Partie V : Le miracle.

Qolt est mort.

Il croyait au destin et m'en avait souvent parlé durant ces nombreuses années à ses côtés. Il pensait, et je reprends ses mots, qu'une force régissait l'univers et nos vies. J'avais fini par y croire moi aussi, et la dernière discussion que j'eus avec lui me le confirma à nouveau. La veille de sa disparition, nous avions longuement discuté d'un sujet important : la vérité. Je m'étais toujours étonnée de cet homme étrange, que je comprenais mal, à la fois pirate sanguinaire et à la fois capitaine compatissant, et plus encore je m'étonnai qu'il m'eût si vite acceptée et appréciée. Il ne s'était rien passé de spécial ce jour-là, il n'avait pas décidé de se confier pour une raison particulière ou sous l'effet de l'alcool, mais il l'avait fait avec un naturel époustouflant, comme si ce fût le dernier instant pour le dire – et ce fut le dernier instant pour le dire. Je me souvenais avec une étonnante précision de ses mots. Il disait :

« Quand ma petite-sœur est née, elle était belle et adorable. Mais quelques mois plus tard, elle fut touchée par une maladie juvénile rare et dangereuse. Les médecins réussirent à la soigner, mais elle était devenue difforme et son visage était estropié. Ça ne nous a jamais empêché de l'aimer, et j'adorais ma petite sœur. Pour moi, elle était magnifique et rayonnante, et nous jouions toujours ensemble. On était inséparables, tous les deux. Mes parents étaient d'honnêtes gens, sur un monde paisible, et j'avais une vie normale d'un petit garçon normal. Je sais, c'est difficile à imaginer maintenant que je suis un capitaine pirate mais, j'étais véritablement heureux.

« Tout a changé quand ma sœur est entrée à l'école. Au début, quand elle était enfant, ça allait, mais en grandissant, les autres ont commencé à être méchants. Ils l'insultaient, disaient qu'elle était moche et que son visage était immonde. Ça la blessait mais, elle avait une amie qui l'aidait et, il faut bien l'dire, à la pause son grand frère allait remettre en place ces idiots. Mais ça a continué, et ma sœur ne m'en a plus parlé parce qu'elle ne voulait plus m'embêter avec ça, parce que je me faisais disputer par nos parents qui ne savaient pas que je me battais pour la protéger. J'ai cru naïvement que ça s'était arrêté mais, ça empirait. Son amie l'a rejetée de peur d'être aussi prise pour cible, et ils ont commencé à la pousser, à lui tirer les cheveux, à la frapper. Elle avait honte de nous en parler, de m'en parler. Si je sais tout ça, c'est parce qu'elle nous l'a écrit avant de...

« Quand je t'ai repêchée, je n'avais aucune pitié pour toi, mais tu t'es réveillée et nous t'avons soignée. Tu m'as très vite rappelée ma petite sœur, et je me suis attachée à toi pour son souvenir. Bien sûr, avec le temps, tu m'as prouvé que tu n'étais pas que ça, que tu étais forte et généreuse, tenace et intrépide, et une formidable pirate ! J'ai commencé à t'aimer, à te considérer égoïstement comme une nouvelle petite sœur. Je ne sais pas exactement pourquoi je te raconte cette histoire car, personne d'autre ne le sait. Je tenais juste à te le dire.

_ Comment s'appelait-elle ? avais-je demandé.

_ Elle s'appelait Stella. »

Le lendemain, Qolt mourrait.

Je ne savais pas s'il m'avait raconté l'histoire de Stella, qui a donné son nom à notre vaisseau, pour me désigner comme son successeur, mais nous étions en pleine débâcle. Ce devait être une escarmouche rapide et fructueuse, mais la situation avait mal tourné, et nous essuyions un feu nourri des stormtroopers, plus nombreux que nous. C'était une explosion qui avait cueilli notre capitaine, et il n'avait pas eu le temps de dire quelques derniers mots. Je voyais autour de moi mes confrères et mes consœurs continuer la lutte, mais ils étaient désorganisés, ne sachant plus quoi faire à part tirer pour survivre. Je n'avais jamais voulu le pouvoir, je n'avais jamais songé à devenir capitaine, mais à ce moment-là, j'avais simplement pris la décision de prendre l'opération en main – et tout le monde m'avait suivie.

