Disclaimer: Shaman King appartient à Hiroyuki Takei et toute cette histoire n'est qu'un délire de fan.

Ce texte est le troisième écrit, mais c'est celui qui m'a le plus saoulée. Pour vous faire une idée, je le charcute depuis plusieurs mois. J'ai galéré à en sortir quelque chose qui ne partait pas trop dans tous les sens. Trop de problématiques en même temps. J'aurais aimé en dire plus, là-dessus. J'aurais aimé développer moins. Too bad.


Fragment 4

Un pas en avant, trois pas en arrière (Ren)

(Stuck here again – L7)

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Ren s'était rendu chez Yoh parce qu'il ne savait pas vraiment où aller.

Il n'avait pas l'intention de fuir, ça non. Mais il avait besoin d'un endroit au calme pour réfléchir. Or, il ne pouvait pas rôder autour du village pache pour l'éternité, d'autant qu'il n'était pas vraiment taillé pour jouer les hommes des bois. Bref, sweat à capuche volé sur la tête – il n'était plus à ça près –, cheveux aplatis, il faisait le mort. Plus ou moins.

Son instinct lui avait soufflé dès son réveil en pleine nature de faire profil bas. La suite l'avait conforté dans cette décision puisqu'il avait croisé, presque immédiatement, en s'approchant du village, sa photo, format extra-large, collée sur un, puis deux, puis trois, puis quatre murs. Au milieu d'autres.

Et son propre regard l'écrasait de son mépris.

Étrange sensation que celle de se réveiller pour se retrouver dans la peau d'un criminel recherché, avec son portrait placardé, et en-dessous son niveau de furyuku, le descriptif de son fantôme et de ses techniques de prédilection, ainsi qu'une prime pour sa capture – plutôt élevée, d'ailleurs: il ne put s'empêcher d'en tirer une fierté absurde.

Le plus marrant, c'était la raison pour laquelle on le recherchait. Le meurtre de Chrom! Hilarant, nan? Ce foutu meurtre. C'était plutôt lui qui le poursuivait!

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Sa famille avait disparu. Il était allé observer du côté de l'hôtel où son père louait et avait vu des Paches évacuer les dizaines de kyonshis amenés par Tao En, avec l'air de pas trop savoir quoi en faire. Et les corps s'entassaient, dans la cour, en tas de marionnettes désarticulées. Cela ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose. Ren avait tourné les talons.

Jun et Pyron étaient introuvables, eux aussi. Mais il n'avait pas l'intention de se rendre pour en apprendre davantage.

De toute façon, il savait déjà. Il avait tiré quelques déductions des avis de recherche épinglés sur les murs. On y voyait notamment le prêtre de Hoshigumi, Magna (tiens donc), le blondinet des X-Laws (quelle blague), Peyote (soudain, une crampe fantôme au ventre) et d'autres encore, plus surprenants. Des shamans inconnus ou spectateurs attirés dans le Great Spirit au moment de la bataille, et qui s'étaient déclarés pour Hao.

Bref, en avait-il conclu, ils avaient l'Iron Maiden, sinon il n'y en aurait probablement que pour elle. Ils avaient le mec bizarre en lego qui avait attaqué Horo Horo. Ils avaient les trois sorcières de Hao. Et puisqu'elle n'était nulle part, ni sur les affiches, ils avaient Jun.

Logique. Car paradoxalement, sa sœur avait plus de sang sur les mains que lui.

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Parvenu à destination, il se dissimula aux abords du vaste bâtiment que les organisateurs avaient alloué à Yoh et aux siens et interrogea les esprits mineurs du coin. À sa grande surprise, ces derniers lui apprirent qu'on ne surveillait pas l'accès. Curieux. Sati était-elle donc si sûre d'elle-même?

Toujours sur le qui-vive, il sortit nerveusement de sa cachette et alla frapper.

Ce fut Manta qui lui ouvrit la porte. À sa vue son sourire se décomposa lentement. Comme une tache qui coule. Ils restèrent figés quelques secondes avant que Ren fasse un pas en avant. Il avait l'odieuse impression que tout le quartier avait les yeux braqués sur eux et allaient s'empresser de le dénoncer.

– Manta, tu choisis, tu me laisses entrer ou pas. Mais grouille-toi.

