Un an avant le concert.
Scorpius descendit du magicobus sans se presser, son casque sur les oreilles et le perfecto de cuir claquant sous les rafales du vent londonien. Les rues étaient envahies par des dizaines de personnes qui allaient et venaient dans tous les sens et directions possibles. Une ruche humaine dans toute sa splendeur, millimétrée dans ses moindres gestes.
Au milieu de tout ces moldus, un sorcier se serait senti mal à l'aise, différent, atypique et peut-être prétentieux s'il s'était agi de l'un des derniers nostalgiques des méthodes Mangemort.
Après tout être sorcier c'était appartenir à un monde, caché de nature. Mais étrangement, le fils Malefoy se sentait beaucoup plus à l'aise dans cet endroit qu'il n'aurait dû. En fait il se sentait un peu comme un milieu d'un monde nouveau et bien plus beau que celui dont il venait.
Marcher au milieu de dizaines de personnes qui vivaient tous les jours sans magie, qui faisaient face à leurs problèmes sans magie et qui voyait leur avenir sans magie avait un attrait certain pour ses yeux. Plus il y pensait, plus il voyait les sorciers comme des privilégiés veules et apathiques. Pas foutus de faire quoique ce soit de manuel : la magie faisait tout à leur place et plus le temps passait plus les sorciers oubliaient que le monde ne tournait pas autour d'eux.
Pas étonnant que les minables « sang-purs » se croient tout permis après être né et avoir vécu toute leur vie dans l'opulence la plus crasse. Ce genre d'imbéciles qui pensent pouvoir dominer les moldus alors qu'à la moindre guerre il se feraient massacrer comme des chiens. Leurs sorts ne serviraient à rien contre les armes à feux, les bombes, les drones… Mais avaient-ils seulement conscience que cela existait ? Où étaient-ils trop occupés à jouir de leurs manoirs familiaux pour sortir ne serait-ce qu'une fois de leur vie de leur coupole dorée.
Scorpius avança dans l'immense avenue sans se presser. Laissant son regard courir sur les gens, les voitures, les autobus, les grattes ciels, les immeubles. Ses sens enregistraient tout type d'information qu'il retenait plus au moins : l'odeur acre de la cigarette de ce skateur à cheveux longs, le bruit des talons de cette femme qui marchait sans dévier de son chemin, le rouge éclatant de la veste de cet olibrius qui semblait s'être habillé en cherchant à éviter tout style prédéfini… Ce qui donnait un résultat entre le clown et la fashion week de Paris.
Dans ses oreilles, une chanson des Smiths passait avec une langueur délicate qu'il savourait. La voix du chanteur avait quelque chose d'apaisant, presque paternaliste, comme un conteur qui déclamait son histoire de toute son âme. Il aimait bien pouvoir se calmer comme ça, c'était d'une certaine façon un moyen de canaliser son agressivité, celle qui ressortait dès qu'il se retrouvait derrière les fûts.
Pas comme Albus qui, lui, se comportait comme s'il était constamment sur la brèche, sautant à cloche pied sur une lame de couteau. Dépensant son énergie sans compter et faisant face aux effets secondaires quand son corps ne tenait plus. Scorpius lui, avait une approche différente, il se préparait à exploser pour quelques rares moments où il pouvait faire crier son âme à l'unisson avec les jets d'adrénaline.
Ça lui évitait de péter un câble.
Le disquaire où il avait rendez-vous avec son meilleur ami était presque vide à l'exception de deux ou trois habitués de la boutique qui trainaient dans les rayons en fouinant pour trouver une nouveauté ou une perle rare.
Comme d'habitude Albus était devant le bac de punk hardcore où se côtoyaient figures caricaturales, piques, murs de barbelés et autre violences graphiques qui s'étalaient avec un panache crasseux. Le fils Potter ne décollait que rarement de ce rayon, cherchant toujours quelque chose de plus lourd, de plus violent, de plus revigorant.
-Alors ? Toujours sur tes trucs de bourrins ? lui lança Scorpius.
-T'es en retard mec. Se contenta de répondre le brun en finissant d'examiner sa découverte.
-J'avais envie de prendre mon temps. Ce n'est pas souvent que je sors de chez moi alors pour une fois, je profite du moindre air frais que je peux grappiller
-Tu aurais dû aller à la campagne pour ça, ici l'air sens le pétrole, l'urine et la mauvaise bière selon les quartiers.
-Par rapport à un vieux manoir comme celui de ma famille qui contient de l'air datant du moyen âge et qui est très peu aéré, j'ai l'impression de respirer de l'oxygène pur.
