Chat Noir s'était enfui de chez lui. Son foyer n'en était plus un depuis bien longtemps, il le savait. Il se demandait parfois pourquoi il continuait de vivre avec son père. Il pourrait prendre un appartement lui aussi, comme Marinette. Avec les publicités, les défilés qu'il faisait, il avait bien assez pour s'offrir ce luxe. Mais un coin de cœur lui soufflait qu'il ne pouvait pas laisser son père seul. Il aurait aimé trouver le courage de dire tout ça à son père, d'affronter le grand et froid Gabriel Agrest. Sauf qu'il ne l'avait pas. Alors il avait décidé de s'enfuir, d'aller de rues en rues, pour arrêter de penser, de ruminer. Il s'arrêta instinctivement devant la boulangerie des Dupain-Cheng et bava presque d'envie devant la vitrine. Il faisait nuit, déjà. La neige tombait, les flocons tourbillonnaient et des nuages se formaient dès que Chat Noir respirait. Il grimpa jusqu'au toit, là ou Marinette se rendait parfois pour observer la rue en hauteur. Il l'avait déjà vue faire. Il voulait juste se souvenir. Peut-être que cet endroit était magique… Il avait souvent entendu Marinette dire qu'elle s'y sentait bien. Perché sur le rebord, il tenait en équilibre en tenant son bâton bien droit sur ses épaules. Peut-être qu'il s'attendait à la voir… Pourtant, elle n'était pas là. Alors il partit, décidé à la trouver, sans même s'être rendu compte que c'était elle qu'il était venu chercher. Il la trouva accoudée sur le balcon, le regard perdu dans le vide.
- Bonsoir.
- Chat Noir !
Elle recula, surprise, avant de poser ses mains sur ses joues.
- Cela faisait longtemps.
- Trois ans, compta sur ses doigts le héros.
- Si longtemps ? s'étonna Marinette.
- La dernière fois, c'était quand j'ai dû te protéger d'un certain Lucas, que le Papillon avait akumatisé.
Marinette pâlit en repensant à Lucas et à cette journée.
- Je m'en rappelle très bien.
- Tu as toujours été cruelle avec tes soupirants ! plaisanta Chat Noir. Nathaniel au collège, Lucas au lycée…
- Je…
Non. Enfin, elle espérait. Elle était sortie un temps avec Lucas, pour oublier Adrien, qui lui avait fait tourner la tête pendant des années. Marinette avait vite compris que ce n'était pas la solution, et si elle avait développé une profonde et sincère affection pour Lucas, c'était un beau et doux mensonge dans lequel Marinette refusait de s'enfermer. Elle avait rompu avec lui. Les études supérieures venues, elle s'était éloignée de ses amis et d'Adrien. Il y avait eu des flirts, des aventures, peut-être une relation plus sérieuse que les autres avec un certain Alexandre mais rien. Le cœur de Marinette était désormais si silencieux, que parfois, elle se demandait si elle en avait vraiment un. Peut-être qu'elle avait épuisé toutes ses réserves en aimant Adrien si fort ….
- Qu'est-ce que tu faisais ? l'interrompit dans ses pensées Chat Noir.
- Je réfléchissais.
- A quoi ?
On aurait dit un enfant, trouvant des questions à tout et n'importe, attendant patiemment.
- A un vase.
- Un vase ? répéta Chat Noir.
- Tes oreilles sont-elles assez propres ? le taquina Marinette.
Il secoua ces-dernières, amusé, et il l'entendit rire, ses éclats tourbillonnant avec les flocons.
- J'ai cassé le mien il y a deux semaines, expliqua-t-elle tristement. Mes fleurs sont condamnées à se contenter de simples verres…
- Un de tes soupirants t'offre des fleurs ?
Marinette lui jeta un regard amusé, se retenant de rire. Parce que celui qui lui offrait toujours des fleurs, c'était lui. Chaque fois que l'une d'elles étaient sur le point de se faner, il lui en rapportait une autre, comme s'il le savait. Quand Marinette avait emménagé ici, pour se rapprocher de son école de stylisme, il n'y avait rien, tout était vide. Les murs étaient gris, le parquet terne, et il n'y avait aucune vie. Le soir même, Chat Noir et elle, avaient battu un akumatisé. Il lui avait donné une fleur, un lys. Elle l'avait mis dans l'eau, dans ce vase qu'elle avait cassé, et son appartement était devenu beaucoup moins morne. Les fleurs de Chat Noir, donnaient de la vie, un peu de couleur sur tout ce gris. Chat Noir alternait entre plusieurs variétés de fleurs différentes. Mais en ce moment, c'était toujours des roses de Noël qu'il offrait…
- Un ami, corrigea Marinette en répondant sincèrement. Juste un ami.
Chat Noir arrêta de greloter à cause du froid, réchauffé par ce simple rictus, comme s'il lui était adressé.
- Je peux peut-être te conseiller ! J'ai très bon goût !
- Entre !
