Disclaimer: Toujours la même chose, Shaman King appartient à Hiroyuki Takei et toute cette histoire n'est qu'un délire de fan.


Fragment 2

Nul ne peut se réaliser sans amour (Tamao)

(Musique: Fez soundtrack – Beacon / Formations / Forgotten / Spirit / Nature / Reflection)

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La première chose à laquelle Tamao avait dû s'habituer, dans le palais de Sati, c'était le silence.

À l'auberge En, tout comme dans les différents lieux où elle avait habité, il n'y avait de silence qu'en pleine nuit, ou alors le matin, très tôt. Dès que les habitants s'éveillaient, une foule de petits sons quotidiens s'amalgamaient en une musique unique. Voix des fantômes, bruits de vaisselle, de la hotte de la cuisine, lancée en permanence – car avec tout ce monde à nourrir, on n'arrêtait jamais de cuisiner –, sifflotements de Ryû, éclats de voix variés, la plupart du temps dus à Ponchi, Conchi, Horo Horo, Pirika, Chocolove, échos de la télévision qu'Anna mettait en marche dès son réveil, martellements de cavalcades en tabi sur le plancher, et tant d'autres encore.

Au palais de la Shaman Queen, on pouvait dormir jusqu'au beau milieu de la matinée sans rien entendre.

Le premier jour, Tamao s'était réveillée à neuf heures dix, enveloppée dans le silence cotonneux de la demeure comme dans une couette duveteuse, et en avait conçu grande honte. Elle était arrivée, écarlate, dans la salle où l'on prenait ses repas et s'était excusée en bégayant. Jamais encore elle n'avait dormi si longtemps! Elle aurait dû être là pour préparer les bols, servir. Elle promettait qu'elle ne recommencerait pas.

Les Gandharas l'avaient fixée avec surprise, avant de dissiper tout malentendu.

– Tamao, ici, personne n'est au service de personne, l'avait avertie Daiei. Nous remplissons tous des tâches alternativement et, lorsque tu seras prête, tu en prendras ta part, mais pour l'instant, tranquillise-toi. Tu es notre invitée.

Après maintes protestations, l'adolescente avait bredouillé qu'elle avait tout de même honte de s'être levée aussi tard. Son maître – pincement de cœur – ne l'aurait pas toléré.

Daiei, de son regard grave et doux, avait chassé les tressaillements anxieux de ses épaules.

– Nous préférons tous commencer tôt notre journée. Mais tu as subi de dures épreuves, Tamao, et le chagrin épuise. Une grasse matinée dans ta vie, ce n'est pas grand-chose. Allons, ne crains rien et viens manger. Il y a encore du riz chaud.

Ainsi avait commencé sa première matinée parmi les Gandharas.

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Après quelques temps, elle devait admettre qu'elle se sentait bien. Bien. Comme reposée, à l'aise dans son corps. Elle s'éveillait plus tôt, maintenant, et elle s'habituait peu à peu au silence, comme à l'élocution compassée des occupants du palais. Elle s'était même surprise à imiter ce timbre délicat, sensé procurer un sentiment de paix à l'interlocuteur auquel on s'adressait. Sa voix lui semblait alors plus grave, plus mûre et moins ridicule. Elle balbutiait toujours et sentait encore le malaise et l'anxiété la gagner lorsqu'elle ne parvenait pas à trouver ses mots, mais elle ne voyait jamais aucune impatience chez les autres. Ils attendaient tranquillement qu'elle ait fini, sans chercher à deviner ses mots pour relancer la conversation, comme le faisaient beaucoup de gens. Il n'y avait pas non plus de pitié dans leur attitude. La pitié, sentiment naturel, qu'elle appréciait pour ses bonnes intentions, mais qui ne l'aidait pas à se sentir mieux.

