Disclaimer: Shaman King est l'oeuvre d'Hiroyuki Takei, tous droits réservés!


Fragment 5

"Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente" (Magna)

(The Elders Scrolls Online OST: Beauty of the dawn – Malukah)

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Magna frissonnait dans le froid de la nuit, malgré les braises du feu allumé devant lui. Aucun n'avait la puissance calorifère de ceux qu'allumait Hao Asakura.

Ce n'était pas un regret, ni une plainte, mais bel et bien une constatation. Parfaitement objective. Les petites flammes timides qu'ils allumaient étaient froides. Impuissantes face aux ténèbres.

Pourtant, Magna était habitué aux climats rudes et à la rigueur des nuits sans toit. Sa tenue de prêtre pache, un peu désuète, désormais, était suffisamment épaisse pour le couvrir du froid. Par ailleurs, il avait survécu au dénuement total durant les épreuves qualificatives – merci à la radinerie de leur chef qui n'avait pas pensé à vérifier le coût de la vie à Tokyo! –, il pouvait donc souffrir à peu près n'importe quoi. Pourtant, il était gelé jusqu'aux os. Le contrecoup, vraisemblablement, quoi que, depuis le temps, il aurait dû commencer à s'en remettre.

En plus, Nichrom lui manquait.

Magna s'enroula un peu plus dans sa cape en peau et se rapprocha de la boîte de conserve où brûlaient leurs faibles braises. La grotte où ils s'étaient réfugiés devait en cacher la lumière, mais on n'était jamais trop sûrs. D'où la conserve: refermer le couvercle suffirait à éteindre les flammes en cas d'arrivée impromptue. Ils faisaient gaffe depuis que Rakist les avait repérés, une semaine plus tôt. Si ça n'avait pas été lui, les conséquences auraient pu être désastreuses.

À ce moment-là, son compagnon revint, les mains pleines d'herbes aromatiques sauvages.

Magna désigna du menton les râbles de lapin qui gisaient près du feu.

– La viande est prête, annonça-t-il.

Sans mot dire, Peyote s'affaira autour de leur repas et déposa les morceaux sur une grille improvisée, par-dessus le feu. Il y avait tout juste assez de place pour faire cuire deux râbles en même temps. Ensuite, il s'assit de son côté et s'enroula dans son poncho bariolé, abaissa son foulard noir et glissa un mégot usé au coin de ses lèvres.

Les deux hommes attendirent que la viande cuise, en silence. Le Mexicain n'était pas un grand bavard, et Magna non plus. Ils se répartirent les morceaux de lapin et les mangèrent sans échanger le moindre mot. Peyote était absorbé par ses pensées. Magna le détaillait discrètement, ayant rarement eu l'occasion de le voir à visage découvert. Son compagnon de cavale avait le visage d'un homme du désert, peau tannée, chevelure sèche, yeux perpétuellement plissés, rides au coin des orbites, de la bouche et du nez. Comme s'il se tenait toujours sur une étendue sableuse, sous un soleil éclatant. Du temps du Shaman Fight, les fois où Magna passait au camp de Hao, on ne voyait pas son regard, mais on l'entendait souvent fredonner, siffloter ou gratter sa guitare dans un coin. Désormais, plus aucune musique n'émanait de sa personne. Ça valait mieux pour ne pas se faire repérer, mais au fond, c'était quand même un peu triste.

– Faudra partir avant demain, dit soudain Peyote.

– Ah?

– Ça bougeait, de l'autre côté de la rivière.

– Ah.

Magna enfourna le dernier morceau de viande qui lui était destiné.

– On s'en va à l'aube ou tout de suite?

– Oh, ça peut encore attendre quelques heures, je pense.

Le Mexicain se renfonça dans ses kilos de fringues, mettant fin à l'échange.

Magna goûtait ce mutisme tout en le regrettant à la fois. Habitué à la présence orageuse de Nichrom, il se faisait mal au manque de bruit, autour de lui. Nichrom n'était pas vraiment un gosse jovial et pépiant, mais c'était une petite bombe, souvent de mauvaise humeur, ronchon, piailleur, qui n'hésitait pas à gueuler quand il voulait quelque chose. Toujours le mot pour foutre la merde, balancer sur la table ce que personne ne voulait dire ou n'osait entendre, cracher leurs vérités à la face des gens. Et avec ça une malice et un plaisir à intriguer presque effrayants, combinés à une sensibilité vive. Un scorpion, quoi.

