Partie V : Le miracle.
Parce qu'il s'agissait de ce que je pouvais faire, parce qu'il s'agissait de quelque chose que j'avais fait et parce qu'il s'agissait de quelque chose que j'eus fait si souvent qu'il était désormais instinctif, ce qui m'avait été caché me concernait d'une façon extrêmement personnelle, d'où mon indignation d'être la seule à ne pas savoir. Ils savaient, tous, chaque membre de l'équipage, les réponses à mes questions. Ils me connaissaient plus que moi-même je ne me connaissais pas. L'amertume me donnait des nausées. Mon nom, Vet-Girrim, me paraissait alors être une illusion pour me détourner de la réalité. Cette joie et cette insouciance qui m'avaient animée lors de mon baptême n'étaient qu'une manipulation, visant à me faire oublier ce que (paradoxalement) j'avais déjà oublié. Mes souvenirs m'appartenaient. Qolt n'avait pas le droit de m'en priver – de me les voler, pirate qu'il était.
Malgré mon indéfectible résolution et ma profonde amertume, je devins nerveuse, face à la porte qui m'amènerait jusqu'au capitaine. J'étais lasse de ces mensonges et furieuse après Qolt, mais je ne pouvais pas oublier les souvenirs que je m'étais forgée auprès de lui, et du respect et de l'amour que j'avais appris à éprouver (et de la crainte, je l'admets, que ce grand personnage m'inspirait). J'étais consciente de franchir une ligne interdite, mais celle-ci avait été tracée par Qolt sans mon accord. J'abandonnai mes peurs et pris mon courage lorsque j'entrai dans son bureau. Il était assis dans son canapé, nettoyant avec soin son arme. Il m'accueillit avec amabilité, comme à son habitude :
« Bonjour, Vet-Girrim. Installe-toi. »
Avec une certaine raideur, je m'installai à ma place habituelle.
« Comment vas-tu ? demanda-t-il, comme pour entamer une conversation banale.
_ Je viens chercher des réponses à mes questions, répondis-je. »
Il continua son office, égal à lui-même, ignorant sciemment la véritable nature de ma demande que, je savais, il avait pleinement conscience, pour perdurer l'illusion d'une conversation ordinaire.
« Je t'écoute. Que veux-tu savoir ?
_ Ce que vous me cachez. »
Mon ton ferme et ma réponse explicite le figèrent. Il s'arrêtait enfin, donnant l'importance qui était due à ce moment. Il me regarda pleinement et, ne voulant pas perdre mon courage et ma résolution, je l'empêchais de répondre en ajoutant :
« Ça me concerne. J'ai le droit de savoir.
_ Non, répondit-il.
_ Ce sont mes souvenirs, argumentai-je calmement.
_ Je ne te dirais rien.
_ Vous n'avez pas le droit de me les voler. »
À mes mots, je vis son expression changer d'une façon que je n'avais jamais vue. Je devinai la colère sous ce froncement de sourcils et la mâchoire se resserrant. J'en étais effrayée, mon tout premier souvenir était alors d'une vivacité époustouflante, ce jour où je m'étais réveillée le canon d'un blaster entre les deux yeux – un blaster qu'il tenait à ce moment-là. Je ne parvenais pas à cerner Qolt et à le comprendre véritablement, et plus que jamais, ce mystère me comprimait la gorge, comme une main serrant pour m'étrangler. Je n'osais même plus déglutir. Mais en écho à cette puissante frayeur, ma décision se fit plus tenace que jamais : je ne sortirais pas de cette pièce sans savoir ce qu'il me cachait et, surtout, pourquoi il me le cachait.
« Vet-Girrim... »
Sa voix menaçante me prévenait. Il s'était levé, me surplombant de toute sa haute stature, dans un message clair qui était va t'en. Mais je me levai à mon tour, la petite adolescente face à ce géant, afin de tenir mes positions.
« Je veux savoir. Je dois savoir, rectifiai-je. »
Sa voix se fit encore plus dure.
« La vérité te blessera, prévint-il.
_ Le mensonge me tourmente, rétorquai-je.
_ C'est mieux ainsi.
_ Pour vous, pas pour moi. »
Rien ne m'avait préparée à la voix si puissante et profonde de Qolt me hurlant dessus :
« Ça suffit ! cria-t-il. Tu tiens vraiment à savoir ce qui t'est arrivé ? (Il pointa du doigt mon visage) Tu as toujours appelé ça, naïvement et innocemment, un accident, mais c'était une tentative de meurtre ! »
Ces mots me frappèrent durement. Il avait raison, je m'étais enfermée dans cette puérile illusion et la chute sur le plancher des banthas fut douloureuse.
« Ils ont essayé de te tuer ! continuait-il à crier. »
Je ne parvenais plus à garder un visage ferme et fort. Comme lui laissait la colère pervertir son visage, mon trouble se voyait également. J'étais désemparée et horrifiée. Il continua pourtant de pointer mon visage du doigt et de crier :
« Ton visage et ton amnésie, que tu as toujours vus comme une malédiction, sont en réalité une bénédiction ! Le destin t'a offert une seconde chance, c'est un miracle que tu sois encore en vie ! Alors cesse de rechercher ce passé qui n'a valu que la mort à celle que tu étais ! »
J'étais tétanisée. La vérité m'étourdissait, cruelle et impitoyable. La monstruosité de ce que je prenais conscience m'enveloppait de sa toile sanglante. Je voyais Qolt, narines frémissantes de rage, s'agiter, comme évacuant cette énergie bilieuse, finissant de la libérer dans un long soupir. Il sembla s'adoucir, son visage reprenant cette même expression, celle que je lui avais toujours connue. Il m'enlaça, passant une main sur mes tentacules.
« J'essaie juste de te protéger, confia-t-il dans un murmure. »
Bonjour, bonsoir !
Ça peut paraître effroyable mais, c'est ainsi que j'ai toujours vu l'amnésie et le corps mutilé de Vetty : une bénédiction. Cette pensée s'oppose bien entendu à la sienne et j'espère que ce nouveau point de vue, plus pragmatique, vous plaira ! Il sera développé au prochain chapitre.
Demain, pour le prochain chapitre, invité surprise !
À demain,
MlleMau.
