Chapitre 10 - La magie, ça s'apprend
Mardi matin, Calypso et Sarpédon affichent tous les deux des mines assez sombres, et font des efforts ostensibles pour s'éviter. En arrivant en cours de ma- thématiques, le premier cours du matin, ils s'installent dans deux coins diamétralement opposés.
M. Metabo : "Les mathématiques sont une matière fondamentale, enseignée aux moldus comme aux mages. Grâce à l'apprentissage des mathématiques, vous apprendrez à raisonner, à analyser les données d'un problème, à argumenter et à démontrer. Mais vous étudierez également des modèles sur lesquels construire les magies les plus complexes et les plus subtiles. Si vous comptez vous contentez toute vos vies de lancer de petits sorts basiques, les mathématiques ne vous serviront à rien. Si vous voulez créer des artefacts ou des illusions complexes suivant les règles de notre univers, vous devrez étudier la physique en plus des sortilèges. Mais si vous comptez construire votre propre monde parallèle, vous abstraire des lois de la physique, vous aurez besoin de connaissances très avancées en mathématiques."
Cette introduction grandiose fut cependant suivie d'un cours assez ennuyeux de révisions sur le programme de primaire. M. Metabo est un bon professeur, mais il en faudrait plus pour rendre des divisions intéressantes.
Hector a la boule au ventre en sortant du cours de mathématiques : il va maintenant avoir potions. M. Flagellabo les accueille, ils rentrent dans la classe, se mettent aux mêmes places que la veille, debout derrière leurs chaises. Le professeur les toise un moment.
M. Flagellabo : "Vous pouvez vous asseoir."
Du 3ème rang, Hector regarde la classe. Au premier rang Euryclée est à côté de Sarpédon, et elle a l'air très mécontente de ce voisinage. De l'autre côté de la classe, Calypso est à côté de Pandaros, et ils ne semblent pas très bien s'entendre non plus. Pourvu qu'il ne se passe rien, qu'ils arrivent tous à garder leur calme jusqu'à la fin du cours ...
M. Flagellabo : "Monsieur ... Potier, pourriez-vous nous récapituler les propriétés de la potion Périclès?"
Hector n'écoutait pas, il n'a aucune idée de quoi on parle, et il ne connaît absolument rien sur la potion Périclès. Heureusement, Marie, à côté de lui, lui souffle.
Marie : "Lors de sa première utilisation, elle soigne toutes les maladies..."
M. Flagellabo : "Marie! Je ne t'ai rien demandé! Si j'avais voulu t'interroger, je l'aurais fait, mais c'est M. Potier qui est interrogé. Et je vois qu'il n'écoutait pas. N'est-ce pas? Mon cours n'est pas assez intéressant pour vous, peut-être?"
Hector : "Excusez moi, Monsieur. Je serai plus attentif à l'avenir."
M. Flagellabo : "Quelqu'un d'autre pourrait-il récapituler les propriétés de la potion Périclès?"
Marie et Fatima lèvent immédiatement la main. Après quelques secondes, Théoclymène lève la main à son tour.
M. Flagellabo : "C'est tout? Pas d'autre volontaire? Bien, Théoclymène, on vous écoute."
Théoclymène : "Lorsque quelqu'un boit de la potion Périclès pour la première fois, elle soigne toutes les maladies, et même certaines blessures. Si la même per- sonne en reprend une seconde fois, la potion Périclès procure l'extase absolue, le plaisir suprême, accompagné d'un grand désir d'en reboire. Si on en prend trois fois, la troisième prise est instantanément mortelle."
M. Flagellabo : "Très bien, Théoclymène. Vous voyez bien que ce n'était pas très compliqué, M. Potier."
La façon dont M. Flagellabo prononce "Potier", avec une intonation de profond mépris teintée de dégoût, donne à Hector des envies de meurtre. Il écoute la suite du cours très attentivement en espérant être réinterrogé pour pouvoir entendre M. Flagellabo dire : "Très bien, M. Potier". Mais le professeur ne semble plus s'intéresser à lui.
Après le cours de potion, Hector a cours de langues. Il a déjà étudié des langues étrangères en primaire : anglais et espagnol. Il sait donc que l'apprentissage d'une langue est long, difficile, et essentiellement constitué de l'apprentissage d'interminables listes de vocabulaire.
Dans la salle Pyrèthre, les tables sont disposées en U. Mme Dicabo les accueille en touillant un grand chaudron au milieu de la salle.
