Chers lecteurs,

J'espère que vous n'êtes pas tous rendus vieux et séniles.

Que dire ? Si vous me suivez depuis quelques temps, vous savez déjà que je suis une auteure spectaculairement inconstante. J'ai peu écrit ces derniers mois et j'ai eu toutes les difficultés du monde à me rasseoir à mon clavier. Je vous jure, mes doigts en ont presque saigné, mon cerveau aussi d'ailleurs. Par conséquent, ce chapitre est beaucoup moins long que d'habitude. J'espère qu'il vous plaira quand même. Et j'espère encore plus réussir à terminer cette histoire avant de finir à l'hospice.

Sur cette belle note d'espoir, je salue tout spécialement : Infini3D, Jeanneo patronum, huge fan, Phaidora, Morceau de Pain, Kate, Zeddille, Nastesiasama, Fantomette34, Prometeia, Cecilede, allersia, Ravenclaw-Strega, machin, Anglina, Hortensea, De passage, juliana, nimyr, Mrs. Gold, Rialus, CandySona, Ccile, WFdarkness, Tralapapa, nadra, Lu, rivruskende, Philou, Zeugma412, Mrs Elizabeth Darcy31 et Nathea. Vous êtes fantastiques. Merci.

Petit topo du chapitre précédent car vous l'avez sûrement oublié : Hermione a quitté les Zabini et Cape Town, a couru les baguettes en compagnie de Severus et a finalement clos ce bel après-midi en s'évanouissant à Talamhcríochnaigh. Et puisque le Destin (alias moi) s'acharne sur son cas, le sortilège de Désillusion sous lequel elle cache sa maigreur s'est volatilisé.

Je vous laisse donc avec Severus. Vous aurez pour la première fois son point de vue avec une Hermione qui n'est ni endormie, ni dans le coma. Ouuuh, innovation.

Bonne lecture !

.

oOoOoOo

.

Chapitre 23. Le pacte

.

oOoOoOo

.

Severus dut patienter une bonne minute avant que la brunette rachitique étalée sur le canapé n'émerge de l'inconscience.

Elle souleva les mains pour se frotter les yeux, puis regarda autour d'elle d'un air perdu, mais ne remarqua pas Severus. Il s'éclaircit la gorge pour signifier sa présence. Elle sursauta. Lorsqu'elle se tourna vers lui, il ne put s'empêcher de ciller. Ce visage émacié, ces grands yeux cernés de bleu violacé lui rappelaient durement tout ce qu'il aurait pu faire, et qu'il n'avait pas fait.

Il brisa le silence d'un ton inutilement sec.

- Je ne vous apprendrai sûrement pas qu'il est peu judicieux d'effectuer du transplanage en rafale quand on est au bord de l'évanouissement.

Hermione referma les yeux, comme s'il venait de lui rappeler un détail très désagréable.

- Je ne pensais pas que j'allais m'évanouir, répondit-elle d'une voix tremblotante qui trahissait sa faiblesse.

- Vous auriez pu me dire que vous vous portiez mal.

- Je croyais que ça passerait tout seul.

- Manifestement, non.

La poitrine d'Hermione s'affaissa pour laisser échapper un soupir inaudible.

- Je suis désolée, souffla-t-elle.

Lentement, très lentement, elle se redressa en position assise, posa les pieds au sol et tourna son visage blême vers lui.

Il décida qu'il serait inutile de tourner autour du pot.

- Avez-vous faim ? lança-t-il de but en blanc.

Les prunelles noisette interrogèrent les siennes.

- Que… Comment pouvez-vous…

Le savoir ?

En guise de réponse, il la regarda ostensiblement de la tête aux pieds. Il s'écoula tout au plus trois secondes avant qu'Hermione comprenne le pourquoi de cet examen insolent. Son expression se décomposa, ses joues perdirent leur peu de couleur. Elle baissa les yeux pour observer son corps et confirmer ses craintes. Oui, ses cuisses et ses poignets étaient redevenus squelettiques. Oui, le sort de Désillusion lui avait fait faux bond pendant son inconscience.

- Oh non.

Avec une vitesse étonnante, elle attrapa un coussin et y enfouit son visage, comme si rien ne pouvait l'humilier davantage qu'apparaître ainsi amaigrie devant Severus.

- J'ai eu tout le loisir de vous observer pendant votre inconscience, Miss Granger. Inutile d'essayer de vous cacher.

Miss Granger ou Hermione ? Dans sa tête, c'était Hermione, mais il craignait de s'autoriser une familiarité déplacée en l'appelant par son prénom.

