Partie II : Son nom.

Après quelques jours, elle avait définitivement quitté l'infirmerie. Elle continuait néanmoins à y dormir, n'ayant pas encore été assignée à une chambre et son corps nécessitant encore quelques soins. Sa peau blanche avait repris de la consistance, cachant mieux ses muscles et devenant moins sensible au toucher, et si elle était toujours affreuse, elle ne l'importunait plus. Quand elle passait sa main sur ses cicatrices, certains endroits étaient même devenus insensibles, ce qu'elle voyait comme un avantage après les douleurs d'une peau neuve trop sensible. Les traits de son visage étaient déformés et une de ses paupières ne parvenait plus à se refermer totalement, comme paralysée d'un côté. Mais ses branchies étaient saines, la peau y était douce et ferme, et de ce vert d'eau naturel. Elle gardait ses deux tentacules amputés (du moins, les bouts qui restaient) sur le devant, posés sur sa gorge. Elle aurait pu les cacher derrière, avec les autres en parfait état, mais elle sentait l'habitude qu'avait son corps de les porter ainsi.

C'était étrange, d'avoir cette sensation d'habitude tout en n'en ayant aucun souvenir. Son corps lui semblait toujours étranger. Elle se découvrait d'une grande endurance et d'une grande force, comme si elle eût été une grande athlète. Elle se découvrit même une habitude à manier des armes, le jour où elle avait été chargée de les nettoyer. Elle avait compris que son corps, lui, avait toujours ses souvenirs. Cela l'enrageait. Elle se sentait tellement frustrée et en colère contre ce corps qui se souvenait de tout, quand elle, avait oublié jusqu'à son propre nom ! Elle vivait cela comme une trahison, un rejet de son propre corps envers cette nouvelle inconnue.

Un soir, alors qu'elle sortait de table, seule encore, un des membres de l'équipage un peu trop saoul avait décidé de l'agripper par le bras pour se moquer d'elle. Il s'agissait du rattataki qui avait accompagné Qolt lors de son réveil à l'infirmerie, qui faisait invariablement partie de ceux qui avaient voté contre. Bien évidemment, elle ne l'aimait pas beaucoup. Mais quand il refusa de la lâcher et qu'il raffermit sa poigne au point de lui faire mal, elle avait réagi. Ou plutôt, son corps avait réagi. Sans savoir d'où lui venait cette connaissance du combat, elle l'avait totalement retourné par terre, s'attirant des vivats et des rires des spectateurs, qui n'y voyaient là qu'un jeu, quand elle regardait ses mains ; des mains qui pouvaient bouger d'elles-mêmes, sans son accord.

Effrayée d'elle-même, elle s'était enfuie, réfugiée dans une salle des machines déserte. Naturellement, Qolt l'avait rejointe, la trouvant les yeux fixés sur ses mains.

« Gamine ?

_ Je ne voulais pas faire ça ! Je... Il... Ce sont elles qui ont fait ça ! Je ne voulais pas. »

Face à son désarroi, il s'était mis devant elle, et de sa voix imposante, lui avait ordonné de fermer le poing, de le rouvrir, de tourner ses mains...

« Tu vois ? Tu as parfaitement le contrôle de ton corps. Ce sont juste des réflexes, rien de plus. »

Le raisonnement était si simple, mais si logique à la fois, qu'il parvint à la calmer. Ses mains ne tremblaient plus, mais à nouveau, ce sentiment d'être une inconnue pour elle-même revint.

« Mais je ne sais plus d'où viennent ces réflexes. Je ne sais pas d'où ils viennent. Je suis une inconnue pour moi-même... »

Elle soupira, puis reprit avec amertume :

« Et avec tous ces maudits pirates qui me traitent comme un monstre qui ne fera jamais partie de leur groupe, comment suis-je censée faire autrement ? »

Et puis, Qolt avait dit ces mots qui s'étaient imprimés en elle :

« Si tu ne te vois que comme une inconnue, comment veux-tu qu'ils voient autre chose ? »


Bonjour, bonsoir, mes lecteurs !

Merci à ceux qui continuent de me lire. Notre petite inconnue sort enfin du cocon de l'infirmerie pour se confronter directement au monde des pirates. (J'ai failli écrire le futur nom qu'elle aura, la belle bourde ! Mais, honnêtement, c'est très difficile de ne pas le faire, puisque quand je pense à elle, je l'appelle par son nom.)

À demain,

MlleMau.