Mme Dicabo : "Bienvenue à tous. Quand vous saurez parler des langues étrangères, vous découvrirez que certaines idées se conçoivent mieux dans certaines langues que dans d'autres. Maîtriser plusieurs langues vous permettra donc d'avoir différents modes de pensées, et des idées plus variées. Cette année et l'an prochain, nous nous concentrerons sur l'apprentissage de langues vivantes assez proches du français. En seconde, vous commencerez à étudier les langues anciennes, d'abord plus difficile, mais dont la maîtrise vous sera indispensable pour lancer des sorts puissants. Ce trimestre nous allons apprendre l'italien. Vous avez une question mademoiselle ...? "
Marie : "Marin. On ne commence pas par apprendre l'anglais?"
Mme Dicabo : "Vous venez d'une famille moldue? Les moldus semblent obsédés par l'anglais. Nous l'apprendrons, bien sûr, mais un peu plus tard. C'est une langue un peu éloignée du français, avec quelques subtilités grammaticales, et pas très utile. Peu d'idées vraiment originales ont été exprimées en anglais, contrairement à l'allemand, le français, le grec ou le chinois. Je ne pense pas que ce soit une langue qui pousse l'esprit à développer des pensées complexes et originales. Penser en anglais ... c'est comme avaler de la bouillie pré-mâchée, je déteste ça. Mais ne vous inquiétez pas, nous en ferons. Vous pouvez tout à fait rassurer vos parents à cet égard, vous parlerez couramment anglais avant la fin de l'année prochaine."
Jean : "Couramment? L'an prochain? C'est pas possible! Mon frère est en terminale, et il parle très mal anglais!"
Mme Dicabo, levant un sourcil : "Et vous êtes?"
Jean : "Euh ... Excusez-moi, j'ai oublié de lever la main ... Je m'appelle Jean Pierre."
Mme Dicabo : "Et vous venez aussi d'une famille moldue. Les moldus ont des méthodes très inefficaces pour l'apprentissage des langues. Je vous ai fait bouillir un dictionnaire italien-français. Vous allez tous en boire une tasse, et vous connaîtrez tous les mots les plus courants de la langue italienne. Nous nous concentrerons ensuite sur la façon dont les italiens assemblent ces mots pour former des phrases, puis sur les mots, les expressions qui n'ont pas de traduction exacte en français. Ce sont les plus intéressants, bien sûr, ces mots qui rendent des idées que nous ne pouvons pas transmettre en français."
Mme Dicabo agite sa baguette dans une courte succession de geste précis. La porte du placard s'ouvre, et une vingtaine des tasses posées sur la première étagère s'envolent. Elles plongent l'une après l'autre dans le chaudron, puis volent chacune jusqu'à un élève.
Mme Dicabo : "Allons, buvez. Ce n'est pas très bon, mais ce ne ne sont que des mots, ça ne peut pas vous faire de mal."
Hector, un peu inquiet, vide sa tasse d'un trait, s'attendant à un goût infect. Le breuvage a globalement le goût de papier, très pâteux en bouche, légèrement acide, et globalement très fade. Après l'avoir bu, Hector a l'impression d'avoir une nouvelle partie dans son cerveau, comme un nouveau compartiment qui contien- drait ... En y regardant de plus près, il contient des mots. "a : préposition - abate : abbé - abbachiato,a : abbatu(e) ..." Hector n'a aucune idée de comment on pro- nonce tous ces nouveaux mots. Et puis ça veut dire quoi "abbachiato,a"? C'est un mot en deux parties, avec une virgule au milieu?
Le reste du cours se déroule comme un rêve : Mme Dicabo explique comment on utilise tous ces mots, comment on les modifie pour obtenir le féminin, le pluriel. Et à chaque fois qu'elle prend un mot en exemple, c'est un mot qu'Hector connaît. Quand elle montre une phrase, Hector peut instantanément en traduire chacun des mots. C'est une sensation tellement formidable de savoir tant de choses sans les avoir apprises! Sans compter que tous les mots italiens sont accompagnés d'une traduction française correctement orthographiée.
Si seulement il avait bu cette potion quelques mois plus tôt, ça aurait été lui, le champion départemental des dictées Pivot! Pétronille a été éliminée lors de la finale régionale car elle a écris "cauchemar" avec un "d". Mais avec son diction- naire, Hector ne risque pas de faire une erreur pareille. Évidement, il faudrait faire très attention aux accords avec le participe passé du verbe avoir. Et aux conju- gaisons. Et à ne pas mettre "a" au lieu de "à", ni "ou" à la place de "où". Enfin, même s'il n'est pas tout à fait certain de pouvoir battre Pétronille en dictée, Hec- tor sera quand même bien meilleur maintenant! Pétunia va être surprise la prochaine fois qu'elle fera une dictée "aux enfants" pour entraîner Pétronille. Dès que Hector rentre chez les Potier ... C'est à dire, quand Patrice lui aura pardonné d'être allé à Sorteria Nectam ...