Sans mot dire, Manta s'écarta et le laissa passer.

Les épaules de Ren se détendirent d'un cran lorsque la porte fut claquée. Le stress d'être repéré avait quelque chose de mille fois plus angoissant que le plus âpre des combats: dans son cas, l'ennemi, ce n'était pas l'arme de l'adversaire, mais n'importe quelle paire d'yeux posée sur lui, prête à faire un geste citoyen et à le balancer aux autorités.

Il ôta sa capuche, respira, reprit contenance.

– Qui c'est? lança la voix tranchante d'Anna.

Manta ne répondit pas.

Ren savoura l'effet de surprise que provoqua son apparition. Ils n'étaient pas tous là, mais une bonne partie. Yoh, Anna, Amidamaru, Ryû, Tokageroh, Manta, bien sûr, mais aussi Horo Horo, Kororo, Pirika. Chocolove était absent, évidemment. Mais il manquait quelqu'un d'autre. Ren n'arriva pas à retrouver qui.

Le profond silence qui l'accueillit lui fit savoir que tout le monde était au courant. En même temps, comment l'ignorer? Sati tenait à ce que nul ne puisse ignorer la loi.

Seule Anna parut ne pas hésiter sur la conduite à suivre. Elle le fixa un instant très bref, celui d'un regard tranchant, avant de se désintéresser de lui, totalement. Alors, finalement, le visage de Yoh s'éclaircit d'un sourire.

– Bon sang, Ren, on s'est fait du souci pour toi!

– T'étais passé où? grommela Horo Horo.

– On a cru que tu… enfin que tu t'étais… euh, hésita Ryû.

– Enfui? acheva Ren.

Le mot leur apparut alors dans toute son absurdité.

Il hésita à leur dire la vérité, à savoir qu'il était parti à la recherche de Jun. À la place, il haussa les épaules. Le nom de la personne qui manquait lui revint subitement, par une association de pensées subite, pas si étrange, si l'on pensait qu'il y avait chez lui le même genre de douceur naturelle que chez sa sœur.

– Où est Faust?

Ses trois mots jetèrent un froid polaire sur l'assemblée. Anna daigna même relever une nouvelle fois ses prunelles hautaines dans sa direction. Il était donc arrivé quelque chose au médecin.

– Il est… resté dans le Great Spirit, fit la voix de Manta, dans son dos.

Ren se retourna.

– Pourquoi? Qu'est-ce que Sati lui voulait?

– Eh bien, comme toi, fit Manta, visiblement mal à l'aise.

– Faust a tué son premier adversaire avant de rencontrer Yoh, expliqua alors Anna.

Ren, qui l'ignorait, se remémora le docteur un peu fou au visage doux et angélique. Faust ne lui avait jamais paru complètement sain d'esprit, mais il semblait trop mou pour tuer quelqu'un. Et pourtant, il faut croire qu'il se trompait.

Cela dit, il avait toujours l'impression d'oublier quelqu'un.

– C'est injuste! éclata alors Horo Horo.

– Pourquoi? demanda machinalement Ren.

– Parce que… Parce que… Faust est quelqu'un de bien! Et pas un criminel. Il a sauvé des vies, et puis…

– Des dizaines de bonnes actions ne changent rien à un crime, objecta Ren.

Les yeux de Horo Horo s'élargirent.

– Tu les défends? Alors qu'ils veulent t'arrêter?

– J'établis un fait, rectifia Ren. C'est différent.

– Horo Horo… intervint Ryû. Ce sont des actes indélébiles.

L'Aïnou toisa l'ex-voyou.

– Et tu n'es pas recherché, toi?

– Moi, je n'ai jamais tué personne, répliqua Ryû.

Dans le silence qui se fit, Ren était toujours la cible de tous les regards. Gêné, il alla s'asseoir et croisa les bras.

– Des nouvelles de Chocolove? ne put-il s'empêcher de demander.

– Aucune, répondit sourdement Horo Horo.

– Et Lyserg?

– On sait pas.

Quelle ambiance! Il sentait qu'il allait se coucher tôt, ce soir.

– Tu veux boire quelque chose? demanda Manta, visiblement pressé de faire quelque chose de ses mains. Attends.

