ma sandale, la boue…, bredouillai-je.
Je m'interrompis net quand je reconnus le visage anguleux qui se pencha vers moi, le nez aquilin, les yeux noir d'encre sous leurs sourcils aussi sombres.
C'était lui.
C'était Severus Rogue sous son vrai jour.
Ici, le déguisement était inutile.
Je me surpris à sentir mon cœur s'emballer et mes jambes se ramollir, et laissai Rogue me prendre par les coudes et me tirer sur mes pieds. Un grand bras m'entoura solidement les épaules et me guida jusqu'à une alcôve étroite et sombre.
Tout cessa. Le vacarme des intempéries, le tambourinement tiède de la pluie, le mouvement étourdissant des passants pressés de se mettre à l'abri.
Mais le soulagement fut de courte durée. La seconde d'après, j'inspirai une bouffée d'air chargé d'odeurs d'encens et de fumée, et me mis à tousser.
Nous étions entrés dans un lieu exigu dont les murs et le sol disparaissaient sous les tentures et les coussins aux rouges, roses et oranges vitaminés. Ma toux s'arrêta net lorsque je constatai qu'une douzaine de paires d'yeux sombres nous fixaient. Des hommes en tuniques claires et au teint très foncé étaient assis au sol et fumaient je ne sais quoi qui faisait des cercles de fumée bleutée au-dessus d'eux. Une théière en fonte lévitait entre eux et versait du thé fumant dans des petits bols disposés à terre. Tous se tenaient immobiles, l'air de se demander pourquoi deux étrangers pâlots venaient de débarquer dans leur paisible salon de thé.
Je réalisai que je me tenais toujours contre Rogue. Il bougea le premier et laissa retomber le bras qui m'enveloppait les épaules, mais ne s'écarta pas de moi.
- Où est la fabricante de baguettes ? lança-t-il à la ronde, sans s'adresser à personne en particulier.
Il y eut un bref silence, puis les hommes se mirent à discuter tous en même temps dans une langue incompréhensible. Personne ne se sentait concerné par la question. Ou personne ne l'avait comprise.
Rogue tiqua, avec l'agacement d'un homme qui n'avait pas l'habitude qu'on l'ignore. Il repoussa une mèche de jais qui lui dégouttait sur le front et entreprit de se frayer un chemin à travers les hommes et les coussins. Je lui emboîtai le pas, retenant mon souffle pour respirer un minimum de fumée, rougissant devant les regards curieux qui se tournaient sur mes mollets d'un blanc presque spectaculaire en comparaison avec les visages tannés des buveurs de thé.
Rogue se posta devant un vieil homme qui s'affairait à écraser des feuilles de thé avec un pilon, tout en nous fumant au nez ce truc infect qui me piquait la gorge. Le Maître des Potions prit cette voix de velours et d'acier qui donnait froid dans le dos même aux plus téméraires.
- Fabricante ? Baguette ? Magie ?
Le vieillard se leva, se frotta les mains sur sa tunique pâle et nous regarda en plissant les yeux, comme s'il ne voyait plus très bien. Il haussa finalement les épaules et exhala une bouffée de fumée bleue. Mes yeux se mirent à larmoyer.
Rogue sortit sa baguette d'un geste élégant et la présenta à l'homme. Elle était longue, plutôt épaisse et d'une essence de bois étonnamment rougeâtre, alors que je l'aurais bêtement imaginée noire. C'était la première fois que j'y portais attention. En fait, à l'époque de Poudlard, Rogue faisait souvent de la magie sans baguette pour accomplir des tâches banales comme écrire des instructions au tableau ou faire disparaître des potions ratées.
Le vieil homme haussa ses sourcils blancs et broussailleux en guise de réponse et nous fit signe de le suivre. Nous traversâmes le salon de thé, parcourûmes un couloir qui déboucha sur une cour extérieure où jouaient des enfants sous la pluie, assistâmes à l'échange entre le vieil homme et quelques femmes qui étendaient des saris humides à l'abri, entrâmes par une autre alcôve, et finalement nous trouvâmes à patienter, seuls, dans une espèce de temple étroit et tapissé de tentures rouge vif.