Voyant qu'elle ne bougeait pas, il se leva de son fauteuil et s'approcha.

- Je savais déjà que vous dissimuliez votre véritable apparence.

La réponse lui parvint étouffée par le coussin :

- Comment pouviez-vous le savoir ?

- J'avais détecté le sort de Désillusion sur vous.

Les épaules frêles d'Hermione s'affaissèrent.

- Était-ce donc si évident ?

Severus se garda bien de répondre.

- Retirez ce coussin.

- Non.

- Ne soyez pas puérile.

Elle resta immobile comme une pierre. Quelle tête de mule. Elle était pire que lui, ma foi.

Il vint poser un genou à terre pour être à sa hauteur.

- Hermione, regardez-moi.

Cette fois, il sentit qu'elle allait céder. Décidément, le prénom était plus efficace.

Il prit le poignet osseux de la jeune femme entre ses doigts, mais attendit qu'elle bouge d'elle-même. Elle mit un temps infini à baisser le coussin et à le poser sur ses genoux. Severus en profita pour l'envoyer valser plus loin.

Hermione leva vers lui un visage désespéré, et guetta clairement dans celui de Severus la moindre trace de répulsion ou de jugement. La lumière déclinante de fin d'après-midi faisait ressortir les reliefs émaciés de ses tempes. Ses lèvres étaient pâles, sa peau sèche. Des cernes foncés avaient creusé leur nid sous ses yeux éteints, au-dessus desquels ses sourcils formaient deux lignes abattues.

Il détestait ça. Par Circée, ce qu'il pouvait détester la voir comme ça. Qu'est-ce qu'elle croyait ? Qu'il allait se moquer d'elle parce qu'elle était en train de mourir de faim ?

Il lui renvoya une expression soigneusement neutre.

- Pourquoi avez-vous cessé de vous alimenter ?

Elle chercha ses mots.

- Ce n'est pas… Je n'ai pas cessé de m'alimenter. C'est juste que… je ne garde presque plus rien. Je suis malade dès que je mange trop.

- À en juger votre corpulence, je présume que votre définition de trop manger n'équivaut pas exactement à se goinfrer.

- Je… Non.

Il haussa un sourcil pour réclamer des détails, mais elle n'eut pas le loisir de répondre. Ses yeux s'écarquillèrent soudain et elle porta une main tremblante à son front.

- Ça recommence, bredouilla-t-elle.

Il n'eut pas besoin de lui demander quoi. La couleur avait déserté son visage comme le mercure dans un thermomètre.

- Étendez-vous.

Avec une efficacité militaire, il récupéra le coussin tombé plus loin et le plaça sur l'accoudoir du canapé juste avant qu'Hermione y pose la tête. Il amorça ensuite un mouvement pour surélever ses pieds sous un autre coussin comme il l'avait fait plus tôt, mais se ravisa au moment de toucher ses chevilles nues. Pouvait-il s'autoriser ce genre de liberté sur elle ?

Dans le doute, il resta là les bras ballants pendant qu'elle roulait sur le côté, face contre le canapé, sûrement pour échapper à son regard perçant.

Qu'était-il supposé faire, maintenant ? Au fond, les choses s'annonçaient plus faciles que prévu.

Il avait tout planifié pour gagner la confiance d'Hermione. Avec cet entretien chez lui le soir de Noël, puis ce long après-midi à courir les baguettes, il avait apprivoisé à nouveau cette brunette méfiante pour qui il était devenu un étranger après le pseudo-meurtre de Dumbledore.

Il sentait Hermione intimidée, craintive, embarrassée, un beau mélange de tout ça, mais il sentait aussi qu'elle n'avait pas réellement peur de lui. Peut-être était-elle mûre pour qu'ils aient une réelle discussion. Son état était si lamentable qu'elle n'aurait même pas la force de protester.

Seulement, Severus devrait faire vite, parce que ses devoirs de mangemort ne lui permettaient pas de rester encore longtemps à Talamhcríochnaigh ce soir.

Il reprit la parole.

- Il est surprenant que vous ayez réussi à cacher ce désastre aux deux médicomages qui vous ont accueillie sous leur toit.

Ce désastre ?

D'accord, ce n'était pas le meilleur choix de mot pour s'attirer les bonnes grâces d'une jeune femme dont la honte était palpable.

- Ce n'est jamais aussi terrible, répondit faiblement Hermione. C'est la première fois que… je passe tant de temps le ventre vide.