Naturellement, j'étais devenue Capitaine Vet-Girrim. Je m'en étonnai, mais tout s'était fait simplement, personne ne s'était opposé à moi, pas même Aurakptar qui, en tant que membre le plus proche de Qolt et le plus ancien, aurait pu prétendre à ce titre. Je me fis la réflexion que lorsqu'il m'avait appelée capitaine, en pleine cohue et sous le tumulte des tirs échangés, il m'avait donné ma pleine légitimité aux yeux de tous. Je lui laissai le même rôle qu'il avait avec Qolt, comme un lieutenant qui faisait directement appliquer mes ordres. Quant à Terandeb, il devint tout aussi naturellement mon bras droit, et personne ne s'y opposa également.

J'étais une jeune adulte lorsque je devins capitaine, j'étais toujours monstrueuse, ma peau n'ayant jamais repris sa teinte naturelle, mes tentacules toujours amputés et mes lèvres et une paupière incomplètes, mais j'avais grandi, j'étais devenue aussi grande que le supposait mon espèce, j'avais récupéré mon odorat et j'avais exploité la force et les anciennes habitudes de mon corps, devenant une pirate douée au combat, qu'il soit à mains nues ou au tir, aidée par mes pressentiments que j'avais appris à dompter pour pouvoir leur faire confiance sans qu'ils ne me pénalisassent, et que, faute de connaître le véritable nom, j'avais baptisés don de prémonition. J'appris très rapidement à me comporter comme une capitaine pirate, notamment quand il s'agissait d'interroger ou de négocier avec des étrangers : je découvris que mes silences, complétés par mon visage défiguré, parvenaient à effrayer et en conséquence, à faire parler la plupart des personnes. Aussi décidai-je d'en jouer : j'avais fait réaliser un masque à l'aspect sauvage, rappelant d'anciennes tribus féroces, que je portais la plupart du temps, l'enlevant pour leur faire découvrir un visage plus effrayant encore. Terandeb accompagnait ce personnage que je me forgeai, prenant la parole à ma place, lui qui me connaissait si bien et qui n'avait pas besoin de mes mots pour me comprendre, me permettant ainsi de garder un silence plus pesant encore. Mon équipage, qui connaissait la véritable Vetty (notre gentille capitaine, qu'ils m'appelaient), s'amusait de ce personnage que je jouais, mais il était si efficace que je ne songeais jamais à m'en séparer.

Sous mon commandement, nous avions continué à prospérer. Je me révélai talentueuse pour trouver les bonnes cibles, les bonnes occasions et les bons plans. J'avais appris cela de Qolt sans m'en rendre compte. J'imposais également une éthique stricte : il était interdit de s'en prendre aux innocents et il était interdit de tuer sans raison valable. Ce second point ne fut plus discuté lorsqu'ils comprirent que demander des rançons pour nos prisonniers était également source de revenue. J'interdisais également les échanges avec les autres organisations criminelles, qu'ils soient amicaux ou hostiles, car je me méfiais d'eux et n'aimais pas leurs méthodes. Cela nous garantissait une pleine liberté de nos actions, nous n'avions de compte à rendre à personne et nous vivions de notre seul labeur. Une de nos cibles favorites était bien entendu l'Empire, autant parce qu'ils étaient étonnamment faciles à duper que parce que je ne les appréciais pas du tout. Je prenais donc un méchant plaisir à m'en prendre à eux.

Quant à mes souvenirs, ils n'étaient jamais revenus. Mes rêves avaient cessé le jour où j'avais accepté l'idée que ce qui m'était arrivé, était pour le mieux. J'avais totalement abandonné mon passé. J'étais seulement Vet-Girrim, capitaine pirate.


Bonjour, bonsoir, mes lecteurs !

J'espère que vous ne m'en voulez pas trop pour Qolt et pour l'ellipse temporelle. En fait, l'histoire pourrait presque se finir ici, vous ne trouvez pas ? Heureusement, il y a encore un petit bouleversement à venir, ainsi qu'une dernière question.

Je me suis permise cette digression pour Qolt car, j'aime beaucoup mes personnages, je me suis étonnamment attachée à eux et je voulais vous en faire découvrir d'avantage sur eux. Si ça ne tenait qu'à moi, je ferais bien des digressions sur Terandeb, Aurak et Loofi aussi, mais un calendrier de l'avent n'est composé que de 24 jours, hélas !

À demain,

MlleMau.