Rogue et moi échangeâmes un regard. Avec sa barbe, ses cheveux et ses yeux si noirs, il aurait presque pu passer pour un habitant local, si seulement sa peau n'avait pas été si pâle et sa stature si imposante.
Un silence s'installa, moins confortable que ceux qui avaient ponctué nos échanges le soir de Noël. Combien de temps devrions-nous rester plantés ainsi l'un devant l'autre ? Qu'étions-nous supposés nous dire ? C'était comme s'il fallait nous apprivoiser à nouveau. Cette perspective paraissait un peu… intimidante.
Pour me donner contenance, je détournai la tête et observai les femmes qui étendaient leurs saris multicolores dans les marches. Mais une autre scène capta mon attention. À travers la fenêtre étroite du temple, on apercevait au loin un brasier qui flambait je ne sais trop comment sous les torrents de pluie. Je m'approchai de la fenêtre, mue par la curiosité.
Quelques silhouettes debout et immobiles s'étaient rassemblées autour du feu. Derrière elles, une vaste et grise étendue d'eau se perdait dans le brouillard. Drôle de température pour faire un feu sur la grève.
- Varanasi, commenta laconiquement Rogue. La capitale sacrée de l'Inde.
- Oh. Qu'est-ce que… Qu'est-ce qu'ils font ?
Il s'approcha pour regarder par-dessus mon épaule, ses pas étouffés par les tapis flamboyants.
- C'est une crémation, je présume. De nombreux Indiens paient une fortune pour que leurs dépouilles soient réduites en cendres au bord du Gange. Sorciers et moldus confondus.
Fascinée, je scrutai le bûcher, laissant s'installer un silence moins tendu que le précédent.
Bientôt, un Indien entre deux âges vint nous chercher pour nous guider à travers un escalier abrupt qui déboucha dans un atelier désordonné, sombre et chargé de décors bariolés. Encore une fois, un chaos de parfums tenaces me prit à la gorge. Je déglutis et tirai le col de ma robe pour me faire du vent. Il régnait ici une chaleur étouffante.
Au fond de l'atelier, une silhouette frêle nous tournait dos et s'affairait devant un fourneau rudimentaire encastré dans un mur de pierre. Était-ce la fabricante de baguettes ? On aurait plutôt dit une enfant. Elle redressa la tête à notre arrivée, mais je ne pus pas voir son visage.
L'homme qui nous avait accompagnés lui lança quelques paroles. Elle se leva, ajusta son foulard sur ses épaules – mais qui avait besoin d'un foulard par une chaleur pareille ? – et vint vers nous en foulant les tapis colorés d'un pas silencieux.
Ce n'était pas une enfant, mais une jeune femme minuscule, avec la tresse la plus longue et la plus épaisse que j'aie vue, et des yeux bleus qui tranchaient de façon spectaculaire avec sa peau très brune. Comment pouvait-on être Indienne et avoir des yeux si clairs ?
Lorsqu'elle s'approcha, mon cœur rata un battement.
Il y avait quelque chose d'inquiétant dans l'inexpressivité de son visage, dans la façon dont elle nous fixait sans vraiment nous regarder, comme si elle pouvait voir à travers nous. Quand elle s'arrêta devant nous, je compris pourquoi ses yeux délavés semblaient si bizarres. Ils n'avaient pas de pupilles.
La fabricante de baguettes était aveugle.
Elle tendit une main devant elle, paume levée vers le plafond, et ne bougea plus.
Pendant quelques secondes, je retins mon souffle. Puis Rogue me toucha le coude du bout des doigts, comme pour m'encourager à faire un mouvement. Ne sachant trop quoi faire, je tendis la main à mon tour et la déposai sur celle de la fabricante. Elle fixa mon visage sans le voir.
Un silence interminable emplit l'atelier. C'était… sinistre. Si Rogue n'avait pas été avec moi, je me serais enfuie en courant.
Mais la suite me laissa hébétée.