Severus retint machinalement un froncement de sourcils, avant de se rappeler que son interlocutrice ne pouvait pas le voir.

- Que voulez-vous dire ? Vous n'avez pas déjeuné avant de me contacter ?

- Si… mais j'ai été malade.

Il contempla son chignon à moitié défait. Pourquoi n'avait-il pas deviné qu'elle était si mal en point ? Oh, il avait bien remarqué qu'elle semblait pâlotte, mais il avait mis ça sur le compte de la nervosité.

- Vous auriez dû me le dire. Je n'aurais pas insisté pour que vous essayiez 49 baguettes chez Alexej Novák si j'avais su que vous étiez affamée.

Elle haussa vaguement les épaules.

- Je m'y suis habituée.

Sa voix était étranglée, comme si elle était sur le point de pleurer.

Severus essaya de ne pas l'imaginer vomir en secret dans la salle de bain des Zabini. Et dire que cette mascarade aurait pu être évitée, si seulement il avait mis la priorité sur elle plutôt que sur son maudit devoir d'espion-mangemort.

- Kari, appela-t-il d'un ton neutre.

Son elfe apparut en un craquement.

- Maître Severus a appelé Kari, Monsi…

La créature s'interrompit en apercevant la silhouette inerte d'Hermione sur le canapé. Elle écarquilla les yeux – plus que d'habitude, si c'était possible – et se tourna vers son maître avec un air scandalisé, auquel il répondit par un regard incendiaire.

Il leva la main avant qu'elle n'ait la bêtise de proférer des platitudes au sujet de la visiteuse. Heureusement que cette dernière n'assistait pas à leur échange visuel.

- Rapporte-moi une collation.

- Bien sûr, tout de suite, Maître Severus, répondit l'elfe avec une amabilité qui sonnait faux.

Elle s'éclipsa juste assez longtemps pour que Severus commence à se sentir impuissant et inutile, puis elle revint avec un plateau où s'entassaient un verre de jus de citrouille, un bol de yogourt et une montagne de fruits que l'estomac d'Hermione n'était sûrement pas assez grand pour contenir.

L'elfe posa les victuailles sur la table basse, puis haussa les sourcils ridiculement haut en lançant des regards appuyés à Hermione.

Severus roula des yeux.

- Merci, Kari, ce sera tout.

Son ton était calme mais ferme. L'elfe disparut sans rien ajouter.

Pendant ce temps, Hermione n'avait pas bougé d'un millimètre, à croire qu'elle essayait de disparaître à travers le canapé.

- Êtes-vous en mesure de vous asseoir ?

Elle resta immobile encore un moment, comme si elle réfléchissait à la question, puis fit oui de la tête. Severus ne la toucha pas mais guetta le moindre signe de malaise pendant qu'elle se redressait laborieusement.

Il lui tendit le verre de jus de citrouille, qu'elle prit entre des mains tremblantes.

- Merci, murmura-t-elle sans oser le regarder en face.

Elle but une gorgée de jus et ferma les yeux de contentement, comme si c'était la chose la plus délicieuse qu'elle ait avalée depuis longtemps.

Severus se leva pour remettre une distance plus habituelle entre eux et jeta un regard à l'horloge dont le tic-tac ponctuait doucement le silence. Presque 17 heures. Il faudrait qu'il parte très bientôt. Il était temps d'agir.

Il se tourna vers Hermione.

- Les Zabini attendent-ils votre retour à une heure précise ?

Pour une raison obscure, la question plongea la jeune femme dans l'embarras. Elle avala de travers une gorgée de jus et se mit à tousser. Severus s'approcha pour récupérer le verre avant qu'elle ne l'échappe. Quand elle reprit une respiration normale, elle lissa sa robe sur ses cuisses avec une gêne évidente.

- Alors ? insista-t-il.

Elle consentit enfin à risquer un regard vers lui. Il garda un visage impassible, comme si elle avait son allure habituelle et non une tête de mort-vivant.

- En fait… Je ne retourne pas à Cape Town.

- Non ?

- Non.

Il haussa un sourcil, attendant la suite.

Hermione rougit, ce qui eut le mérite de lui redonner un peu de couleur.

- C'est que… Les Zabini partent en vacances aux États-Unis pour le Nouvel An. Je… J'en ai profité pour… enfin… pour mettre fin à mon séjour.

Tiens, tiens. Voilà qui était très intéressant.

- Dans ce cas, où êtes-vous supposée vous rendre ?

