Partie V : Le miracle.
Mes rêves avaient accompagné mes nuits durant plusieurs jours, mais quand j'étais éveillée, je continuais autant d'y songer que je cherchais par moi-même les réponses à mes questions. Malgré ce que je soupçonnais être des anciens souvenirs, je ne parvenais pas à être apaisée. Les événements à la base séparatiste me hantaient, j'essayais d'y déceler les indices à force de ressasser la scène, en vain. J'étais toujours incapable de dire ce que j'avais fait, je n'avais même pas l'impression que ce fût grâce à moi mais la manifestation d'un simple miracle qui répondait à mon envie viscérale de protéger ma nouvelle famille. La raison de l'interdiction de Qolt était encore plus incompréhensible, car cette manifestation leur avait sauvé la vie à tous, lui compris. Je supposai qu'avoir recours à ça était néfaste ; j'avais donc observé de possibles séquelles, mais je n'en voyais aucune. Sans oublier que je soupçonnais un lien avec mon passé désormais oublié. J'étais venue à cette conclusion lorsque mon esprit avait, me semblait-il, essayé de me répondre par ces rêves mystérieux. J'avais même essayé de refaire ce que j'avais fait, de réutiliser ce pouvoir, dans le secret de ma chambre, en vain. Je ne savais comment m'y prendre, et à la base séparatiste, il paraissait évident que je l'avais utilisé par instinct – ou même par habitude ; j'étais désormais accoutumée aux réactions incontrôlées de mon corps, qui trahissait cet ancien savoir, toujours présent mais inconscient.
Totalement démunie et me rappelant que Qolt ne m'avait rien précisé à ce sujet, j'essayai d'obtenir des réponses par d'autres personnes. À vrai dire, je m'étais attendue à de la rancune et du mépris, puisqu'ils n'avaient pas pu prendre tout ce beau trésor qui était désormais réduit en cendres. Je m'imaginais leurs reproches, m'accusant de ne rien avoir fait pour annuler ce compte à rebours ou pire, d'avoir activé cette autodestruction par mon escapade dans la base. Mais j'avais dû faire face à leurs sourires et leur enjouement, apparemment tous ravis de me voir. J'en fus déstabilisée. Plus étrange encore était qu'aucun ne parlait de ce qu'il s'était passé, ils m'accueillaient par mon prénom, Vetty, m'entretenaient sur des banalités ou me livraient leurs plaisanteries, mais il n'était jamais question d'une base, d'un trésor et d'une mort évitée in extremis.
Le premier à qui j'essayai de parler était bien entendu Aurakptar, car il était celui qui m'avait sauvée de cet éboulement et qui en avait payé le prix d'un pansement autour de la tête à porter quelques jours. Il avait risqué sa propre vie pour la mienne, il s'agissait de la moindre des choses que d'aller le remercier. Il avait alors profité de mes remerciements pour mon sauvetage pour partir dans un monologue élogieux à propos de lui-même, se présentant tel un héros altruiste et valeureux, un membre de ce fait indispensable à cet équipage car courageux et fort. J'étais étonnée au début, peu habituée à ces effusions de sa part, lui qui me regardait avec dédain jusqu'à il y a peu ; mais je finis par en rire. Je compris néanmoins qu'il s'agissait d'une distraction lorsqu'il parvint à s'éloigner de moi avant que j'eusse le temps de l'interroger à propos de mon pouvoir capable d'arrêter une explosion. J'en fus totalement frustrée. Durant la journée et le jour suivant, j'essayais de lui parler, mais Aurak semblait bien occupé d'après ses dires.
Finalement, le matin du deuxième jour, je parvins à me retrouver seule avec lui. Contrairement à ce que je m'étais imaginée, il ne prit pas la fuite face à moi. Mais, décidée à avoir mes réponses, je ne perdis pas de temps pour l'interpeller :
« Aurak ! À propos de ce qui s'est passé à la base séparatiste...
_ Vetty, m'interrompit-il. »
Là, après s'être approché de moi, il avait posé sa main sur mon épaule et s'était baissé pour être à ma hauteur de jeune adolescente. Il me surprit. Je n'avais jamais vu le rattataki ainsi. Il me fixait intensément et alors, je voyais avec précision ses yeux. Ils dégageaient une émotion vive et indescriptible, quelque chose de profond et de vrai, si éloignés de l'aspect que je connaissais de lui. Pour moi, Aurak avait toujours été ce gros bras capable d'une grande violence et qui se montrait toujours dur et inflexible, le genre d'homme que je ne verrais jamais se lamenter ou pleurer. Devant cette vive émotion qu'il m'offrait dans l'intimité de notre solitude, je fus saisie.
