Bon.
Aujourd'hui, on va jouer au jeu Dont-vous-êtes-le-héros. Ça va comme suit.
Option 1 : Si tu considères l'inachèvement de cette histoire comme un manque de respect à ton égard, lis ceci.
Cher internaute anonyme qui lis en 10 minutes ce que j'écris en 30 heures : je ne te dois rien. Mais puisque j'ai grand cœur, je vais abréger le suspense : non, je ne finirai jamais cette histoire. De toute façon, tous les personnages seraient morts noyés pendant un pique-nique familial au chapitre 28. Tu peux donc retirer mon histoire de tes alertes. Et inutile de perdre 10 minutes à m'envoyer d'autres récriminations, elles se retrouvent dans mes courriels supprimés en 2 secondes. Bye.
Prochaine action : Ferme ton navigateur et va faire la lessive.
Option 2 : Si tu es capable de rester poli et patient même en sachant que cette histoire ne se finira pas demain matin, lis ceci.
Eh bien, cool, parce que je n'ai pas l'intention d'abandonner.
Prochaine action : Poursuis ta lecture plus bas.
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Camm : Merci beaucoup pour ton commentaire et ton enthousiasme. Je ne sais pas encore combien de chapitres je dois produire, mais ça devrait se préciser très bientôt. Pour ce qui est de ma fréquence moyenne de publication, il suffit de diviser le nombre de chapitres publiés par le nombre d'années écoulées depuis l'apparition de cette histoire dans ce site, mais je sais que la réponse me déprimerait alors je préfère ne pas faire le calcul. ;)
Jeanneo patronum : Pour recevoir les mises à jour par courriel, il faut être connecté et sélectionner l'option « Follow Story » à la fin de n'importe quel chapitre, juste sous la case pour écrire les reviews. J'espère que la suite te plaira ! Merci pour ton commentaire !
Alienor : Merci, ton commentaire me touche beaucoup.
De passage, WFdarkness et July : Depuis que je publie cette histoire, j'ai toujours reçu un nouveau commentaire à l'instant précis où j'en avais le plus besoin. Vos petits mots furent de ceux-là. Certains appellent ça le hasard, moi je dis que c'est de la magie. Merci mille fois.
Merci aussi à : Zenith Nir'Endilith, Eileen1976, Oonaa, Lola, Amandine, rivruskende, Math'L, Mrs Elizabeth Darcy31, Infini3D, Bergere, Ellana17, Eudore, Lucile, Cecilede, Tralapapa, shukrat, Roxanou, Zeugma412 et Fantomette34. Je suis épatée par votre soutien.
Micro-résumé du chapitre précédent : Severus offre à Hermione de rester chez lui et elle accepte.
Bonne lecture.
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Chapitre 24. Mission et tergiversations
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Oh, merde.
Par la barbe de Merlin.
Merde merde merde merde.
Planquée dans la petite salle de bain attenante à ma chambre, je contemplai la tache sombre qui ornait le fond de ma culotte comme si c'était une grenade dégoupillée.
Le premier matin de mon séjour à Talamhcríochnaigh aurait pourtant pu être paisible, avec son soleil radieux et son roulis de vagues, mais non. Le Destin préférait s'acharner sur mon cas. J'avais mes règles. Ici, chez Rogue ! Et je n'avais absolument rien à me mettre.
Je fermai mes paupières encore bouffies de sommeil et respirai par le nez. Avec un peu de chance, j'aurais vite l'occasion de fausser compagnie à mon hôte, de transplaner dans une ville quelconque et d'acheter de quoi survivre aux prochains jours avec un semblant de dignité.
Mais d'ici là…
Je regardai tour à tour le rouleau de papier de toilette – ça ne serait jamais suffisant – et les serviettes roulées dans un panier près de la baignoire – elles étaient blanches, nom d'un hippogriffe, et de toute façon je n'aurais jamais le culot d'utiliser les fournitures de Talamhcríochnaigh en guise de protections hygiéniques.
En désespoir de cause, je retirai ma chemise de nuit et entrepris de la mettre en lambeaux, à regret. Ce n'est pas si terrible que ça, tentai-je de me convaincre en enroulant un morceau de tissu autour de la culotte de mon bikini. Mon arrière-grand-mère se débrouillait sans doute de la même manière.
Peu rassurée quant à l'efficacité de mon plan de sauvetage, je regagnai ma chambre et entrepris de faire le lit dont je m'étais extirpée en catastrophe, réveillée par les crampes désagréablement familières. Une autre douleur, très différente, me traversa le corps à chacun de mes mouvements. Même si personne ne pouvait me voir, je gardai un visage de marbre. Mon séjour chez les Zabini avait été suffisamment long pour que dissimuler mon inconfort devienne un réflexe.
Je frottai mes yeux fatigués.
Je n'aurais pas le choix de parler à Rogue… de tout ça. Les élancements incessants, les tremblements. À plus forte raison si je n'avais plus le moindre analgésique à avaler. En sa qualité de Maître des potions, mon hôte aurait sûrement un autre remède à me proposer. Seulement, la perspective de cette discussion me faisait peur. Quand parlerais-je à Rogue ? Qu'est-ce que je lui dirais ? Il n'y avait que lui pour me rendre si nerveuse.
Je promenai mon regard sur la pièce ensoleillée et fus confrontée à un problème plus urgent. Étendue sur le dossier d'un fauteuil, la robe noire que j'avais portée la veille, sous la pluie battante de Varanasi, me narguait avec ses traces de boue séchée. Je ne pouvais pas la porter dans l'immédiat.