Elle recommença à lisser compulsivement sa robe sur ses cuisses.

- Eh bien… Je pensais aller à Inverness.

- Pour y faire quoi ?

Les mains menues s'immobilisèrent sur le tissu, leurs jointures blanches de tension.

- Je… je n'ai nulle part où aller, avoua Hermione, le rosé de ses joues virant au cramoisi.

Severus posa le verre de jus de citrouille sur la table basse et croisa les bras. Ses gestes étaient posés et son expression, neutre, mais au fond de lui, il était soulagé.

Oh que c'était parfait. Cet évanouissement, ce départ de Cape Town. Les astres s'alignaient pour qu'Hermione accepte de s'en remettre à lui. Sa situation était trop pathétique.

Il choisit soigneusement ses mots. C'était maintenant que les choses se corseraient.

- Dans ce cas, je crois que vous devriez rester ici.

Voilà.

C'était dit.

La proposition en soi n'avait rien de renversant – après tout, Hermione n'avait plus de toit et il pouvait lui offrir le sien –, mais c'était sans compter que Severus n'avait rien d'un homme hospitalier et que, par-dessus tout, il était un criminel activement recherché.

Hermione fut si surprise qu'elle le dévisagea les yeux ronds et la bouche entrouverte, oubliant momentanément que l'humiliation lui commandait plutôt d'échapper au regard de Severus.

Il s'était préparé à une telle réaction, et pourtant la stupeur d'Hermione le heurta.

- Quoi ? bafouilla-t-elle enfin. Non, je… je ne peux pas faire ça, je dois…

L'explication confuse s'arrêta là.

Severus se força à adopter sa voix habituelle, maîtrisée avec soin.

- Vous devez quoi ?

- Il faut que je trouve un nouvel emploi.

- Dans cet état ? Vraiment ?

Hermione serra les dents et détourna le visage, les yeux brillants de larmes. Il s'en voulut de retourner le fer dans la plaie.

- Je n'ai pas le choix, dit-elle d'une voix tremblante.

- À partir de maintenant, vous avez le choix.

- Je ne peux pas accepter. Vous… vous avez déjà fait beaucoup trop pour moi.

Sa voix se cassa sur le dernier mot et elle s'essuya furtivement les yeux.

Cherchant un prétexte pour se détourner, Severus retourna s'asseoir dans un fauteuil. La vision d'une Hermione au bord des larmes était dérangeante. Ce n'était pas le moment de la ménager. Il n'était pas question qu'il la laisse repartir d'ici sans avoir tout fait pour la retenir.

Il croisa les jambes en une attitude calme savamment étudiée.

- Quelles sont vos autres options ? demanda-t-il comme s'ils discutaient d'un sujet aussi neutre que la concoction d'une potion.

Hermione regarda au loin à travers la verrière. Le soleil déclinant baigna une partie de son visage dans une lumière orangée qui exacerbait la maigreur de ses traits.

- Réfléchissez, Miss Granger.

- Je ne fais que ça, réfléchir, murmura-t-elle d'une voix basse et acide qui ne lui ressemblait pas.

Il ne se laissa pas démonter et entreprit de dresser à voix haute un portrait impitoyable de la situation.

- Vos parents sont…

- Mes parents ne se souviennent plus de moi, coupa-t-elle.

- En effet. Quant à vos amis, je présume que…

- Je ne leur ai rien dit, l'interrompit-elle à nouveau.

- C'est ce que je croyais. Et les Zabini ne vous seront plus d'aucune aide pour l'instant. On peut en dire autant de vous-même, car vous n'êtes pas en mesure d'assurer votre propre subsistance, du moins pas dans l'immédiat.

Elle le laissa finir sans rien dire, les poings serrés sur sa robe et l'air affligé.

- Je répète donc ma question : quelles sont vos autres options ?

Le silence d'Hermione fut éloquent.

- Je ne sais pas quoi dire, lâcha-t-elle au bout d'un long, très long moment.

- Dites oui.

Devant cette proposition aussi directe, Hermione trouva le courage de le regarder à nouveau, mais resta muette. Severus aurait voulu pouvoir capter une indication claire dans le désarroi qui emplissait ces grands yeux noisette, mais c'était peine perdue. Il n'avait aucune idée de ce qu'Hermione allait décider.

Alors il acheva de brosser le portrait de la situation, sans complaisance, même si cette honnêteté lui en coûtait.