La jeune femme me lâcha et tendit les deux mains vers mon visage, avec lenteur, comme pour me demander l'autorisation de me toucher. Ses doigts tièdes effleurèrent mes joues, descendirent de le long de mon cou avec la légèreté d'une aile de papillon, pour enfin se poser à la naissance de mes clavicules, sur mon cœur.
Son visage de marbre s'anima sans raison apparente, ses sourcils se froncèrent imperceptiblement dans une expression attentive. Elle fit oui de la tête à plusieurs reprises, même si personne ne parlait dans l'atelier.
Déconcertée, je vis des larmes perler peu à peu aux commissures de ses paupières, puis un sourire lumineux fleurir lentement sur ses lèvres, comme si elle pouvait s'émouvoir une histoire que nous ne pouvions pas entendre, comme si elle pouvait contempler quelque chose de touchant et de beau que nous ne pouvions pas voir. Tout à coup, elle ne semblait plus fantomatique et inquiétante, mais magnifique.
Je me surpris à avoir moi-même les yeux humides et la gorge nouée, sans trop savoir pourquoi.
Ce sourire-là n'était pas ordinaire.
C'était un sourire qu'on faisait pour rassurer.
Pour réconforter.
Je battis des paupières.
La fabricante laissa retomber ses mains, se détourna et marcha d'un pas assuré vers des jarres disposées au fond de l'atelier. On y apercevait des bouquets d'objets longs et fins qui brillaient à la lueur du fourneau. Des baguettes. La fabricante les effleura, en sélectionna une, puis revint vers moi et me la tendit au creux de ses paumes, le visage radieux.
Je l'examinai.
Elle était différente de toutes les baguettes que j'avais vues jusqu'à ce jour. Mince, à peine plus longue qu'un crayon, transparente, brillante. C'était une baguette… de verre.
Je la pris délicatement, et me surpris à esquisser un sourire émerveillé à mon tour.
Il n'y eut pas d'étincelles, pas d'aura de lumière, pas de sensation de chaleur. Et pourtant, dès que je touchai le verre fin, un sentiment d'apaisement fit taire l'appréhension qui me nouait le ventre. Cette baguette-là serait la mienne.
Pas une parole ne fut prononcée, pas une incantation lancée, mais la fabricante devina que la transaction était déjà réglée. Son sourire s'élargit, comme si elle pouvait percevoir ma gratitude. Elle joignit les mains, s'inclina en guise de salutation, puis retourna à son fourneau.
Ce fut terminé.
Une grande main d'homme se déposa sur mon épaule, me rappelant à la réalité. Je me tournai vers Rogue et croisai son regard interrogateur. La scène à laquelle il venait d'assister avait dû sembler déconcertante, mais je n'aurais pas su la lui expliquer. Je me contentai d'opiner sans rien dire.
Dès que nous quittâmes l'atelier de la fabricante de baguettes, le charme se brisa. Je pris soudain conscience que j'ai horriblement faim, que tous mes membres me faisaient mal. Je descendis l'escalier avec précaution à la suite de Rogue.
Lorsque nous fûmes de retour dans le temple exigu, le moment vint de payer la transaction. Rogue et l'Indien qui nous avait guidés à l'étage se lancèrent dans une discussion sans suite en anglais et en hindi, à grand renfort de gestes, de gallions et de monnaie indienne. Manifestement, Rogue et le commerçant ne s'entendaient pas du tout sur le taux de change. À la façon dont Rogue roulait des yeux, on devinait sans peine que le prix demandé par l'Indien était indécent.
Je m'éloignai en direction de la cour, mal à l'aise de voir Rogue obligé de négocier un prix pour moi. La pluie torrentielle avait cessé, laissant derrière elle un sol gorgé d'eau et de gros nuages maussades. Les enfants étaient allés jouer ailleurs, les femmes avaient disparu à l'intérieur. Je m'assis dans les marches du temple, entre les saris, et observai encore ma baguette de verre avec dévotion, puis la piquai soigneusement dans mon chignon, à côté du modèle de dépannage.
