Partie II : Son nom.

La vie de pirate était celle de l'espace. Ils y voyageaient, passant de système en système, y attaquaient d'autres vaisseaux pour y voler, y mourraient aussi, lorsque ces attaques se terminaient mal, mais surtout, ils y vivaient. Elle avait d'abord trouvé cela étrange que de ne pas avoir un foyer terrestre, une planète que l'on pouvait qualifier comme sa maison, mais elle avait compris que l'errance faisait partie de cette vie. Pourtant, son corps semblait réclamer la gravité naturelle de ces corps célestes plutôt que la gravité factice des vaisseaux, et la douce chaleur des rayons d'un soleil, et les courants marins glissant entre ses tentacules.

Voyager dans l'espace ne pouvait pas être un chemin éternel, car de triviaux ravitaillements étaient nécessaires à la survie dans un espace où il n'y avait ni oxygène, ni eau potable, ni nourriture. Ils s'arrêtaient donc pour « faire une escale », comme avait dit Qolt, sur une planète appelée Christophsis afin d'acheter tout ce dont ils avaient besoin. Cette nouvelle l'avait aussitôt ravie, et naturellement, elle comptait descendre du vaisseau pour marcher sur la terre ferme. Pourtant, quand ils s'étaient posés et qu'elle s'était préparée pour partir avec le groupe, le capitaine l'avait prise à l'écart pour lui parler :

« Qu'est-ce que tu fais, gamine ?

_ Je me prépare pour vous accompagner, dehors, avait-elle répondu sûre d'elle. »

Il avait froncé les sourcils.

« C'est une mauvaise idée.

_ Pourquoi ? demanda-t-elle en pensant le piéger.

_ À cause de ton visage, avait-il répondu du tac au tac. »

Cette réponse vive l'avait ébranlée dans sa provocation. Elle pensait le gêner, lui qui ne parlait jamais de ses cicatrices, mais elle découvrit qu'en vérité, Qolt se fichait bien de la tête qu'elle avait. Mais il était conscient que le regard des autres n'était pas aussi clément que le sien. Un sourire naquit sur ses lèvres pâles de ses brûlures guéries, reconnaissante de l'attention qu'il lui portait. Mais aucun de ces mots ne la convainquirent de rester enfermée, et elle garda son idée de sortir à la rencontre des gens de Christophsis. Pleine de courage et, il fallait le dire, d'un entrain tout enfantin, elle accompagna les pirates dans leur quête de vivres, Terandeb à ses côtés. Le lasat, par sa grande taille, pouvait aisément la cacher. C'était une autre attention muette qui faisait de lui son ami, mais elle trouvait cette précaution inutile. Pourtant, la première personne qu'ils croisèrent, celui qui gérait les entrées du spatioport, la dévisagea particulièrement, comme s'il s'agissait d'un monstre dont il fallait se méfier, finissant par détourner le regard d'une grimace de dégoût. Elle en fut bouleversée. Elle avait l'habitude des quolibets sur son visage et sa laideur, mais ces pirates exécrables la regardaient simplement, pas avec ce regard de... Elle ne montra rien de son émoi, chassant cette émotion de profond dégoût qui avait émané de l'homme. Néanmoins, elle accepta plus volontiers l'ombre de Terandeb.

En sortant du spatioport, elle eut la joie d'être accueillie par une fine pluie printanière. L'air était frais et saturé de ces odeurs diverses et disparates qui constituaient la vie d'une ville, l'eau était claire et douce. En tant que nautolan, elle apprécia beaucoup ce temps que les autres espèces qualifiaient de maussade, et les oreilles baissées de son ami lasat l'amusèrent. Cette pluie fraîche lui fit tellement de bien qu'il lui sembla que, depuis son réveil à l'infirmerie, elle ne s'était jamais sentie aussi détendue. Lorsqu'elle abaissa le regard sur la ville, cependant, elle fut frappée par le paysage. Les bâtiments étaient détruits, de gigantesques trous criblaient le sol, des débris étaient amoncelés sur le bas-côté, et au milieu de ce désastre, la population s'agitait, travaillant sur la reconstruction des immeubles. Comme s'il avait senti son effarement, Terandeb lui expliqua :

« Christophsis a été durement touchée durant la Guerre des Clones. Maintenant qu'elle est finie, ils reconstruisent. Pour nous, ça veut dire des marchandises au rabais pour une planète qui a besoin d'argent. »

Elle acquiesça. C'était en effet logique, le commerce devait être détruit avec ces bâtiments et tout client était une aubaine. Elle tut ses questions à propos de cette Guerre dont elle ne savait plus rien, à présent.