Mon désarroi montant en crescendo, je m'approchai de mes maigres possessions miniaturisées sur la table de chevet. Des shorts, des débardeurs, une robe sans manches, des mornilles. Je me résolus à enfiler un short et un débardeur, avant de changer d'idée et de passer la petite robe vert bouteille qui convenait pour la chaleur torride de Cape Town, mais qui paraissait très déplacée à Talamhcríochnaigh. Le bas du vêtement ne tombait pas plus bas que la mi-cuisse et voletait au gré de mes pas. C'était comme si mes jambes nues criaient de les regarder. Mais je n'avais pas d'autre option.
M'armant de courage, je lissai la robe, m'apprêtai à sortir de la chambre, hésitai, puis refermai la porte aussi silencieusement que je l'avais ouverte, les joues en feu.
- Kari ? appelai-je dans le vide.
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Clac, clac, clac.
L'amoncellement de racines de bardane grossissait au rythme des coups de couteau de Severus. Il savait, à la manière dont les rayons matinaux projetaient leur jeu de lumière sur les ingrédients, qu'il approchait des 9 heures. Il jeta un coup d'œil machinal à l'horloge et accéléra la cadence.
Clac, clac, clac.
La préparation achevait. Avec un peu de chance, il réussirait à tout terminer avant d'être convoqué à l'improviste pour quelque basse besogne.
Crac.
Severus leva le nez du plan de travail. Kari, fidèle à ses habitudes (agaçantes), avait surgi dans le laboratoire sans prévenir.
- Maître Severus, couina-t-elle en guise de salutation. Kari sait que Maître Severus n'aime pas être dérangé, mais Kari est ici à cause de Miss Hermione.
Alarmé, Severus posa son couteau et se frotta les mains. Son invitée avait-elle eu un autre malaise ?
- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il.
- Kari avait prévenu Maître Severus que Miss Hermione ne lui apporterait que des probl…
- Viens-en aux faits.
- Miss Hermione a appelé Kari à sa chambre, Maître Severus.
- Et ?
- Et Miss Hermione était à moitié nue !
Severus haussa un sourcil devant cette révélation fort dramatique.
- À moitié nue, répéta-t-il platement.
- Si.
- Bien sûr.
Oh, Circée. Qu'est-ce que c'étaient que ces idioties ?
- Heureusement que Miss Hermione est dans sa chambre et Maître Severus, dans son laboratoire, insista Kari avec emphase. Il aurait été tout à fait inconvenant qu'une humaine vêtue comme Miss Hermione se présente devant Maître Severus.
Il roula des yeux.
- Quel scandale, lâcha-t-il. Hermione t'a-t-elle demandée pour un motif particulier, outre celui de heurter ta sensibilité ?
- Miss Hermione n'a que des vêtements minuscules et obscènes. Miss Hermione a demandé à Kari de lui prêter des vêtements, mais Kari sait que Maître Severus ne possède aucun vêtement pour humaine. Kari ne sait pas quoi faire, Kari ne veut pas que Miss Hermione se promène de façon indécente à Talam…
- Apporte-lui-en des miens.
L'elfe manqua s'étouffer. Severus reprit son couteau avec une indifférence tout étudiée, alors qu'en réalité il se réjouissait de ne pas avoir eu à prononcer ces paroles devant Hermione Granger.
Clac, clac, clac.
- Pardon ? couina l'elfe, voyant qu'il l'ignorait royalement. Est-ce que Kari a bien compris ? Maître Severus veut prêter ses propres vêtements à Miss Hermione ?
- C'est ce que j'ai dit.
- Mais Miss Hermione ne peut pas porter les v…
- Kari.
La voix de Severus claqua comme un coup de fouet. L'elfe parut peu impressionnée mais eut néanmoins le bon goût de se taire.
- Fais ce que je t'ai dit. Et assure-toi qu'elle ne manque de rien.
- Très bien, Maître Severus, conclut Kari, son visage vert plissé comme un raisin sec.
Severus ignora sa grimace réprobatrice et se remit au travail, en essayant de ne pas imaginer de quels vêtements minuscules et obscènes Hermione pouvait bien être affublée.
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La lumière qui inondait la cuisine m'obligea à plisser les yeux et l'odeur des croissants frais me fit oublier mon accoutrement singulier : un pull gris acier assez long pour faire office de robe, des bas de laine qui montaient jusqu'à mes genoux et un pantalon de pyjama en soie noire dont le bas traînait par terre – et la taille tenait tout juste sur mes hanches.
Je me laissai choir sur une chaise, les jambes flageolantes. Le simple fait de descendre l'escalier était un exercice particulièrement douloureux. J'hésitai, puis décidai qu'être l'invitée de Rogue me donnait le droit de goûter à la nourriture laissée sur la table. Je pris un croissant et le mastiquai lentement, pour ménager mon estomac perturbé.
J'eus à peine le temps d'avaler une bouchée que des pas firent craquer les lattes de bois dans le corridor. Je dus lutter contre l'envie de remettre le croissant là où je l'avais pris et de me lever d'un bond, comme si j'avais eu besoin d'une autorisation pour poser mes fesses sur ce siège.
Une haute silhouette sombre se posta à l'entrée de la cuisine. Nous nous dévisageâmes. Rogue portait ses sempiternels habits noirs et impeccables, à croire qu'il ne se départait jamais de cet uniforme austère même quand il était chez lui.
Il ouvrit la bouche pour parler, mais la vue de ses vêtements sur moi sembla le distraire. Son regard me balaya de la tête aux pieds. Il n'en fallait pas plus pour que mon visage s'embrase.
