Disclaimer: Shaman King appartient à Hiroyuki Takei et toute cette histoire n'est qu'un délire de fan.
Fragment 14
Fontaine, je ne boirai plus jamais de ton eau (Ryû)
(Gangsta's Paradise – Coolio)
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L'ambiance était si lourde, dans leur logement, que Ryû ne perdait jamais une occasion de s'en échapper. Il passait de longues journées à traîner dans le village pache. Et à observer. Comme en ce moment même.
Assis sur la margelle d'une fontaine vide, il fumait lentement en contemplant les façades couleur de sable, plantées dans la montagne. Les rues s'étaient un tout petit peu repeuplées depuis quelques temps. Ça n'avait pas la gueule que quand le tournoi battait son plein mais c'était mieux que rien. Certaines boutiques avaient même rouvert. Mais pas toutes. On était d'ailleurs en pénurie de confiseries. Et de cigarettes. Les Paches n'avaient pas encore eu l'occasion de se réapprovisionner.
Avec un soupçon de cynisme, Ryû songea que cette instabilité aurait fait l'aubaine d'une mafia en veine de développement.
Il imaginait bien un marché noir. Un clan. De gros malabars qui loueraient leur force en ces temps d'insécurité. Le transport, ça aussi, ça serait un domaine intéressant pour investir. Car certes, les participants pouvaient utiliser leurs over soul pour voyager mais ça ne durerait pas longtemps. Et rien ne permettait d'affirmer que les Paches avaient l'intention de leur affréter un nouvel avion. Or, il faudrait bien que chacun puisse rentrer chez soi.
À chaque pas qu'il faisait, il voyait mille occasions de profiter de ce contexte de doute dans lequel ils étaient tous plongés. Il aurait pu les saisir toutes. Il aurait su quoi faire. Et surtout, désormais, il en avait la force. Mais il se contentait de regarder et d'attendre. Il était sûr que Sati serait déçue s'il se lançait dans une quelconque entreprise délictueuse. Au boss non plus, ça ne lui plairait pas. Et puis, de toute façon, il était rangé des voitures, maintenant.
C'était quand même drôle d'y penser, juste y penser, pas un crime, quoi. Un peu comme un regard en arrière, une petite bouffée de nostalgie. Il caressait machinalement son boken du doigt, se revoyait vaguement menacer des types sans visages en beuglant comme un malade, tandis que ses potes l'encourageaient. Ha ! Quand on voyait d'où il venait. Il avait eu de la chance de s'en tirer aussi bien. Tout le monde ne pouvait pas en dire autant. S'il y avait une troisième raison, avec la déception des autres et son nouveau départ, c'était celle-ci : par respect pour sa bande laissée en arrière, il s'efforcerait de filer droit.
Pour autant, ça ne voulait pas dire qu'il ne se servirait pas de ses talents très particuliers pour améliorer leur situation. Ses relations avec les Gandharas lui donnaient notamment l'occasion d'obtenir ce qu'il y avait de plus précieux, alors : des informations. Chocolove aurait été fier.
Chocolove, justement. Il était là pour ça. On savait que Faust se trouvait dans le Great Spirit mais pour le jeune Américain, c'était autre chose. Personne ne savait pour quelle raison Sati le retenait, d'ailleurs. Il en avait un peu discuté avec Yoh. Il connaissait le passé de leur ami – si proche de ce que lui-même aurait pu connaître, s'il s'y était pris plus tôt et n'avait pas rencontré son boss… il en avait des frissons ! – mais quelque chose ne collait pas : les meurtres commis par Chocolove n'avaient rien à voir avec le monde shamanique. Pour l'heure, Sati semblait vouloir juger ce qui concernait les violences commises dans le tournoi ou bien qui touchaient aux esprits. En ce qui concernait leur pote humoriste, c'était la justice civile de son pays que ça regardait, non ? Bref, Ryû ne comprenait pas très bien pourquoi leur ami n'était toujours pas revenu. Il commençait à imaginer des choses. Peut-être que Sati essayait de le convaincre de se rendre aux autorités américaines ? Non, ça ne tenait pas vraiment debout. Tout ce qu'il espérait, c'est que Chocolove n'était pas gravement blessé, quelque part. Il préférait qu'il soit prisonnier qu'en danger.
Quoi qu'il en soit, pour l'instant, ils étaient complètement dans le noir. Ryû espérait que son contact au palais allait pouvoir le rencarder là-dessus. Si elle arrivait. Il avait le temps de se griller une clope en attendant.