Quelques instants plus tard, une tasse de thé fumante apparut sous les yeux de Ren. Ses doigts se refermèrent autour du mug et le contact chaud l'apaisa d'un iota.

Au bout d'un moment, Horo Horo demanda, mal à l'aise:

– À votre avis… elle leur fait quoi, Sati… aux "recherchés"?

La question à mille balles, pensa Ren. Visiblement, personne n'était encore revenu pour le raconter. Ça promettait.

– J'ai été me renseigner, intervint soudain Ryû. Ils ne m'ont rien dit.

Ren allait relever, lorsqu'il se souvint des bonnes relations que Ryû entretenait avec les Gandharas.

– Par contre, fit l'ex-chef de gang, je crois avoir entendu dire que certains, enfin, certaines, s'en sont tirées sans trop de casse.

– Tu parles de ces filles? grinça Horo Horo. Les trois maniaques? Comment elles s'appellent…

– Les Hanagumi, reprit Ryû.

– Ce n'est pas pareil, coupa Anna, d'une voix qui fit s'élever le silence. La plus vieille travaille pour Sati, maintenant.

– Mais vous oubliez quelque chose, s'écria alors Manta. Ren est l'un des cinq soldats! Pas vrai? ajouta-t-il en se tournant vers l'intéressé.

Qui ricana.

– Les cinq soldats!

– Eh bien? Tu ne pense pas que ça compte, pour Sati? esquissa Manta, de moins en moins assuré.

– Que dalle.

– Manta a peut-être raison, fit mollement Yoh.

Ren le fixa avec curiosité.

– Tu crois encore à cette blague? Tu as pu garder ton Spirit of Earth, toi?

– Non, reconnut Yoh.

Un coup d'œil dans la direction de Horo Horo lui apprit que celui-ci devait être dans le même cas.

– On est à la même enseigne que tout le monde, conclut Ren. Et Sati s'est bien foutue de nous.

Chacun revint à sa boisson, dans un silence morose.

Seul Manta continuait à fixer Ren, avec l'air de chercher désespérément une solution, et celui-ci capta dans son expression quelque chose qui ne lui plut pas du tout.

De la compassion.

De la pitié, quoi.

Ses poings se serrèrent automatiquement. La honte, ignoble et humiliante, dégoulina sur lui comme si on lui avait cassé un œuf sur la tête. Il repoussa son thé, chercha quelque chose à dire, mais rien de pertinent ne lui vint. Son masque glacial gisait en morceaux: il ne savait comment le recoller. Aussi il se leva et quitta la pièce.

Derrière lui, il y eut un mélange de voix, d'appels, son nom, puis un "Laisse, va.", et enfin un bruit de pas légers précipité. Un tourbillon bleu émergea près de lui.

– Attends, s'écria Pirika. Je vais te montrer où on a mis tes affaires.

Ren commença par se crisper d'agacement. Néanmoins, il finit par reconnaître qu'il valait mieux une personne "neutre", plutôt que la pesanteur de la présence d'un de ses amis.

– Ne leur en veux pas, souffla Pirika comme ils remontaient le couloir. Ils ont peur.

Ren eut un rictus sceptique.

– Crois-moi, répéta Pirika. Ils flippent à mort… pour toi.

– Dis plutôt qu'ils sont mal à l'aise, trancha Ren. Ils n'ont pas très envie de se mouiller pour moi. Pas la peine d'essayer d'arrondir les angles. Je m'en fous pas mal.

– Je n'arrondis rien, rétorqua-t-elle. Et tu ne t'en fous pas.

Ren ne chercha pas à répondre. Il accéléra le pas et Pirika pressa le sien pour le suivre.

– En tout cas, ça n'a rien à voir avec ce que tu as fait. Personne n'a changé d'avis sur toi. On savait déjà…

Ren voulut dire quelque chose, mais elle le coupa en poussant une des portes qui leur faisaient face.

– C'est là.

En entrant, il se souvint de la personne qui manquait. Il se retourna.

– Où est…

Son nom, c'était quoi, déjà? Il eut un geste vague.

– Cette fille avec des cheveux roses et des fantômes pénibles…

– Tamao?

– C'est ça.

Pirika détourna le regard.

– Elle a rejoint les Gandharas.

