Disclaimer: Shaman King est l'oeuvre d'Hiroyuki Takei (et de plus en plus, je me prends moi-même à écrire "Horoyuki", huhuhu, lapsus, lapsus.)
Fragment 3
Pourquoi nous et pas eux? (Marion & Mathilda)
(Musique: The Parting Glass – Loreena McKennitt)
(Vous pouvez obtenir des ambiances très différentes avec d'autres versions féminines de la chanson: celle de Lauren Cohan/Emily Kinney (TWD) donne un côté beaucoup plus glaçant, et celle de Cara Dillon est plus douce. Cette dernière est plus raccord avec la scène, mais en même temps, la version Walking Dead, c'est deux sœurs qui chantent (une blonde et une châtain ^^) donc… Mais c'est quand même avec Loreena McKennit que j'ai écris, ça fait un compromis entre les deux.)
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Mary s'ennuyait. Elle ne le disait pas, parce qu'elle l'avait déjà répété trop de fois et que Mathie était déjà au courant. Mathie n'avait pas besoin qu'on le lui dise. Silva, lui, n'aurait pas compris. Il aurait répondu à côté de la plaque, lui proposant une activité quelconque qui n'aurait pas répondu à ses attentes. Mary se taisait donc, serrant Chuck contre elle.
C'était seulement la poupée de Chuck qu'elle appelait ainsi. L'esprit, lui, s'en était allé. Il lui avait été retiré, comme on avait pris Jack à Mathie.
Elle s'était débattue, d'abord. Elle en avait voulu à Mathie de ne pas se battre davantage contre cette séparation injuste, mais Mathie l'avait convaincue de se calmer. D'attendre son heure, comme elle.
– Ils seront toujours là, avait promis Silva à toute vitesse, et tu pourras le voir. C'est pour des raisons de sécurité, tu comprends ?
Mais Mary ne voulait pas entendre parler de sécurité.
– Tu dois comprendre, avait soupiré le Pache.
Elle devait comprendre? Non, elle ne leur devait rien. Comprendre, toujours comprendre, moi je ne veux pas comprendre.
– Je ne peux pas faire autrement, avait insisté Silva. Vous êtes dangereuses toutes les deux.
– On ne fera rien! (Ça, c'était Mathie qui vitupérait.) C'est complètement débile, votre truc!
– Ce n'est pas moi qui décide…
La fatigue, dans ses mots.
– Écoutez-moi, toutes les deux. Ça pourrait être pire!
– Pourquoi nous faire ça? Pourquoi on n'est pas jugées comme les autres? Parce qu'on est des filles?
L'attaque, violente, et le soupçon, dans la voix vibrante de Mathie.
– Mais non, avait soupiré Silva. C'est parce que vous êtes… des enfants.
– N'importe quoi!
Elle était adorable, Mathie, à bomber le torse, l'œil torve, comme pour se grandir. Mary, elle n'avait rien dit. Elle n'était pas une enfant. Mais elle n'était pas une adulte non plus. Cela dit, que Silva les voie comme ça, semblait logique: c'était toujours comme ça, avec les vieux.
– Et Canna, c'est une gamine aussi?
Mary avait bien vu que Silva avait failli répondre oui, avec un peu d'agacement, mais il s'était repris.
– Canna… a su négocier avec Sati.
Cela lui avait redonné un peu d'assurance.
– Elle était d'accord pour que vous veniez ici. C'est un peu comme si elle vous avait confiées à moi.
– Elle a pas eu le choix, avait rétorqué Mathie. Et elle aurait pas voulu qu'on nous prenne nos fantômes! Jamais!
– Je ferai tout ce que je peux pour qu'on vous les rende dès que possible, avait plaidé Silva. C'est temporaire.
Il y avait du désespoir dans sa voix, et Mary l'avait senti. Elle avait alors tourné la tête. Pas pour le regarder, fallait pas déconner, mais pour l'inviter dans son champ de vision. Juste un peu. La peine qu'il manifestait l'avait touchée, malgré elle. Étonnée, même. Elle était authentique.
– Pourquoi on devrait te faire confiance? avait riposté Mathie.
La hargne de son ton était toujours la même. Ces choses-là, elle ne les percevait pas. Toutefois, il y avait quelque chose dans sa posture, une tension de moins, une légère ouverture qui signifiait que Mathie, si elle ne lâchait pas l'affaire, était du moins disposée à entendre. Mary s'était détendue d'un cran pour écouter la suite.
La réponse, faite d'un rire sans joie, les avait mouchées, toutes deux.
– Tu crois que je ne sais pas ce que ça fait?
Silence.
