Partie II : Son nom.

Entrer dans le vaisseau immergé fut plus compliqué qu'elle ne l'avait imaginé. Sa coque avait étonnement bien résisté au choc et les quelques brèches formées lors de l'impact étaient peu praticables, car trop petites, trop encombrées, voire inintéressantes. Elle n'osait pas imaginer comment allait se passer l'extraction de ce canon, qui devait être d'une taille imposante. Elle avait essayé d'entrer par un de ces trous, et avait dû rapidement renoncer. Prendre de la distance afin de trouver plus rapidement une entrée convenable semblait, de prime abord, une excellente idée, mais la taille gigantesque de l'appareil et l'obscurité des abysses ne l'aidèrent pas. La taille de ce vaisseau l'impressionnait comme l'effrayait : comment trouver un objet dans un si grand complexe ? Bien sûr, Qolt l'avait renseignée quant à la conception de ces vaisseaux et les endroits où il était probable de trouver l'objet convoité, mais à bord de la frégate pirate, ce qu'il avait qualifié de destroyer Venator lui avait paru plus petit. Elle nageait depuis longtemps, longeant les murs d'acier à la recherche d'une ouverture, et la fin semblait encore très lointaine. C'était interminable.

Finalement, la coque épaisse et solide qu'elle suivait, éclairée de sa lampe, sembla subitement s'amincir. Revigorée par cette excellente nouvelle car imaginant là la fin du vaisseau, elle reprit son chemin avec plus d'entrain, nageant rapidement, jusqu'à une énorme porte aux murs coulissants. Elle devina qu'il s'agissait là d'un accès pour d'autres vaisseaux, plus petits, et s'en réjouit : le canon pourrait certainement y passer. Malheureusement, les deux portes étaient scellées. Elle ne se laissa pas découragée, prête à mener cette mission à bien et à devenir l'une des leurs, à ne plus être surnommée la sans visage, alors elle recueillit un morceau de métal planté dans le sable, plus loin. Elle s'en servit comme d'un pied de biche, le glissant entre les deux portes et tirant vers elle. Comme il s'agissait de portes coulissantes, elle espérait une réussite : et c'en fut une ! Ses lèvres pâles s'élargirent soudainement d'un sourire alors que, dans un bruit sourd et métallique, la porte s'ouvrit de quelques centimètres.

Un faible relent s'échappait de la petite ouverture, mais elle n'y prêta guère attention, toute à son engouement de voir sa mission prendre un excellent tournant. Mais au fur et à mesure qu'elle parvenait à faire glisser la porte de métal, l'odeur devenait de plus en plus forte. C'était une véritable pestilence, comme un remugle particulièrement fétide, qui lui donnait peu à peu la nausée. Compte tenu de son odorat diminué, l'odeur devait être épouvantable. Elle s'approcha donc de l'ouverture et éclaira l'intérieur du vaisseau. Elle ne trouva rien tout d'abord, puis...

Elle hurla de terreur ! Épouvantée, elle s'éloigna prestement, nageant le plus vite possible et le plus loin, ses muscles furent douloureux et son souffle frénétique, mais elle ne s'arrêta que lorsque l'appareil ne fut plus en vue. Elle était saisie de nausées et de tremblements, et c'est avec difficulté qu'elle appuya sur le bouton de son comlink.

« Qolt ! Je ne peux pas ! Je ne peux pas faire ça ! Je dois revenir ! »

Sa voix était aussi secouée que son corps entier, retranscrivant l'horreur qui l'habitait. Mais dans sa précipitation, elle n'avait pas pensé qu'il ne parlait certainement pas le nautila, sa langue aquatique. Pourtant, il lui répondit, pressé par son angoisse :

« Qu'est-ce qui se passe, petite ?

_ Les... les... Je ne peux pas !

_ Qu'est-ce qui se passe ? redemanda-t-il d'une voix ferme. »

Elle essaya de calmer sa respiration, tant elle était essoufflée par sa fuite soudaine et son effroi. Elle sentait une masse dans sa gorge, une contraction effrayante qui l'empêchait de parler correctement.

« Il... il y a des hommes, là-bas... Ils sont...

_ Morts ? l'aida-t-il. C'est malheureux, mais c'est la vie.

_ Mais... mais l'odeur... »

Elle ne parvenait pas à mettre de mots sur le tableau macabre qu'elle venait de découvrir. Car ces pauvres oubliés n'étaient pas seulement morts, ils étaient dans un état de décomposition avancé. Elle en était malade.

« C'est horrible, je sais, la rassura-t-il de sa voix ferme. Mais ça faisait partie des risques, et c'est toi qui voulais le faire. Alors, tu vas y retourner, les sortir de là... »

Un hoquet d'horreur l'interrompit. Y retourner ? S'en approcher ? Un frisson d'effroi glacial et brûlant à la fois la traversa de part en part à l'idée de respirer les fines particules décomposées de ces corps.

« Hé ! cria soudain Qolt pour la brusquer. Alors tu veux renoncer ? Tu veux remonter et devenir, en plus d'être la sans visage, la mauviette ? »

Elle bloqua son souffle pour le faire revenir à une vitesse normale, elle serra les poings pour arrêter le tremblement virulent qui la secouait. Ils avaient besoin de ce canon, c'était ce qui l'avait indirectement sauvée de son funeste destin. Elle voulait être acceptée par ce groupe peu conforme, elle voulait sincèrement devenir quelqu'un auprès d'eux. D'une petite voix murmurée, elle acquiesça :

« D'accord...

_ Petite, reprit-il d'une voix plus mélodieuse. Calme-toi, la peur ne sert à rien. Elle te paralyse et t'empêche de faire ce qui est vraiment important. Abandonne-la, et vas-y. »

D'une voix décidée et revigorée de courage, elle répondit :

« J'y retourne. »

Et elle coupa son comlink.


Bonjour, bonsoir, chers lecteurs !

Charmante scène, n'est-ce pas ? Rassurez-vous, Noël est dans 15 jours !

À demain,

MlleMau.