– Oh.

Il n'y avait rien de plus à dire. La porte isola Ren des autres.

Un soulagement.

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Il n'avait pas espéré que rien n'aurait changé, mais ce revirement-là, cette manière de le toiser comme un malade en phase terminale, ça non, il ne s'y attendait pas. Au fond, il était importun. Gênant. Problématique. Et bien à plaindre.

C'était intolérable.

Ren s'assit sur le lit qui lui tendait les bras. Jetant un regard circulaire autour de lui, il nota la présence de ses vêtements de rechange, pendus aux cintres, ainsi que des rares objets du quotidien qu'il avait apportés en arrivant. Un pyjama, deux bouquins, un réveil. Ils formaient autour de lui un cadre familier devenu complètement surréaliste dans le contexte présent. Ren ferma les yeux et enfouit son visage entre ses mains. Le noir fit son œuvre.

Qu'est-ce qui le tourmentait? Il devait savoir, comprendre, afin de se maîtriser: il ne pouvait pas se permettre de laisser une telle faiblesse s'échapper à la vue des autres.

L'évidence faillit lui couper le souffle.

Il n'avait aucune envie de crever.

À un moment de sa vie, il avait souhaité mourir, pour expier une dette. Et puis, Maiden l'avait ressuscité et avait tout fait foirer. Il lui avait fallu trouver un autre moyen. Et à présent que c'était fait, il ne voyait plus aucune raison de mettre fin à son existence. D'ailleurs, est-ce que vivre n'était pas un châtiment pire que la mort, dans son cas?

Il n'avait jamais envisagé la défaite. Il refusait cette option. Même après avoir perdu contre Yoh, même après avoir vu l'Iron Maiden mettre en pièces ses adversaires en claquant des doigts, même après avoir su le niveau de furyuku de Hao. Même après avoir entendu le discours de Sati, décidée à enfin révéler sa véritable puissance, même après avoir eu un aperçu de son titanesque combat contre Hao. Bon, il faut dire qu'à ce moment-là, il avait d'autres chats à fouetter que penser au tournois. Tout avait basculé dans le chaos général, lorsque Hao avait lancé ses hordes dans la bataille et ils s'étaient tous mis à se battre sans plus discerner qui était avec qui, pendant des heures, des jours – des mois peut-être? Peut-être pas, mais aucune idée du temps qu'avait pu durer ce combat, en tout cas. Ça avait été l'anarchie totale. Des morts étalés partout, des cris, des pleurs, l'incertitude de pouvoir faire confiance à qui que ce soit, avec tous ces revirement, changements de camp… il avait même failli tuer un des Icemen, tiens.

Et puis il était mort. Une fois de plus. Le tranchant du poignard de la rouquine des Hanagumi l'avait fauché en une poignée de secondes. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, d'ailleurs. Du coup, il ne savait pas comment s'était finie la bataille. Il s'était tout bêtement réveillé grâce au pouvoir de sa sœur – aucune preuve, il savait simplement que c'était elle –, mais elle avait disparu avant qu'il ait eu le temps de lui parler.

Après avoir survécu à tout ça, le résultat n'en était pas moins identique: il avait perdu. Le Great Spirit lui avait échappé, il ne serait pas roi, il repartirait bredouille. Est-ce que ça n'était pas un châtiment suffisant? Il faudrait vivre avec cet échec. Au fond de lui quelque chose aspirait à un peu de paix, à faire table rase et à oublier et à passer à autre chose. Un autre but. Un autre combat. Une autre étoile inaccessible. Peu importait quoi, mais quelque chose. Qu'allait-il faire de sa vie, s'il n'avait plus rien à gagner?

Il courait derrière les épreuves depuis si longtemps! Même lorsqu'il n'était qu'un petit garçon encore bouffi d'innocence, les graines de l'ambition poussaient déjà au fond de son âme. Il lui fallait ce défi, cette galvanisation, ces obstacles. Rien ne l'intéressait hormis ce qui était hors de sa portée. Normal, quand on ne manque de rien, argent, famille, avenir tout tracé. Si on lui enlevait son ardeur combative, on lui prenait tout, on lui coupait les ailes, on le laissait nu.

