Adrien prenait la pose depuis trop longtemps maintenant, si bien que son bras était tout engourdis. Une crampe menaçait doucement sa jambe droite et la lumière des projecteurs l'empêchait de voir clairement ce qui se passait en face de lui. Les cliquetis de l'appareil photo, les flashs et les directives commençaient à lui donner la migraine.

- C'est terminé pour aujourd'hui !

Adrien soupira, soulagé et arrêta de prendre la pose, relâchant ses muscles les uns après les autres. Il se dirigea vers sa loge. Il enleva sa veste qui grattait et son maquillage qui lui tenait trop chaud. Plagg en profita pour sortir de sa cachette, les yeux encore un peu embués :

- J'en ai marre de faire le mannequin !

- Ça a ces avantages ! Et regarde-moi tous ces cadeaux de fans ! En revanche aucune de t'a offert de fromage ! Honteux !

Il esquissa un sourire et ouvrit son classeur de cours entre les bras. Il s'arrêta sur le bouquet de rose de Noël qui était devant son miroir, et pensa à sa mère. Pendant la période des fêtes, elle en remplissait la maison toute entière… Il en avait donné pleins à Ladybyg dernièrement, et contempla la composition florale. Un trou y figurait, à l'endroit même où il avait arraché une fleur du reste du bouquet pour la donner à sa lady… Adrien soupira et se concentra sur ses cours de droit, son objectif en tête : devenir avocat en droit de la famille. Il parcourut les pages et tenta de se concentrer quand, timidement, quelqu'un toqua à la porte :

- Je viens récupérer la veste, murmura une voix féminine.

Il se leva pour ouvrir, et tomba nez à nez sur Marinette et ses joues toutes roses. Elle venait de courir, et ses cheveux bruns partaient dans tous les sens. Il lui sourit gentiment, heureux de la voir.

- Marinette ! Tu travailles sur le shooting ?

- Je suis en stage chez Bogarnet, expliqua-t-elle. J'étais heureuse de voir que tu étais le mannequin !

Marinette s'arrêta sur les fleurs, ses prunelles bleues soudainement plus brillantes :

- Des roses de Noël ! s'exclama-t-elle.

- Je suis content de te voir ! Ça faisait longtemps ! l'enlaça le blond pour la saluer.

Marinette se perdit dans leur étreinte un bref instant, avant de reprendre ses esprits :

- Un peu plus de six mois je pense…

Ils avaient tous les deux terminé le lycée quatre ans auparavant. Ils avaient gardé contact, bien évidemment. Marinette et Adrien se connaissaient depuis leurs quinze ans et étaient de bons amis. Le blond savait qu'il pouvait compter sur elle à tous moments… Parfois, ils se réunissaient, avec Nino et Alya quand ils avaient le temps, pendant les vacances.

- On est tous très occupés j'imagine, soupira Adrien.

Marinette s'assit sur la coiffeuse et défroissa la veste du plat de la main.

- Tu as l'air fatigué, consta-t-elle.

- Si ce n'était qu'un air… Mon père me réprimande tous les soirs parce que mes yeux cernés font tâches sur les photos !

- Tu devrais te reposer.

- Je ne peux pas. Les partiels approchent et j'ai encore une tonne de truc à apprendre.

La brune s'empara de son classeur et essaya de déchiffrer les phrases, vides de sens pour elle.

- Parle-moi du…. Démembrement du droit de propriété ! l'interrogea Marinette.

- Qu'est-ce que tu fais ? rit-il.

- Je te fais réviser. A deux, c'est toujours plus sympa !

Adrien avait toujours adoré l'immense gentillesse de Marinette. Ça diffusait une chaleur agréable, de savoir qu'une personne serait toujours prête à vous aider, qu'importe le reste…

- Mais tu ne vas rien comprendre !

- Ce n'est pas grave ! Allez répond ! insista Marinette.

