Chapitre 34 - Points, lignes et couleurs

Hector : "Alors mon nom a été changé sur tous les documents officiels?"

Acamas : "Oui, sur votre carte d'étudiant, sur votre fiche d'inscription à Sortnettes, sur les listes d'appel ... Je pense que c'est plutôt une bonne chose, tout le monde sera au courant en très peu de temps, et vous aurez relativement peu de questions à ce sujet. Tout le monde en parlera pendant trois jours, et dans trois jours plus personne n'aura rien à dire à ce propos."

Le lendemain, vendredi, en cours d'histoire, quand le professeur Retinebo fait l'appel, Hector attend avec anxiété que le professeur arrive à son nom, presque en bas de la liste. Peut-être que ses notes de potions vont s'améliorer, maintenant qu'il ne s'appelle plus Potier ? Ce serait tellement injuste d'avoir de meilleures notes sans faire d'effort ... Et en même temps, tellement formidable de ne plus se retrouver en bas de la liste deux ou trois jours toutes les quinzaines ...

M. Retinebo : "Hector."

Hector : "Présent."

M. Retinebo n'a vraiment rien remarqué? C'est sans doute l'unique personne de l'école capable de passer à côté de cet événement historique.

En botanique, les choses sont très différentes. Presque dès qu'elle pose les yeux sur la liste d'appel, Mme Rapiam a un frisson dans tout le corps. Elle a une voix étrange quand elle commence l'appel, et énonce tous les noms l'un après l'autre. Juste avant Hector, elle fait une petite pause, et cligne plusieurs fois des yeux.

Mme Rapiam : "Hector Loquaribo."

Aussitôt, tous les élèves se mettent à parler en même temps. "Vraiment? Loquarexibo?" "M. Flagellabo nous avait dit qu'il venait d'une grande famille, mais à ce point là ..." "Loquar...ibo?" "Il sait parler aux serpents?" "C'est pour ça qu'il était pas là, hier?"

Mme Rapiam : "SILENCE! "

Le silence revient dans la classe.

Hector : "Présent."

Mme Rapiam : "On pourrait avoir quelques explications?"

Hector : "Euh ... oui, excusez moi. J'étais à une commission d'état civil hier, et j'ai prouvé que je maîtrise les pouvoir Loquar et Ibo. Du coup, mon état civil a été mis à jour."

Mme Rapiam : "Et le pouvoir Rex?"

Hector hésite un bref instant, puis après un coup d'œil à Sarpédon, il décide de ne dire que des vérités.

Hector : "L'utilisation du pouvoir Rex est illégale, madame."

Mme Rapiam : "Oui, bien sûr, mais ..."

Hector : "La commission d'état civil a décidé que puisque je ne peux pas prouver ma capacité à utiliser le pouvoir Rex, je ne peux pas porter le nom Loquarexibo."

Les élèves sont révoltés. En particulier Léto, et Sarpédon. C'est la première fois que Sarpédon semble prendre le côté de Hector, et ce dernier en est très étonné.

Mme Rapiam : "SILENCE! ... Cette décision de la commission parait effectivement injuste à première vue, mais elle est sans doute temporaire. Le bureau d'état civil est face à un dilemme : ils ne peuvent pas donner le nom d'une grande famille sans preuve que le prétendant maîtrise bien les pouvoirs de cette famille, mais d'un autre côté, il n'existe pour l'instant aucun moyen de prouver que Hector maîtrise le pouvoir Rex. Je suis certaine qu'une solution sera trouvée rapidement, et que Hector pourra porter son nom complet sous peu."

Hector aimerait bien partager cette certitude. En tout cas, la déclaration de Mme Rapiam a ramené le calme, ce qui lui permet finir l'appel et de faire cours.

À la pause, Hector est le témoin d'une scène qu'il n'aurait jamais cru voir : Sarpédon présente des excuses à Calypso, et lui demande de rentrer chez eux.

Calypso : "Non, Sarpédon, ma place est ici, à Sortnettes. Je ne rentrerai pas."