Dès qu'il l'avait pris sous son aile, à la mort de Chrom, Magna n'avait pas tardé à se rendre compte de sa précocité, à la fois intellectuelle et affective. Nichrom avait beau avoir tout juste dix ans, il avait déjà commencé sa crise d'ado. C'était peut-être la mort de son frère qui l'avait traumatisé, aussi. Un pilier qui lui servait plus ou moins de père, différence d'âge oblige, disparu comme par magie, et dont il avait dû prendre la place au sein des organisateurs, y avait de quoi être tourneboulé. Il avait d'ailleurs conçu une hargne paradoxale envers Chrom. Probablement parce qu'il lui en voulait de s'être fait tuer et de l'avoir, en quelque sorte, abandonné. Magna s'était aperçu que Nichrom traînait souvent du côté du Great Spirit, ou dans les lieux que son frère fréquentait de son vivant. Il n'était pas très difficile de deviner ce qu'il cherchait: son fantôme. Mais Chrom n'était pas revenu, pas même pour lui dire au revoir ou le soutenir, et c'était en comprenant cela que le petit s'était attaché à Magna. Puis l'avait suivi sur le chemin de Hao.

Magna repensa au jour où Peyote avait tué l'assassin de son frère. Un coup traître. Nichrom n'avait rien laissé paraître, mais en découvrant le coupable, non plus dans l'arène, mais dans son quotidien, entouré de ses amis, il avait laissé échapper un peu de son plaisir de revanche. Son furyuku tremblait d'excitation, Magna l'avait bien senti. Il avait même hésité à intervenir, jusqu'à ce que Nichrom révèle son identité, avec jubilation, et que le meurtrier se fasse trancher en deux. Un éclair de jouissance, quasi obscène, avait flambé dans les yeux du jeune prêtre. C'était tellement troublant, de la part d'un gamin de cet âge, que Magna s'était senti mal à l'aise. Il n'avait rien dit, encore une fois. Nichrom avait le droit de regarder mourir le monstre de ses cauchemars. Il l'avait tant de fois imaginé, monstrueux, terrible, avec des yeux rouges et des muscles de bodybuilder, un vrai méchant de comics. Il n'avait pas montré de surprise en découvrant un ado prétentieux à peine plus vieux que lui. Pas étonnant qu'en rentrant, il ait dit: "Il m'a déçu."

Oui, Nichrom et son tourbillon de cris et de violences lui manquaient.

À côté de ça, Peyote le lui rappelait fatalement. À cause de ce jour-là, évidemment. Magna avait du mal à voir chez l'ex-mariachi ce qu'il était vraiment. Un type qui n'hésitait pas à se servir de ses coéquipiers comme marionnettes et à éventrer des petits jeunes. Sur ordre de Hao, bien sûr, mais quand même. Le Mexicain était en apparence quelqu'un d'effrayant, car on ne voyait pas son visage, mais au quotidien, c'était un doux rêveur, épris de justice, un pistolero raté, un super-vagabond, un amoureux de grands espaces, un beatnik qui s'ignorait, un vrai clochard céleste. Était-ce Hao qui avait perverti cela pour en faire un meurtrier sans scrupules? Hao pervertissait beaucoup de choses, Magna avait bien retenu cette leçon, bien qu'il ait cru en lui, assez pour le suivre, en tout cas. Il suffisait de voir avec quelle dextérité l'onmyoji avait attisé la flamme de la vengeance chez Nichrom. Aurait-il refait ce choix, désormais? Pas sûr, si ça avait pu lui assurer une place au soleil avec le petit. Hmm, mais quand même, cette vision, ce rêve, cette prestance. Ça avait de la gueule. Magna avait toujours envie d'y croire. Un peu. Il n'y avait pas que de la perversion chez Hao Asakura.

La relation de Peyote à Hao était différente. Le Mexicain ne croyait pas simplement en lui. Il ne faisait pas que le suivre. Il en était fou amoureux. Rien ne permettait de l'affirmer, c'était peut-être juste une façon de parler, mais Magna ne voyait pas comment appeler ça autrement. Quoi qu'il en soit, ça rendait les choses très différentes. La dévotion de Peyote. Sa capacité à aller au-delà de l'inhumain pour lui. Le mépris qu'il s'était mis à afficher brusquement envers les plus faibles de leur bande, et qui coïncidait souvent avec un geste de dédain de Hao à leur égard. Le secret de son visage. Son revirement soudain. Sa trahison.