Ils échangèrent un sourire et se mirent à travailler ensemble. Marinette surveillait l'heure, sachant que dans une demi-heure, elle devrait partir pour aider Lou à ranger les vêtements. Mais pour le moment, il n'y avait qu'Adrien et ses yeux verts, cernés de violet, ses joues un peu creuses et ses paupières tombantes. Son cœur dansait doucement dans son corps. La Marinette adolescente aurait perdu ses moyens devant Adrien. Mais aujourd'hui, Marinette était une adulte et ses sentiments pour Adrien n'étaient plus les mêmes depuis bien longtemps… Le feu ardent, celui qui brûlait tout, c'était transformé braise, celle qui qui réchauffait doucement les corps. Elle ne se laissait plus noyer par ses sentiments ou ses émotions, parce qu'en grandissant, elle avait appris à nager.

- Je dois y aller. Pour retoucher les vestes et apporter la prochaine collection à ton père…

- Tu y as participé ? demanda Adrien. Ça fait longtemps que je n'ai pas vu l'une de tes créations.

- Je n'ai plus le temps de faire quoique ce soit en ce moment, se plaignit Marinette. Et je ne suis qu'une simple stagiaire !

- Sûrement la plus talentueuse de toute ! assura Adrien en gratifiant sa phrase d'un clin d'œil appuyé.

Marinette rougit sous le compliment. Adrien était parfois si charmeur… Bien plus depuis qu'ils étaient adultes. Au moment de s'en aller, il la retint, tenant un instant sa main dans la sienne.

- Tu fais quoi …

Adrien était en train de bredouiller, mal-à-l'aise. Il n'avait jamais été particulièrement doué avec les mots. Depuis la mort de sa mère, on lui avait rarement montré de l'affection. Dire « tu me manques », même à une amie, c'était parfois plus compliqué qu'il n'y paraissait. Le visage de Marinette s'adoucit.

- Rien. Je ne fais rien, murmura Marinette. Tu connais l'adresse !

C'était une simple invitation, un simple « Tu es le bienvenu chez moi », qui lui fit du bien. Le portable de Marinette se mît à sonner et elle le déverrouilla avant de pianoter à une vitesse folle sur le clavier tactile.

- C'est Alya. Elle est sous pression en ce moment avec les attaques de plus en plus fréquentes du Papillon et de Mayura…

- Tu as peur ? s'étonna Adrien.

- Non. Chat Noir et Ladybug sont là. On peut compter sur eux.

Sa voix le berça un bref instant. Il aurait voulu avoir son assurance parfois… A travers l'entrebâillement de la porte, il la regarda s'enfuir, faisant voleter sa jupe patineuse à chacun de ses pas. Il la ferma et se rendit compte que la pièce avait été de toute chaleur. La gentillesse et la simplicité de Marinette lui avaient atrocement manqué… Peut-être que c'était ça… Peut-être qu'il manquait une dose de Marinette dans sa vie ?

Un téléphone se mît à bipper encore une fois, et Adrien ne pût s'empêcher de sourire en le prenant dans ses mains :

- Toujours aussi adorablement tête en l'air…

Le soir même il se rendit chez elle, pour lui rendre son portable. La porte de son appartement était grande ouverte et de la fumée s'en dégageait, grisâtre et épaisse. Il pénétra dans le logis de la brune, son écharpe devant le nez. Marinette dansait comme jamais au son de l'alarme incendie qui sonnait la mort de son dîner :

- Mais qu'est-ce que tu fais ? s'étonna Adrien.

Marinette sursauta et couina en entendant l'arrivant, mais continua de se trémousser :

- T'as pas lu l'article d'Alya ? Elle dit que dans des situations désespérées, faut toujours voir le bon côté, sourire et danser pour augmenter son taux de dopamine ! Alors je danse pour essayer d'oublier que je viens de faire brûler ma dernière conserve de petits pois-carottes !