- Ce sont les vêtements que votre elfe m'a apportés, dis-je d'une voix encore rauque de sommeil. Elle m'a dit que vous lui en aviez donné la permission.
- En effet, confirma Rogue, passé la surprise.
Pendant une seconde, j'avais cru que cette elfe revêche était allée piger dans la garde-robe de son maître à son insu.
- Je peux les ajuster à votre taille, dit Rogue.
J'avisai les manches qui pendaient sur mes mains et les cachai machinalement sous la table.
- Ce n'est pas nécessaire, répondis-je. De toute façon, je vous les rendrai, euh… bientôt.
Rogue fit semblant de ne pas remarquer que je divaguais. Ne sachant plus quoi dire, je me perdis dans la contemplation du pyjama de soie.
Ce fut un tapage brusque contre la fenêtre de la cuisine qui mit fin à cet instant d'embarras. Mon croissant tomba par terre. Je manquai tomber moi aussi de ma chaise et eus le réflexe de me protéger la tête de mes mains. Rogue, quant à lui, ne parut pas alarmé le moins du monde par ce bruit soudain. Il traversa la pièce d'un pas calme et ouvrit grand la fenêtre. Un oiseau s'y engouffra dans un bruissement de plumes.
Un hibou.
Ce n'était qu'un hibou.
J'étais devenue complètement fêlée.
Le cœur battant et l'estomac noué, j'essayai de reprendre une respiration normale. Pendant ce temps, Rogue prit la missive qui lui était destinée et chassa la bête avant qu'elle n'ait le loisir de piger dans les croissants.
Il y eut un silence.
- C'est pour vous, dit la voix grave dans mon dos.
Une lettre pour moi ? Ici ? Il y avait sûrement une erreur.
Je tins le pantalon de soie pour l'empêcher de glisser et me levai. Les muscles de mes jambes crièrent grâce, mais je me forçai à ravaler une grimace et pris l'enveloppe que Rogue me tendait. Mon nom y était inscrit à l'encre bleue, sans aucune autre indication. Le sceau du Ministère ornait le coin gauche.
Je la fixai de longues secondes, et finalement l'évidence me frappa.
- Le risque que cette enveloppe vous mordre est faible, dit Rogue.
Je levai les yeux vers lui. Notre différence de taille paraissait encore plus importante que d'habitude, probablement parce que je n'avais que des chaussettes aux pieds. Des éclats de soleil jouaient sur son visage d'albâtre et allaient s'abîmer dans sa barbe et ses cheveux, comme si leur noirceur était si profonde qu'elle absorbait toute lumière. C'était bizarre de voir Rogue dans un endroit si éblouissant, alors que je ne l'avais côtoyé que dans les cachots sans fenêtre de Poudlard.
- Je sais déjà ce que c'est, dis-je.
- Vraiment ?
- Si. C'est… une convocation pour les ASPIC.
Rogue haussa un sourcil. J'aurais préféré ne pas avoir à lui expliquer cette folie.
- C'est que… C'est un pari entre Blaise Zabini et moi. Passer les ASPIC par correspondance, en janvier, et obtenir les meilleures notes possibles. C'était juste pour essayer d'être admis dans un programme universitaire pour l'hiver.
Raconté de cette manière à un agent-double qui se planquait pour sa survie, le projet frôlait le ridicule. Le rouge me monta encore au visage. Je baissai les yeux. Décidément, ce pyjama noir était des plus captivants.
- Eh bien, dit Rogue. Vous êtes chanceuse que Poudlard soit fermé, sinon vous auriez été obligée de réviser pendant cinq mois la matière que vous avez apprise en cinq semaines.
Je me mis à écorner distraitement un coin de l'enveloppe.
- Dans quel programme universitaire souhaitez-vous présenter une demande ?
- Aucun.
Ce petit mot tristement radical se répéta dans le silence.
Aucun aucun aucun.
- Dans ce cas, dit Rogue, j'ai dû mal vous comprendre quand vous expliquiez le but de passer les examens si tôt.
J'exhalai un court soupir silencieux. Je n'avais jamais arrêté mon choix sur un domaine d'étude, et à présent, ce dilemme me laissait de marbre.
- Je ne les passerai pas. Les examens.
- Vous allez donc laisser Zabini gagner ?
- Ce n'est qu'un pari idiot, murmurai-je en triturant l'enveloppe avec application.
- Depuis quand déclarez-vous forfait si facilement, Hermione Granger ?
Cette question se destinait à piquer mon orgueil, mais je me contentai de hausser les épaules.
- Voilà une explication qui m'apparaît nébuleuse, commenta-t-il.
Oh, Merlin. Il se payait ma tête, ou quoi ?
J'étirai le cou et plantai mon regard dans ses prunelles d'onyx.
- C'est pourtant évident, répliquai-je, d'un ton plus brusque que je ne l'aurais voulu.
- Ce n'est pas le qualificatif que j'aurais employé.
Il croisa les bras, presque avec nonchalance, et passa mon visage aux rayons X avec ce regard pénétrant dont lui seul avait le secret. J'aurais voulu qu'il prenne la liberté de lire lui-même les mots que je préférais taire.
- Je n'ai p-pas étudié depuis…
Une grosse boule douloureuse se nicha au fond de ma gorge, m'empêchant d'émettre une seule syllabe de plus.
Rogue eut le bon goût de ne pas attendre la suite. Il décroisa les bras et me tendit une grande main pâle.
- Vous permettez ?
Je lui donnai la missive, dont les quatre coins étaient maintenant chiffonnés, et il la décacheta avec des gestes précis mais fluides. Ses yeux noirs bondirent d'une ligne à l'autre.
