Disclaimer : Tous les personnages appartiennent aux studios Square Enix et Disney.
Bêta lecture : Wa, Milou-sarcastic-yaoiste
Note : Joyeux Noël ! Les OS qui composent ce recueil sont le fruit de ma participation au [Secret Santa 2018] organisé par Milou sur le Forum Geôlier de FR, qui a eu lieu du 24 novembre au 25 décembre.
Oui, bon. Pardon pour le jeu de mots un peu nul et les répliques pas très fines, j'ai écrit cet OS en écoutant les OST de la Belle et le Clochard ainsi qu'un bon vieux CD de Noël. Un gage de mon amour pour les cuissardes, et une référence à mon ami Otomatique, dont le bestiaire des Nescients est vraiment impressionnant !
Bonne lecture sous la pluie fondue, j'espère de tout cœur que ça plaira. Ya.
La Belle et le Crevard
─ Vanitas, je vais te buter !
Un rictus mauvais ourla les lèvres du dit Vanitas, apparemment très satisfait de son méfait. Il regarda approcher la jeune femme en appuyant sa jambe contre le mur, écouta avec délice les talons de ses cuissardes frapper rageusement contre les pavés et rabattit consciencieusement la capuche de son sweat sur sa tête, anticipant le flot de paroles haineuses en faisant rouler la pierre de son briquet contre son pouce.
─ Joyeux Noël Kai', je savais que je te retrouverai ici, souffla-t-il quand elle fut arrivée à sa hauteur, ses cheveux lit de vin emmêlés par le froid, les joues rouges et le teint rendu blanc par la rage.
─ C'est la troisième fois que tu me fais le coup, bon sang ! hurla-t-elle en approchant son visage du sien, extirpant un large téléphone de sa poche pour le coller pile devant ses yeux, tellement proche qu'il finit presque par se mettre à loucher. Je te déteste !
Vanitas ricana doucement, écarta l'écran lumineux d'un geste méprisant de la main. Il jeta à peine un coup d'œil au faux profil qu'il avait pris tant de soin à créer la veille, releva deux prunelles de miel en direction de la rouquine, incroyablement fier de sa mauvaise action.
─ T'avais qu'à pas t'inscrire sur Tinder, aussi. C'est pitoyable.
Kairi roula des yeux, observant le fruit de tous ses maux fourrager dans le tissu de son vêtement jusqu'à en sortir négligemment feuilles, tabac et filtres, commençant à rouler juste sous son nez. Il n'allait pas s'en sortir aussi bien que la dernière fois, ça non.
─ Et toi t'es pas inscrit peut-être ? rétorqua-t-elle en serrant les dents.
Vanitas arqua un sourcil suffisant.
─ J'ai créé un compte juste pour te casser les couilles, ça compte pas.
─ Je rêve ! lâcha t-elle en reculant d'un pas, aies au moins la décence de nier espèce de sale… de sale… empêcheur de tourner en rond ! C'est pas pitoyable peut-être, d'empêcher les gens de passer un bon réveillon ? D'être tranquille sans que tu viennes me les briser le soir de Noël ?
Elle tapa du pied et Vanitas ne put pas s'empêcher de trouver ça hilarant, cette manière qu'elle avait de se couvrir de ridicule aussi vite, à essayer de rester polie même quand son visage traduisait un ras le bol délectable, quand ses yeux bleus balançaient des éclairs indécents, quand son nez se fronçait avec ce petit pli rageur qui lui donnait l'air d'une chatte en colère. Il alluma sa cigarette en rentrant la tête dans ses épaules pour se protéger du froid glacial, et pas du tout pour éviter de fixer ses lèvres gercées qui continuaient de cracher leur délicat venin.
─ Tu t'rends quand même compte que t'allais passer ta soirée de Noël avec un date Tinder ? reprit-il narquoisement en tirant sur le filtre. Tu d'vrais m'dire merci, quoi. C'est triste d'en arriver là.
Kairi siffla en frottant énergiquement ses bras, emmitouflée dans sa pelucheuse doudoune rose bonbon. Elle piétinait sous la lumière de l'enseigne d'un des rares cafés encore ouverts sur la place, le nez rougi par le vent sec de cette fin de décembre, des ombres tremblantes passant sur son expression emplie d'une drôle de colère, plus proche du désespoir exaspéré que de la rage elle-même.