– Je vous jure que je vais me débrouiller.
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Mathie avait ronchonné encore, mais Mary savait que ça voulait dire qu'elle acceptait d'attendre. De toute façon, avaient-elles le choix? Pas vraiment. N'empêche que ce Pache avait intérêt à ne pas la décevoir. Il ne fallait jamais décevoir Mathie.
Mais maintenant, Mary s'ennuyait.
Pourtant, Silva était "gentil". Elle l'avait d'abord détesté, c'était un stupide Pache qu'on leur avait affecté pour les surveiller, durant l'absence de Canna (comme si elles avaient besoin qu'on s'occupe d'elles! Tssk). C'était juste un des prêtres pas très forts que le seigneur Hao dédaignait un peu. Ils avaient un lien de parenté, cependant. Et Mary le voyait sur ses traits quand elle le regardait. Une finesse dans le visage, un souvenir ténu dans le dessin de la bouche. Quelque chose de sa silhouette, en plus grand, quand il leur tournait le dos, ses cheveux longs battant sur sa cape. Elle l'avait d'autant plus détesté à cause de cette ressemblance.
Sa gentillesse n'était pourtant pas celle du seigneur Hao. Elle le rendait agaçant. Il prenait parfois à Mary des envies de rage et de destruction: casser quelque chose, répondre méchamment, être blessante, juste pour voir s'il était capable de se mettre en colère lui aussi, de faire autre chose que sourire niaisement. Elle l'envoyait souvent promener ou l'ignorait lorsqu'il tentait de lui parler. Mais cela ne le vexait jamais: c'était rageant! Elle pouvait ne rien dire pendant des heures, des jours, rester assise sans bouger un temps infini – Mary avait parfois la patience d'un chat –, elle pouvait refuser de manger, l'arroser de son mépris, l'insulter, même, il ne se fâchait jamais. Il se contentait d'un petit sourire triste qui parvenait même à lui faire ressentir quelque chose qui pourrait s'apparenter à une pointe de culpabilité. Très vague, la pointe. Mais quand même. Quoi qu'elle fasse, son rejet ne l'atteignait pas. Il s'en foutait. Cela la mit d'abord hors d'elle, avant qu'elle ne finisse par se calmer. Il ne valait tout de même pas qu'elle dépense tant d'énergie colérique, si? Puisque l'attaque frontale ne menait à rien, autant laisser filer.
Au bout d'un moment, elle se rendit compte que son animosité s'effilochait lentement. Silva le percevait manifestement et tentait plus ouvertement de communiquer avec elle. Mary se laissa faire, sans vraiment lui accorder l'attention qu'il réclamait, mais avec plus de tolérance. Elle s'habituait.
Silva ne leur interdisait pas grand-chose. Il tentait parfois de leur proposer des occupations diverses, sans déclencher d'enthousiasme. Il leur préparait toujours à manger des plats que les adolescentes étaient censées aimer, des choses sympas, des pâtes, des frites, des légumes noyés dans les épices pour éviter le goût fade et bouilli si haï des jeunes (cherche pas, avait gloussé Mathie comme il tentait de convaincre Mary de manger des haricots. Rakist, Peyote et Canna ont déjà tout essayé), des glaces et des sucreries aussi… Elles auraient apprécié l'effort si tout ça n'avait pas été beaucoup trop salé, ou trop gras, pour leur goût. Silva cuisinait terriblement mal, comparé à Hao, Rakist, Peyote ou Turbin. Cela faisait pas mal râler Mathie. Alors Silva s'excusait et les emmenait manger dehors. C'était une bonne stratégie, pensait Mary. Elle était toujours contente d'aller au restaurant.
Elle était quand même parfois inquiète. À la manière dont ronchonnait Mathie, on devinait désormais beaucoup plus de jeu que de méfiance. Elle craignait que son amie ne se laisse trop facilement apprivoiser par Silva. Il ne leur voulait pas de bien, il avait choisi Sati, contre Hao: elles étaient les perdantes à ses yeux. Ennemies, peut-être, malgré sa gentillesse.
Mais bon, elle faisait quand même confiance à Mathie.
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Canna venait les voir aussi souvent qu'elle pouvait. Trop rarement à leur goût.
– Il faut coopérer, les filles, soupira-t-elle, comme à chaque fois. On n'a pas le choix.
– Ouais mais on se fait chier, grommela Mathie.
– T'inquiète, répliqua sa sœur. Dès que j'aurais réglé ma dette auprès de Sa Majesté la Shaman Queen, je serai libre. Et on aura des sous. On pourra se barrer loin d'ici.