En allant à la cantine, pour la première fois, Hector ressent de la nostalgie pour son ancienne maison. Et la famille Potier lui manque. Il est très heureux à Sortnettes, et il n'était ni très heureux ni très aimé chez les Potier, mais il se rend compte que c'est sa famille, les gens qui ont partagé les onzes premières années de sa vie, et qu'il les aime malgré tout. Peut-être qu'il devrait vraiment leur téléphoner? Mais que va-t-il leur dire, s'il les appelle?
Marie : "Hé! Calypso! Tu ne viens pas manger avec nous?"
Calypso se dirige vers une table où se trouvent déjà sept élèves plus âgés, et s'installe à la dernière place. Ses camarades se voient donc dans l'obligation de déjeuner sans elle.
Marie : "Mais qu'est-ce qui lui prend?"
Euryclée : "Je suis désolée, Marie. J'étais à côté d'elle en cours de maths, et elle m'a expliqué ... "
Marie : "Quoi?"
Euryclée : "... ses parents trouve qu'elle a de mauvaises fréquentations ... et ... "
Fatima : "Et quoi?"
Marie : "Vas-y, dis, qu'est-ce qu'il y a? On sait que t'y est pour rien, Euryclée."
Euryclée : "Ils lui ont interdit de vous parler."
Marie : "Interdit de nous parler?"
Euryclée : "Oui, voilà, sinon elle sera punie."
Fatima : "Mais c'est horrible!"
Marie : "On s'en fiche, non? Ils ne sont pas là, ses parents, ils ne vont pas le sa- voir."
Euryclée : "Bah, son père lui demandera ce soir, et comme on ne peut pas mentir à un Sapiam ..."
Hermès : "Interdit de leur parler? De parler à Marie et Fatima?" Euryclée : "Et aussi à Hector."
Hector : "Mais Hermès, Léto et toi ça va?"
Euryclée : "Exactement. On n'y est pour rien, vous savez! "
Hector : "On sait. Je les déteste."
Fatima : "Vous devriez aller voir Calypso, on ne peut pas la laisser toute seule, elle doit se sentir affreusement mal."
Euryclée : "Oui, j'essaierai d'aller la voir cette après-midi. Mais je devais vous expliquer. Il ne faut pas lui en vouloir, elle n'y est pour rien. Et puis dès que cette histoire se sera tassée, elle pourra vous reparler, je ne pense pas que son père va l'interroger tous les soirs pendant très longtemps ..."
Hermès : "Oui, tout va sûrement s'arranger très vite. Sûrement."
Après le déjeuner, les élèves de 4ème rejoignent la salle Capricorne pour leur premier cours de métamorphose. Le professeur, Mme Lenormand, les fait s'installer, puis interroge les élèves sur les bases de la magie.
Mme Lenormand : "Quelqu'un pourrait nous rappeler quel est le Premier Principe Fondamental de la Magie?"
Beaucoup d'élèves, dont Hermès, lèvent la main, et Mme Lenormand interroge ce dernier.
Hermès : "On ne peut pas créer ni transformer de la matière organique, sauf avec des pouvoirs familiaux de grandes familles de sorciers."
Mme Lenormand : "Très bien! Est-ce que vous pourriez nous expliquer ce qu'est la matière organique?"
Hermès : "Tout ce qui est vivant, ou qui vient de trucs vivants. Comme la viande d'animaux, les œufs de poules, le vin de raisin, le bois d'arbre ... "
Mme Lenormand : "Tout à fait! Et est-ce que par hasard, l'un d'entre vous connaîtrait aussi le Deuxième Principe Fondamental de la Magie?"
Plusieurs élèves lèvent la main, quoi que beaucoup moins. Mme Lenormand en interroge un.
Théoclymène : "Nulle magie ne peut violer la causalité. Sauf certains pouvoirs héréditaires."
Mme Lenormand : "Oui! Connaissez vous des exemples de pouvoirs héréditaires qui contreviennent à ce principe?"
Théoclymène : "Euh ..."
Mme Lenormand : "Et vous?"
Hermès : "Le pouvoir Redibo, qui permet d'envoyer un message dans le passé."
Mme Lenormand : "Très bien. Une autre proposition?"
Marie : "Le pouvoir Ibo, qui permet de se téléporter."