Avec un petit rire intérieur, il songea brusquement qu'il aurait préféré que Hao devienne Shaman King, en fait. Avec Hao aux commandes, il y aurait eu de nouveaux horizons. De nouvelles choses pour lesquelles se battre. Une cause. Suivre Yoh, s'opposer, protéger des gens, peut-être, pourquoi pas. Ou bien le défier lui, s'acharner à le surpasser, un jour, qui sait. Or, dans le royaume de Sati, que restait-il? Rien. À part la paix. Il n'avait aucune envie de passer les soixante prochaines années à contempler béatement le ciel dans la position du lotus.

– Je préférerais qu'on continue à se battre, conclut-il, et le son de sa propre voix faillit le surprendre.

– Je comprends, maître, lui répondit Bason en se matérialisant à ses côtés.

Ren dissimula le plaisir que lui causait cette présence, son soutien indéfectible en toutes circonstances.

– Qu'est-ce que vous allez faire? demanda le fantôme guerrier.

Faire… Que faire… Déjà, commencer par arrêter de se lamenter en contemplant ses pompes, ça ne serait pas mal. Mais quelle action entreprendre? Quel mouvement?

Tout le problème venait de l'impossibilité de déterminer qui était l'ennemi. Jusqu'ici, il y en avait toujours eu un: Yoh d'abord, puis son père, ensuite tous les autres concurrents, et puis Hao et sa bande. C'était clair, chacun chez soi et les cochons seraient bien gardés. Avec Yoh ça avait été un peu plus compliqué, mais il avait fini par comprendre que ce n'était pas un ennemi: c'était un adversaire. Une épreuve supplémentaire, mais pas une barrière infranchissable à éliminer coûte que coûte.

Sati, elle, n'était ni l'un ni l'autre. Au départ, c'était juste une sorte d'éminence grise, aux desseins opaques. On ne savait pas trop ce qu'elle voulait, mais tant qu'elle se contentait de bricoler dans son coin et de ressusciter gentiment ses coéquipiers, ça allait. À présent, elle était reine, et sa justice, si elle faisait joli sur le papier, personne n'était très sûr que ça soit vraiment une bonne chose, tout compte fait. C'était très étrange, d'ailleurs, il l'avait bien remarqué, en ville: personne ne se réjouissait du couronnement de la nouvelle reine. Personne ne semblait trouver bien que celle-ci fût une shamane sage, modérée, prônant une philosophie pacifiste. Non. Chez tous ceux qu'il avait pu croiser, il avait vu cette même crainte qui obscurcissait son cœur: la peur que le Great Spirit n'ait été livré à une menace plus insidieuse, plus effrayante et plus dangereuse encore que Hao. Et pour cause: le premier prétendant au trône avait toujours été très clair sur ses intentions. Mais Sati, personne n'était vraiment capable de dire ce qu'elle pensait.

Soudain, alors qu'il se tenait penché en avant, appuyé sur ses cuisses, un rire sarcastique secoua ses épaules.

– Maître? interrogea Bason.

Ren continua à rire. Dire qu'il s'étonnait de l'accueil qu'on lui avait fait. Yoh et les autres auraient de la chance si on ne les inculpait pas pour trahison ou autre joyeuseté. Donner asile à un criminel! Il n'avait aucune idée de combien ça pouvait coûter, mais a priori, ça ne devait pas être la joie. Il n'avait pas réalisé à quel point il foutait la merde. Il n'aurait pas dû venir. C'était une grave erreur stratégique. Le choc de la disparition de Jun, sans doute.

Il partirait dès l'aube.

Ce qui lui laissait la soirée pour décider dans quelle direction.

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Pour mieux réfléchir, il s'en remit à son expédient habituel: la douche. Une fois prise, il se sentit revigoré. Comme neuf. Ses habitudes le conduisirent aux bains avant même qu'il prenne le temps d'y réfléchir. Il était probable qu'il croise un de ses amis: il y avait toujours quelqu'un pour prendre un bain dans cette bande de dégénérés.

Mais quand il arriva, heureuse surprise, la salle était vide et nappée d'une buée agréablement tiède. Les autres étaient-ils passés avant? Bah.

