Chapitre 3 : Severus

Severus hésita en arrivant dans la cuisine. Pétunia était toujours là, assise sur sa chaise comme une statue particulièrement guindée. Il avait envie de lui crier dessus, à propos de parents, de devoir et de Merlin savait ce qui sortirait de sa bouche, mais il n'en avait pas l'énergie. Le combat avec le petit Dursley l'avait épuisé, et il lui restait des morceaux de faïence cassée et de la sauce rouge sur le mur.

Il ramassa les morceaux de l'assiette et les ressouda avec un Reparo. Il se dirigea vers la casserole de spaghetti qui coagulait sur la gazinière. Un sort de réchauffement, une cuillerée dans l'assiette. Aguamenti, une tape pour lancer la bouilloire. Il avait besoin d'une tasse de thé – pas pour la caféine, pas vraiment, mais pour quelques minutes de réflexion avant de monter affronter le petit diable.

Severus n'avait pas la moindre foutue idée de ce qu'il faisait.

Dudley Dursley n'était pas sa responsabilité. Aucun d'eux n'était sa responsabilité, en fait, sauf dans la mesure de sa promesse de protéger Potter en mémoire de Lily. Mais Pétunia et son salaud de mari n'étaient de toute évidence pas des gardiens satisfaisants, gâtant ainsi un des enfants dont ils étaient responsables et, eh bien, faisant ce qu'ils faisaient avec Potter.

Severus avait toujours évité de penser au mot "maltraitance", qui lui rappelait trop d'étés étouffants, de vêtements mal ajustés et de Lily voyant… Non, il était mieux pour lui de ne pas trop penser au mot "maltraitance". Une main ferme n'avait jamais fait de mal à quelqu'un, après tout. Cependant, l'importance de la différence dans le traitement des deux garçons, l'injustice même dont ils témoignaient lui disait qu'il y avait quelque chose de pourri au royaume du Danemark, ou au moins dans le foyer Dursley.

Pétunia n'aurait pas dû utiliser son insulte préférée de "monstre" pour parler à Potter, ça il en était certain. Severus sirota son thé, regardant la femme du coin de l'œil. Son propre père avait détesté la magie, mais il n'avait jamais pensé que son fils puisse être un sorcier. Pétunia, en revanche, avait grandi avec une sœur sorcière. Même si elle n'avait pas vraiment prévu d'élever son neveu, elle aurait dû avoir bien assez de temps pour se familiariser à l'idée avant que le garçon soit en âge de manifester ses premiers signes de magie. Le fait qu'au lieu de ça elle se soit repliée sur ses insultes d'adolescente, cela semblait vouloir dire qu'elle gardait espoir d'étouffer la magie du garçon – et ça, pour Severus, était pire que presque tout ce qu'elle aurait pu lui faire.

Dans le cas de Dudley Dursley, il était aussi pourri gâté que les pires de ses Serpentard. L'idée même d'être aussi gâté était, pour être honnête, presque totalement inconnue à Severus. Lui n'aurait certainement jamais protesté à propos de la généreuse portion de spaghetti qu'il avait donnée au petit garçon, surtout après lui avoir assuré qu'il en restait. Mais comme sa méthode habituelle de retirer des points pour être un petit râleur ingrat et de confier le reste à ses préfets ne fonctionnerait pas, il semblait que Severus allait devoir vraiment (il frémit) parler au garçon, même s'il n'était pas son putain de père et n'aurait jamais dû se retrouver dans cette situation.

Severus prit une grande gorgée de thé. Minerva, il devait parler à Minerva. Même si son expérience des enfants de cinq ans était plus que limitée, elle avait quand même vingt-cinq ans d'expérience de plus que lui, et le fait qu'ils prennent le thé ensemble régulièrement, même pendant l'été, signifiait qu'elle serait probablement sa ressource la plus proche. Il finit sa tasse, se sentant enfin assez confiant dans l'idée que même s'il foirait totalement sa conversation avec le gamin Dursley, il serait bientôt rectifié par le professeur de Métamorphose. Il ne savait pas exactement ce qu'il allait dire, mais son but était, au moins, clair. Faire comprendre à Dursley que son caprice était inacceptable, tout en assurant au garçon qu'il n'allait pas s'abaisser au type de correction physique qui était interdit à Poudlard depuis les années soixante.

Severus posa sa tasse dans l'évier débordant et prit l'assiette fumante, décidé à ignorer Pétunia. Une confrontation à propos de ses mauvais choix en tant que parent pouvait attendre. Mais alors qu'il passait devant elle, elle remua, le regardant dans les yeux pour la première fois depuis le caprice de son fils.

"Rogue, pour mon Duddy…" elle se mordit la lèvre.

"Oui ?"

"Ne – Ne sois pas trop dur avec lui. C'est juste un petit garçon."

"Ton putain de neveu aussi," dit Severus, "mais je ne te vois pas courir à sa défense devant les accusations de son cousin."