« Merci, dit-il simplement. »
Ce n'était qu'un seul mot, mais je savais qu'Aurak n'avait pas pour habitude de faire des discours romanesques et sentimentaux, alors ce fut bien assez pour que je comprisse. Il me remerciait pour les avoir sauvés, car il se voyait bien perdu sans mon intervention, peut-être même avait-il eu une peur terrible. Son émotion se refléta en moi. J'étais moi aussi saisie de cette vive émotion qui réunit ceux qui ont survécu, et je n'avais pas plus de mots à offrir. Je posai simplement ma main sur la sienne, toujours sur mon épaule.
J'étais sortie de cette courte rencontre totalement bouleversée, je ne pensais pas être aussi émue par Aurak. Mais si je n'avais plus envie de l'interroger lui, préférant le laisser tranquille, mes questions n'avaient obtenu que de nouvelles interrogations. J'étais désormais certaine que quelque chose m'échappait. Cet échange me permit de faire taire mon impatience et de prêter une meilleure attention à mon entourage. Je me rendis aussitôt compte de mon erreur : je m'étais laissée être fourvoyée par leur bonne humeur et leurs esquives, mais en abandonnant mon impatience pour le calme, j'écoutai plus attentivement. Cela me permit alors de remarquer la vérité. Je vis leurs regards quand j'avais le dos tourné, qui étaient plus solennels et réservés, teintés d'un respect que je venais apparemment de gagner. J'entendis leurs murmures quand je m'éloignais d'eux, qui étaient encore timides et discrets, gorgés d'un estime que je venais également de gagner. Comment l'avais-je gagné ?
La réponse à cette nouvelle question, qui me paraissait évidente (je me réjouissais d'en avoir une, pour une fois), me poussa à aller interroger la personne en qui j'avais le plus confiance dans cet équipage. Bien sûr, j'avais déjà essayé d'aborder le sujet avec Terandeb, mais s'il était d'ordinaire un maître dans l'art du silence, il s'était avéré encore plus efficace à propos de ce sujet. Néanmoins, lorsque j'essayai de nouveau, j'avais commencé à avoir mon terrible cauchemar qui nous réveillait tous les deux, chaque nuit. Peut-être ces nuits tourmentées l'avaient-elles convaincu de me parler, toujours était-il que lorsque nous nous retrouvâmes seuls une après-midi, je me confiai à lui :
« Depuis ce jour à la base séparatiste, tout est différent. J'y ai fait quelque chose, et je ne sais même pas ce que c'était. En plus, le capitaine m'a strictement interdit de le refaire, et je ne sais même pas pourquoi ! Je voulais juste vous sauver, je ne vois pas où est le mal. Mais le pire, c'est que personne n'en parle, tout le monde semble vouloir éviter le sujet, et pourtant je vois qu'ils me traitent différemment, que je ne suis plus une adolescente naïve à leurs yeux. Et maintenant, je commence à faire ces rêves étranges... Je sais qu'on me cache quelque chose – pas seulement le capitaine, tout l'équipage. Toi aussi, Terandeb. Mais je ne peux pas continuer comme ça, dans le mensonge, car ça me concerne, c'est de moi dont il s'agit, et je pense que j'ai le droit de savoir ! »
Nous nous regardions fixement. Je n'avais jamais autant parlé avec lui, nous qui nous comprenions si facilement par le silence. Mais tous ces sentiments que je gardais pour moi resurgissaient : l'incompréhension, la frustration, l'inquiétude, la peine.
« Tu n'as rien fait de mal, Vetty. »
Il avait commencé par me rassurer, m'enlevant ainsi un doute important, celui qui m'avait le plus rongée certainement. Le peu qu'il en avait dit me soulageait déjà, mais j'avais trop attendu pour ne me contenter que de ça.
« Le capitaine nous a ordonné de ne plus jamais reparler de ce que tu as fait, et surtout pas à toi.
_ Pourquoi ? demandai-je, me sentant trahie par Qolt.
_ Il a ses raisons, Vetty. Son intention n'est pas de te faire souffrir. »
Malgré ses mots en faveur de Qolt, je ne pouvais m'empêcher de me sentir trahie. Je l'avais remercié, toujours heureuse de constater que Terandeb était un formidable ami. Mais il était temps de réclamer la vérité.
Bonjour, bonsoir !
Normalement, ce chapitre et le suivant devaient n'en former qu'un seul, mais il était trop long et ceux du 20 et du 21 plutôt courts. Tout ça pour dire qu'il va falloir attendre demain pour comprendre les motivations de Qolt ! Je voulais faire une belle petite scène entre Aurakptar et Vetty, pour la suite. Le chapitre de demain offrira une nouvelle perspective sur le destin de Vetty, j'espère que vous aimerez.
Plus que 6 jours pour acheter les derniers cadeaux de Noël, vite vite !
À demain,
MlleMau.