- Si vous choisissez de rester à Talamhcríochnaigh, vous devez être consciente que séjourner sous le toit d'un mangemort ne sera pas sans risque. Je m'engage à assurer votre sécurité tant et aussi longtemps que vous serez chez moi, mais je ne pourrai rien faire quand on vous posera des questions sur l'endroit où vous résidez ou sur la personne qui vous aura accueillie. Vous devrez être prête à faire face à ces désagréments.

Hermione assimila ses paroles, immobile.

Il se força à poursuivre d'une voix calme, même si son assurance s'effritait.

- Et finalement, la liste de vos… options ne pourrait être complète sans que je ne vous fasse remarquer que vous êtes probablement moins démunie que vous croyez l'être. Je ne doute pas que vos camarades vous offriraient leur aide si vous osiez la leur demander.

Et voilà. C'était tout.

- Je vous laisse y réfléchir, conclut-il. Je ne peux pas m'attarder ici plus longtemps.

Il se leva et Hermione l'imita aussitôt, alarmée. Il s'approcha, certain qu'elle allait à nouveau défaillir.

- Attendez. S'il-vous-plaît. Je…

La requête mourut sur ses lèvres. Il contempla son visage blême, le tremblement de ses lèvres, l'éclat larmoyant au coin de ses yeux. Elle semblait si dépassée qu'elle ne trouva rien à dire.

- Je dois partir, dit-il, avec dans la voix une note sombre qu'il ne put retenir.

On y était, encore une fois. Depuis la fermeture de Poudlard, les croisées des chemins et les adieux ratés se multipliaient. Il aurait dû être habitué.

- Vous êtes libre de quitter Talamhcríochnaigh si vous le souhaitez. Je ne vous pourchasserai pas pour effacer votre mémoire et Albus Dumbledore non plus. Si vous voulez transplaner, je vous conseille cependant de manger encore avant de le faire.

Elle opina lentement, les yeux rivés aux siens.

- Bonne chance, Miss Granger, quoi que vous choisissiez.

Il essaya de se blinder. D'ignorer la petite voix amère qui lui rappelait qu'il voyait peut-être Hermione pour la dernière fois. Comment cette brunette inoffensive avait-elle le pouvoir de le chambouler de la sorte ?

Il quitta Talamhcríochnaigh avec dans la tête un brouillard épais, sans trop savoir s'il était impatient de connaître la décision d'Hermione, ou s'il la redoutait.

.

oOoOoOo

.

Je me laissai glisser sur le canapé, le corps tremblant et l'esprit en effervescence. Pendant un long moment, un sanglot muet m'empêcha de respirer. Oh, Merlin, je me sentais tellement perdue. La proposition de Rogue me terrifiait autant qu'elle me réconfortait.

Je m'essuyai les yeux et avisai le plateau chargé de fruits. En d'autres circonstances, je me serais ruée sur ces grosses oranges à la pelure lustrée, mais le désarroi me donnait la nausée.

Du calme, Hermione. Réfléchis.

J'observai le salon, en proie à l'hésitation. Rogue avait résumé mes options de façon on ne peut plus concise, mais il me restait encore une chose à faire pour pouvoir prendre une décision éclairée. Si je restais à Talamhcríochnaigh – mon cœur fit de grands bonds douloureux à cette idée –, je voulais réellement connaître cet endroit et m'y sentir en sécurité. J'allais donc explorer les lieux.

Je me remis debout avec précaution. L'analgésique que j'avais avalé ce matin ne faisait plus effet depuis longtemps. Je foulai le tapis de quelques pas prudents. Je me sentais encore faible mais ma tête ne tournait plus. Ça irait comme ça.

Je fis lentement le tour de la maison, non sans un certain sentiment de voyeurisme. Mon exploration solitaire ne fut troublée que par le craquement des lattes du plancher sous mes pas légers. L'elfe Kari avait disparu je ne sais où. J'ouvris le moindre placard, parcourus les couloirs et les pièces comme pour m'imprégner de leur atmosphère, observai longuement le laboratoire de Rogue – il était situé au bout du couloir du rez-de-chaussée. La seule porte que je laissai close, par pudeur, était celle qui abritait vraisemblablement la chambre de Rogue, à l'étage.

Tout était si normal dans cette maison. Si… humain. Un chandail traînait sur le dossier d'un fauteuil, une pile de livres et un journal avaient été laissés sur une table. Quant au laboratoire, on aurait pu le croire brillant comme un sou neuf, mais non. Sur la table de travail, les potions suspendues en plein cours et les parchemins noircis de notes s'entassaient dans un joyeux chaos.