- L'épreuve a lieu le 2 janvier, lut-il. Ce qui vous donne encore plusieurs jours de préparation.
Je déglutis pour me dénouer la gorge.
- Vous ne comprenez pas, dis-je, sans pouvoir empêcher une note de désespoir de percer dans ma voix.
- Éclairez-moi, Hermione, dit-il en levant son long nez aquilin de la lettre. Que devrais-je donc comprendre ?
Je cillai en entendant mon prénom sortir de sa bouche. Ainsi, il avait écouté ma requête de la veille. Ce fut ce qui me donna le courage de poursuivre.
- Je n'arrive plus à me concentrer sur quoi que ce soit. Je ne peux même pas lire pendant une demi-heure. Je n'aurai jamais la force de…
Je ne sus pas comment terminer cette phrase. Rogue prit le relais.
- Le pire qui puisse arriver, c'est que vos résultats vous déçoivent. Mais vous pourriez alors reprendre les examens plus tard.
- Je n'aime pas l'échec.
Il eut un reniflement ironique.
- Vraiment ? Je ne l'aurais jamais cru. Néanmoins, je pense que cette épreuve aurait le mérite de vous changer les idées, poursuivit-il d'un ton plus grave.
Je le contemplai, ne sachant quoi répondre, puis fixai la mer qu'on apercevait derrière lui, par la fenêtre. Sa proximité me faisait perdre le fil de la conversation. Je n'avais plus l'habitude de le regarder et de m'adresser à lui.
- Tous mes livres sont… chez moi. À Londres.
- Si vous en êtes à songer à ce genre de détail, je conclus que vous vous êtes laissée convaincre.
- Je ne veux pas retourner là-bas.
- Vous n'avez pas à y retourner. J'irai chercher vos livres pour vous, si vous le souhaitez.
Je triturai mes longues manches, à défaut de pouvoir continuer à déchirer l'enveloppe que Rogue ne m'avait pas encore rendue.
- Quelque chose vous tracasse, constata-t-il.
- Je ne peux plus… payer le loyer, avouai-je dans un souffle. Je dois vider mon loft.
- Considérez que c'est chose faite.
- Mais… je ne peux pas vous laisser faire tout ça tout seul.
Il leva une main pour mettre fin à mes protestations.
- Je suis un sorcier, je vous rappelle. Vider un appartement n'aura rien d'un exploit. Et il est hors de question que vous vous rendiez là-bas.
J'opinai et cillai pour sécher les larmes qui perlèrent soudain aux coins de mes paupières.
- Je serai de retour dans une heure, tout au plus, conclut Rogue.
Il me contourna et je suivis son mouvement, alarmée de voir le projet se concrétiser si rapidement. Il était question de mon loft. De l'endroit où un mangemort aux yeux bleu de glace m'avait capturée.
Il prendra sa revanche.
Je frissonnai, malgré mon épais pull de laine. C'était la première fois depuis longtemps que ce leitmotiv malsain me traversait l'esprit. Je serrai les bras autour de moi.
- Est-ce que c'est… dangereux pour vous ?
Rogue s'arrêta à l'entrée de la cuisine et me scruta.
- Non, dit-il, comme si c'était une évidence.
Je me mordillai la lèvre, incertaine.
- En êtes-vous sûr ?
- Oui, Hermione.
Il amorça un mouvement pour partir, puis se ravisa.
- Il y a autre chose dont je voulais vous parler, annonça-t-il.
Je devinai à son ton grave que la suite ne me plairait pas.
- La Désillusion, dit-il sans détour.
Oh.
Mon estomac se tortilla.
- Vous ne pouvez pas vous cacher sous ce sortilège devant moi. Je peux comprendre pourquoi vous l'avez utilisé ces derniers jours, mais cela ne peut pas se poursuivre ici. Je dois savoir dans quel état vous êtes.
Je contemplai ses prunelles noires, à la recherche d'une échappatoire. Étais-je donc condamnée à lui imposer la vue d'un squelette durant tout mon séjour ici ? J'aurais voulu pouvoir soustraire à son regard tout ce qu'il y avait de hideux et de honteux en moi.
- Vous m'avez promis d'être franche, insista Rogue.
Mes yeux devinrent encore humides. Je regardai le plancher.
- C'est vrai, admis-je.
En acceptant de rester chez lui, j'avais aussi accepté ses règles du jeu. Était-ce le moment de lui dire quelle douleur j'endurais en secret depuis le Soir Maudit ? J'hésitai, la gorge sèche.
- Hermione ?
- Je vais l'enlever, murmurai-je. Le sortilège.
Je me détournai. Les rayons filtrant à travers la fenêtre me réchauffèrent le visage. D'une main tremblante, je cueillis ma nouvelle baguette de verre dans mon chignon, lequel menaça de s'écrouler.
- Finite incantatem.
Une sensation diffuse de chaleur se propagea à travers ma paume. Je ne bougeai plus, incapable de faire face à Rogue.
Le plancher de bois craqua dans le couloir.
Il était parti.
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L'immeuble était brun, banal et étriqué entre deux autres plus grands que lui. Dans la rue, des éboueurs manœuvraient bruyamment les poubelles de métal. Des passants circulaient en portant des sacs d'épicerie, des femmes traînaient leurs bambins par la main. C'était un vendredi matin ordinaire dans un quartier populaire de Londres.
Si on observait l'immeuble plus attentivement, on remarquait que le logement du premier étage semblait à l'abandon. Les rideaux étaient fermés même s'il faisait grand jour et de nombreux cartons publicitaires jonchaient le pas de la porte, attendant d'être ramassés.