Mme Lenormand : "Excellent! Je vois que le niveau est très bon, cette année. Maintenant que l'on a vu ce que l'on ne peut pas faire, attaquons nous un peu à ce qui est possible. Nous allons commencer par étudier les transformations du métal. Voyons, quels sont les métaux les plus courants sur Terre? "
Le cours se poursuit, et Hector écoute avec attention. C'est très intéressant. Mme Lenormand essaye d'interroger tous les élèves les uns après les autres, et d'impliquer tout le monde. Son cours est très interactif, et très vivant.
En écoutant ses camarades répondre aux questions, il se rend compte que, sur toute la classe, il ne connaît en réalité que très peu d'élèves. C'est normal : aussi peu de temps après la rentrée, il n'a pas encore eu le temps de faire connaissance avec tout le monde. Cependant, les cours où les professeurs interrogent beaucoup les élèves sont une occasion de les découvrir.
Théoclymène est vraiment une tête : "Nulle magie ne peut violer la causalité." Il n'y a que lui pour dire des phrases aussi compliquées en donnant l'impression que c'est tout simple. Par contre, Sarpédon est très agaçant. Quand Mme Lenor- mand l'a interrogé, il a répondu avec un ton tellement prétentieux! On aurait dit Pétronille. "La transformation de métaux la plus simple est la transformation du nickel en cobalt." Bah, oui, pas la peine de prendre la grosse tête comme ça, c'est pas un scoop! Moi aussi je l'aurais su, si j'avais lu le "Grand Livre des Transmu- tations et Métamorphoses Élémentaires pour Mages Débutants".
Après le cours de métamorphose, les élèves se rendent en poétmancie, pour y apprendre ...
M. Visconti "... l'art d'assembler les mots, en formules, en phrases, voire en vers. Un bon sort doit avoir des qualités poétiques, des mots choisis avec soin tant pour la précision du vocabulaire que pour le rythme du vers et la beauté de la rime. Trop souvent, les élèves résument la poétmancie à un moyen facile de s'enrichir, mais ce n'est pas ça du tout! La poétmancie est enseignée dans cette école car elle est indispensable pour les magies les plus raffinées..."
S'ensuivit une étude d'un poème de Victor Hugo. Nombre de pieds par vers, structure des rimes, figures de style ... Est-ce que tout cela a vraiment un rapport avec la magie? En attendant, on dirait un cours de français. Hector a toujours été plutôt bon en rédaction (tant qu'on n'enlève pas de points pour l'orthographe), mais il n'aime pas trop les cours où on discute une plombe sur chaque ligne. Pour- quoi passer des heures sur un texte quand on pourrait en lire d'autres? Ce qui est intéressant avec les livres, c'est de les lire pour connaître la suite de l'histoire. D'ailleurs, M. Visconti n'a pas choisi un bon texte : il n'y a même pas d'histoire.
En même temps, en poésie, il y a rarement des histoires intéressantes. On ne va quand même pas étudier QUE des poésies en poétmancie? Ça risque d'être une matière très ennuyeuse, à la longue. Voire, assez vite.
Léto : "Carcan scolaire."
M. Visconti : "Hum ... oui, très belle allitération en "k". Voyons, quelqu'un aurait-il un exemple d'oxymore?"
Plusieurs élèves commencent à lever la main, mais en voyant à quel point Léto a l'air d'avoir envie de répondre, ils se ravisent.
Léto : "Poésie palpitante."
M. Visconti : "Mais voyons, jeune fille, les poèmes sont tout à fait ... hum ... intéressants. Peut-être pas palpitants comme peuvent l'être des romans d'aven- ture, mais les bons poèmes sont captivants, ils créent une atmosphère qui vous fait attendre le prochain vers avec émotion ... Vous ne pouvez pas dire que "poésie palpitante" est un oxymore, cela reviendrait à dire que la poésie est ennuyeuse! Voyons, quelqu'un a-t-il un autre exemple? "
Léto : "Cours croustillant?"
M. Visconti : "Hum ... on va plutôt interroger quelqu'un d'autre. C'est important que tout le monde participe. Voyons, vous, vous n'auriez pas un exemple d'oxymore tout simple et bien évident à nous proposer?"
Et évidement, il a fallu que ça tombe sur Hector. Panne d'inspiration complète.
Hector : "Euh ... Eau sèche?"
M. Visconti : "Très bien. On va le noter comme exemple d'oxymore dans le cours. Et tant que vous y êtes, vous n'auriez pas un exemple d'allitération à proposer? "
Hector : "..."
Léto : "Tu sèches, Hector?"
Hector : "Tais toi Léto."
M. Visconti : "Mais oui, quelle belle allitération en "t"! Je vois que Mme Lenormand a raison : le niveau est vraiment très bon cette année."