Ça y est.
Le dossier Baguette est réglé.
J'aurais dû être soulagée, mais les préoccupations qui m'avaient tenaillée depuis le soir de Noël refirent soudain surface.
Rogue avait accompli sa promesse. Le moment était venu de repartir chacun de notre côté. Je devais me rendre dans une quelconque ville anglaise où je pourrais la nuit, puis me chercher un emploi et un logis dès le lendemain. Ces tâches m'apparaissaient comme une véritable montagne.
Mon cœur se serra quand la question qui me hantait me traversa encore l'esprit.
Quand le reverrais-je ?
Rogue était devenu pour moi une espèce de complice et je me sentais déjà étrangement dépendante de ce lien, même si seulement trois jours s'étaient écoulés depuis nos retrouvailles.
J'entrepris de frotter méticuleusement la boue qui avait séché sur mon genou à l'aide d'un pan encore humide de ma robe, pour ne pas penser au gouffre qu'il y avait soudain en moi, pour ne pas penser à dans cinq minutes, à dans une heure, une semaine. Ça me faisait trop peur. Ça s'annonçait trop aride.
Des pas me tirèrent de ma torpeur et une paire de jambes en habits noirs vint se planter devant moi. Ainsi, Rogue et l'Indien avaient finalement réussi à trouver un terrain d'entente.
J'ajustai ma robe sur mes genoux et m'apprêtai à me remettre debout en vitesse, quand une grande main pâle se présenta à la hauteur de mon visage. Après deux secondes de surprise, je la pris et laissai Rogue m'aider à me lever.
Les prunelles noires happèrent les miennes.
- Je… Merci pour la baguette. Je vous rembourserai dès que je le pourrai. Je tâcherai de faire vite.
- Ne vous en faites pas pour cela, dit-il en hochant la tête.
Il y eut quelques instants de flottement. Nous savions tous les deux que nous nous tenions à la croisée des chemins, que ce tête-à-tête dans les marches d'un temple coloré et enfumé au fin fond de l'Inde pourrait bien être le dernier. Je retins machinalement mon souffle, redoutant ce qui allait suivre, incapable de me résoudre à initier le départ.
Ce fut Rogue qui prit la parole, mais pas pour dire les mots que j'attendais.
- Nous devons… discuter. Ce lieu est peu adéquat. Je saurais gré de m'accompagner à Talamhcríochnaigh.
Dieu merci, ce n'est pas fini, ce n'est pas encore fini.
- D'accord, m'entendis-je répondre, le cœur battant soudain à tout rompre.
Je refusai d'écouter la petite voix désagréable qui voulait me rappeler que ce n'était qu'un sursis, que le moment de la séparation viendrait tôt ou tard, et que si ce n'était pas maintenant, ce serait dans vingt minutes. En ce moment précis, je m'en foutais, j'étais juste si bêtement, sincèrement soulagée que j'en avais la gorge nouée.
- Je vais vous préparer un portoloin, dit Rogue en sortant sa baguette de sa manche et un mouchoir de sa poche.
- Est-ce que…
Il leva les yeux pour croiser les miens.
- Est-ce que je pourrais venir avec vous ?
Le portoloin n'était vraiment pas mon moyen de transport favori, mais ce n'était pas juste ça. Nous nous trouvions à des milliers de kilomètres de l'Europe, j'étais affamée et souffrante. J'aurais été plus rassurée de faire le voyage… avec lui.
Il hésita avant de répondre. Le délai fut tout juste suffisant pour me faire regretter ma question.
- Vous devez savoir que je dois user de transplanage en rafale pour entrer en Europe sans laisser de trace de mon passage. Pour tout vous dire, cette méthode n'est pas particulièrement agréable.
- Ce n'est pas grave, répondis-je avant d'y avoir vraiment réfléchi.
Je songeai une seconde trop tard qu'il n'avait pas nécessairement envie de me traîner avec lui.
- Mais si ça vous dérange, je peux…
- Ça ne me dérange pas.
