Partie V : Le miracle.
Chaque réponse apportait systématiquement de nouvelles questions. De qui Qolt voulait-il me protéger ? Mes assassins étaient-ils encore à ma poursuite ? Il avait raison, je m'étais bercée d'illusions pour ne pas affronter la cruelle réalité : quelqu'un avait voulu me tuer. Qu'avais-je fait ? Qu'est-ce qui avait motivé un tel acte ? Je me disais que, peut-être, leurs raisons étaient légitimes parce que je n'avais pas été quelqu'un de bien ; cette idée me faisait frissonner d'effroi. Étant incapable de savoir qui j'étais avant, je m'étais raccrochée à l'idée que, malgré l'amnésie, j'avais toujours la même personnalité et la même éthique, mais je n'en étais plus si certaine. Ce passé inconnu semblait me rattraper, quoi qu'en dise Qolt à propos de la seconde chance que m'avait donné le destin. Comment mon amnésie, et mon visage dénaturé, pouvaient-ils être considérés comme une bénédiction ? Ils me tourmentaient tous les deux comme ces questions tournaient dans ma tête.
En vérité, je compris ce qu'il voulait dire par-là très rapidement. Quelques jours après, la Stella passait à côté d'Oba Diah pour entrer dans le Raid de Kessel. Je m'étais postée à la fenêtre aux côtés de Loofi pour admirer les nuages du maelström, ce phénomène unique en son genre, qui émerveillait les jeunes gens que nous étions. Loofi se pavanait en me racontant qu'il l'avait déjà vu et traversé, insistant sur les dangers présents dans l'espoir de m'impressionner. Je m'amusais à le laisser faire. Mais au premier tournant, je fus à nouveau prise d'une étrange impression puis, la seconde suivante, nous vîmes un gigantesque destroyer stellaire de l'Empire qui bloquait le passage du Raid. J'abandonnai le rodien pour me précipiter vers la salle des commandes, où j'y retrouvai Qolt en pleine discussion avec l'autre vaisseau.
J'étais inquiète. Je reconnaissais maintenant ce pressentiment, le même qu'à la base séparatiste, mais celui-ci était moins pressant, mais plus... menaçant. Je lançai un regard si affolé au capitaine qu'il dut comprendre l'émoi qui me gagnait. Il essayait de négocier avec les impériaux, arguant qu'ils ne faisaient qu'emprunter une route libre d'accès pour du commerce et que rien ne leur donnait le droit de les intercepter. Je compris alors que nous étions entravés par leur puissant rayon tracteur, et cela ne fit qu'accentuer mon angoisse. Malgré ses efforts, l'officier à l'autre bout de la ligne n'abandonna pas et dit :
« Nous sommes simplement à la recherche de fugitifs extrêmement dangereux. Nous vous demandons de réunir votre équipage pour une rapide inspection et, si vous êtes d'honnêtes marchands comme vous le dîtes, il n'y aura aucun problème. »
Nous dûmes donc nous regrouper dans la grande salle, hélas soumis à la puissance de ce destroyer. Le plan restait simple, à savoir, ne pas s'aliéner directement l'Empire ; notre revanche viendrait plus tard, sans qu'ils ne pussent rien y faire. Quant à savoir si mes compagnons étaient dans leurs fichiers, en théorie non, car à ce qu'on m'avait raconté, un gros coup leur avait permis d'effacer les données les concernant peu de temps avant la fin de la Guerre (ils avaient pu le faire grâce à elle, justement) dans les bases de données de l'ancienne République. Jusqu'à présent, ce plan avait fonctionné et ils étaient redevenus officiellement libres d'aller où bon leur semblait (ce qui est un atout pour des pirates, vous en conviendrez). L'inquiétude qu'une faille eût pu être trouvée était pourtant présente au sein de l'équipage. Mais je sentais que le danger, au fur et à mesure qu'il s'approchait, ne les concernait pas mais me concernait, moi. J'essayais de me convaincre que je pensais cela à cause de la discussion que j'avais eue avec Qolt, mais mon pressentiment persistait. J'espérais que, contrairement à la première fois, ce sentiment se fourvoyait.