À la fin des cours, Hector se rend directement dans son dortoir, où il s'enferme tout seul, pour avoir la paix. Vers 14 toquantes, le téléphone sonne.

Calypso : "Je viens d'avoir mon père au téléphone, il veut nous inviter à boire un chocolat chaud dans un café, tous les deux."

Hector : "Il y a plein de moldus dans les cafés, non?"

Calypso : "Il jettera un sort de banalité. C'est une sorte d'illusion : les moldus nous trouveront tellement ordinaires qu'ils ne nous porteront aucun intérêt."

Attablé au café Crème, rue Soufflot, Hector se dit que jamais l'oncle Patrice ne lui aurait payé un chocolat ici.

Hector : "Euh ... C'est un peu cher, non?"

M. Sapiam : "C'est de l'argent moldu, voyons. Il n'y a rien de plus facile à créer que le métal. Et puis de toutes façons, vous n'avez pas à vous en faire pour ça, je vous invite."

Calypso commande un chocolat viennois et une glace cinq boules chocolat- vanille-stracciatella-cookie-noisette avec coulis au chocolat et double supplément chantilly. Hector commande un chocolat chaud, et un brownie accompagné de crème anglaise. M. Sapiam commande un café.

M. Sapiam : "Alors comme ça, ils vous affament à la cantine?"

Calypso : "Non, ça va, on mange très bien à la cantine. J'ai juste envie d'une glace, c'est tout. Il n'y en a jamais à la cantine."

M. Sapiam : "Je me rappelle que de mon temps il n'y en avait pas non plus, pas au mois de février. Enfin, Hector, félicitations, vous avez été remarquable hier, devant la commission d'état civil. J'imagine que vous avez utilisé une feuille bleue de trèflor? "

Hector : "Oui, c'est mon amie Marie Marin qui a eu l'idée. La feuille bleue de trèflor immunise contre tous les poisons, sauf le venin de cobram. Et comme on avait justement une feuille bleue de trèflor sous la main, on l'a utilisée."

M. Sapiam : "Tout à fait remarquable, vous avez fait preuve d'une grande pré- voyance. Je ne vous demanderai pas comment vous vous êtes procuré une feuille de trèflor, mais je suppose que ça n'a pas été si facile. Enfin, je voulais surtout vous voir pour vous présenter mes excuses."

Hector, interloqué : "Vos excuses ?"

M. Sapiam : "Hé bien ... C'est moi qui ai demandé à ce que la commission d'état civil se réunisse pour examiner votre cas, et vous avez failli en mourir. De plus, je n'ai même pas été capable de les convaincre de vous rendre votre nom complet. Je suis vraiment désolé, Hector."

Hector : "Euh ... Ce n'est rien, vous avez fait de votre mieux. Puis vous m'aviez prévenu pour le poison, je l'aurai pas bu si je n'avais pas pris la feuille bleue avant ... On ne peut pas vraiment dire que j'ai failli mourir."

M. Sapiam : "Ce n'est pas tout. Pendant le test de Ibo, vous vous êtes senti très mal, dans cette boîte, n'est-ce pas?"

Hector : "Oui, c'était bizarre. Ça ne pouvait pas être du poison, la feuille de trèflor faisait encore effet."

M. Sapiam : "En effet, pas de poison. En réalité, je pense que cette boîte ne contenait rien. Que de l'azote, et pas d'oxygène. Pas étonnant que vous ayez eu du mal à respirer. J'ai interrogé Idoménée, et c'est ce que j'ai conclu de ses réponses, mais je n'ai aucune preuves, bien sûr. Si je l'accuse ouvertement, ce sera sa parole contre la mienne, et je crains que ma parole n'ait plus autant de poids qu'avant."

Hector : "Bah, c'est pas grave, déjà, je ne suis pas mort. Ensuite, l'analyse du verre montrera bien qu'il y avait du cyanure."

M. Sapiam : "Je crains que non. Il est certain que ce verre contenait du cyanure, mais maintenant qu'il est passé par les mains de la greffière il n'en contient certainement plus la moindre trace."