Adrien enleva la casserole du feu et ouvrit les fenêtres pour faire partir la fumée. Après quelques instants, il se hissa sur la pointe des pieds pour éteindre l'alarme incendie.

- T'es un véritable danger !

- J'ai survécu jusqu'ici ! rit Marinette. Bon ! Je vais fouiller mes placards ! Fais comme chez toi !

Adrien enleva son manteau et parcouru des yeux l'appartement de son amie. Rien n'avait changé depuis la dernière fois qu'il était venu. C'était peut-être pour fêter l'anniversaire de Nino… Il y avait toujours le même tapis blanc et molletonné avec une tâche de vin rouge qu'Alya avait faite, des photos de ses amis et de sa famille partout sur les murs, des mannequins sur lesquels étaient posés des vêtements qu'elle créait…

- Tu as oublié ton téléphone, lui apprit Adrien en posant l'objet sur la pille de journaux et de magazines qui servaient de table basse.

- Oh, je me disais bien qu'il n'était pas perdu !

La tête dans ses placards, Marinette se souvint qu'elle avait acheté la semaine dernière un kit pour faire des tortillas. Sa conversation avec Chat Noir lui avait donné envie d'en manger… Elle s'attela à la tâche faisant cuire les pommes de terre et les morceaux de poulet et Adrien l'observa faire, sans rien dire, intrigué. Elle déposa finalement deux assiettes devant eux et lui fît signe de se servir :

- Je suis plus douée avec les pâtisseries…

- Qu'est-ce que c'est ?

- Des tortillas ! Quand même ! Ça se voit non ?!

Adrien, hilare, tourna la tête sur le côté droit pour changer d'angle :

- Oui, sans aucun doute. En fait je ne sais pas, je n'en ai jamais mangé.

- J'imagine que ce n'est pas un met assez délicat pour les Agreste ! le taquina Marinette. Allez mange !

Adrien s'exécuta. Il pensa à Ladybug, et se mit à sourire niaisement… Puis il chassa l'héroïne de ses pensées : il était avec Marinette ! Pourquoi il se sentait coupable en songeant à une autre ?

- Tout va bien Adrien ? Lui demanda Marinette, des miettes au coin de ses lèvres.

Le blond s'empara d'une serviette en papier et la lui tendit en s'esclaffant. Puis ils discutèrent…Adrien se sentit compris et Marinette l'écouta sans l'interrompre une seule fois. Marinette le comprenait. C'était étrange pourtant… Elle semblait porter le même fardeau que lui, qui combattait le Papillon tous les jours. Adrien oubliait parfois que même les gens normaux avaient leurs problèmes. Et sur ce point, Marinette le comprenait tout aussi bien que Ladybug. Elle avait les mêmes angoisses que lui, ayant peur de ne pas réussir à tout faire :

- Tu travailles aussi pour tes parents, j'oubliais, grimaça Adrien.

- Ce n'est pas pareil. Je n'ai pas les mêmes responsabilités que toi… J'ai choisis de les aider !

- J'aimerais être libre d'avoir le choix moi aussi.

Marinette se redressa et fronça les sourcils.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Non rien. C'est juste… familier. Un ami m'a dit la même chose il n'y a pas longtemps.

Elle secoua la tête, reprenant ses esprits :

- Essaie d'en discuter avec ton père.

- On ne discute pas avec mon père, fît tristement Adrien. On négocie, c'est tout.

- Alors négocie. T'es assez intelligent pour ça !

Oui. C'était vrai. Mais Adrien n'avait pas envie de se battre avec la seule famille qui lui restait. Il s'affala un peu plus dans le canapé :

- Tu veux bien me faire réviser, s'il-te-plaît ?

- Par quoi on commence ? répondit simplement Marinette.

Ils révisèrent toute la nuit. Et le matin, quand il partit, Adrien ne remarqua la rose de Noël en train de faner dans un verre d'eau posé sur la table de chevet de Marinette, à l'abri de son regard, dans sa chambre.