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Si Ryû se sentait mal à l'aise avec ses amis restants, c'était aussi à cause de ses relations avec les Gandharas. Ils avaient tous été ressuscités au moins une fois par Sati mais lui-même entretenait un souvenir particulier de sa première résurrection.
Il frissonna en songeant au noir, au froid, à la peur, à cette sensation de perte atroce, douloureuse, celle des dernières fibres de son âme cramponnée à son corps, implorant qu'on ne la tue pas… Il ne voulait pas mourir, vraiment pas. Ce sentiment, à cet instant, avait quelque chose de totalement primaire. Animal. Ça partait des tripes, comme un cri de haine. De déni. De refus. Indignation. Injustice. Pas assez vécu. Trop jeune pour mourir. Pas possible que ça soit aussi bête, aussi rapide. Tout simplement pas possible.
Et puis, alors qu'il allait basculer vers le néant qui s'ouvrait sous lui, il y avait eu… c'était con à dire mais le mot le plus juste pour décrire cela était « une lumière ». Et puis une chaleur. Une protection venue l'envelopper. Une présence. Tout d'un coup, il n'était plus seul. Et l'autre irradiait l'amour et la bienfaisance. L'empreinte de la douceur infinie du toucher spirituel de la reine le marquait encore. Jamais il ne pourrait l'oublier. Il se demandait s'il n'avait pas légèrement fusionné avec elle au moment de sa résurrection, d'ailleurs. Ce qu'il avait ressenti à ce moment-là lui faisait vraiment pensé à la possession d'un corps par un esprit. Leurs deux âmes s'étaient touchées, embrassées. Il avait brièvement, l'espace d'une seconde été Sati. À 100 %. Elle l'avait porté en elle pour lui rendre vie. Il avait lu dans son cœur, dans son esprit. Et ce qu'il y avait vu… partout, dans cet esprit, dans cette âme, où qu'il ait regardé, il n'avait vu que bonté et sagesse.
En se réveillant, il n'avait plus jamais pu regarder Sati que de la manière dont il regardait Yoh. Elle était comme son boss. Elle était lumineuse.
Il n'avait pas du tout eu cette impression en contemplant la résurrection de Ren, par exemple. Si on mettait de côté son comportement pas très… enfin, il n'avait pas vraiment su se tenir et ça lui faisait honte. Cependant, avec un peu de recul et en comparaison avec les techniques de Sati, celle employée par Jeanne ce jour-là ne lui laissait pas du tout la même impression. Il n'était pas dans la tête de Ren à ce moment-là mais le souvenir qu'il gardait du processus était teinté de puissance, de fumées, de hargne. Peut-être était-ce la conclusion de l'épisode qui lui laissait ce goût légèrement aigre. Toujours était-il que dans sa mémoire, l'Iron Maiden avait usé de force pour contraindre l'âme de Ren à réintégrer son corps, là où Sati n'avait montré que douceur pour ramener la sienne.
C'était peut-être idiot de sa part de faire confiance à Sati pour ces raisons. Juste sur une intuition. Sati était une personne, pas un robot. Et les gens changeaient. Aussi bien elle que Jeanne. Surtout quand il était question de pouvoirs shamaniques. Oui, c'était vraiment idiot. Mais ce n'était pas totalement à cause des techniques qu'il se fiait à Sati – et d'ailleurs, il ne se méfiait absolument pas de Jeanne ni ne nourrissait de mauvais sentiments à son égard. Ce en quoi il avait foi, c'était son fond. Ce qu'il avait senti au moment de cette première résurrection. La flèche de cette âme, tendue vers son but. La direction qu'elle voulait prendre. Il savait que ses intentions étaient bonnes. Il le savait.
Le problème avec les bonnes intentions, c'est que l'enfer en était pavé. Lui aussi avait toujours eu de bonnes intentions à l'époque où il tourmentait des petits lycéens solitaires dans les cimetières – avec ses dix potes derrière, bien sûr. Il se sentait toujours dans son bon droit quand il volait des boissons au supermarché, quand il terrorisait les passants, quand il abattait des portes et dégradait des bâtiments publics. Il se sentait légitime à se comporter comme un voyou. Il ne faisait que se défendre. Il se cherchait un but et essayait toutes les trajectoires possible. Il n'avait pas l'impression de faire tant de mal que ça. Pas plus que ce qu'on lui avait fait à lui.
Même Hao n'avait pas que de mauvaises intentions. Il avait toujours eu des raisons de penser comme il le faisait. D'ailleurs, suivant ce raisonnement, existait-il vraiment de mauvaises personnes ?