─ Et alors, en quoi ça te regarde ? Je fais encore ce que je veux, que je sache !
─ Avec « jésuslumière89 » ? Sérieux ? T'es en manque à ce point ?
Soufflant la fumée de sa clope, un rire cassé au fond de la voix, Vanitas lui prit le téléphone des mains pour consulter le profil en question, brandissant l'objet devant la rousse qui essayait tant bien que mal de récupérer son bien.
─ « Aime les chatons, les rousses volcaniques et les dîners aux chandelles lol ) » t'allais vraiment sortir avec ça ?
─ Vanitas, rends-moi mon portable !
Vanitas éclata d'un rire diabolique. C'était beaucoup trop drôle de la voir gesticuler comme ça et même s'il ne se l'avouerait jamais, encore plus plaisant de pouvoir s'engueuler à nouveau avec elle. S'il avait été amoureux, il aurait juré que ça lui manquait presque, cette lutte incessante pour le plaisir de gueuler, lumière contre ténèbres, la satisfaction sans bornes de voir tout l'agacement de sa journée de boulot retourné contre lui, une colère spéciale qui ne la prenait jamais que quand elle posait les yeux sur sa personne, l'horrible et l'horripilant, le cruel, le suave, le teigneux, l'insupportable Vanitas.
C'était peut-être pour ça qu'il passait tant de temps à parler avec elle via d'autres comptes, à créer des faux profils en sachant pertinemment quel genre de mecs lui taperait dans l'œil, à exulter de joie quand il parvenait, après des heures de discussions tard le soir, à réaliser son plan machiavélique.
Peut-être y avait-il bien quelque chose de pitoyable dans sa démarche aussi, à bien y repenser. Mais Vanitas n'y réfléchissait pas. Et il préférait crever mille fois plutôt que d'admettre qu'il était peut-être encore amoureux de cette sale rouquine pleine de justesse et de bonté d'âme, tellement gentille et ouverte aux autres que rien que son sourire à la caisse du supermarché lui filait la nausée, retournait quelque chose de chaud dans son estomac comme lorsqu'il avalait son gobelet de café en oubliant de se brûler, les longs soirs pleins de froid.
Il continua de se foutre de sa gueule jusqu'à ce qu'elle lui refile un coup bien placé dans le tibia, le faisant grimacer de douleur.
─ Va te faire mettre !
─ C'est toi qui m'a volé cette perspective, répliqua t-elle avec un sourire innocent, lumineux comme ces foutus étoiles accrochées au sommet des sapins.
Elle attrapa son téléphone qui disparut aussitôt dans la poche de son manteau, perdit ses yeux dans le ciel saturé de goudron, juste au-dessus de leurs têtes. Un ciel de marée noire lourd de nuages et de pollution, une voie lactée de fenêtres HLM et de lignes électriques, un ciel de gaz et de vapeurs fantomatiques, des étoiles de ville irréelles. Et plus loin, la flèche de la grande cathédrale, les toits courbés comme des oiseaux de mauvais présage, les guirlandes lumineuses alanguies sur les rebords courbes de balcons deux places, les stands de vin chauds, un père noël à la sauvette qui agite sa cloche devant une façade aussi laide que son bonnet flétri. Une pluie de flocons, légère comme un fil de dentelle, chutait lentement sur la ville, s'égarant çà et là dans les gouttières gelées des devantures, s'évaporant sur le trottoir en plaques de givre, brillantes et lisses comme du vieux cristal.
Quelques larmes de glace se perdirent même dans les mèches de jais qui dépassaient de la capuche du brun, et celui-ci jura dans sa barbe en ébouriffant ses cheveux, tirant une fois de plus sur sa cigarette dans l'espoir de se réchauffer.
─ T'es vraiment la pire rabat-joie que je connaisse, marmonna-t-il en enfonçant ses poings dans ses poches. 'Chais même pas pourquoi j'suis sorti avec toi.
Kairi lui sourit largement, avec peut-être une pointe de compassion, sa colère tout juste retombée comme elle observait la neige avec des yeux d'enfant, s'approchant pour lui arracher son tube à cancer du bout des lèvres.
─ Parce que t'es con.
Vanitas eut un sourire en biais contre sa bouche, un peu torve, celui qu'il avait quand il voulait faire peur aux gamins du quartier.