La salle était remplie avec l'équipage au grand complet. Cela me permit de me cacher facilement, derrière l'imposante silhouette de lasat de Terandeb, lui-même entouré d'autres pirates. Petite que j'étais, j'étais parfaitement dissimulée. Mais j'avais l'impression d'être totalement découverte, face au danger qui me guettait. La présence de mon ami, mais aussi d'Aurak un peu plus loin, qui me fit en clin d'œil en désignant son arme cachée, me rassurèrent quelque peu. J'inspirai et me forçai à me calmer. Notre capitaine avait accueilli la navette impériale et nous rejoignit en mauvaise compagnie. Je ne pouvais m'empêcher de regarder discrètement entre les corps, cherchant un petit espace de visibilité. Ce que je vis ne me rassura pas. Une troupe d'hommes en armure blanche, tous masqués d'un casque blanc, provoqua en moi une terrible angoisse. Ils étaient légèrement différents mais à la fois, si semblables à ceux de mon rêve – ceux qui me tuaient. Les mots de Qolt tournaient plus que jamais dans ma tête. Mon visage défiguré était une bénédiction : je commençais à comprendre pleinement ce qu'il voulait dire par là.
Cette troupe de soldats blancs était menée par un officier en habit vert sombre, un képi de la même couleur, des bottes et une ceinture noires, et un air méprisant qu'il promena sur toute la salle. Sa voix était hautaine quand il demanda :
« Est-ce là tout votre équipage ?
_ Vos soldats vous le diront après leur fouille, répondit froidement Qolt.
_ Hmm, marmonna avec dédain l'officier. J'espère pour vous que vous ne cachez personne, car le Grand Inquisiteur le saura. »
Alors qu'il disait cela, les troupes blanches s'écartèrent, laissant passer un sinistre personnage. J'écarquillai les yeux lorsque je le vis. Il ne s'agissait que d'un pau'an au teint blafard et aux tatouages rouges, vêtus de noir, mais je sentais que de lui émanait une monstruosité, une horreur qui me révulsait autant que m'effrayait. Le danger que je pressentais émanait de cet homme. Un frisson me parcourut quand je compris l'étendue de sa dangerosité. Je me recachai aussitôt derrière Terandeb et, dans un geste pour me rassurer, j'attrapai le tissu qui recouvrait son dos, le serrant entre mes doigts. Avoir peur ne me servirait à rien (je me souvenais de ce conseil de Qolt), aussi inspirai-je lentement pour me calmer. Dans le silence qui s'était imposé dans la salle, comme si tout le monde eût compris la férocité et la perniciosité que représentait le pau'an à l'apparence si calme, j'entendais chacun de ses pas. Mais lorsqu'il n'y eut plus de bruit, qu'il s'était arrêté, je sus que son regard s'était tourné vers moi, alors même que j'étais parfaitement cachée derrière mon ami. Je ne pouvais le voir, mais je ressentais son regard sur moi, seule face à mon bourreau dans cette salle immense et vide. Mon cœur s'affolait, mais je continuai à m'exhorter au calme.
« Tu ne peux pas te cacher de moi, retentit une voix coulante de venin. Montre-toi. »
L'idée de rester cachée était inconcevable. Je ne pouvais pas mettre en danger toute ma famille en refusant cette requête. Je lâchai Terandeb et, puisant dans tout mon courage, je sortis de ma cachette d'un pas décidé et sûr, la tête haute. Je pus alors le voir totalement.
Le temps sembla se figer et l'air devint froid, l'atmosphère était pesante d'une lourdeur qui me donnait envie de me rouler en boule, comme une petite chose effrayée. Je l'étais, assurément, mais je ne détournais pas mon regard du sien, si jaune. Ses yeux m'horrifiaient. J'y voyais une malveillance terrible. J'y voyais une cruauté malfaisante. J'y voyais une perfidie belliqueuse. J'y voyais de la noirceur. Je ne détournais les yeux que pour regarder l'officier qui suivait ce Grand Inquisiteur, un datapad à la main qu'il pianota frénétiquement pour changer l'affichage, qui dévoila (je le voyais à travers l'écran transparent) le portrait d'une jeune nautolan à la peau vert d'eau, qui souriait doucement. Lorsque je regardai à nouveau le pau'an, il souriait, s'approchant de moi en quittant sa posture droite et noble, mains derrière le dos, pour se pencher vers moi, comme une bête sauvage se préparant à bondir pour tuer sa proie. J'affrontai son regard avec courage, malgré mon pressentiment qui se faisait plus intense qu'à la base séparatiste.