L'idée que Sati se fourvoie lui était insupportable. Parce que sa position lui conférait un potentiel de nuisance autrement plus important que celui qu'Hao avait eu. Parce qu'elle serait bien plus difficile à déloger que lui, maintenant qu'elle était couronnée. Il fallait que la reine qu'ils avaient apprennent à être une bonne Shaman Queen. Elle avait ce qu'il fallait pour cela, pensait-il. Tout ce qu'il espérait, lui, de sa toute petite place, c'était de pouvoir veiller un peu sur elle. Au moins être entendu s'il fallait dire quelque chose. Sati était assez sage pour écouter les conseils des autres, il n'y avait pas de problème de ce côté-là. Néanmoins, Ryû ne savait pas si elle était du genre à s'entêter et à s'embourber dans de mauvaises décisions ou à écouter vraiment, même quand on la critiquait. Il priait fort pour qu'elle ne soit pas de cette trempe-là.
Malgré cela, son espoir avait la vie dure. Et pour une bonne raison : son expérience personnelle. Même si Sati se trompait en ce moment même ou un jour, plus tard, lui-même était la preuve vivante qu'on pouvait se repentir, non ? Ryû espérait que rester aux côtés de Sati lui permettrait de bien s'en rappeler, lorsqu'elle jugerait des différentes affaires des shamans écroués.
Ils étaient plutôt nombreux à avoir fait l'épreuve du revirement durant ce tournoi. Parfois bien plus puissants que lui. Ryû était de ceux (il voulait croire qu'il n'était pas le seul) qui pensaient secrètement que les cinq soldats avaient toutes leurs chances pour réussir à raisonner Hao et qu'on aurait pu faire autrement que l'affronter comme l'avait fait Sati. Il ne savait pas ce qu'en pensait le boss : ils n'en avaient jamais reparlé. Yoh paraissait souvent triste et perturbé en ce moment. Peut-être était-ce dû à la fin du tournoi, à l'absence de perspectives, au fait qu'il n'avait pas réussi à sauver son frère ou à la disparition de leurs amis. Avec toutes les désillusions qu'il s'était mangé, Ryû n'avait pas voulu insister.
Yoh l'inquiétait un peu. Il semblait tellement déprimé. Mais Ryû ne voyait pas quoi faire pour le moment.
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Un bruit de pas le tira de ses réflexions. Relevant la tête, Ryû reconnut son contact et lui sourit.
Tamao rosit du bout des joues et étira les lèvres en un mince sourire. Toutefois, elle ne baissa pas les yeux et soutint son regard sans trop de mal. Il fut impressionné.
– Salut ! lança-t-il joyeusement.
– Bonjour !
Sa voix était un peu plus grave que ce dont il se souvenait. Plus posée.
– Tu vas bien ?
– Oui, ça va.
Tamao entoura son ventre de ses bras. Elle paraissait embarrassée. Moins par leur échange que par le fait d'être là, en dehors du palais, avec lui.
– Qu'est-ce que tu voulais ?
– Des nouvelles.
– À propos de quoi ?
– Est-ce que tu sais ce qui est arrivé à Chocolove ?
Elle soupira :
– Oui.
– Et alors ?
– Sati n'a pas retrouvé son âme, encore.
– Alors il n'est pas prisonnier ?
– Non, du moins, pas de cette manière…
Ryû baissa la tête, pensif.
– Tamao, reprit-il. Sais-tu ce qui empêche la reine de retrouver les âmes ? À part le fait qu'elles sont très nombreuses. Elle est tout de même la maîtresse du Great Spirit...
La jeune fille soupira.
– Je ne sais pas grand-chose. C'est un peu technique pour moi… je ne suis pas une shamane qui…
Elle se tut et Ryû la laissa ruminer sans relever.
– Une chose est sûre, reprit-elle. Qui possède le Great Spirit n'en est pas maître. Pas vraiment. Ce sont les Paches qui présentent les choses comme ça.
– Parce que c'est plus vendeur pour organiser le tournoi ?
Tamao haussa timidement les épaules en une sorte d'acquiescement.
– Comment as-tu appris ça ?
Cette fois, quelque chose se ferma dans son expression. Ryû comprit qu'il avait atteint une limite.
– On… on me l'a dit.
Mieux valait ne pas demander qui était ce « on ».
– Mais Sati est tout de même infiniment puissante, non ?
– Oh oui ! Dans ce monde, elle l'est. Mais le Great Spirit a sa volonté propre. On le sent, tu sais, quand on vit ici.