─ Répartie facile.
─ Et ?
─ Et rien. Ta répartie est à pleurer, heureusement qu'tu dates personne en vrai, j'croyais t'avoir appris les bases et j'suis grave désappointé. Tu m'déçois.
Kairi haussa les épaules en soufflant sur ses doigts, enfoui son visage dans le tissu moelleux de son écharpe pour cacher ce sourire qui menaçait de poindre, apaisée par le ballet de neige qui se jouait sous ses yeux. Si la période la rendait parfois morose et nerveuse, elle ne pouvait s'empêcher de penser que l'hiver avait quand même quelque chose de beau, avec ces illuminations et ses chants de Noël, les gamins qui retournent les poubelles pour en faire des bonhommes de neige, les odeurs de châtaignes et les pneus qui crissent sur les ronds-points glissants, et puis surtout, peut-être, Vanitas et ses piques brûlantes comme des engelures.
─ J'ai pas besoin de répartie pour chopper, releva t-elle en allant jeter la cigarette éteinte dans une poubelle vide.
─ Et quand tu s'ras moche avec les seins qui tombent et d'la graisse au cul, 'faudras pas venir pleurer.
Un silence.
─ On s'les pèle, nan ?
La rousse haussa les sourcils en humectant ses lèvres sèches, assez peu surprise du brusque changement de sujet. C'était logique chez Vanitas cette violence pure, cette gratuité qui les rapprochait un peu, elle dans l'innocence et lui dans le mépris. Elle pencha la tête pour le toiser de haut, parce qu'il était un peu plus petit qu'elle avec ses cuissardes.
─ Brillante déduction, Sherlock. T'as trainé avec Axel pour sortir des évidences pareilles ?
Vanitas eut un ricanement sec, aussi sec que ses épaules noueuses, avant de secouer la tête.
─ Tu m'parles encore de ce sale bâtard, tu vires. Il m'a offert un pull de Noël, je lui ai fait bouffer. Et non, c'est juste que c'est pas toi qui vis dehors toute l'année, tu vois ?
Un moment de silence s'écoula à nouveau avant qu'il ne reprenne, étudiant son expression comme s'il n'était pas bien sûr de ce qu'il allait demander.
─ On va chez toi ?
Kairi éclata d'un rire clair.
─ Si vite ? Oh, Jésus, je ne m'y attendais pas.
Une main jetée dramatiquement en travers de son front, la rouquine ferma les yeux en faisant mine de défaillir et Vanitas, blasé, se contenta se shooter dans un caillou en fixant ses chaussures. Ils grelottaient dans leurs fringues respectives et le carillon de l'église sonnait déjà les douze coups de minuit, une fine couche de poudreuse suspendue sur ses aiguilles sombres.
─ Crois rien, finit-il par cracher en levant le menton, juste tu m'tiens chaud avec tout le poil que t'as aux pattes et puis j'ai la dalle alors j'vais sûrement te piquer des gâteaux.
─ En gros tu m'exploites, posa Kairi avec un sourire.
─ C'est quand la dernière fois que tu t'es épilée ?
─ Le mois dernier. Je suis obligée pour Noël, sinon je peux dire adieu à mes cadeaux pour Sora et Ri'…
Elle lui offrit un deuxième sourire, de circonstance cette fois, un peu similaire à celui des aveux, retrouvant peu à peu un peu de cette aisance qu'elle avait quand ils discutaient jadis, avant la colère. Et savait que c'était ça, au fond de son cœur, ce qui les avait rapprochés alors qu'ils n'avaient rien strictement rien en commun. Cette colère, latente et hasardeuse, qu'engendrait parfois solitude. Elle qui restait toujours derrière quand Sora et Riku faisaient leurs plans à deux, retenue ici par son job et sa situation précaire. Vanitas comme personne n'avait jamais voulu de lui avec ses manières de sale gosse et son orgueil de pouilleux.
C'était peut-être un peu triste et ça lui pinçait le cœur de l'admettre, mais c'était aussi pour ça qu'ils s'étaient quittés, il y a des mois de ça. Lui pour préserver son image de chien libre, ses cernes noirs et son assurance de galeux, elle pour éviter de trop penser à ce qu'ils auraient pu être si leur histoire n'avait pas été enveloppé à ce point dans toute cette merde, cette vie qui passait sans laisser de traces, lisse comme le vent, profonde comme un trou noir.