En quittant du regard le ciel pluvieux, elle rencontrait celui des gens de ce monde. Certains regardaient leur groupe avec méfiance, conscients de leur état de pirates, d'autres avec amabilité, tous des marchands. Mais les regards qui l'intéressaient étaient ceux qui lui étaient destinés. Certains croisaient son regard rapidement, avant d'y revenir subitement, pris au dépourvu par son visage, d'autres détournaient les yeux pour masquer leur gêne dans une attitude polie, d'autres encore grimaçaient quand certains lui souriaient tristement. Au fur et à mesure, elle commençait à regretter son choix et à se fondre dans l'ombre du lasat. Quand Qolt se retourna vers elle, elle releva pourtant la tête fièrement, comme pour montrer que ces regards ne la dérangeaient pas. Mais le dégoût, le malaise, le choc, la pitié pesaient lourdement sur sa peau fine et blanchâtre, transpercée et brûlée à nouveau. Ils entrèrent dans un grand magasin qui avait été épargné par les affres de la guerre, d'où de délicieuses senteurs s'échappaient. Les étals étaient garnis de pains, de légumes, de fruits, de mets qui avaient tous l'air plus exquis que les autres. Ils furent accueillis par des voix affables, avec cette sonorité particulière que donnait la gentillesse, d'un couple un peu âgé. Pourtant, quand l'homme se retourna et la vit, il sursauta. À côté de lui, sa femme, regardant dans la même direction, murmura :

« Pauvre enfant... »

Ces réactions n'étaient pas différentes des précédentes, mais elles furent la cristallisation du repoussement de son visage. Sentant qu'elle perdait son calme, elle attrapa l'écharpe de Terandeb et la lui arracha pour s'en couvrir le visage, sortit du magasin et courut en direction du spatioport. Elle se cachait tellement le visage que ses yeux étaient presque voilés, elle trébuchait et cognait des choses, mais rien ne l'arrêta.

À l'entrée du vaisseau, deux pirates armés montaient la garde, dont le rattataki qui ne l'appréciait pas. Il l'accueillit avec un ton indifférent, presque ennuyé :

« Déjà rentrée, bouillie de poisson ? »

En passant, elle le bouscula. Elle l'entendit grogner et lui dire de s'arrêter, mais elle courut, l'écharpe toujours sur le visage, à l'intérieur. Elle appuyait si fort qu'elle avait du mal à respirer, l'air ne passait pas à travers le tissu, ses poumons lui brûlaient comme le jour du vote, ce premier jour. Mais elle ne l'enleva qu'une fois à l'abri des regards, dans la salle des machines, à nouveau déserte. Assise dans un coin, elle sanglotait, là, seule. Toujours seule, sans personne pour l'accompagner, pas même elle-même, perdue qu'elle était.

« Hé, la sans-visage ! Mais qu'est-ce qu'il te prend ? »

Le gros bras de Qolt l'avait visiblement suivie, et son ton n'était pas avenant. Elle n'avait pas envie de lui parler, encore moins de le voir (encore moins qu'il la voit). Tournant la tête sur le côté, ses mains tremblantes de ses pleurs tentaient de cacher cette peau immonde.

« Je t'ai posé une question, insista-t-il, en colère.

_ Je suis un monstre, gémit-elle.

_ Quoi ? C'est à cause de tes brûlures ? s'étonna-t-il. »

Un rire moqueur se fit entendre. Brusquement, comme la puissante vague d'une tempête déferlant sur vous, elle sentit quelque chose l'envahir, contractant tous ses muscles et haussant sa température corporelle. Elle qui pouvait paraître si calme se sentit tombée dans une terrible fureur. Oubliant sa tristesse et sa honte, elle se releva subitement et lui fit face, son visage dévoilé.

« Et vous ! Vous qui m'appelez la sans visage, vous qui m'insultez, vous qui n'avez aucun respect pour moi ! lui hurla-t-elle.

_ Alors tu vas commencer par baisser d'un ton, s'énerva-t-il de sa voix menaçante. Je vais expliquer un truc à la gosse capricieuse que tu es, alors écoute bien : le respect, ça se gagne ! Qu'est-ce que t'as fait depuis que t'es là ? Rien. Si tu veux du respect, la sans visage, va falloir faire tes preuves ! »

Elle se pétrifia. La réponse la surprenait, peut-être par sa logique toute simple. Ses convictions lui disaient qu'il fallait respecter tout le monde, mais elle comprenait les propres convictions de l'homme. Elle leur était inutile. Elle n'apportait rien à cette communauté (nettoyer la vaisselle et recharger les blasters était à la portée de tout le monde), mais n'était qu'une bouche à nourrir.

Agacé, il se retourna et grogna :

« J'ai autre chose à faire que de consoler une pleurnicheuse !

_ Je ne suis pas une pleurnicheuse ! »

Mais il était parti.


Bonjour, bonsoir !

Nanthana avait raison, le récit se passe bien après la prélogie ! Tu me connais trop bien, ma Padawan... J'espère que ce chapitre vous plaira, on entre dans un peu plus d'action. Les informations vont continuer à se multiplier dans les prochains jours.

À demain,

MlleMau.