Un peu plus tard, alors que Calypso a presque fini sa cinquième boule de glace et envisage d'en commander une autre, Priam Sapiam a l'air gêné.

M. Sapiam : "Hum ... Calypso, maintenant que tu as quitté la maison, on se disait, avec ta mère, qu'on devrait peut-être te donner des lignes de loisirs."

Calypso : "Des lignes de loisirs? Pour acheter des bonbons ? Trop bien !"

M. Sapiam : "Pour t'acheter des bonbons, mais aussi des livres à bouillir, des vêtements, pouvoir faire des sorties avec tes amis, ce genre de chose. Enfin, pour que tu puisses profiter de la vie : points, lignes, couleurs sont le secret du bonheur. On pensait à 5 lignes par mois, pour commencer. Ça irait ?"

Calypso : "Ça serait super ! Merc i!"

M. Sapiam : "Tiens, voici 5 lignes. Passes à la maison au moins une fois par mois, et on t'en donnera autant tous les mois."

Calypso : "Sarpédon aussi va avoir des lignes de loisirs?"

M. Sapiam : "Peut-être, mais moins. Il habite à la maison, on lui achète tout ce qu'il veut dès qu'il demande, il n'a pas vraiment besoin de couleurs. En revanche ... Hector, nous n'avons pas réussi à vous rendre votre héritage, et je suppose qu'il ne doit pas vous rester beaucoup de couleurs. Si vous le voulez, je me ferai un plaisir de vous en prêter."

Hector : "Euh ... Merci, mais ça va."

M. Sapiam : "Vous êtes sûr ? Si vous changez d'avis, n'hésitez pas à me le dire. Je ne supporterais pas l'idée que vous manquiez de quoi que ce soit. Vraiment."

Le lendemain, samedi, en sortant de contrôle de poétmancie, Calypso propose à Hector et Hermès d'aller faire du shopping.

Calypso : "Une lycéenne m'a proposé de l'accompagner. Elle va aux Halles : à la librairie, dans une boutique de jeux, puis chez Coquam."

Hector : "Chez Coquam ?"

Hermès : "C'est un pâtissier, qui tient une boutique aux Halles. Il fait des supers bons gâteaux et aussi des bonbons."

Calypso : "Alors vous venez ?"

Hermès : "Oui, trop bien !"

Hector : "Je vais rester là, pendant le contrôle de poètmancie, je me suis rendu compte que je ne sais toujours pas accorder le participe passé avec l'auxiliaire avoir ... je vais réviser ça cette après-midi."

Évidement, ce n'est jamais très malin de mentir à Calypso. Hector se rend compte de son erreur en la voyant froncer les sourcils, mais elle ne dit rien, et part avec Hermès. Hector maîtrise très bien l'accord du participe passé : il est le cousin de Pétronille, quand même! Mais il a utilisé 50 de ses 53 points pour

acheter des bonbons aux membres de son dortoir. Il lui reste un bon d'achat de 3 points valable au distributeur de bonbons du terrain de pasd'ball ... Calypso se ferait sûrement un plaisir d'inviter Hector, s'il lui faisait part de ses difficultés financières. Ils pourraient déguster de délicieux gâteaux chez Coquam ... Mais Hector n'a pas envie de vivre aux crochets de ses amis. Il préférerait gagner de l'argent. Et d'ailleurs, le contrôle de poètmancie l'a inspiré pour ça : il va créer une œuvre qui sera tellement appréciée que son original vaudra ... Bon, peut-être pas une couleur, quand même ... une ligne? Il va falloir faire fort, l'œuvre la plus remarquable que Hector ait jamais créée était un projet d'art plastique d'une valeur de 53 points.

Le plus simple, ce serait d'écrire quelque chose. L'école fournit gratuitement des stylos et du papier à tous les élèves, et comme il n'a pas les moyens d'acheter quoi que ce soit ... Ou alors un dessin ... Ou une chanson ... Non, le plus simple est sûrement de trouver un truc à écrire. Mais pas un poème, Hector est nul en poètmancie, et certainement pas capable d'écrire un poème qui sera suffisamment apprécié du public. Sinon, avec toutes les poésies qu'il a écrit en poétmancie, il serait déjà riche.