Pour se sauver elle-même avant qu'il ne l'entraine.
Et pourtant, elle ne pouvait pas s'empêcher de penser à leur relation comme quelque chose d'inachevé. Une anomalie dans la matrice, le résultat d'une expérience sociale qui aurait mal tourné, un concours de circonstances malheureux. Ca transpirait dans ses doigts qui effleuraient parfois son poignet alors qu'ils marchaient, sans un mot, dans la route bétonnée qui menait jusque chez elle et qu'il connaissait par cœur, ça l'étreignait dans cette douceur incongrue qui passait sur ses traits quand elle marchait dans un chewing-gum, à se retenir de rire. D'elle ou avec elle, peu importe, c'était là et c'était électrique, ça s'enfuyait comme la fumée blanche qui gorgeait le ciel de ses particules fines, ça glissait comme la danse de ses talons sur la neige.
Presque arrivés à la maison, la rousse lui paya un café qu'il ne refusa pas au fond d'un PMU et elle put sentir son regard d'or s'attarder sur sa nuque, plein d'injures et de fière arrogance. Encore un Noël de passé, pensa t-elle en le regardant rafler les pourboires abandonnés sur les tables, se rappelant à peine comment elle en était arrivée là.
─ Ne fais pas ça, intima-t-elle tout bas à Vanitas en achevant son chocolat, inspirant l'odeur de sueur et d'épices chaudes qui flottait dans l'air, alourdissant les couleurs ivres de la vitrine qui donnait au dehors.
─ Faire quoi ? demanda-t-il en affichant un léger rictus.
Et déjà les pièces crasseuses s'évanouissaient dans ses poches, et déjà Kairi l'entrainait dans le blizzard par la main, profitant de l'éclat de chaleur au creux de sa paume pour fuir le patron qui revenait en leur jetant des regards mauvais, pestant contre cette jeunesse qui n'était décidément plus la sienne.
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Kairi tourna deux fois les clés dans la serrure, et Vanitas sonda d'un air suspicieux les décorations qui pendaient de tous les côtés, curieux malgré lui. Des boules luisantes en plastique rouges, orange, bleues et vertes sur toutes les lampes, un festival de guirlandes déplumées et au moins une demi-douzaine de stickers en forme de sapins se livraient un duel sans merci pour savoir qui serait le plus kitsch, le plus affreux et le plus niais.
Vanitas se demanda un instant s'il ne valait pas mieux faire demi-tour, mais le regard que lui lança Kairi le dissuada presque immédiatement, au moins autant que la tiédeur confortable que diffusait le faible chauffage au sol sous ses orteils.
─ Nous y voilà, lança la rouquine pleine d'une gaieté nouvelle, se débarrassant de ses affaires sur le porte manteau.
Elle marcha jusqu'au centre du salon, tournoya sur elle-même en appuyant sur le bouton play de son téléphone, qui fit sonner dans les basses le timbre chaud et ronflant de Tino Rossi. Vanitas fit la grimace et elle lui sourit, les yeux brillants comme une petite vengeance, le coinçant entre ses cils comme une guêpe au fond d'un verre, sans oxygène ni espoir de retour. Il finit par s'affaler dans le vieux canapé avec des restes d'habitude, jeta ses boots crottés sur la table, enfonça son dos dans le dossier miteux.
Kairi, gracieuse sans le savoir, entama un pas de danse léger, et il la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle s'éclate le petit orteil contre un des meubles, un cri strident montant vers le plafond, son regard bleu empli de larmes sèches.
─ Merde !
─ Bien fait, ricana Vanitas en s'allumant une autre cigarette.
Il n'avait jamais compris d'où lui venait cette joie de vivre, à la rouquine, pour lui qui avait toujours vu la vie comme une montagne de verre pilé, verte et glaciale, même pas agréable, juste trop longue et désagréablement casse-gueule. C'était un peu magique, un rien magnétique et plutôt écœurant, comme du chamallow passé trop de fois au micro-ondes. Il la regarda ôter sa chaussette pour jauger la blessure, prendre place à ses côtés comme son poids fit soudainement grincer le gros ressort entre les coussins.
─ T'as coupé tes cheveux, remarqua-t-il vaguement en soufflant la fumée, approchant la braise trop près de son visage.