-Pourquoi tu crois que ma mère a refusée d'emménager à square Grimmaud ? s'esclaffa son ami.
Les deux amis rirent puis replongèrent dans leur fouille des bacs de vinyles comme si de rien n'était.
L'ambiance du magasin était unique, calme, presque relaxante. Le disquaire avait l'habitude de faire bruler de l'encens en passant des groupes de trance ou de rock psychédéliques, cela désarçonnait les sens des nouveaux et nouvelles venus, mais une fois immergé dedans, on se relaxait presque automatiquement.
Les doigts de Scorpius faisaient défiler les vinyles à toute allure et avec une grande délicatesse. Le blond cherchait les disques à l'œil et ne s'arrêtais que lorsqu'une des covers d'album le marquait plus que les autres. Il la sortait alors délicatement pour en observer toutes les coutures, chercher des indices en regardant le logo par exemple, le nom du label et l'origine du groupe.
Pour un novice ou quelqu'un d'extérieur à ce monde, ça semblait inutile : après tout pourquoi acheter pour 20 livres sterling un album dont on ne connaissait rien et dont on était même pas sur qu'il nous plaise. A l'ère d'internet on pouvait tout avoir gratuitement.
Quiconque sortait ce discours au fils Malefoy devait s'attendre à un soupir méprisant et à un regard acerbe qu'il avait hérité de son paternel.
Acheter des vinyles n'avait rien à voir avec un besoin matériel, c'était une passion qui reposait à la fois sur l'amour de la musique et de l'objet. On acceptait de pouvoir se tromper comme on acceptait pourvoir découvrir un monde sonore nouveau. Des surprises offraient toujours quelque chose. Une leçon, une erreur ou un bon moment. Il ne fallait pas négliger leur potentiel.
Et puis vu la fortune dont sa famille garnissait les chambres fortes de Gringott, Scorpius pouvait se permettre de s'acheter plusieurs milliers de vinyles avant que son père ne s'en rende compte.
-Qu'est-ce que tu penses de ça ? demanda Albus en lui montrant la pochette d'un album où brulait une voiture et où le nom du groupe en lettres gothiques contrastait avec l'univers noir et blanc de la pochette avec son jaune canari sortit d'une publicité pour enfant.
-Les Dead Kennedys? Je n'en ai pas écouté beaucoup d'eux. Seulement les plus connus, mais j'aime bien son jeu de batterie, ça change des Sex Pistols, des Damned et des autres groupes où le mec ne fait que taper comme une brute.
En entendant cette dernière remarque, Albus prit un air faussement offusqué.
-Mon dieu ai-je entendu ce que j'ai entendu ? Tu blasphèmes le nom des saints Sex Pistols ? Otez de ma vue ce fan de pop que je ne peux voir !
-Arrête de faire la mariole tu sais très bien pourquoi je dis ça. Si tu veux progresser faut que tu te diversifie un peu. Sinon tu vas tourner en rond en jouant toujours les trois mêmes accords.
-Et qu'est-ce que tu veux que j'écoute d'autres ? Et si tu me dis les Beatles je te fais manger tes baguettes.
Scorpius leva les yeux au ciel. Il était clair que l'aversion d'Albus pour tout autre style que le punk ressemblait à une dévotion religieuse aveugle. Certes le punk lui avait donner de quoi changer son adolescence mais quand même… Rester sur le même chemin sans explorer le condamnait à voir toujours les mêmes paysages.
Avisant d'un coin de l'œil un album à la pochette bleutée, il reprit la conversation en désignant ledit album à son ami.
-Tient prend celui-là par Example ! Nevermind de Nirvana, tu ne vas pas me dire que t'aime pas ce disque ?
-Je préfère Bleach. Déclara-t-il avec une demi-grimace. Mais oui je l'aime bien, tu veux en venir où ?
-C'est un album mixé de façon pop, je l'ai appris en regardant des reportages sur YouTube. Les voix sont doublées, y'a trois guitares différentes, c'est blindé de trucages sonores et de retouches. La pop ce n'est pas forcément mauvais, on peut en faire de très bonnes choses. Faut juste savoir s'y prendre.
Le brun grimaça et haussa les épaules.
-Admettons. Concéda-t-il. Mais c'est quand même trahir l'esprit punk, le Do It Youself et tout ça.
-Albus… Je ne te demande pas de ne plus être punk je te demande de prendre aux meilleurs pour t'améliorer. Va regarder du côté des groupes de fusion, y'a toujours d'excellents truc à prendre. Même à des vendus de la pire espèce comme Rod Stewart.
Son ami le regarda avec un air de dégout en entendant cette dernière phrase.