Elle détourna les yeux, les joues rouges, et Ryû décida de la laisser tranquille.
Pour le moment.
– Vous pouvez venir voir Chocolove, dit-elle soudain, à sa grande surprise. Son corps est au centre de soins. Où qu'il soit… je suis sûre que ça lui fera… plaisir.
Ryû hocha la tête.
– Tu veilles sur lui ?
– Oui. Et sur les autres.
– Je suis sûr que tu fais ça très bien.
Tamao rougit de nouveau mais cette fois, de contentement plus que de malaise.
Ryû la considéra un moment.
– Tu vas bien, sinon ? Tout se passe comme tu veux au palais ?
– Oh oui ! C'est très… enfin… c'est…
Elle chercha ses mots, embarrassée, puis dit très rapidement :
– Je me sens bien, vraiment, ils sont adorables, avec moi, c'est très calme, apaisant, et j'ai l'impression que j'ai eu raison, que je suis vraiment bien là où je suis.
Sa voix repartit dans les aigus au moment où elle murmurait cette fin de phrase. Elle baissa le menton. Ryû sentit son cœur s'accélérer mais n'en montra rien et se força à ne plus la regarder. Tamao était heureuse là où elle était. Tamao était bien. Tamao se sentait à sa place. Enfin. Le Gandhara avait réussi là où eux, ses amis, sa famille, même, avaient toujours échoué. Il se sentait à la fois heureux pour elle et déprimé. Vraiment déprimé.
– De votre côté, tout se passe bien ? souffla-t-elle soudain.
– Ça va.
Fallait-il parler de la déprime de Yoh ? Des silences d'Anna ? De la colère de Horo Horo ? Sans doute pas. Il évoqua quelques anecdotes. Manta et Pirika lui furent très utiles dans ce moment. Ces deux-là étaient les seuls qui semblaient avoir tiré parti de la fin du Shaman Fight. Tamao retrouva peu à peu le sourire. Manta comme Pirika étaient des personnes « neutres » pour elle. Des gens qu'elle aimait bien mais dont on pouvait parler sans raviver de cruels souvenirs.
À sa demande, il parla d'Anna, également. Un peu, vaguement, pour dire qu'elle était fidèle à elle-même, ce qui était du reste la vérité pure et simple. Il parla de Tokageroh et d'Amidamaru. De Reoseb et Seyrarm, aussi, revenus avec eux après un court séjour chez les Paches. Cela semblait être le meilleur choix pour tout le monde.
Ensuite, le silence se réinstalla. Pesant. Ryû hésita, perplexe et capta un petit éclat dans le regard noyé de Tamao. Une étincelle de tristesse et d'embarras, de désir et de crainte. Un renoncement, une peur d'oser. Alors, il lui dit :
– Yoh ne va pas trop mal, lui non plus.
Tamao releva la tête et regarda ailleurs. Le pourpre et la pampre luttaient sur ses joues colorées. Elle hocha la tête.
– Pas trop mal, releva-t-elle. Ça ne veut pas dire bien.
– Disons que ça pourrait aller mieux.
– Je suppose que c'est normal. Il a perdu le tournoi, des amis et avec ça son frère et son père.
Ryû acquiesça. Il ne pensait pas que la mort de Mikihisa ait spécialement perturbé Yoh, tant celui-ci paraissait détaché de son géniteur. Ils n'avaient jamais vraiment été en relation. Difficile de dire si sa disparition l'avait vraiment choqué. À ce qu'il voyait, le « deuil » de ses amis et de ses rêves était plus difficile à porter.
Cependant, une partie de la remarque de Tamao lui parut intéressante à relever. C'était une chose sur laquelle il n'avait aucune information et dont personne n'osait vraiment parler. Il était difficile de poser cette question, surtout à Tamao, mais il se lança tout de même, incapable de résister :
– Tamao, est-ce que tu sais ce qui est arrivé à Hao ?
Il avait tenté de mettre le plus de détachement possible dans cette phrase mais sa voix le trahissait légèrement. Toutefois, Tamao ne cilla pas.
– Non, répondit-elle. C'est un mystère.
– Tu penses qu'il est mort ?
– Non. Ça me surprendrait vraiment. Je… je crois que je n'arrive même pas à l'imaginer.
– Mais toi, s'enhardit Ryû. Tu vis au palais de la reine. Tu as bien une petite idée, non ?
Tamao baissa les yeux sur le sol et gratta la terre avec sa chaussure droite.
– Je pense, dit-elle très lentement, qu'il est toujours dans le Great Spirit. Je n'en sais rien mais… si Sati le retient quelque part, je pense que c'est forcément là.