– Pourquoi on nous laisse pas aller avec toi? pesta Mathie. On est fortes aussi. On peut se battre. Je préférerais ça à rester glander ici.
– C'est parce que vous êtes… enfin c'est à cause de votre âge, répondit Canna.
– C'est trop débile!
Mais à la manière dont Canna garda le silence, Mary sentit, incrédule, qu'elle n'était pas tout à fait opposée à la décision de Sati.
– Sati ne veut pas utiliser des enfants pour capturer les… les autres.
– Et t'es d'accord avec ça? On n'est plus des gamines, putain! On faisait quoi pendant le tournois, hein?
Canna détourna les yeux avec une moue.
– Tu vas pas me dire que tu trouves qu'on est trop jeunes pour se battre, tout d'un coup? s'écria Mathie, ahurie.
– C'est pas "se battre", le problème. C'est le contexte.
Cela dérangeait Canna de soutenir un avis de la Shaman Queen, manifestement.
– C'est dégueulasse, là-bas, confia-t-elle avec un grimace de dégoût. C'est la zone. Tu sais pas sur qui tu tombes, ancien pote, ancien ennemi, mais tu vas devoir le dégommer, quoi qu'il y ait eu entre toi et lui.
Mathie fut douchée par le ton amer de Canna.
– C'est moche, conclut celle-ci. Et Sati… Elle refuse que des gosses se battent pour elle. Pour ce genre de choses, ou pour tuer. Et puis, elle dit que le travail des gosses, c'est pas légal. Voilà.
Canna tira sur sa cigarette, agacée de devoir admettre un discours aussi moralisateur.
– C'est trop chou, railla Mathie. (Elle était terriblement vexée, Mary le sentait) Alors comme ça, on est trop sensibles pour traquer des pauvres types?
Canna secoua la tête.
– Bien sûr que non. C'est pas ça.
– Alors, c'est quoi?
– Écoute, t'en sais rien, t'y es pas. Crois-moi, c'est cool de glandouiller ici. En plus, votre Silva, il est quand même moins lourdingue que le chien de garde qu'on m'a filé.
– Bah, ricana Mathie, il est pas dégueu, ton Jackson. Ça pourrait être pire.
Canna fit mine de vomir, déclenchant l'hilarité de Mathie. Mary décrispa simplement les lèvres, soulagée que l'atmosphère se soit détendue. Elle détestait que Canna et Mathie se disputent.
– Sérieusement, reprit leur aînée, un peu plus bas, c'est une chance pour nous que vous soyez ici. En jouant les fifilles bien sages, vous pouvez en apprendre plus sur les plans des Gandharas et des Paches. Et sur leurs nouveaux pouvoirs. C'est une occasion en or.
Mathie hocha la tête sérieusement, tel un bon petit soldat recevant les consignes de son supérieur. Mary, elle, se contenta de serrer un peu plus Chuck contre elle.
– Et si vous avez envie de vous foutre sur la gueule, conclut Canna, vous avez qu'à vous battre entre vous. Personne vous en empêche, pas vrai?
C'était vrai et Silva avait rapidement fini par renoncer à les en dissuader.
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Mary s'ennuyait toujours et avait fini par demander:
– Mary s'ennuie sans Chuck.
En mettant juste ce qu'il fallait de flippant et de menaçant dans sa voix pour qu'il sente la nuance.
Silva n'avait pas perdu le sourire. Sûr de lui, il avait annoncé:
– Tu le retrouveras bientôt.
Le pire, c'est qu'il ne mentait pas. Tout son être le lui disait. Cela dit, peut-être qu'il se trompait, même en toute sincérité.
Mary ne répondit pas. Son regard, planté dans le sien comme un couteau, suffisait. Pas besoin de mots pour poser un ultimatum. Et elle lut à son expression plus grave qu'ils s'étaient parfaitement compris.
Il avait intérêt à faire vite. Mathie et elle ne patienteraient plus longtemps.
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Leurs fantômes leur furent rendus par un beau soir ocre. Contre une seule condition.
– Vous gardez chacune votre médium, prévint Silva. En revanche, je vais devoir prendre leurs armes.
Les deux filles le regardèrent. Mary hésita. Mathie aussi.
– Si vous deviez être attaquées, vous avez toujours l'Over Soul, fit remarquer Silva. Je suis vraiment désolé. Je n'ai pas pu obtenir qu'on vous fasse totalement confiance.
Après une intense réflexion, Mary songea aux paroles de Canna. Il fallait coopérer. Prendre ce qu'on leur donnait, surtout. Qu'est-ce que ça pouvait faire? Silva avait raison, même s'il ne soupçonnait pas à quel point. C'était dérisoire, de les désarmer: elles n'avaient pas besoin de leurs armes pour tuer. Alors, elle saisit sa poupée et détacha le revolver de ses mains de paille.