Kairi tira sur ses mèches pour en défaire les nœuds, replia une jambe sous en elle en se noyant dans un immense pull en laine déjà tout étiré. Elle lui adressa un regard plein d'espoir qu'il s'empressa d'effacer, bien trop heureux de ce qui allait suivre, inévitablement.
─ C'est grave moche. J'préférais avant.
Il esquiva le coussin mais pas le coup bien placé qui lui atterrit en plein sur l'épaule, résonnant jusque dans ses omoplates.
─ Pour la énième fois, je me fiche de ce que tu penses, bouda Kairi, vexée, en passant une main dans ses cheveux.
C'était trop demander, d'entendre un jour un compliment sortir de cette bouche suave, si prompte à la délectation ? Elle souffla en contemplant la volute de fumée qui s'étirait au plafond pour rouler sur elle-même, à la manière d'une lointaine rêverie, s'affaissant tout contre l'épaule du brun. Il était une heure passée, et aucun des deux n'avait vraiment prévu de cadeau de Noël pour l'autre. Sora lui avait écrit, Riku avait bien essayé de l'appeler, mais ce n'était pas avec eux qu'elle voulait être ce soir, pas avec eux qu'elle aurait voulu faire plus que discuter.
De toute manière Vanitas n'avait rien à offrir d'autre que lui-même, et c'était déjà un grand sacrifice que de faire don de sa personne, pas vrai ? Elle ferma les yeux, respirant le parfum de nicotine qui imprégnait la peau contre sa tempe. La neige tombait toujours à gros flocons derrière la vitre, et l'autre s'était tu.
Entre eux rien que la braise du filtre qui crépite, et le silence.
─ Le Père Noël est une ordure ? proposa-t-elle soudain en ramenant ses jambes sous son menton, les yeux dans le vague.
─ C'est toi l'ordure, répliqua Vanitas avec philosophie.
La rousse eut un petit rire avant de se redresser sur un coude, plissant les yeux avec une pointe de malice.
─ Clémentine ?
─ Nan.
─ Je sais, Les Bronzés font du ski ?
─ C'est naze.
─ T'es insupportable.
─ Je t'ai pas demandé de me supporter.
─ Et pourtant je suis la seule qui y arrive, on dirait.
─ Ca tu sais pas.
─ Mais si je sais. T'as pas d'amis, c'est Ventus qui l'a dit.
─ 'Vas te faire foutre.
─ Non.
─ Pourquoi ? T'allais bien coucher avec un abruti rencontré sur Tinder.
─ Tu vas pas remettre ça, si ? T'es jaloux ?
─ Jamais de la vie.
─ Alors quoi ?
La rousse se releva d'un coup pour se placer sur ses genoux, des éclairs dans les yeux. C'était un comble, ça, d'être jaloux de lui-même, et sûrement qu'il n'y avait que Vanitas au monde pour lui faire ressentir ça. Elle appuya un doigt revanchard dans le creux de sa joue et, l'espace d'un instant, crût voir passer une étoile filante au coin de sa bouche. Ils échangèrent un bref regard et Kairi se pencha jusqu'à effleurer son front, deux mains froides appuyées sur ses avant-bras. Vanitas lui offrit un sourire goguenard, celui qui allait si bien avec son attitude de maitre du monde.
─ Alors rien, fit-il en laissant trainer chaque syllabe, un ronron sensuel au bord des lèvres.
Il déplia sa colonne pour prendre son menton dans sa main, lui souffla tranquillement sa fumée au visage, mais elle se dégagea avant qu'il n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit.
─ Je te déteste, répéta-t-elle en fronçant les sourcils, et le noiraud pressa une main contre sa hanche.
Ça, il pouvait s'y faire, la culpabilité n'avait jamais été son lot de trop.
─ A quel point ?
Kairi réfléchit en lui tournant le dos, rabattit la manche du pull qui baillait sur son épaule. Il lui semblait que la soirée n'avait plus de fin maintenant qu'ils étaient là, à se détailler moitié amicalement moitié chiens de faïence, et elle se demanda seulement si elle le détestait vraiment, si elle voudrait un jour que tout s'arrête. Ils n'étaient plus ensemble mais il y avait encore quelque chose entre eux, une obsession muette, et elle maudit Vanitas de n'afficher toujours que sa façade la plus sauvage, elle qui aimait tant le voir lâcher prise, à lire dans ses yeux une part de lui-même qu'il ne soupçonnait même pas.