Ryû digéra l'information. Il aurait été bien en peine de savoir si c'était une bonne nouvelle ou pas. Ni même s'il en parlerait aux autres. Non, il valait mieux garder cela pour lui. Sauf si Yoh ou Anna le lui demandait. Inutile d'aborder ce sujet en premier. D'ailleurs, ce n'était pas à lui de le faire.
Il prit congé de Tamao peu après. C'était drôle, songea-t-il en s'éloignant, main levée en un salut amical, ce petit menton volontaire qu'elle avait. Malgré sa timidité maladive, il y avait quelque chose de ferme en elle, de dur. Tamao tenait toujours bon, quoi qu'on lui fasse. Tamao était celle qui n'avait pas hésité à les affronter lui et Manta, avec son arc rose, lorsqu'ils avaient voulu retrouver Yoh, alors qu'il faisait trois têtes de plus qu'elle (et qu'il avait franchement une dégaine de voyou). Tamao était la fille qui avait tenu tête à Hao lui-même, pour protéger ses compagnons, sans envisager une seule seconde de reculer.
Tamao était une tige de roseau : mince, délicate, ployant toujours mais, paradoxalement, plus ferme, plus drue et plus enracinée dans la terre qu'un chêne.
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Alors qu'il repartait, Ryû entendit deux voix graves interpeller la jeune fille et se retourna. Il reconnut aussitôt deux Gandharas qu'il avait déjà vu combattre. Un grand costaud brun moustachu et un maigrichon plus âgé et chauve. Deux ex-membres de Myôhô, l'équipe du Bouddha punisseur. Le bras armé de Sati, depuis le tournoi.
Son sang ne fit qu'un tour. L'espace d'une seconde, un scénario d'horreur dystopique venait de germer dans son esprit : ils les avaient surpris. Tamao n'aurait pas dû lui parler, c'était interdit. En fait, ils les surveillaient. Ils allaient la ramener, l'interroger…
– Heeeey ! Tamaooo ! rugit le moustachu en accourant vers la jeune fille, bras grand ouverts. Ça fait longtemps, dis donc !
– Du calme, Kadow, fit remarquer le chauve avec un sourire indulgent. Tu es effrayant, parfois tu sais ?
– Quel rabat-joie, rétorqua ledit Kadow en frottant les cheveux de Tamao.
– Mais-mais-mais arrêtez, s'il vous plaît ! protesta celle-ci en cherchant vainement à protéger sa coiffure.
Ryû allait s'interposer, outré, mais se retint. Un bruit incongru venait de parvenir à ses oreilles.
Un rire étouffé. Celui de Tamao.
Kadow la lâcha avec un sourire et lui demanda :
– Tu rentres avec nous ?
– Pourquoi pas, répondit timidement Tamao.
– Je suis fourbu. On n'a pas arrêté de courir !
– Tu n'arrêtes vraiment jamais de te plaindre, son comparse chauve.
– Et toi aussi ! De moi.
L'autre lui répondit, désinvolte et Tamao sourit avec indulgence.
– Et toi Tamao, ça va ?
– Oui… je suis allée voir un vieil ami. Donner des nouvelles.
– Ah c'est bien ça ! Bon, à ton avis, Yainage, on mange quoi ce soir?
– Sérieusement…
Ryû les regarda s'éloigner.
Brusquement, il fut frappé par la ressemblance de ces Gandharas avec un autre groupe dont il avait pu apprécier les liens quasi-familiaux. Ils lui rappelaient… oui, ils lui rappelaient les X-Laws.
Les X-Laws, mais lorsqu'ils étaient devenus « sympas » et qu'ils les avaient découverts sous un nouveau jour, celui d'une sorte de famille bariolée, dans laquelle on se charriait, on rigolait et on s'aimait bien. Un endroit où il faisait bon vivre. Une sorte de best place.
Cette idée, une fois de plus, lui laissa un goût de joie et d'amertume mêlées : il regrettait énormément que Tamao n'ait pas trouvé son best place parmi eux.
En même temps, il s'interrogeait. Pourquoi était-il aussi surpris que tout se passe bien pour elle ? Pourquoi avait-il si peur, alors même qu'il voulait faire confiance à Sati, qu'il croyait sincèrement en elle ? Pourquoi avait-il pensé instantanément, tout à l'heure, que les deux Gandharas étaient là pour les surveiller, pour les punir ? Pourquoi étaient-ils tous devenus à ce point paranoïaques ?
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