Ses prunelles sombres firent taire mes doutes. Si Rogue n'était pas sincère, il faisait très bien semblant.
Il me tendit une main, que je pris avec gratitude.
- Êtes-vous certaine ? insista-t-il.
Son regard donna l'impression de fouiller le mien.
- Je… Oui.
Si ça se trouvait, j'étais pâle comme un drap. J'avais hâte de quitter cette chaleur humide pour retourner au frais et au sec, à Talamhcríochnaigh.
Je serrai la main de Rogue et fermai les yeux, appréhendant la sensation qui allait suivre.
Pop.
Ce ne fut qu'une brève impression d'apesanteur, comme dans un ascenseur moldu.
Pop.
Puis une autre.
Pop.
Et encore une autre.
Le rythme des secousses s'accéléra, comme si nous changions continuellement de cap plutôt que de nous diriger dans une même direction. J'eus presque envie de rouvrir les yeux, juste pour vérifier si on pouvait voir quelque chose, mais ce n'était peut-être pas une bonne idée. À vrai dire, je commençais à me sentir étourdie. Il ne faisait plus chaud comme à Varanasi, peut-être même plutôt froid, en fait c'était ma tête qui semblait froide, et…
Ooooooh, merde, merde, merde.
Ce n'est pas le moment d'avoir un malaise.
Mais le malaise se pointait, que je le veuille ou non. Tous les signes étaient là. La sensation de froid et de légèreté dans la tête, l'engourdissement dans les jambes, le cœur qui s'accélérait, la nausée soudaine.
J'avais souvent expérimenté ces faiblesses ces derniers jours. Il suffisait que je m'assoie et que je penche la tête pour qu'elles se dissipent. Seulement, je ne pouvais pas m'asseoir, j'étais en plein transplanage.
J'agrippai les mains de Rogue comme si je voulais les broyer et essayai de me rappeler le nom d'une divinité hindoue que je pourrais invoquer pour ne pas vomir, quand soudain les secousses et les craquements cessèrent.
Tout continua à tourner dans ma tête.
La voix grave de Rogue sembla venir de très, très loin.
- C'est fini.
Je ne sentais pourtant même pas le plancher sous mes pieds.
Il y eut un boum assourdi, une douleur fugace dans mes genoux.
Puis plus rien.
.
oOoOoOo
.
Severus tenta tant bien que mal de rattraper Hermione, mais il ne put que lui éviter de se casser la figure sur le plancher.
Oh, bordel.
Il avait bien remarqué sa pâleur, mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle tourne de l'œil. Pourquoi ne lui avait-elle pas dit qu'elle se portait mal avant le départ de Varanasi ? Bon sang, elle aurait pu perdre des membres Dieu sait où si elle s'était évanouie pendant le déplacement.
Il empoigna son corps inerte, le souleva maladroitement en coinçant la tête contre sa poitrine et s'approcha du canapé pour y laisser tomber les jambes, avant de déposer le haut du corps avec plus de précaution.
Quand il écarta le visage délicat de son torse, la surprise fut si grande qu'il faillit l'échapper. Ses yeux noirs s'écarquillèrent dans une expression totalement ahurie et infiniment peu roguienne.
Quoi ?
Mais quoi ?
Il prit la tête inerte pour l'examiner sous tous les angles, effleura les joues et le front, écarta le col de la robe pour voir les clavicules, tâta les épaules à travers le tissu, retroussa sans ménagement le bas de la robe pour dévoiler les genoux.
Par les couilles de Merlin, était-ce vraiment réel ?
Il toucha la tête à nouveau et ne détecta aucun champ magique. Disparue, la Désillusion. À présent, il savait à quoi servait ce maudit sort.
Ce n'était pas Hermione Granger qui était étendue sur son canapé.
C'était un squelette.