L'eau bien chaude l'apaisa dès qu'il s'y plongea. Dans le silence, on n'entendait que les gouttes de condensation qui tombaient parfois. Un bruit de voix, suivi de claquements de sandales, vinrent toutefois chasser bien trop tôt cette atmosphère bienfaisante. Ren fronça les sourcils.

Les voix montèrent lorsque leurs propriétaires entrèrent dans les bains.

Horo Horo et Yoh. Bien sûr. La poisse continuait.

La conversation des deux garçons s'interrompit dès qu'ils l'eurent aperçu. Ren croisa les bras, furieux.

– Vous allez arrêter ça, oui?

– Quoi? marmonna Horo Horo, un poil agressif.

– Ces foutues têtes d'enterrement! Et vos saloperies de messes basses! On dirait que je vais bientôt mourir du cancer, un truc comme ça. Je suis encore là, merde.

Ses deux amis échangèrent un regard et le rejoignirent lentement dans le bain. Dès que Yoh fut installé, Ren attaqua.

– Yoh.

– Hmm?

– Si ça te gêne que je sois là, tu le dis.

– Quoi?

– T'as très bien entendu.

Yoh recracha la gorgée d'eau avec laquelle il faisait des bulles et répéta, les yeux ronds:

– Tu crois vraiment que je t'en voudrais de venir te planquer chez moi parce que Sati te recherche?

Ren leva les yeux au ciel et serra les poings, très rouge. Le terme "planquer" lui déplaisait comme une vilaine bestiole repoussante. Pourtant, il devait bien admettre que c'était ce qu'il faisait. Au lieu d'affronter clairement l'ennemi. Au lieu d'aller délivrer les siens. Il se planquait, comme un rat dans son trou, en attendant que ça passe. Quelle saloperie. Dur à avaler.

– Ouais, c'est ça, grogna-t-il.

– T'es dingue! Chez moi, c'est chez toi. On est amis pour quoi, sinon?

Ren se ratatina, front en avant, le menton enfoncé dans le cou. Réflexe d'auto-défense, spécialement mis au point pour faire face aux mouvements de tendresse ou d'affection. Il était touché. Et soulagé, bon sang.

Horo Horo ajouta dans un grognement embarrassé:

– Sati peut dire ce qu'elle veut. Jamais on ne te fermerait la porte. C'est juste que… t'es dans la merde. Et on voit pas trop de solutions...

C'était dit d'une petite voix bourrue et timide à la fois. Le malaise de Horo Horo était si manifeste et attendrissant, qu'il faillit lui en faire la réflexion avec sarcasme. Il se retint. En guise de remerciement.

En fait, il aurait voulu qu'il n'aurait pas pu: l'émotion le ceinturait jusqu'à la gorge. Il avait donc si peur de les perdre que ça, ses potes?

Au lieu d'exprimer sa reconnaissance, il hocha la tête, les doigts serrés sur ses avant-bras, comme quelqu'un qui serait content d'avoir réglé une bonne affaire.

Le silence, empli d'échos, envahit la salle des bains. Des souvenirs du Shaman Fight l'assaillirent. Il ne devait pas être le seul car Yoh dit:

– Les autres me manquent.

Horo Horo et Ren ne répondirent pas. Mais leurs expressions devaient être éloquentes. Je donnerais cher, pensa Ren, pour savoir comment tu fais pour dire des trucs aussi nazes sans avoir l'air con.

C'était un des super-pouvoirs de Yoh. De ceux dont lui-même était si désespérément dépourvu.

Ren s'aperçut que, mine de rien, il commençait à se détendre vraiment.

L'eau du bain s'était un tout petit peu rafraîchie, mais son corps s'y était habitué et la tiédeur ne le dérangeait pas encore. La gêne avait diminué. Yoh, le menton dans l'eau, fixait le vide. Horo Horo, lui, se mordillait la lèvre inférieure, concentré sur le mur d'en face comme s'il cherchait à le défoncer par la seule force de son regard. Ren se demanda s'ils étaient tous les deux en train de penser à son problème ou si ça leur était déjà sorti de l'esprit.

Au bout de quelques minutes, il commença à avoir froid et se leva, aspergeant la surface lisse du bain de fines gouttelettes.

– Ren, lança Yoh.

– Oui?

– Tu as une idée de ce que tu vas faire?

Une question posée à deux. Horo Horo le dévisageait, lui aussi, en attente.