Severus s'écarta d'un homme qui marchait droit vers lui, sur le trottoir. Se tenir invisible à cet endroit, comme douze jours plus tôt, avait une saveur très amère. Encore maintenant, il ne savait pas trop s'il avait gagné une manche en convaincant Hermione de rester sous son toit, ou s'il ne faisait qu'enchaîner les maladresses. La jeune femme tenait à peine debout et avait de la difficulté à le regarder en face. Il commençait déjà à regretter de l'avoir poussée à passer les ASPIC et à enlever le maudit sort qui lui garantissait un peu de dignité.
Secouant la tête, il traversa la rue, grimpa d'un pas silencieux l'escalier menant au logement qu'il surveillait, puis tendit sa baguette pour détecter quels champs magiques entouraient l'endroit. Le sortilège de protection placé par Hermione. L'autre, plus puissant, qu'il avait lui-même lancé. Mais il y avait aussi autre chose, la trace d'un enchantement qui n'aurait pas dû être là. De la magie noire.
Severus dut se rendre à l'évidence : MacNair était revenu ici, lui aussi. Dans quel but ? Piéger le logement au cas où Hermione y serait retournée ? La capturer à nouveau ? Ce dégénéré n'en avait-il donc pas eu assez ?
Severus hésita, les lèvres serrées, sa baguette pointée sur la porte. S'il désamorçait le maléfice, MacNair saurait qu'un sorcier aux pouvoirs plus puissants qu'Hermione était venu sur place. Ce pourrait être un auror. Une personne de confiance. MacNair n'avait aucune raison de remonter jusqu'à lui.
Severus pensa à Hermione, qui s'inquiétait de le voir se rendre ici. Elle n'avait pas besoin de savoir que son bourreau avait fait une énième tentative pour l'atteindre. Severus n'allait sûrement pas retourner à Talamhcríochnaigh les bras vides, sous prétexte que récupérer quelques effets personnels avait été trop risqué.
Alors, il remua sa baguette et entra dans le logement, espérant ne pas se tromper.
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Je parcourus Talamhcríochnaigh, désœuvrée. Mes pas me menèrent dans la verrière inondée de soleil. Je m'y assis et ne fis rien d'autre que serrer mes mains l'une contre l'autre pour les empêcher de trembler. Autant je me sentirais honteuse de me tenir devant Rogue sous mon apparence décharnée, autant j'étais impatiente de le voir de retour. Je regrettais déjà de l'avoir laissé partir. Dumbledore pouvait-il surgir ici sans prévenir ?
J'entrepris de lire la Gazette du jour sans parvenir à retenir la moindre ligne. Au milieu d'un article sur la météo désastreuse qui accablerait la Grande-Bretagne dans les prochains jours, je levai la tête et fronçai les sourcils.
Quelque chose clochait.
Rogue était parti à mon loft sans même me demander où j'habitais.
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Severus cilla.
Le logis d'Hermione détonnait du quartier banal dans lequel il était situé. On devinait sans peine que les murs avaient été fraîchement repeints, d'une nuance de turquoise si vive qu'elle faisait presque larmoyer. Tout le reste était blanc. Les tapis, les rideaux, les meubles, le canap…
Le canapé.
Un vêtement noir laissé là attira son regard, seule tache sombre dans ce petit univers immaculé.
Il s'approcha. C'était une cape. Une cape d'homme, à en juger la taille du vêtement. Hermione vivait-elle avec un homme ?
Mû par une curiosité déplacée, il effleura le tissu, mais n'eut pas besoin de le déployer pour reconnaître la robustesse de l'étoffe ni le motif des attaches en étain. Cette cape d'hiver, c'était la sienne. Enfin, c'était la sienne jusqu'à ce qu'il la mette sur le dos d'une Hermione Granger trempée et transie dans le fort lunaire.
Severus avisa la pile de livres et la tasse vide laissées juste à cet endroit, au pied du canapé, ce qui en disait long sur les habitudes de l'occupante des lieux.
Et pourquoi pas, se secoua-t-il. Ce n'était qu'un vêtement comme un autre, après tout. N'est-ce pas ?
N'empêche, quelque chose lui soufflait qu'Hermione serait embarrassée de savoir qu'il avait vu ce vêtement laissé bien en évidence dans le salon. Alors, il dénicha une boîte dans un placard à balais, miniaturisa la cape et la déposa tout au fond. Bientôt, livres, paperasse et plumes subirent le même sort.
Severus glissa un coup d'œil dans la minuscule salle de bain, sans oser y entrer. Il n'allait sûrement pas se mettre à farfouiller dans les crèmes, pinces à cheveux et autres articles féminins appartenant à Hermione. Il se contenta donc d'un ample mouvement de baguette, puis s'écarta du chemin pour éviter de recevoir en pleine figure le bric-à-brac miniaturisé qui fila droit vers la boîte.
Ne restait plus que la chambre, ou plutôt l'espace qui servait vraisemblablement de chambre, abrité derrière un paravent. Severus y passa la tête, se jurant de n'y rester pas plus de deux ou trois secondes, mais la surprise lui fit oublier ses scrupules. Il s'était attendu à trouver un lit impeccable, peut-être une autre pile de livres à l'équilibre aussi net que celle laissée dans le salon, bref, rien de très affriolant.
Le pliage des couvertures sur le lit était en effet digne d'un soldat, mais le reste était différent, très différent de ce que Severus avait imaginé. Des canevas de toutes les tailles tapissaient les murs et le plafond, tandis qu'une armée de pinceaux et de bocaux colorés s'entassait sur la commode. Les œuvres ne représentaient rien en particulier, sinon de l'énergie à l'état brut, des traits, des courbes, des mouchetures si vives qu'elles semblaient en vie.