Sur quoi Rogue pouvait-il bien travailler, maintenant qu'il n'était plus maître des potions à Poudlard ? Cet homme demeurait un mystère pour moi et visiter sa maison exacerbait ma curiosité.

J'aboutis finalement dans la cuisine. C'était ici que j'avais apparu un horrible soir de décembre, le corps en lambeaux. La lumière tamisée était exactement la même qu'aujourd'hui. Je me penchai machinalement et effleurai la céramique vert mousse. Rogue – ou son elfe – avait effacé toute trace de la flaque de sang. Mon sang.

Je me redressai en frémissant.

Qu'est-ce que je devais faire, à présent ?

Dites oui.

Je serrai les bras autour de moi.

Je ne doutais pas une seconde de la bonne foi de Rogue, mais je savais aussi… qu'il avait raison. Rester avec lui serait compliqué. Ma vie était déjà épouvantablement compliquée depuis le jour où un mangemort fou avait croisé ma route. J'avais fui mon foyer et mon emploi, j'avais menti à mes amis. Qu'est-ce que ce serait si je devais partager le toit d'un homme recherché pour meurtre ?

Je soupirai, en proie à l'indécision la plus totale.

.

oOoOoOo

.

Tout était noir et silencieux quand Severus revint à Talamhcríochnaigh, beaucoup plus tard ce soir-là. Il avait délibérément transplané dans le couloir pour ne pas effrayer Hermione en surgissant devant elle. Si elle était encore là, bien sûr.

Il tendit l'oreille. Rien.

Il se rendit jusqu'au salon, le craquement du plancher annonçant sa présence, et constata sans grande surprise qu'il n'y avait personne.

Il revint sur ses pas pour gravir lentement l'escalier, comme pour retarder le moment fatidique où il saurait si quelqu'un l'attendait chez lui ou s'il y était seul.

S'il-vous-plaît, faites qu'elle soit encore là, pensa-t-il sans même savoir quelle instance supérieure il implorait ni pourquoi il le faisait.

Faites qu'elle soit encore là, en train de dormir.

À l'étage, la porte de la chambre était grande ouverte. Il glissa un coup d'œil inutile dans la pièce, et la vue du lit vide l'assomma. Il resta immobile de longues secondes, encaissant le coup.

Pourquoi y avait-il ce paquet de nœuds dans son ventre, ce goût amer dans sa bouche ? Avait-il trop espéré ?

Mais espéré quoi, pour commencer ? Qu'Hermione Granger accepte son aide ? Qu'elle ait confiance en lui autant qu'il avait eu confiance en elle ? Le simple fait de la laisser libre de partir d'ici avec ses secrets avait été un acte de foi immense.

Eh bien, il s'était peut-être trompé. Hermione avait préféré rejoindre ses amis. Une décision raisonnable. Il aurait dû en être soulagé, mais en ce moment précis, c'était au-delà de ses forces.

Il se détourna de la chambre douloureusement déserte et regagna le rez-de-chaussée, avec le seul projet de bûcher jusqu'à l'épuisement dans son laboratoire.

Lorsqu'il repassa devant le salon obscur, son œil fut attiré par une tache claire.

Il tourna brusquement la tête et vit une apparition.

.

oOoOoOo

.

- Miss Hermione est encore là !

Je sursautai en voyant Kari surgir de nulle part. Où se terrait-elle pendant que j'avais fait le tour de la maison ?

- Qu'est-ce que Miss Hermione fait dans la cuisine ? demanda-t-elle avec une méfiance évidente.

Je haussai les épaules.

- Rien.

L'elfe fronça les sourcils et le nez en une moue ratatinée.

- Maître Severus a laissé Miss Hermione toute seule ?

- Eh bien… oui.

- Ça signifie que Miss Hermione va rester ici ?

Pendant une seconde, le souffle me fit défaut.

Dites oui.

- Oui.

Voilà. C'était dit. Je ne pouvais plus revenir en arrière.

Bizarrement, cette pensée m'apaisa.

- Je vais rester ici, Kari, repris-je d'une voix plus ferme.

Elle me jaugea de la tête aux pieds. Pas besoin d'être un génie pour comprendre que ma présence ne l'enchantait guère. J'essayai de soutenir son regard scrutateur sans penser à ma maigreur effrayante. Je n'allais pas me laisser intimider par une elfe de maison, même si elle avait pour maître Severus Rogue.

- Très bien, lâcha-t-elle enfin, si c'est ce que Maître Severus veut. Kari va amener Miss Hermione à sa chambre.