Ren haussa les épaules.

Sorti du bain, il se sécha rapidement et noua sa serviette autour de sa taille.

– À plus, lança-t-il.

Les autres lui répondirent mollement, avachis dans l'eau. L'un s'amusait encore à faire des bulles avec sa bouche, tandis que l'autre s'était étalé peinard contre le muret, une serviette chaude sur le visage.

Ren quitta les bains avec un léger pincement de cœur. Pour une fois, Yoh n'avait pas dit que tout irait bien.

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En chemin, dans le couloir, il entendit la porte de la douche claquer, apportant avec elle l'effluve d'un shampoing féminin.

Une rapide estimation des effectifs actuels du sexe opposé dans la demeure lui apprit alors qu'il ne pouvait s'agir que d'une seule personne – puisque le rire de Pirika résonnait depuis le rez-de-chaussée. Ren pressa le pas.

Trop tard.

Les yeux clairs d'Anna, bien trop clairs pour une Japonaise, se posèrent sur lui au croisement du couloir. Avec son visage à moitié dans l'ombre, elle ressemblait à un esprit errant. Elle se figea en l'apercevant. Sa main, posée sur sa poitrine, resserra simplement les pans de son peignoir blanc, un peu lâches, c'était vrai. Geste de pudeur pour cacher l'infime ombre de sein que l'étranger ne saurait voir? Ou bien réflexe de protection face à l'engeance rebelle, porteuse d'ennuis, et susceptible de porter préjudice à son fiancé, qu'il représentait désormais? La question perdura dans son esprit, tant son visage était impassible et ne révélait rien de ses véritables émotions.

Le froid du couloir les rattrapa. Ren se souvint brusquement que lui ne portait pas de peignoir, juste une serviette nouée en pagne et une autre autour des épaules, et qu'Anna s'était focalisée sur sa poitrine. Plus exactement, sur la croix de tissus cicatriciel qui la barrait.

Un couperet vertical, la grande fantasma. Sa première mort.

Et un coup de serpe horizontal, sur le haut du ventre. Sa quatrième. Cadeau de la petite sorcière à la citrouille.

Ren la laissa regarder. Il savait à quoi elle pensait.

Il ignorait les raisons de son geste. Ce qui lui avait pris de se jeter sous le poignard de la Hanagumi à sa place, mais ça n'avait pas d'importance. C'était sur la poitrine d'Anna qu'aurait dû s'étaler cette cicatrice, pas sur la sienne. Une dette qu'il comptait bien garder en réserve, comme un joker. Un atout dans sa manche. Une poire pour la soif.

Qu'Anna lui doive la vie le grisait quelque peu. C'était assurément un jackpot à ne pas négliger.

Ren se demanda si Yoh était au courant. Il avait fait comme si de rien n'était depuis tout à l'heure, alors, difficile de savoir. Était-ce pour ne pas l'embarrasser? Ou parce qu'il ignorait toute l'histoire?

Anna le regardait toujours. Lui aurait-elle fermé sa porte au nez s'il n'y avait pas eu ce coup de couteau qui l'avait quasiment coupé en deux? Elle en aurait été capable. Oui, certainement. Si elle y avait trouvé de l'intérêt. Yoh n'aurait pas eu son mot à dire.

Elle devait lui en vouloir à mort. Il l'imaginait sans mal. À moins qu'il ne soit en train d'extrapoler légèrement. Si ça se trouve, elle ne pensait à rien de particulier, juste "encore lui, quel enquiquineur. En le comptant, ça fera un bol de plus à préparer demain."

Et soudain, Anna lâcha prise. La frange de ses cils couvrit ses yeux et elle le dépassa comme s'il n'était rien d'autre qu'un vieux fantôme qu'on verrait toujours traîner dans le même coin. Pas un mot n'avait été prononcé.

Il ne s'en formalisa pas.

Les merci, il s'en carrait pas mal. Lui et Anna étaient finalement d'une trempe semblable: méprisant les palabres, préférant agir. Le moment venu, quand il aurait besoin d'elle, elle rembourserait sa dette. Il n'avait aucun doute là-dessus.

En revenant à sa chambre, sa décision était prise. Et elle était à son image: d'une arrogance extrême.

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