-Ok. Se corrigea Scorpius. Peut-être pas Rod Stewart. Mais écoute un peu de jazz, de funk ou de rock progressif. Rien que pour trouver de nouvelles idées. Moi c'est ce que je fais et je progresse de plus en plus. Je le sens ces derniers temps quand je travaille.
-T'a fait rentrer la batterie de la salle sur demande chez toi ? s'étonna Albus en haussant les sourcils.
-Non bien sur que non. Je me contente de taper sur mon bureau. Si je tapais à longueur de journée sur une caisse claire et des cymbales mon père…
Scorpius s'arrêta brusquement au milieu de sa phrase. Ses réflexions avaient abouti avant qu'ils ne les expriment. Et là, au milieu d'un magasin de disques puant l'encens, il se rendait compte qu'il ne savait absolument pas comment son père réagirait. Ce grand homme à l'apparence jadis réconfortante lui apparaissait maintenant comme un total inconnu.
Un inconnu presque menaçant en vérité. Une figure d'autorité qui n'était jamais là sauf pour se plaindre de telle ou telle chose. Toujours là dès qu'il fallait réprimander, jamais quand il fallait consoler, aider ou rassurer son fils.
Si Harry Potter était le pire père du monde selon Albus, Drago Malefoy n'avait pas grand-chose à lui envier en termes d'absence. Et cela même alors que Scorpius était fils unique.
-Ton père ? continua son amie qui n'avait pas compris pourquoi son ami s'était arrêté.
-Rien laisse tomber. Souffla le blond en songeant que son père ne ferait que lui servir un énième couplet sur ses « responsabilités » d'héritier de la grande famille Malefoy s'il venait à apprendre sa passion pour les musiques moldues.
Albus haussa les épaules et continua à fouiller dans les bacs. Son ami l'imita, bien content de ne pas avoir à parler plus de sa famille. Son cerveau s'affairait sur deux choses en même temps : chercher des vinyles et penser à sa situation actuelle.
Deux heures s'écoulèrent ainsi, deux heures pendant lesquels il s'efforça de paraitre aussi enthousiaste qu'avant. Mais un sombre voile avait obscurci ses pensées et la poésie de l'après-midi simple semblait s'être teintée de noir.
Il quitta son ami avec ce grand sourire qu'il gardait toujours au visage. Une complète façade qui masquait ce vide qu'il ressentait dans sa poitrine dès qu'il envisageait son avenir.
« Qu'est-ce que je vais faire ? » se demandait-il souvent.
C'était important de le savoir. Stricto Sensus il n'avait besoin de rien. Sa famille était l'une des plus riches d'Angleterre, il pouvait clairement vivre toute sa vie dans l'opulence la plus débauchée que ça ne réduirait même pas d'un dixième les réserves d'or qu'avaient amassés ses aïeux pendant des siècles.
Mais cette vie lui paraissait horriblement fade. Déjà vécue par des milliers d'imbéciles qui ne pensaient pas au-delà de leurs plaisirs mesquins. Scorpius sentait qu'il avait besoin d'autre chose. Quelque chose de concret qui perdurerait après sa mort, et pas simplement un nom et une photo grimaçante sur la tapisserie de la dynastie familiale.
La musique c'était ça pour lui, un moyen de graver ses sentiments et son être dans un art. De façon à perdurer et de vivre réellement. Albus lui avait déjà fait son choix à la seconde où il avait découvert l'album des Sex Pistols.
« Moi je ne suis que le suiveur, le second, le mec qui vit dans l'ombre du héros. » Se dit-il alors qu'il attendait le magicobus. « Le gars qui s'adapte mais qui ne sait pas décider par lui-même, on décide toujours à ma place, est-ce que je serais seulement un jour capable de faire changer ça ou est-ce que je vais me contenter d'avancer dans les chemins déjà creusé ? »
Cette dernière question resta sans réponse et, quand il monta dans le magicobus avec son casque sur les oreilles, la chanson de Placebo qui lui parvint aux oreilles semblait comme la manifestation sonore de sa tristesse.
A song to say Goodbye…
Voilà pour ce nouveau chapitre. J'espère que ça vous à plut. Il est plutôt fait comme le précédent pour explorer la psyché des personnages et ici de notre petit Scorpius bien déprimé comme n'importe quel ado mal dans sa peau. Il n'y pas ou peu d'actions, ça doit faire un peu chier non ? Soyez assurés que le prochain va faire bouger les choses.
N'hésitez pas à dire ce votre avis, peut-importe qu'il me plaise ou pas, je répondrai à tout.