Elle avait plaisir à se lever, le matin. Les odeurs, l'air sur sa peau, tout lui semblait plus calme. Les repas étaient frugaux, mais équilibrés. Elle regrettait parfois la merveilleuse cuisine de Ryû, mais s'accommodait parfaitement de ce nouveau régime, sobre et végétarien. D'ailleurs, si elle l'avait souhaité, rien ne l'aurait empêchée de rendre visite à ses amis. Elle ne le faisait pas pourtant. Elle demeurait là, à méditer avec les suivants de Sati, à contempler, à apprendre ou à s'occuper en tâches diverses, bienfaisantes et réparatrices. La reine avait bâti ce palais pour elle et pour les siens, mais n'avait pas voulu que rien s'y fasse par magie: nous avons tous besoin d'occupation, disait-elle. Et Tamao lui était reconnaissante pour chaque chose qu'elle lavait, rangeait, pour les légumes qu'elle ramassait, les fleurs dont elle prenait soin, les linges qu'elle pliait, le sol qu'elle lavait, car le mouvement de ses doigts chassait les tristes pensées de son esprit.

La méditation était un moment plus difficile, car elle ne pouvait s'empêcher de songer à Mikihisa. Elle priait pour lui, souvent, espérant qu'il aurait trouvé la paix et le pardon qu'il cherchait, dans le Great Spirit. Peu à peu, toutefois, la peine qui l'habitait perdait de sa force. Elle était toujours là, mais sa blessure cicatrisait lentement. Cela prendrait des mois, sans doute, mais le processus était entamé, elle le sentait.

Fatalement, revoir en pensée le visage de son maître la conduisait vers deux voies, qui n'étaient pas moins difficiles l'une que l'autre.

La première, tout d'abord, c'était le souvenir de Ponchi et Conchi.

Son cœur se fragmentait en éclats de verre lorsqu'elle se remémorait les deux courageux fripons. Elle revoyait sans cesse le moment où, sans hésitation, ils s'étaient jetés devant elle pour la protéger de l'attaque de Hao, donnant tout son sens à l'expression "fantôme gardien". L'Onmyoji n'avait pas cherché à porter un coup mortel. C'était à peine plus qu'un geste de la main pour chasser une mouche agaçante, car c'était ce qu'elle représentait pour lui, un insecte dérisoire, mais qui avait eu le malheur de se trouver sur son chemin. Ce regard terrifiant qu'il avait eu… Glacial d'indifférence. Un peu surpris, aussi, comme lorsqu'on s'étonne de voir la fourmi qu'on vient d'écraser remuer encore sur le sol. Un pouvoir était ensuite intervenu, pour renforcer son Over Soul. Celui d'un X-Laws, pensait-elle, mais impossible de savoir lequel. Tout était si confus.

Elle avait survécu, mais pas son Over Soul, ni ses fantômes.

Elle n'en voulait pas à celui ou celle qui l'avait secourue. Ce n'était pas de sa faute, personne n'était assez puissant pour tenir tête à Hao… personne n'avait réussi à part Sati-sama. Le sang de Tamao se glaçait dans ses veines quand renaissait sous ses yeux la vision horrible de ses fantômes se désagrégeant dans l'air, non pas pour se reformer un peu plus loin en ricanant, mais pour disparaître vraiment. Pour devenir simplement rien.

Elle ne perdait pas espoir, car Sati était reine. On pouvait retrouver Ponchi et Conchi, lui avait-elle assuré. Mais il y avait tant d'esprits dans le Great Spirit, et tant de choses à faire en ce monde. Nombreuses étaient les requêtes des sujets, suppliant la reine de retrouver tel esprit, tel être cher… Tant de gens patientaient, espéraient. S'indignaient, parfois, aussi, car ils ne se doutaient pas que la Shaman Queen puisse avoir ses limites. Or, Sati était, pour l'heure, incapable de démêler l'écheveau torrentiel des âmes imbriquées dans le Great Spirit. Elle avait tout pouvoir sur les humains, mais pas sur les esprits, ses semblables. Bien sûr, son autorité finirait par résoudre les problèmes, mais pour l'heure, il lui fallait se concentrer sur d'autres choses.

Tamao pouvait attendre. Il y avait bien assez de critiques envers le nouveau pouvoir sans qu'elle-même, avertie de ses failles, aille y mettre son grain de sel. Elle espérait simplement que Ponchi et Conchi allaient bien, là où ils étaient, et attendait leur retour. Parfois, en pensée, elle essayait de les "retrouver". C'était stupide, elle n'en avait pas le pouvoir. Mais rien ne lui interdisait de tenter la chose, n'est-ce pas?