- Merci, Kari, mais ce n'est pas nécessaire.

- Miss Hermione semble très fatiguée. Miss Hermione devrait prendre un bain et se reposer. Pourquoi Miss Hermione est aussi maigre, est-ce que Miss Hermione est mourante ?

- Non, répliquai-je, piquée au vif.

L'elfe ne me laissa pas le temps de protester davantage. Elle s'empara de mon bras et me tira dans le couloir avec une force étonnante pour une si petite créature.

- Maître Severus n'aurait pas dû laisser Miss Hermione toute seule. Maître Severus aurait dû prévenir Kari pour que Kari s'occupe de Miss Hermione.

- Tu n'as pas à t'occuper de moi, Kari.

- Mais si, Kari est là pour ça. Maître Severus sera en colère si Kari ne s'occupe pas de Miss Hermione.

Je soupirai et la laissai me piloter à la chambre, puis s'activer comme une fée du logis. En deux temps et trois mouvements, la pièce se transforma en un havre irrésistible. Kari fit de la lumière, raviva la température ambiante, ajouta des couvertures supplémentaires sur le lit, glissa une bouillotte chaude entre les draps, fit apparaître le plateau de nourriture qui avait été laissé dans le salon, ouvrit l'eau du bain et y versa une quantité invraisemblable de liquides parfumés qui embaumèrent l'air.

Elle me laissa ensuite seule.

Je poussai un profond soupir et la tension qui m'accablait s'allégea un peu. Talamhcríochnaigh serait mon refuge pour les prochains jours. Autant essayer d'y prendre mes aises.

J'entrai dans la salle de bain attenante à ma chambre et rassemblai mon courage pour affronter mon reflet dans le miroir. Mes clavicules et mes côtes saillaient affreusement sur ma poitrine, mes seins semblaient avoir fondu sous le soleil de Cape Town, mes jambes ressemblaient à des brindilles de vieux bois, même mes tempes étaient devenues creuses – pouvait-il vraiment y avoir du gras à cet endroit ? J'examinai ces traits secs et tristes jusqu'à ce que ma vue se brouille de larmes.

Rogue m'avait vue comme ça. Il avait offert l'hospitalité à un squelette. Comment pouvait-il me regarder sans être dégouté ?

J'essuyai mes paupières brûlantes et tirai ma nouvelle baguette de mon chignon d'un geste déterminé. Il n'était pas question que j'impose quotidiennement à mon hôte un spectacle si repoussant. Je lançai le sortilège bienfaisant qui cachait mon délabrement et une douce chaleur se propagea dans ma main droite lorsque le jet de lumière fusa de ma baguette de verre. La sensation m'apaisa. J'avais maintenant une baguette à moi. J'avais un toit à nouveau. J'avais un allié précieux. Ma situation s'était améliorée de façon spectaculaire.

Je fermai les rideaux pour couper ce qui restait de la lumière du jour, allumai une chandelle dont la lumière diffuse ne me laisserait pas voir clairement ma maigreur, puis pris un bain interminable, le premier depuis des lustres. Il n'y avait pas de baignoire à mon loft à Londres et je n'avais pas osé essayer celle des Zabini en raison de la canicule.

Je savonnai méticuleusement chaque parcelle de ma peau comme si c'était un rituel sacré, puis écoutai la rumeur lointaine des vagues et les bourrasques venant du large. La mousse avait disparu lorsque je m'extirpai de l'eau, les doigts fripés comme des raisins secs, la peau rougie et les muscles en beurre. Il y avait assurément quelque chose de spécial dans les huiles essentielles que Kari avait versées dans l'eau. Mon corps était encore douloureux et tremblant, mais je n'avais pas été si détendue depuis longtemps.

De retour dans la chambre, je regardai le lit avec envie, mais décidai attendre le retour de Rogue. Je ne pouvais pas m'endormir ici ce soir sans avoir reparlé à mon hôte. Je descendis à la verrière, m'emmitouflai dans la couverture qui traînait sur une banquette et observai les étoiles pour tromper la nervosité qui recommençait à faire surface.

Et si Rogue était déçu de me voir ? Et s'il regrettait de m'avoir offert son toit ?

J'essayai de me rappeler les noms et l'emplacement des constellations pour occuper mes pensées.

Au bout d'une longue heure, des craquements se firent entendre dans la maison et une vive anxiété revint aussitôt faire son nid dans mon ventre.

Impossible de confondre les pas d'un elfe avec ceux d'un homme.