"Les enfants ont besoin de règles, de limites-"

"Arrête, Pétunia. Ne cherche pas d'excuses à toi et ton mari. Si vous avez fait la moitié de ce que j'imagine…" Severus inspira profondément, essayant de se calmer. Il ne savait pas ce que diable il lui avait pris, seulement qu'il s'était mis soudain à bouillir de rage. "Réjouis-toi juste du fait que le Ministère demande que je me soumette régulièrement à un Priori Incantatum. Je commence à me dire que c'est la seule chose qui me retient de te frapper avec plus que des mots."

"Rogue-"

"La ferme !" aboya-t-il. Il ferma les yeux, utilisant l'Occlumencie cette fois. "Tais-toi, Pétunia. Tu ne vas pas arranger les affaires de ton fils si tu me mets en colère." Elle se recula dans sa chaise. Severus sortit à grands pas, voulant s'éloigner avant de perdre encore le contrôle de ses émotions. Il s'arrêta devant la porte de l'ancienne chambre de ses parents. Devait-il frapper, ou juste entrer ? Faisait-il une grosse erreur en punissant Dursley quand le garçon était encore moins sa responsabilité que Potter ?

Il toqua à la porte. Le garçon méritait ce respect.

"Maman ?"

"Non, c'est moi." Severus ouvrit la porte. Dursley était couché sur le lit. En entendant la porte, il regarda Severus, les joues mouillés. Sa silhouette ronde et ses yeux naïfs faisaient penser à un bébé phoque particulièrement pathétique.

"Vous voulez quoi ?" demanda-t-il.

"Je suis venu discuter de ta conduite en bas," dit Severus, "et te présenter mes excuses." Dursley se frotta les yeux.

"De pas suivre les règles ?" demanda-t-il. Severus secoua la tête.

"Non. Je ne connaissais pas les règles qui auraient pu être en place, et même si c'était le cas, je n'aurais pas eu à les suivre. Non, je suis venu te présenter mes excuses parce que je me suis mis en colère. Je n'étais pas pleinement en contrôle de mes actions, et pour ça je suis désolé. Cependant, ta conduite au déjeuner était totalement inacceptable pour plusieurs raisons." Cette deuxième partie était plus facile que la première. "Tu as été envoyé dans ta chambre parce que tu t'es plaint du déjeuner, que tu as fait un caprice en criant et en disant des insultes, et tu as achevé le tout en me frappant. Ces trois choses sont très impolies."

"Pourquoi c'est impoli ?" demanda Dursley. Severus ferma les yeux, se forçant à ne pas grogner de désespoir. Il semblait que, d'une manière ou d'une autre, Pétunia avait transformé un enfant de cinq ans en petit sauvage.

"Crier est un manque de dignité et ne fait rien pour l'argument que tu essaies de défendre, les insultes sont blessantes et puériles, et frapper les gens quand on n'obtient pas ce qu'on veut est tout simplement de la brutalité. Pour ce qui est de se plaindre de ta portion, c'est de l'ingratitude. À table, on mange ce qu'on peut, on demande à être resservi si besoin, et on remercie son hôte à la fin. On ne se plaint pas de ce qui est servi. Ni de la quantité qu'on reçoit."

"Mais-" Severus le regarda d'un air sévère, et le garçon se tut.

"Pas de mais. Ce sont les règles, et je m'attends à ce que toi et Potter les suiviez." Dursley hocha la tête d'un air malheureux. "Maintenant redis-moi les règles."

"Pas crier. Pas insulter. Pas frapper. Pas se plaindre des repas." Severus hocha la tête.

"Bien," dit-il, se détendant. Il semblait qu'il n'ait pas totalement foiré les choses. Il tendit l'assiette à Dursley. "Tiens. Mange, et après je pourrai vous emmener toi et Potter au parc." Dursley attrapa l'assiette, mais ne mangea pas tout de suite.

"Pourquoi vous me laissez manger ?"

"Quoi ?"

"Je vous ai mis très en colère, et vous êtes pas Maman ou Papa. Pourquoi vous me laissez manger ?"

"Parce que la nourriture n'est pas optionnelle, bon sang," dit Severus. "On en a besoin pour vivre." Il s'arrêta. "Nouvelle règle : je n'ai pas le droit de priver de repas comme punition." Dursley acquiesça.

"D'accord," dit-il. "Pour Harry aussi ?"

"Toutes les règles s'appliquent à toi et à M. Potter." Dursley acquiesça à nouveau et se mit à manger. Il finit vite, aidé par ses manières absolument désastreuses.

"Le parc maintenant ?" demanda-t-il, souriant à travers la sauce. Severus se pinça l'arrête du nez, mais à sa surprise son mal de tête n'était pas aussi grand que prévu.

"Habille-toi et débarbouille-toi d'abord," dit-il. "Après on pourra aller au parc."