Severus cligna des yeux. En fait, les toiles étaient réellement en vie. Les jaunes et les verts arboraient des nuances changeantes à la lumière du jour. Les bleus et les rouges ondoyaient comme des foulards de soie au vent. Les roses et les noirs se livraient à la danse aléatoire des aurores boréales.
C'était saisissant.
Pendant un court instant, Severus s'autorisa à imaginer Hermione, assise toute seule dans ce loft minuscule après une longue journée de travail, à ensevelir de peinture des toiles avec cet enthousiasme méticuleux qui la caractérisait. Il eut le sentiment de ne pas savoir grand-chose d'elle, tout comme le jour où il l'avait vue avec les enfants malades à Ste-Mangouste.
Comment cette jeune femme studieuse et conventionnelle avait-elle réussi le tour de force, un mois après la fermeture de Poudlard, de gagner sa vie, de faire du bénévolat dans un hôpital, d'étudier pour passer ses ASPIC des mois à l'avance et de tartiner de peinture les murs de son loft ? Il y avait quelque chose d'effronté dans ce train de vie plein à craquer, dans cette orgie de couleurs vives et changeantes.
À bien y penser, peut-être Severus avait-il élucidé un mystère. Il venait de comprendre pourquoi son ancienne étudiante avait atterri à Gryffondor plutôt qu'à Serdaigle, royaume tout désigné pour les des rats de bibliothèque dans son genre.
Hermione Granger était une guerrière.
Severus en était là dans ses réflexions, à se frotter machinalement la barbe, quand un bruit troubla le silence épais qui régnait dans le loft.
Il fit volte-face, sa baguette tendue devant lui.
- Expelliarmus.
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Des pas se firent entendre à l'entrée de la verrière, étouffés par le tapis.
Je cessai net de chiffonner la section des sports et n'osai même plus bouger, partagée entre le stress de revoir Rogue et le soulagement de le savoir de retour.
- Tout s'est déroulé comme prévu, annonça la voix grave.
Je levai les yeux. Rogue et moi nous dévisageâmes, lui comme s'il avait déjà oublié à quel point j'étais amaigrie, et moi à l'affût de la moindre grimace de répulsion.
Son visage demeura lisse et calme.
- J'ai laissé vos effets personnels dans une boîte, à l'entrée de votre chambre.
- Merci.
Je pinçai les lèvres, incertaine. Allait-il m'expliquer pourquoi il savait où était mon loft ? Devais-je aborder le sujet moi-même ?
- Par ailleurs, enchaîna-t-il, quelqu'un attendait votre retour chez vous. J'ai jugé bon de l'amener ici.
- Quoi ?
Rogue s'écarta.
Pendant une seconde horrible, je m'attendis à voir surgir du salon un mangemort costaud au visage glacial. Mais ce fut plutôt une petite forme orangée qui fit irruption dans la pièce comme un Éclair de feu. La chose me bondit sur les genoux, et la suite ne fut plus qu'un tourbillon de fourrure rêche contre mes bras, de coups de museau humide sur mes joues et de piétinements de petites pattes griffues à travers le pyjama de soie noire.
Je fondis en sanglots.
- Pa-Pattenrond !
Je l'avais cru mort de faim ou perdu dans les rues de Londres avec d'autres chats errants, et il était là, aussi maigre que moi mais bien vivant. Je l'étreignis de toutes mes forces.
- Oh, Pattenrond.
J'essayai de reprendre contenance, mais c'était à peine si j'arrivais à respirer. Le décor de la verrière et l'homme tout vêtu de noir avaient disparu derrière un rideau de larmes. Je me levai, mon chat emprisonné contre mon cœur.
- E-e-excusez-moi, bredouillai-je en m'essuyant les yeux d'une main maladroite. Je vais… je dois… la boîte… Merci, merci pour tout.
Je filai, laissant derrière moi un Severus Rogue décontenancé.
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La lumière dorée qui s'infiltrait par la fenêtre enflammait tout le loft.
Il contempla ce lieu qu'il voyait pour la première fois, longuement, puis conclut qu'il serait inutile de traîner ici. Le logement était meublé mais sans âme. Aucun effet personnel n'y subsistait : pas un vêtement, pas une photo, même pas une facture oubliée. La personne qui l'avait précédé ici ne reviendrait pas.
Il se retrouvait donc dans une impasse, et pourtant toutes les questions subsistaient. Était-elle encore vivante ? Des gens étaient-ils à sa recherche ? Qui était venu ici plus tôt aujourd'hui ? Qui avait brisé les protections l'empêchant d'entrer et les alarmes qu'il avait lui-même placées ? Un auror ? Envoyé par qui ?
Le sentiment cuisant d'échec qui le guettait depuis douze jours s'amplifia. Il avait pourtant patienté, cherché, persévéré, pour trouver la fille et lui montrer qu'on ne se mesurait pas à lui sans en payer le coût. Mais en bout de ligne, avait-il gagné ou perdu ? S'il ne pouvait même pas gagner contre un bout de femme minuscule et insignifiant, que valait-il ?
Il jeta un dernier regard au loft et prit une décision : il ne baisserait pas les bras avant d'avoir la certitude que la fille était morte.
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Il prendra sa revanche.
Il prendra sa revanche.
Il prendra sa revanche.
Je me réveillai en sursaut, la gorge sèche, le cœur me martelant la poitrine.