Mais depuis l'échec de l'invasion Oyamada, Peyote était revenu en grâce. Magna n'avait pas la moindre idée de ce qui s'était passé entre eux. En tout cas, il s'étaient expliqués, c'était sûr. Et Peyote était sorti de la tente de Hao bien vivant, sur ses deux jambes. Personne n'avait rien dit. Ça aurait été marrant que quelqu'un essaye, d'ailleurs.

Et désormais, le dialogue que tenait Peyote était celui du plus fervent des partisans. Il croyait dur comme fer qu'on pouvait s'opposer à Sati, libérer le seigneur Hao, le faire revenir au pouvoir. Magna le laissait dire. L'idée ne le dérangeait pas. Sa peau passait avant, mais il n'était pas contre. Tant qu'on ne lui demandait rien.

Il comprenait son si peu loquace compagnon. L'attrait de l'abîme, tout ça. La beauté du point du jour, derrière les paroles de Hao. Mais Magna n'était pas un rêveur. C'était un survivant. Pas un scorpion comme Nichrom, à se glisser sous les pierres et à attaquer si on venait le déloger, mais une chouette, impériale, impassible, perchée dans son arbre, à contempler l'ici-bas. Il savait fondre sur sa proie quand il le fallait, se couler dans la nuit, et s'envoler quand cela s'avérait nécessaire. Magna n'avait fait que se mettre du côté du futur vainqueur, emmenant Nichrom avec lui. Il avait accepté sa vision des choses, et le destin de celui qui semblait appelé à devenir Shaman King. Mais se battre pour le faire revenir, maintenant qu'il était vaincu? Non, certainement pas. Il ne rejoindrait pas Sati pour autant, mais pas question de se démener pour un perdant. Si Hao était vraiment l'homme qu'il avait cru, il n'aurait besoin de personne pour se délivrer. Il n'y avait qu'à attendre pour voir. Pendant ce temps, il resterait sagement planqué dans son coin. Que Peyote aille au casse-pipe, si ça lui chantait. Lui, il n'était pas du genre à se sacrifier pour qui que ce soit. Pas même pour une belle cause. Pour Nichrom peut-être. Mais pour l'espoir du retour de Hao, fallait pas rêver non plus.

– Je prends le premier quart, dit alors Peyote en rajustant son foulard sur le bas de son visage. Je te réveillerai à minuit.

Magna s'enroula dans son manteau et acquiesça.

– On part vers quatre heures?

– Moi, ça me va.

En s'endormant, Magna se demanda jusqu'où Rakist avait pu aller. S'était-il fait prendre? Probablement pas. Le vieux prêtre était malin. Combien d'entre eux, encore, se trouvaient dans les parages? Y en avait-il seulement qui avaient réussi à s'enfuir, loin? C'était peu probable, vu qu'il ne fallait pas utiliser d'Over Soul. Ça attirait les chiens de Sati, encore mieux qu'un morceau de viande. Du coup, tout le monde se retrouvait bêtement à pieds, vu qu'il n'y avait pas de véhicule au village pache. À moins que les X-Laws… ils avaient un bateau, non? Hmm. On pouvait faire plus discret. Et puis, dans les montagnes, s'échapper était plus facile.

– Peyote, lança-t-il.

Le Mexicain se retourna.

– Ouais?

– On fait quoi, une fois sortis des montagnes?

Peyote haussa les épaules.

– Chacun de son côté, j'imagine.

Regard aigu.

– Tu n'as pas l'intention de revenir, pas vrai?

Magna hésita. Non pas à cause de Hao, mais de Nichrom. Le petit garçon, qui paraissait si vieux dans son costume de prêtre-organisateur, l'enfant doué qui n'avait jamais fait passer un seul test de qualification, qui n'était là que parce qu'il fallait qu'ils soient dix, absolument, même si certains d'entre eux ne servaient à rien, au final, le gamin pendu à ses basques dont il avait hérité, il ne savait trop comment, sachant que lui et son frère n'étaient pas particulièrement en bons termes, le gosse piquant et insupportable qui lui rongeait l'âme lorsqu'il y pensait. Où était-il? En sécurité, d'après Bill – car Bill, grâce à son équipe de fantômes, était la plaque tournante des infos du maquis. Sati n'avait donc pas pu le châtier pour ses actes. C'était lui, Magna, qui serait jugé responsable, en tant qu'adulte. Ou alors, la tribu entière. Peu importait. Nichrom, il l'avait laissé derrière en connaissance de cause.

Le doute lui parvint, un instant. Il le chassa, résolument. Son protégé se porterait mieux sans lui. Il n'était pas de taille à réaliser ses rêves.

– Non, répondit-il alors. Je ne reviendrai pas.

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