─ Au point G, tenta t-elle en se remémorant une vieille conversation avec Axel, rigolant toute seule de sa mauvaise blague.
Vanitas se fendit d'un sourire méprisant, écrasa finalement sa clope dans un des gobelets vides. Elle avait un drôle d'humour la Kairi, lumineux comme elle et étrange en même temps, perdu dans un rire qui faisait tout le charme de la vanne, même quand l'humeur n'y était pas.
Il frappa ses paumes l'une contre l'autre en croisant les jambes, arqua négligemment un sourcil.
─ De pire en pire ton humour, c'est pas joli joli.
La rouquine fit la moue puis lui donna un coup de pied, il lui répondit en enfonçant deux doigts dans ses côtes. Il savait pertinemment qu'il venait de gâcher son Noël, mais la perspective de la voir encore, d'abuser de sa bonté, avait quelque chose de plutôt séduisant. Il se releva d'une démarche de panthère, et la toisa en levant le menton.
─ Tu me fais à bouffer ?
─ On n'est plus dans les années soixante chéri, tu te débrouilles.
Il haussa les épaules, plus du tout motivé, avant de se rassoir sans grâce, la flemme au cœur et la faim au ventre. Il n'avait rien à offrir, n'avait jamais rien eu, mais voir Kairi comme ça, les yeux dans le vague, des frissons sur les bras et les cheveux en désordre, l'incita à la pousser du coude, à l'attirer contre lui pour la voir sourire.
Il n'y avait qu'avec elle, qu'il se sentait le droit d'être gentil.
─ Quoi ? répliqua-t-elle avec mauvaise humeur, dardant sur lui ses yeux si clairs, grelottante.
─ T'as pas allumé l'chauffage, ça caille, répondit-il simplement.
Il bailla et la rousse l'observa remonter son sweat jusqu'au menton, un pli d'amusement sur la bouche. Elle ne fit pas de commentaires quand il passa maladroitement une main derrière ses épaules, grommelant quelque chose à propos de chocolat chaud-vodka et de froid glacial, la laissant se pelotonner juste au creux de son cou. C''était doux, tiède et chaud, tellement pas Vanitas qu'elle en profita pour lui mordre l'épaule, ravie de constater l'envie de meurtre qui pointa dans ses iris ambrées.
─ Tu pues, lâcha t-elle en fermant les yeux.
─ J'me douche pas à partir de moins dix degrés, question de survie.
─ C'est pas comme ça que tu vas trouver quelqu'un.
─ C'est pas en sortant des phrases de ce genre que tu vas trouver ton prince charmant.
─ Je ne suis pas une princesse. Et t'es loin d'être un prince charmant.
─ Laisse-moi en dehors de tes fantasmes chelous, je suis parfait. Et absolument charmant.
─ Imbécile.
─ Ah, tu vois, t'oses pas me contredire !
Vanitas ricana, Kairi le suivit dans son rire, et ils se chamaillèrent pendant une minute ou deux avant que la rousse ne dépose un baiser léger sur sa joue, le faisant frissonner de la tête aux pieds, pas seulement à cause du manque de chauffage.
─ Coincé avec toi ici, sérieux, c'est le pire Noël de ma vie, lança t-il en déposant son menton sur le sommet de son crâne.
Kairi, qui pouvait entendre son cœur battre tout près de son oreille, glissa un pied froid sur ses chevilles avec un petit sourire mesquin en consolation de sa soirée perdue. Elle l'écouta respirer une minute, noua ses doigts aux siens et, voyant qu'il ne se dégageait pas, leva la tête vers lui pour demander, un immense sourire dans la voix :
─ Le Pôle-Express ?
Vanitas leva dramatiquement les yeux au ciel.
─ Plutôt crever de froid.
─ Le plombier passe dans une semaine, tu tiendras jusque-là ?
─ Nan.
─ On baise, alors ? Ça réchauffe.
Kairi lui offrit son plus bel air candide, celui spécial tu-me-dois-bien-ça, et il prit soin de rouler une nouvelle cigarette avant de répondre, une étincelle dans les dents, son feu au bout des doigts.
─ Ça me va.