Lorsqu'elle songeait à Mikihisa, il arrivait aussi que ses pensées suivent un tout autre court et se tournent naturellement vers Yoh. Aussitôt, son front se crispait légèrement et elle ne pouvait s'empêcher de secouer la tête pour le chasser. Depuis peu, elle arrivait à faire face à la peine sourde que lui causait cette vue. Accepter était l'une des devises du Gandhara. Néanmoins, en ce qui concernait Yoh, ce n'était pas un chagrin de perte, comme pour son maître ou ses fantômes. C'était une douleur qu'elle avait ressentie toute sa vie. De bas-instincts, des sentiments qui lui faisaient honte. Une jalousie perpétuellement refoulée, qui transparaissait depuis peu et qu'elle découvrait avec horreur. Jalousie qui n'était pas étrangère à son choix de venir s'installer ici.

Il y avait la culpabilité aussi. Elle avait bien vu une légère tristesse se substituer à la surprise dans ses yeux, lorsqu'elle avait annoncé son choix – à travers sa tablette, car elle s'était révélée incapable de le leur dire de vive voix. Personne n'avait compris pas pourquoi elle voulait les quitter. Mais ils avaient respecté son choix, Yoh comme les autres. Seule Anna avait daigné l'approuver.

Elle ne pouvait s'ôter de l'esprit qu'elle les avait abandonnés, d'une certaine manière. C'était presque ingrat, en somme. Mais elle avait réellement senti que c'était ce qu'elle devait faire.

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En dehors de ces heures de méditation, Tamao lisait beaucoup. Les moments d'étude étaient importants pour beaucoup d'entre eux, notamment les deux filles de l'ex-équipe Ten, Samy et Mamy. Elles passaient un temps considérable à étudier de gros livres à la bibliothèque et ne parlaient jamais à Tamao lorsqu'elles étaient concentrées. Cela ne dérangeait pas la jeune ascète qui éprouvait de fréquents besoins de solitude et de silence.

La bibliothèque avait également une autre occupante, qu'on pouvait trouver là à toute heure, dissimulée dans un coin, ne parlant à personne, plongée dans des livres aux titres étranges et incompréhensibles.

Ce jour-là ne fit pas exception. Lorsque Tamao entra, elle fit une petite pause, comme à chaque fois, pour savourer l'odeur de vieux livres et de poussière propre aux vieilles bibliothèques, si émouvante et si particulière. Un parfum de savoir, de calme et de réflexion qui déclenchait toujours chez elle un indicible apaisement enthousiaste. Elle adressa un signe de tête timide à Samy et à Mamy et, du coin de l'œil, la remarqua.

La silencieuse jeune fille avait érigé un rempart de volumes sur la table la plus reculée de la salle, mais elle ne parvenait pas à cacher la masse de sa chevelure trop épaisse, qui dépassait de sa forteresse. Ces cheveux… Tamao ne pouvait s'empêcher de les admirer, elle qui les avait fins, plats, infiniment moins luxurieux, malgré leur couleur vive. Sa peau cuivrée paraissait étrange, pour ses standards de beauté japonais, bien qu'elle ne parvienne pas à y apposer l'adjectif "laid". Mais c'était surtout son regard qui l'intriguait, fuyant, comme le sien, et qui laissait deviner une nature farouche, similaire à la sienne.

Tamao ne connaissait pas son nom. Personne ne parlait jamais de la jeune fille de la bibliothèque. Elle savait juste que c'était une shamane, comme tous les autres. Oh, elle se doutait bien d'où elle venait, c'était marqué sur sa figure et sa tenue. Mais elle ne l'avait jamais vue avant la bataille finale, ce qui était plus étrange. Et même à ce moment-là, elle n'était apparue qu'après, lorsque les combats avaient enfin cessé.

L'ascète alla récupérer l'ouvrage qu'elle lisait depuis quelques jours. Elle n'y avançait pas vite, car l'ouvrage était vieux, ardu, imprimé en petits caractères sur d'immenses pages. La masse d'informations transmise à chaque ligne la ralentissait. C'était néanmoins un ouvrage fascinant. Amusant de se dire qu'on pouvait se passionner pour un traité de botanique: elle ne l'aurait pas cru, elle qui l'avait simplement pris pour trouver un renseignement sur les soins à offrir à un arbuste malade, mais elle s'était laissée prendre par l'attrait de la connaissance et régalait à présent sa curiosité.