On aurait juré qu'elle n'avait pas avalé le moindre aliment depuis l'agression, onze jours plus tôt. Ses clavicules semblaient vouloir jaillir de sa poitrine, ses poignets étaient devenus tout maigres, ses tempes formaient une courbe creuse. Même la peau se tendait bizarrement sur ses pommettes, accentuant l'aspect inquiétant de son visage, dont la simple lividité faisait déjà peur à voir. Et ses yeux, par Merlin. Creusés, cernés de bleu violacé. C'étaient les yeux d'un cadavre, comme ceux que les Indiens faisaient brûler sur les rives du Gange à Varanasi.
Si Severus avait croisé dans la rue une personne en si piteux état, il l'aurait prise pour une malade en phase terminale enfuie de Ste-Mangouste.
Il se frotta la barbe, consterné.
Qu'est-ce qui arrivait à Hermione ? Avait-elle cessé de manger ? Était-elle suicidaire ? Ou encore, avait-il raté les soins qu'il lui avait prodigués à tel point qu'elle dépérissait à petit feu ?
Un poids invisible lui tomba sur les épaules.
C'était sa faute.
Tout aurait été différent s'il avait gardé Hermione avec lui au lendemain de l'agression. Il n'aurait jamais laissé ce désastre se produire sous son nez. À présent, il devait confronter Hermione, faire fi de sa pudeur pour l'obliger à s'ouvrir à lui. Il n'aurait jamais voulu que les choses se déroulent ainsi, mais il n'avait pas le choix. C'était ça ou la récupérer morte de faim.
Il replaça le bas de la robe sur les genoux noueux, cueillit un bras ballant et tout maigre pour le déposer sur le canapé, glissa quelques coussins sous les pieds pour les surélever.
Son regard se posa ensuite sur la baguette de verre qui était tombée sur le plancher. Severus la prit et l'examina, surpris de sa solidité. Elle était très fine et très courte, mais comme Hermione avait les mains particulièrement menues, ce modèle devait bien lui convenir.
Il roula pensivement la baguette entre ses doigts. La visite chez la fabricante de Varanasi avait été pour le moins déconcertante, et l'échange silencieux et ému qui avait eu lieu entre les deux jeunes femmes avait immédiatement donné à Severus l'impression d'être de trop. Il aurait dû détourner les yeux, par pudeur, mais n'avait pas pu s'empêcher de contempler Hermione. Le sourire qui s'était dessiné sur ses lèvres l'avait… frappé.
Il ne l'avait pas vue sourire comme ça depuis longtemps. Pas depuis le midi de décembre où il l'avait suivie – espionnée, disons-le – dans l'aile pédiatrique de Ste-Mangouste, et où elle faisait de la peinture avec les enfants malades.
C'était quelques heures avant que Walden MacNair ne pose la main sur elle.
Severus serra les dents.
Encore un désastre qui aurait pu être évité s'il avait posé le bon geste, au bon moment. Décidément, les déconfitures d'Hermione étaient toutes liées à ses bourdes à lui.
Poussant un soupir silencieux, Severus déposa la baguette de verre sur la table basse, puis alla s'asseoir dans un fauteuil et contempla le visage émacié d'Hermione, guettant le moment où elle reviendrait à elle.
.
oOoOoOo
.
À suivre…
Au programme dans le prochain chapitre : Hermione posera ses valises. Je vous laisse deviner où. ;)
N'espérez pas ce nouveau chapitre avant un bon mois, car contrairement à Hermione, je fais mes valises et je pars en vacances. Au cas où je mourrais dans un crash d'avion, sachez que cette histoire était destinée à connaître une fin heureuse et que vous êtes tous des lecteurs adorables. ;)
À bientôt !
*Si vous visitez un jour Český Krumlov ou Varanasi, ayez une petite pensée pour Hermione et Severus, et essayez de repérer les quartiers sorciers. (Ils existent, je vous jure.)
** Si vous vous demandez comment on dit « fabricant de baguettes » en tchèque (bien sûr, on se pose ce genre de question tous les jours), c'est bel et bien výrobce hůlek. Merci Wiki pour son puits de savoir infini, et merci mon talent épatant pour fouiller dans des wiki de langues que je ne parle ni d'Ève ni d'Adam. Ceux qui m'admirent peuvent m'envoyer un trophée ou des chocolats par hibou.