Mathie mit quelques secondes de plus à en faire autant pour sa marionnette.
Récupérant revolver et couteaux, Silva fit alors une chose incroyable.
Il joignit les mains et les remercia profondément.
Mary accepta de reconnaître qu'au moins, leur "tuteur" n'était pas un menteur.
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Un soir où Canna était là, Mary s'étonna de ce que sa grande sœur ne les ait pas encore rejointes pour dormir. Elle se faufila hors de la chambre et se nicha dans le couloir. Ça sentait la cigarette. Les grillons faisaient vibrer l'air. Canna fumait devant la porte ouverte, à côté du Pache.
– C'était qui, cette fois? demanda-t-il d'un ton neutre.
– J'sais pas. On l'a raté. C'était peut-être…
Canna s'interrompit.
– Qui?
– Peut-être Magna.
Ils firent silence. Le Pache semblait plongé dans des pensées peu légères tandis que la cigarette de Canna grésillait.
– Cela cessera bientôt, fit Silva.
– De quoi?
– Les filles… chez moi. Je devrai bientôt les confier à quelqu'un d'autre.
– Mais… pourquoi?
Le Pache hésita avant de répondre.
– J'aurai… trop d'occupation.
Canna haussa un sourcil.
– Je vais…
Elle attendit un peu, puis lâcha:
– Crache le morceau, le Pache. Ou alors, si tu veux pas le dire, tais-toi.
Silva émit un rire crispé.
– Je vais avoir un enfant.
La mimique de Canna laissa voir qu'elle ne s'attendait pas du tout à ça.
– Tu te fous de moi?
– Non. Pourquoi le ferais-je?
Elle le jaugea un instant.
– OK. C'est juste qu'on… enfin, on savait pas que vous aviez des familles.
Silva haussa les épaules.
– Si, si, ça arrive même aux organisateurs, sourit-il.
Canna tira lentement une bouffée et reporta son attention sur le paysage.
– Félicitations, lâcha-t-elle aigrement.
– Merci.
Il réfléchit puis eut un petit rire.
– Avec deux ados à la maisons, j'ai un bon entraînement.
Canna ne rit pas.
– Pourquoi le bébé t'empêcherait de t'occuper des filles?
– Je préférerais me consacrer à ma famille.
– Bien sûr. Mais en quoi ça t'empêche de les prendre, quand même?
– La question est: pourquoi tiens-tu à ce qu'elles restent avec moi?
Une ombre passa sur le visage de Canna. Mary devina que ce qu'elle avait à dire était plus dur.
– J'aurai pas fini ce que j'ai à faire avant longtemps. Et puis, je mène une vie dangereuse, tu sais.
Silva partit d'un grand rire sarcastique.
– Je plains les pauvres types qui doivent tomber sur toi.
– Ha ha, fit Canna. C'est pas drôle. Elles sont pas mal ici, tant que je peux pas m'occuper d'elles.
– Elles ne m'apprécient pas trop, je crois.
Canna planta alors son regard dans le sien, à l'en faire sursauter.
– T'es pas très psychologue, le Pache, observa-t-elle.
– Arrête, ricana Silva, elles m'envoient bouler tout le temps.
La jeune femme sourit et haussa les épaules.
– C'est normal.
Ils restèrent un temps silencieux.
– Si je ne peux plus être là, je pense que ça sera Karim qui les prendra chez lui, dit Silva. Ça se passera bien. C'est quelqu'un de… cool. Plus cool que moi.
Canna acheva sa cigarette et écrasa le mégot dans la poussière. Mécaniquement, elle le ramassa. Un geste que Mikihisa Asakura l'avait un jour forcée à faire. Un geste qu'elle n'aimait pas, mais qui, en fait, était bien pratique lorsqu'il fallait ne pas se faire repérer.
– Tout se passera bien, ajouta Silva.
– Je l'espère pour vous tous, répondit-elle froidement.
Mary retourna se coucher furtivement, avant que Canna n'arrive. Lorsque le parfum de cigarette qui la suivait partout s'insinua dans la chambre, elle s'efforça d'imiter une respiration régulière. Un souffle léger qui ne correspondait pas du tout au bouillonnement intérieur de son cerveau.
Est-ce que la nouvelle de leur prochain déménagement la troublait, l'attristait, la réjouissait? Ou bien est-ce qu'elle ne lui faisait aucun effet? Elle n'en savait rien du tout.
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