Tamao alla s'installer à l'une des tables du bout de la salle, elle aussi, non sans jeter un regard à sa compagne d'étude. Elle n'avait pas l'intention de lier conversation, mais elle aussi aimait s'asseoir aux endroits reculés, discrets, le fond et les coins, là où elle pouvait passer inaperçue, où personne ne risquait d'arriver dans son dos, et elle tenait à ce que ça ne dérange personne, pas même la mutique jeune fille de la bibliothèque.

Elle se plongea dans le livre, mais un frémissement la fit bientôt quitter les lignes des yeux. Elle risqua un œil sur le côté d'où venait le bruit et vit qu'on la regardait. Aussitôt repérée, la jeune fille détourna la tête et se retrancha derrière son gros volume.

Tamao se crispa involontairement. Est-ce qu'elle la gênait? Ce n'était pas ce qu'elle voulait… Embarrassée, elle referma doucement son livre et voulut changer de place pour ne pas l'ennuyer plus longtemps. Mais en jetant un regard coupable dans sa direction, elle remarqua que ses profonds yeux noirs la dévisageaient encore.

– Je… je suis désolée, souffla Tamao, osant lui adresser la parole pour la première fois.

Et elle s'inclina légèrement en serrant très fort les paupières.

– Désolée de quoi?

L'inconnue avait une voix grave et légèrement modulée, sans aucun signe d'effroi ou de gêne. Tamao fut surprise par ce timbre dénué de toute angoisse.

– Je ne voulais pas te déranger… T'imposer… Je m'en vais…

– Tu ne me déranges pas, répondit la fille.

Tamao osa alors lever les yeux vers elle. Le livre du devant avait été écarté légèrement pour permettre un contact visuel tandis qu'elle lui parlait. C'était la première fois qu'elles se regardaient en face. La jeune fille, qu'elle avait crue du même âge qu'elle, était en réalité plus âgée de quelques années.

– Je… je croyais, balbutia Tamao, rosissante.

– Tu peux t'asseoir là, cela ne me pose pas de problème, assura l'inconnue dans un murmure.

Il y avait une indubitable réserve dans l'attitude de la personne assise en face d'elle, mais pas de peur, contrairement à ce qu'elle avait cru. Une distance prudente, mais qu'elle imposait à autrui et qu'elle mettait en avant, et non un repli sur elle-même. Tamao eut alors subitement l'intuition d'une différence profonde entre elles: Sa propre timidité, qui se voulait défense, ne faisait que l'affaiblir et révéler ouvertement au monde le cœur qu'elle tentait de cacher. Au contraire, l'attitude plus directe, quoique mesurée, de son interlocutrice, devait vraisemblablement lui permettre de mieux se dissimuler derrière ses remparts, sans rien livrer de son intériorité.

Tamao, gauche et empruntée, retourna prestement à la place qu'elle avait choisie et posa son livre devant elle. D'instinct, ses épaules se tendirent et son dos s'arrondit. Mode de protection qu'elle n'avait jamais abandonné, mais que Yainage lui avait déconseillé, lors d'un de ses rares passages au palais. "Tu verras quand tu auras mon âge, comme ça te fera mal, si tu n'apprends pas à te décoincer le dos!", avait-il plaisanté. Tamao le savait, Mikihisa le lui avait souvent dit, mais ça ne faisait pas longtemps qu'elle parvenait à contrôler cette réaction, en travaillant sur sa respiration. Elle se contraignit donc à se remettre droite. Une chose difficile, car elle se sentait toujours beaucoup plus grande, quand elle le faisait, donc plus visible et plus exposée (à quoi, elle n'en savait rien, mais c'était une impression impossible à diminuer).

Elle allait reprendre sa lecture, plus apaisée, lorsque sa voisine lui parla à nouveau.

– Comment tu t'appelles?

Écarquillant les yeux, Tamao se tourna vers elle et donna son prénom sans réfléchir.

La jeune fille hocha la tête.

– Rutherfor.

À présent qu'une conversation était lancée, Tamao ne pouvait plus l'ignorer et retourner à sa lecture, c'eût été grossier. Elle chercha quelque chose à dire.

– Tu es une Pache?

Rutherfor acquiesça.

– Je suis l'un des dix prêtres.

Tamao fut surprise. Elle ignorait qu'il y avait des femmes parmi les organisateurs.