Rogue était de retour.

.

oOoOoOo

.

Elle se tenait là, immobile à l'entrée de la verrière, vêtue d'une robe de nuit aussi claire que les fauteuils. Voilà pourquoi Severus ne l'avait pas vue tout à l'heure.

Des cognements lui martelaient la cage thoracique, et cette fois ce n'était pas à cause de la déception. Il avait été si certain qu'Hermione était partie que les mots lui échappaient.

Ils se scrutèrent l'un et l'autre dans la pénombre, jusqu'à ce qu'il se décide à s'approcher. Il constata que le sort de Désillusion était de retour. Son regard ne balaya Hermione qu'une fraction de seconde, mais ce fut suffisant pour remarquer les courbes douces de ses hanches et la rondeur de sa poitrine. Il se força à la regarder en face à nouveau. Ses joues avaient retrouvé leur arrondi, ses yeux leur éclat. Sa peau semblait satinée sous la lueur de la lune. Des effluves de vanille et de bergamote s'échappaient de ses cheveux humides noués sur sa tête.

C'est seulement après toutes ces observations qu'il remarqua à quel point elle semblait nerveuse. Il se sentit idiot de ne pas l'avoir vu plus tôt.

Elle parla néanmoins la première.

- Je… j'espère que vous n'avez pas changé d'idée.

Tant d'incertitude dans cette voix feutrée.

- Vous cherchez déjà une défaite pour partir ?

Il regretta cette boutade aussitôt qu'elle fusa de sa bouche, mais bizarrement, Hermione se détendit un peu.

- Vous n'aviez pas à attendre mon retour, enchaîna-t-il sur un ton plus neutre. Vous avez sûrement besoin de repos.

Elle acquiesça doucement, puis précisa :

- Je préférais… vous voir avant d'aller dormir.

Ils se contemplèrent. Le ressac ponctua le silence. Une vague. Deux vagues. Trois vagues.

Severus s'était soigneusement préparé à convaincre Hermione de rester, mais maintenant qu'elle était là, il se sentait gauche et pris au dépourvu. Il s'efforça de ne pas le montrer.

- Avez-vous mangé à nouveau durant les dernières heures ?

- Oui. Et Kari m'a apporté d'autres… euh… collations, au cas où.

- N'hésitez pas à l'appeler si vous avez encore faim, répondit-il, même s'il se doutait que lesdites collations devaient en fait être des festins.

Hermione hocha la tête.

Il chercha ses mots avant de poursuivre.

- J'aurai besoin de votre… collaboration au cours des prochains jours. Vous devrez faire preuve de franchise avec moi. Je veillerai en retour à ce que vous ne manquiez de rien.

Elle hésita. On devinait sans peine que l'honnêteté qu'il lui demandait menaçait de nombreux petits secrets qu'elle aurait préféré garder pour elle. Mais il ne voulait pas de toutes ces cachotteries entre eux. Il n'était pas question que la pudeur et la honte empêchent la jeune femme de lui demander son aide en cas de nécessité.

- Je comprends, murmura-t-elle finalement.

- Ai-je votre parole, Miss Granger ?

- Hermione, souffla-t-elle.

Elle parut aussi surprise que lui par sa propre spontanéité, mais elle choisit tout de même d'insister :

- Vous pouvez m'appeler Hermione.

Tu es Hermione depuis longtemps.

Il répéta sa question, d'une voix qu'il espérait calme :

- Dans ce cas, ai-je votre parole, Hermione ?

- Vous l'avez.

- Très bien.

Il lui tendit la main pour officialiser cette entente.

Hermione la fixa avec un mélange de crainte et d'étonnement, consciente qu'un retour en arrière n'était plus possible. Regrettait-elle soudain d'avoir accepté de rester à Talamhcríochnaigh ? Il aurait voulu qu'elle comprenne que cette tactique typiquement Serpentard ne visait pas à la piéger mais seulement à assurer son bien-être. Il le lui montrerait. Il lui prouverait qu'elle n'avait rien à craindre de lui.

Il attendit, stoïque, jusqu'à ce qu'elle soulève une main délicate qu'il enveloppa avec précaution dans la sienne.

Le sort en était jeté.

.

oOoOoOo

.

Eh voilà, je vous avais dit que ce serait court !

Au menu dans le prochain chapitre : plusieurs moments embarrassants pour inaugurer la nouvelle cohabitation de Severus et Hermione. Pourquoi nous priver de ce petit plaisir ?

À suivre !