Une lumière dorée de fin d'après-midi baignait la chambre. Quelle heure pouvait-il être ? D'une main tremblante, j'attrapai la montre que j'avais laissée sur ma table de chevet et soufflai un juron. J'étais en retard pour le dîner. Je ne voulais pas être en retard pour mon premier dîner à Talamhcríochnaigh.
Je repoussai Pattenrond qui protesta bruyamment, me hissai debout et parcourus d'un pas lourd les quelques mètres qui me séparaient de la salle de bain, tout mon corps en feu. Dans le miroir, mon reflet me renvoya une expression sinistre. Je repoussai les mèches de cheveux que la transpiration avait plaquées sur mon front, m'aspergeai le visage, avalai une longue rasade d'eau et entrepris de refaire un chignon à peu près présentable. Cette corvée mille fois répétée aurait pu calmer un peu ma nervosité, si seulement mes boucles fantasques n'avaient pas refusé de collaborer.
Je piquai quelques pinces à la va-vite dans ma tignasse et réalisai que j'avais oublié d'enlever les vêtements de Rogue pour mettre les miens. Trop tard. Il y avait des limites à se faire attendre. Je quittai mes appartements, de plus en plus nerveuse.
L'étage était silencieux. Je descendis l'escalier sombre où montaient de délicieux fumets, parcourus le couloir aussi vite que me le permettaient mes jambes douloureuses et fis irruption dans la cuisine.
Elle était vite.
Mon cœur fit encore un saut périlleux, mais cette fois, ce n'était pas de la nervosité, c'était de la déception.
J'avais passé le plus clair de la journée seule avec Pattenrond, tandis que Rogue avait brillé par son absence. J'avais à peine ouvert la caisse qu'il m'avait rapportée de Londres, le temps de mettre la main sur une boîte de tampons et un manuel scolaire, puis j'avais tenté de relire en vitesse la matière que je connaissais déjà pendant que mon chat explorait les lieux avec intérêt. Ma lecture avait été fastidieuse. Kari m'avait apporté un sandwich auquel j'avais à peine touché, puis j'avais fait la sieste tout l'après-midi.
La douleur était devenue obsédante. Même les crampes qui accompagnaient mes règles semblaient avoir atteint un sommet inédit. Je n'en pouvais plus. Je n'aurais pas le choix de demander un antidouleur à Rogue ce soir.
Crac.
Kari apparut devant moi.
- Miss Hermione est enfin arrivée, couina-t-elle. Kari va aller chercher Maître Severus.
- Ce n'est pas la peine, dit une voix de basse dans mon dos. Je suis là.
De grands bonds me martelèrent la cage thoracique. Je pris une inspiration, me tournai vers Rogue et dus renverser la tête pour le regarder. D'où arrivait-il ? De son laboratoire ?
- Désolée, bafouillai-je, je suis en retard, je… je n'avais pas vu le temps passer.
Ses yeux noirs effleurèrent les miens.
- Nous ne recevons pas la reine d'Angleterre pour dîner, répliqua-t-il en me contournant.
Il allongea le bras.
- Assoyez-vous.
Je pris place à la table et il en fit de même. C'est seulement lorsque les brefs raclements de nos chaises se turent et que nos regards se croisèrent à nouveau que je pris conscience de tout ce que ce repas en tête-à-tête impliquait.
Manger proprement, ni trop vite ni trop lentement. Ne rien renverser. Veiller à ne pas nous cogner les pieds sous la table. Faire la conversation, ou encore laisser le tintement des ustensiles dialoguer à notre place. Risquer d'être suprêmement agaçante, ou mortellement ennuyante, ou horrible à regarder. C'était comme si ce dîner était un test, une épreuve que je n'avais pas le droit d'échouer.
Je n'y arriverais jamais. C'était trop de pression. Je penchai la tête pour échapper aux prunelles d'onyx, heureuse de porter encore des vêtements deux fois trop grands qui avaient l'avantage de cacher ma maigreur.
Un potage vert foncé apparut devant moi. Il fleurait bon les épinards, mais mon estomac était déjà coincé dans cet étau d'anxiété qui ne me lâchait plus.
Je coulai un regard à Rogue pour m'assurer qu'il avait aussi reçu son bol, pris ma cuillère et commençai à manger avec précaution, dans un silence tellement dense que même le bruit de ma déglutition semblait impoli.
Mon hôte avala sa soupe sans me donner le moindre indice sur le comportement que je devais adopter. Au bout de dix bouchées, je fus incapable de laisser ce silence peser plus longtemps.
- Que faites-vous dans le laboratoire ? demandai-je sans préambule.
La cuillère de Rogue s'immobilisa et ses yeux noirs interrogèrent les miens, comme si ma question était incongrue. Même assis, il demeurait beaucoup plus grand que moi.
- Vous savez donc qu'il y a un laboratoire dans cette maison, constata-t-il.
Je devins cramoisie. Rogue ne savait pas que j'avais visité Talamhcríochnaigh de fond en comble pendant son absence. J'avais oublié ce détail.
Je cherchai furieusement quelque chose à dire.
- Je… Je ne voulais pas être intrusive, je voulais juste…
Comment lui expliquer ça ? Ce mélange de peur et de méfiance qui me commandait d'assurer mes arrières ? J'avais la conviction que Rogue ne me voulait aucun mal, mais il y avait tant de variables inconnues dans l'équation que je ne pouvais pas avoir l'esprit tranquille. Pourquoi savait-il où je vivais ? Pourquoi m'avait-il sauvé la vie ?
Il eut un reniflement ironique, soit devant mon embarras, soit devant mon incapacité à terminer une phrase.