– Je ne t'ai jamais vue, remarqua-t-elle à voix haute.

– C'est normal, je n'étais pas censée apparaître. Pas avant l'arrivée du roi.

– De la reine, esquissa Tamao, plus pour elle-même que pour corriger Rutherfor.

– De la reine, oui, approuva celle-ci en lui jetant un regard en coin.

Tamao eut alors une question, mais n'osa pas la poser, car elle lui semblait indiscrète et désagréable. Néanmoins, la curiosité fut la plus forte et, dans un souffle presque inaudible, elle parvint à dire:

– Pourquoi… es-tu ici?

Rutherfor ne parut pas se formaliser de cette interrogation, à son grand soulagement.

– J'ai demandé à Sati si je pouvais me retirer ici. Je suis… J'étais la plus proche du Great Spirit. Ma mission était de mener le vainqueur jusqu'à lui.

C'était une demi-réponse, Tamao le comprit. Rutherfor devait avoir d'autres motivations pour quitter les siens, mais après tout, cela ne la regardait pas, et elle-même était bien placée pour comprendre son choix.

– Pardon, s'excusa-t-elle.

– Non, non, protesta doucement Rutherfor. Tout va bien.

Elle ne lui retourna pas sa question, ce qui arrangeait Tamao qui n'aurait su que répondre. À la place, elle désigna son gros livre avec un semi-sourire.

– Qu'est-ce que tu lis?

– Un livre sur les plantes, répondit Tamao.

– Ah bon? fit Rutherfor. C'est bien?

– …Mieux que je croyais.

La Pache étira les lèvres en un véritable sourire, cette fois.

– Et toi? risqua Tamao.

Sa voisine eut aussitôt une petite grimace, hésita, et finalement, sortit le livre qu'elle lisait.

Un comics.

– J'ai commencé un livre sur le bouddhisme, avoua Rutherfor, mais je n'y comprends rien, alors…

Tamao se retint de rire. Elle se cachait donc derrière tous ces épais volumes pour faire croire qu'elle lisait des choses sérieuses? Cette fille était amusante.

– Je n'ai jamais vu de bande-dessinée ici, avoua-t-elle. Où l'as-tu trouvée?

– Par-là, fit Rutherfor avec un geste vague. Tu sais, il y a tout et n'importe quoi dans cette pièce. C'est fait exprès. Il suffit de vouloir trouver.

– Shhhh, lança-t-on soudain derrière elles.

Tamao se retourna, mortifiée, mais Samy ou Mamy, elle ne savait laquelle des deux les avait rappelées à l'ordre, s'était replongée dans sa lecture. Elle revint à Rutherfor et celle-ci, contre toute attente, dissimula sa bouche de ses mains et pouffa de rire. Sans pouvoir se retenir, elle l'imita et posa son gros livre ouvert face à elle pour se cacher.

D'un commun accord, les deux jeunes filles reprirent leur première activité – Rutherfor avait manifestement décidé de retenter l'expérience du savant traité qu'elle avait abandonné plus tôt. Tamao se plongea à nouveau dans son âpre ouvrage de botanique, mais elle eut beaucoup de mal à se concentrer dessus. La présence de sa camarade l'en empêchait. Rutherfor l'intriguait, autant que la facilité qu'elle avait eue à lui parler. Elle était remuée par ce contact inattendu, très différent de ceux qu'elle avait avec les différents adeptes du Gandhara. Elle était aussi déroutée par le naturel de la jeune Pache, car elle réalisait, à présent, qu'elle devait être très puissante. Les prêtres paches l'étaient tous, et celle-ci était particulière. Elle avait côtoyé le Great Spirit, elle avait eu accès à des mystères dont Tamao n'avait pas idée. Ce n'était pas rien, et pourtant, elle se cachait dans la bibliothèque de Sati pour lire des comics, comme n'importe quelle adolescente de leur temps. Curieux. Et en même temps bien moins effrayant qu'elle n'aurait cru.

Elle eut cependant un petit frisson lorsque, l'heure d'aller manger arrivant, elle se leva pour partir, échangea un regard avec elle et reçut sa mimique complice. Au moment où elle se retournait une pensée quelque peu angoissante l'avait effleurée.

Hao lui aussi, dans les quelques moments où ils l'avaient côtoyé, avait fait montre d'une grande simplicité.

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