Ce monstre me scrutait, et je me sentais vulnérable face à lui. Mais je ne comptais pas le laisser me terroriser. Son léger sourire s'élargit et il leva alors une main. Ses doigts étaient légèrement repliés, comme prêts à attraper quelque chose – et c'est alors que je le sentis. Il me touchait. Je sentais le poison de ses doigts me toucher. Mais ce n'était pas physique. Je n'avais pas de mot pour le décrire, mais je sentais qu'il me poussait, comme s'il voulait ouvrir une porte, ou casser un mur. Je fronçais les sourcils et je sentis tout mon corps se tendre, mais je ne bougeais pas, affrontant autant ses yeux jaunes que son attaque. Ses doigts s'approchèrent d'avantage vers moi, et au même instant, je sentis cette pression devenir un assaut brutal. Je résistai à cette force avec difficulté, je grimaçai mais me tint encore debout, lui offrant une résistance égale en force. Mais il y mit plus de virulence encore, et alors –
Toute son obscurité déferla en moi, comme une vague brisant la digue, attaquant tout ce que j'étais, mes souvenirs et mes pensées, mon nom et mon âme. Je criai de douleur et mes jambes cédèrent, mais ça ne dura qu'une seconde, un instant si court mais si effroyable qu'il me laissa fragile sur le sol. J'étais essoufflée et tremblante dans ma défaite. J'avais perdu ce duel.
J'entendis à peine le bruit des blasters dégainés et chargés, mais en relevant la tête, je vis le Pau'an tenu en joug par pratiquement tous les pirates présents. Ils avaient visiblement tous caché une arme qu'ils brandissaient maintenant pour me protéger. L'officier les regardait avec peur, mais le Grand Inquisiteur avait repris sa posture digne et fière, totalement détendue, son regard jaune toujours rivé vers moi. Il leva un bras et les soldats en armure blanche baissèrent leurs armes. Néanmoins, mes amis ne bougèrent pas, et la tension était toujours électrique. Sans me quitter des yeux, il dit alors :
« Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas celle que je recherche.
_ Dans ce cas, intervint Qolt qui s'interposa, vous pouvez repartir et continuer vos recherches ailleurs. »
Le Grand Inquisiteur l'observa en silence, et ne semblait absolument pas impressionné par le ton menaçant de notre capitaine que, pourtant, nous craignions tous.
« Mon Seigneur ? demanda, incertain, l'officier. Devons-nous l'amener au Seigneur Vador ?
_ Non. Elle est trop âgée pour apprendre. »
Je ne compris pas ce qu'il entendait par là, mais lorsqu'il partit, je fus soulagée, mon pressentiment et cette sensation de noirceur s'évaporèrent avec lui. Aurakptar et Terandeb vinrent aussitôt s'assurer que j'allais bien, et je retrouvais avec bonheur ma famille.
Ce jour-là, je compris avec douleur ce qu'avait voulu dire Qolt. Il avait raison : mon visage défiguré empêcherait mes assassins de me retrouver et mon amnésie me protégerait de ces sombres personnes et ce, à jamais. Moi qui croyais le destin cruel de m'avoir pris mon visage et mon nom, il s'était en vérité montré bienveillant en me prenant mon identité. Ce n'était pas une malédiction, c'était un miracle.
Bonjour, bonsoir !
Voici enfin une apparition connue. Au tout début, je ne pensais que mettre un officier mais, j'aime tellement le personnage du Grand Inquisiteur que je n'ai pas pu m'empêcher. En plus, grâce à lui, j'ai pu mettre en valeur l'avantage de son amnésie. Le Grand Inquisiteur pénètre dans l'esprit de Vetty par la force, et il n'y voit pas les souvenirs et les pensées d'un Jedi. J'ai essayé de retranscrire cette attaque mentale, mais ce n'est pas évident de parler de sensations fictives.
Sinon, au chapitre suivant, si j'ai bien réussi à vous faire apprécier mes personnages, vous risquez de me détester !
À demain,
MlleMau.