Je piquai du nez vers mon bol de soupe, l'estomac de plus en plus noué.
- Je gagne ma vie, dit la voix de velours.
Je relevai la tête, la bouche entrouverte de surprise, et mis quelques secondes à comprendre que Rogue répondait à ma question initiale.
- Oh.
D'autres questions se bousculèrent au bord de mes lèvres, mais je n'osai plus prendre le risque de dire une bêtise.
Rogue dut percevoir les points d'interrogation dans mes yeux, car il poursuivit de lui-même.
- Je fabrique des potions médicales.
Il posa sa cuillère et porta son verre à ses lèvres. J'attendis la suite, les yeux rivés sur ces grands doigts blancs autour du verre, cette pomme d'Adam qu'on apercevait sous la barbe noire d'encre et qui remua lorsqu'il avala une gorgée d'eau.
- Le monde médical magique ne peut pas compter sur la production industrielle de remèdes comme celui des moldus, dit-il en reposant son verre.
Comme hypnotisée, j'observai les longues mains repousser le bol de quelques centimètres et se croiser sur la table, puis je reportai mon attention sur les deux billes noires et brillantes qui me scrutaient.
Rogue s'adossa à sa chaise et bougea ses longues jambes sous la table. Je rangeai machinalement les miennes sous mon siège.
- Comme vous le savez, les remèdes magiques doivent être préparés un à la fois par un Maître des potions et ne peuvent pas être conservés aussi longtemps que les médicaments sous forme de pilule développés par les moldus. De surcroît, les personnes habilitées à produire de la médication magique sont rares. C'est ce qui fait qu'il n'est pas difficile de trouver preneur pour mes potions.
Son ton était calme, son visage neutre. Je me risquai à poser une question.
- Alors, pour qui préparez-vous des potions ?
- Des hôpitaux en Australie, principalement.
- Ils ne vous ont pas posé de questions sur… qui vous êtes ?
- Je veille à ce que ma véritable identité ne puisse être connue. Les potions que je prépare transitent par la Chine et les États-Unis avant d'arriver à leur destination. Par ailleurs, le monde des potions a peu à faire de la réputation de ses maîtres, tant que ceux-ci produisent une marchandise impeccable.
Il y avait quelque chose de confortable dans cette voix très grave. Je ne ressentais plus le besoin de terminer le repas au plus vite ni de m'enfuir loin de ce regard pénétrant qui pouvait tout voir de ma maigreur et ma maladresse.
Nos bols de soupe se volatilisèrent et furent remplacés par des assiettes de ragoût de bœuf. Nous reprîmes nos ustensiles. Le mets était savoureux, mais la portion, immense. Je mangeai par petites bouchées, puis observai soudain la cuisine en fronçant les sourcils. Les comptoirs étaient vides. Il n'y avait même pas de four. D'où venait ces plats ?
Je me tournai vers Rogue, qui avait remarqué mon étonnement et attendait ma prochaine question.
- Où est Kari ? demandai-je.
- Chez moi, à l'Impasse du tisseur. Là où la plupart des gens croient que je vis.
Je le fixai, surprise.
- En Angleterre ?
- Oui.
- Et cette maison…, dis-je avec un geste vague de la main.
- Je l'ai héritée d'une grand-tante mariée à un Irlandais. Après leur décès à tous les deux, j'étais le seul héritier vivant.
- Alors, personne ne sait que vous êtes ici ?
- À part Dumbledore, non.
J'acquiesçai lentement. Il poursuivit.
- Kari reste donc la plupart du temps à l'Impasse du tisseur. Elle tient la maison habitée et est en mesure de m'avertir si des visiteurs s'y présentent à l'improviste.
Je reportai mon attention sur mon ragoût. La vue de la nourriture qui restait me fit prendre conscience que si ma nausée s'était dissipée, j'avais en revanche l'estomac tellement noué que c'était douloureux. J'avais trop mangé, trop rapidement.
Merde.
Je découpai un cube de bœuf en essayant de respirer calmement, de me concentrer sur le tintement tranquille des ustensiles sur les plats. Mais tout à coup, c'était comme si la température de la cuisine avait bondi de plusieurs degrés. Je sus que ce repas ne se terminerait pas bien.
Merde merde merde.
Je posai bruyamment mon couteau et ma fourchette et levai les yeux vers Rogue, qui avait aussi cessé de manger et me dévisageait.
- Je… Excusez-moi.
Ma chaise racla sur le plancher lorsque je me levai.
Jamais je n'aurais le temps de me rendre jusqu'à la salle de bain. Alors je tendis le bras, touchai ma baguette et transplanai sans même prendre le temps de l'extraire de mon chignon.
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OOoOoOo
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Severus resta figé devant le siège vide d'Hermione, ses ustensiles encore à la main. De toute évidence, son invitée n'était pas devenue rachitique par magie. À voir avec quelle lenteur elle se nourrissait, il n'aurait jamais cru qu'elle se ruerait hors de table pour rendre son repas.
Il posa ses couverts et se leva à son tour.
S'il attendait le moment opportun pour avoir une véritable discussion avec Hermione, eh bien, c'était sans doute maintenant.
Il quitta la cuisine.
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OOoOoOo
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À suivre.
Le prochain chapitre s'intitulera Les lettres. Hermione aura à sortir de Talamhcríochnaigh beaucoup plus vite que ce qu'elle prévoyait, et pas pour acheter des produits hygiéniques.
Petit avertissement : J'ai réécrit deux vieux chapitres vraiment moches que je publierai sous peu. Il est donc probable que la prochaine mise à jour ne soit pas pour le chapitre 25.
À bientôt !