Elle ouvrit un peu plus la fenêtre et le laissa entrer. Elle attrapa sa tasse de thé encore chaude et avala son contenu d'une traite avant d'indiquer son ordinateur sur le canapé. Chat Noir prit ses aises et Marinette le rejoignit. On aurait dit deux bons vieux amis et Adrien, coincé dans le costume de Chat Noir adorait cette idée. Auparavant, il n'était lui-même que quand il portait le masque de Chat Noir. Maintenant, Adrien était lui-même chaque fois qu'il était avec ses amis. Mais Marinette… Marinette c'était différent. Ça avait toujours été différent…
- Quelle taille pour le vase ? demanda-t-il en scrutant les résultats sur la page internet.
- Pas trop grand.
- Ce soupirant serait-il radin au point de ne t'offrir qu'une seule fleur ?
Marinette se mordit l'intérieur des joues pour ne pas rire, et hocha la tête :
- Quel goujat ! Si j'étais lui, je t'offrirais des bouquets entiers !
La brune leva les yeux au ciel. Mais Adrien, lui, il y croyait à ce qu'il venait de dire. Marinette méritait mille fleurs et plus encore. Une seule, c'était si peu pour Marinette !
- Il faut en prendre un grand, insista le blond.
- Je te dis que c'est inutile !
- Il y a bien un jour ou quelqu'un t'offrira plus qu'une fleur ! s'emporta Chat Noir le sourire aux lèvres.
Marinette posa sa tasse sur la pile de magazine avant de se lever.
- Ce n'est pas qu'une simple fleur ! grinça des dents Marinette.
Chat Noir écarquilla les yeux :
- Je n'ai pas voulu te blesser.
Peut-être que pour Chat Noir, c'était un simple geste anodin, d'offrir une fleur. Peut-être même qu'il en offrait à pleins de personnes, que Ladybug n'était pas si spéciale à ses yeux… Mais pour Marinette, quand elle était Ladybug, ça signifiait beaucoup. Ses ongles cliquetèrent contre la table sur laquelle était posée une lampe. Chat Noir gêné regarda tout autour de lui.
Et il la vit, grâce à la porte entrebâillée de la chambre de Marinette.
La rose de Noël.
Celle qu'il avait offerte à Ladybug deux jours auparavant.
Il la reconnaissait parfaitement, parce que, sur le chemin, quand il l'avait prise chez le fleuriste, il l'avait légèrement abimée. L'un des pétales était un tout petit peu déchiré et la tige était un peu cassé. Il s'était dit en la lui donnant, qu'elle ne vivrait pas longtemps cette fleur…
Il comprit. Il resta silencieux. Parce que c'était tout ce qu'il était capable de faire. Adrien avait le cerveau qui tournait à plein régime, se demandant comment il avait fait pour ne pas s'en apercevoir plus tôt. Marinette était si maladroite parfois… Pourtant, elle avait bon cœur, était généreuse, n'hésitait jamais à défendre ses amis. Comme Ladybug.
Mêmes sourires.
Mêmes yeux.
Mêmes moues.
Mêmes odeurs.
Elles n'étaient qu'une.
Il avait trop longtemps focalisé son esprit sur ce qui les différenciait. Et ça l'avait empêché de voir, que son amie était celle qu'il aimait depuis tout ce temps. Son cœur se froissa un instant, aussi fragile que du papier. Ladybug n'avait jamais quittée ses pensées. C'était pour ça, qu'il l'avait cherché partout. Mais quand c'était juste sous son nez, on ne cherchait pas. Marinette avait toujours été là, sous ses yeux. C'était évident. Et Adrien ne l'avait pas vue, cette évidence.
- Marinette…
Sa voix était sèche, rauque. La bouche ouverte, il s'apprêtait à aller plus loin.
« Tu es Ladybug ».
« Je suis Chat Noir ».
« On est trop débiles ».
« Je crois que je t'aime depuis longtemps ».
Peut-être qu'il était trop tard.
Ou peut-être pas.
Parce que Chat Noir avait longtemps cru que Ladybug ne gardait même pas ses fleurs, qu'il avait douté jusqu'à présent…. Mais visiblement non. Si Marinette les mettait dans un vase près de son lit, c'était bien pour une raison.
- Je vais y aller.
Il sortit comme il était venu, en coup de vent, sans rien espérer de plus. Marinette souriait toujours, mais le regard voilé. Elle le salua d'un bref signe de la main. Il attendit quelques instants, caché derrière le mur et l'observa. Elle s'était levée pour aller chercher le verre contenant la rose de Noël. Elle la posa devant elle et la contempla un long moment avant de s'endormir.
Parce que pour Marinette, il n'y avait qu'une personne sur laquelle elle pouvait compter les yeux fermés.
Une seule qui l'avait sauvé un nombre incalculable de fois, et à laquelle elle confiait sa vie sans même y penser.
Adrien s'en alla et rentra chez lui. Quand il passa par la fenêtre, et que Plagg se plongea sous la couette du lit, il trouva sa chambre encore plus triste et morose que d'ordinaire. Il s'assit à son bureau et se mit à chercher sur internet.
Cinq jours plus tard, Marinette recevait chez elle un vase simple, en verre, de forme arrondie, assez grand pour contenir tout un bouquet.
Il était décidé à être celui qui lui offrirait tout un bouquet.