Non, il faudrait écrire un livre que les gens ont envie de lire. Une histoire originale, intéressante, avec de l'action ... Une histoire de pirates, par exemple. L'histoire d'un pirate qui cherche un trésor à travers les mers du globe pour devenir le roi des pirates ... Ou l'histoire d'un collégien qui va dans une école de magie et qui y affronte un méchant sorcier qui lui veut du mal ... Ou bien ... Comment trouver une histoire originale, une histoire qui frapperait les lecteurs d'étonne- ment, une histoire qui ne soit pas une pâle copie de celle de quelqu'un d'autre?

Tatouille : "Hector? Qu'est-ce que tu fais?"

Hector : "Je cherche une histoire originale, une histoire qu'aucun humain n'aurait jamais entendue."

Tatouille : "Une histoire? J'adore les histoires! Tu connais l'épopée de Punzel la coriace?"

Hector : "Non, je n'en ai jamais entendu parler."

Tatouille : "C'est la première ratte à avoir fondé une colonie dans la ligne 14 du métro parisien. C'était il y a très longtemps, du temps de nos arrière-arrière- arrière-arrière-arrière-grands-parents, du temps où le projet meteor venait à peine de commencer. Quand elle était une jeune ratonne, elle vivait dans le métro 12, dans un tunnel à côté de la station Madeleine, avec les autres petits de sa portée, ses 3 sœurs et ses 2 frères. Un jour, une grande vibration se fit sentir dans leur nid, et elle décida d'aller voir. En longeant le bord du tunnel avec ses vibrisses, elle

arriva dans le tunnel principal, où elle sentit une odeur de gravats. Elle entendit aussi le bruit d'un appareil électrique."

Hector : "Le bruit d'un appareil électrique? Tu veux dire ... Un bruit que font tous les appareils électriques?"

Tatouille : "Oui. Tu ne l'entends pas? Les appareils moldus qui fonctionnent à l'électricité font tous le même bruit. Une sorte de grésillement continu ... Certains appareils font plusieurs bruits, mais ils font tous celui là."

Hector : "Ça doit être un bruit que les humains n'entendent pas, alors. On n'a pas de très bonnes oreilles."

Tatouille : "Ça c'est bien vrai, vous n'entendez quasiment rien! Donc, je disais ..."

L'histoire de Tatouille est fascinante. Elle se passe dans un monde où l'on se repère grâce aux signaux remontés par les vibrisses, aux odeurs et aux sons plus que par la vue. Pourquoi ne s'est-il jamais demandé avant à quoi cela ressemble d'être un rat? Et si cette histoire lui parait étrange à lui, Hector, qui parle avec Tatouille tous les jours, elle paraîtra sûrement encore plus bizarre aux autres humains.

Quand Tatouille a fini son histoire, Hector essaie de l'écrire. Le résultat n'est vraiment pas terrible : on ne ressent plus du tout l'étrangeté de la vie d'un rat. Hector a bien retranscrit le scénario de l'histoire, mais il manque ... l'ambiance, la vue à travers les yeux du rat. Recommençons ...

Hector finit par trouver que l'histoire est plus gênante qu'autre chose : ce qu'il veut, c'est savoir ce que ressentent les rats quand ils courent dans les tunnels et frôlent les murs de leurs vibrisses. Et Tatouille ne connaît pas une infinité de détails sur Punzel, cette héroïne ratte morte il y a des générations. Non, le personnage que Tatouille connaît bien, c'est ...

Hector : "Tatouille, parle moi de toi, plutôt."

Tatouille : "Moi? mais je n'ai pas d'histoire. Tu ne vas pas raconter l'histoire d'un rat à qui il n'arrive rien, personne ne voudra lire ça!"

Hector : "Je peux déjà l'écrire, on verra après si des gens veulent la lire."