Disclaimer : Shaman King est toujours la propriété d'Hiroyuki Takei.


Fragment 15

Je suis là pour dire non, et pour mourir (peut-être) (Horo Horo)

(The Pretender – Foo Fighters)

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Cela faisait déjà plusieurs jours que Pirika avait réussi à le ramener à leur hôtel, pourtant Horo Horo enrageait encore.

Au palais de Sati, il avait fait suffisamment de ramdam pour qu'on vienne s'occuper de lui mais le type à lunettes que le Gandhara lui avait envoyé n'était pas très enclin à lui donner des informations.

Horo Horo voulait savoir ce qui était arrivé à Ren. Et à Chocolove. Et à Faust. Et à Jun. Et aux autres. Il voulait savoir pourquoi certaines audiences se faisaient à huis clos. Il voulait savoir ce qui se cachait derrière tout ça. Il voulait des explications. Il voulait que le voile se lève. Il ne supportait plus cette opacité. Il voulait comprendre. Il voulait des certitudes. Il ne voulait plus avoir à attendre, passivement, et à faire confiance.

L'envoyé du Gandhara se révéla être exactement ce qu'il attendait : un mec fuyant, à tous les niveaux. Horo Horo ne s'était pas découragé. Mais l'autre non plus. Face à ce palais immense, plus beau que tout ce dont il avait jamais pu rêver depuis la maisonnette dans laquelle sa famille s'entassait, le jeune Aïnou avait senti sa rage croître à chaque instant. Pour la première fois de sa vie, il se trouvait face à une montagne qu'il ne pouvait ni escalader, ni franchir.

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C'était finalement par Ryû qu'il avait appris la nouvelle du sort réservé à Ren. Pour ce qui était des autres, on ne savait pas. Ryû avait ses contacts. C'était utile. Mais la révélation de la sentence lui avait glacé les sangs.

Cinq ans !

Putain de merde.

C'était pas qu'il cautionnait ce que Ren avait fait. Pas du tout. Mais cinq ans. Et puis, pourquoi ? De quel droit ? N'était-ce pas la tribu pache qui aurait été en droit de juger de cette affaire ? En plus, qu'est-ce qu'il allait pouvoir foutre pendant cinq ans, hein ? Rester enfermé dans un coin du Great Spirit à se tourner les pouces ? Passer la serpillière au paradis ? Ça servirait à quoi ? Et puis merde, quoi, on ne pouvait pas oublier tout ce qui s'était passé durant le tournoi, une bonne fois pour toute ?

Horo Horo avait beau tourner le problème dans tous les sens, il n'était pas d'accord. Il n'était tout simplement pas d'accord.

Et cela lui posait question. Il était vraiment sincère dans son interrogation. Est-ce qu'on pouvait vraiment condamner les shamans pour ce qui s'était passé durant le Shaman Fight ? Est-ce que c'était vraiment juste ? Est-ce que ça allait arranger les choses ? Et surtout, est-ce que ça avait vraiment du sens, maintenant que Chrom était ressuscité ? Ou alors, il faudrait condamner Peyote aussi, pour avoir tué Ren, pas vrai ? Ah mais oui, c'est vrai, il était recherché lui aussi, et avec une jolie prime. Horo Horo se demandait ce que le shaman mexicain risquait de prendre. Et les autres. Les gens comme Maiden, par exemple. Ils étaient quand même nombreux à avoir fait un paquet de saloperies. En fait, à bien y réfléchir, vu le massacre qui avait eu lieu au moment où Sati avait détrôné Hao, ils auraient dû tous mourir, sans exception.

Nous sommes tous des salauds, se disait-il. Nous méritons tous la mort. Mais qu'est-ce que la mort puisqu'on peut tous ressusciter ? On passe dans le Great Spirit et après ? On va en enfer ? On va s'entraîner ? On va dans un camp de travail ? Ou on reste enfermé dans une pièce blanche à s'emmerder jusqu'à ce qu'elle nous libère ?

Peut-être que la reine se sent seule dans son royaume spirituel. Peut-être que ce qu'elle veut, ce sont des âmes fortes, autour d'elle, des âmes de shamans.

Il délirait. La colère lui faisait perdre tous ses moyens.

Horo Horo passa une main sur sa figure et se leva du banc sur lequel il était assis, à ruminer, depuis dix minutes. D'un pas traînant, il traversa la rue et alla se planter devant la vitrine d'un commerce tout juste rouvert. Les portants chargés de breloques « faites main » qui coûtaient la peau des fesses cliquetaient en se balançant au vent. Hypnotisé par les squelettes porte-clefs qui se trémoussaient devant lui, Horo Horo fut pris de l'envie subite de flanquer un coup de pied dedans. Juste pour voir la marchandise s'étaler au sol et le regard las du Pache qui serait obligé de ramasser pendant que lui s'en irait avec un sourire stupide « Oups ! Pas fait exprès… »

Il secoua la tête, honteux de ses propres pensées et s'écarta de la vitrine.

Il marcha sans but à travers le village pache. Celui-ci commençait à retrouver un peu d'animation. En tout cas, depuis que les gens s'étaient rendu compte que la guerre était bel et bien finie, qu'on ne risquait plus de se faire étriper par son prochain, on les voyait se hasarder hors des auberges, pour une simple course ou pour traîner non loin des portes. Des Paches nettoyaient les rues et rouvraient boutique, comme celle dont Horo Horo avait failli détruire l'étalage. Chacun revenait plus ou moins timidement à ses activités quotidiennes. Les affaires reprenaient. La vie continuait.

Pour la plupart d'entre eux.

Horo Horo flanqua un coup de pied à un caillou qui ne lui avait rien demandé et essuya le regard courroucé d'un petit vieux pache aussi ridé qu'une vieille pomme et qui balayait des ordures. Gêné, l'adolescent fuit son regard et s'éloigna rapidement. Il ne trouvait aucun endroit où se poser. Pas même pour cinq minutes. Sans doute parce que sa place n'était pas ici.

Pirika avait raison. Qu'est-ce qu'ils fichaient encore là, alors qu'ils avaient perdu ? De toute évidence, on ne leur rendrait pas leurs proches avant longtemps.

Brusquement, il se demanda ce que faisait Ren au même moment. Était-il enfermé quelque part dans le palais, à attendre son exécution ? Ou bien était-il déjà mort, étendu sur un lit blanc recouvert de poches de glace? Dans la brûlure de l'été, Horo Horo frissonna.

L'envie le prit soudain : celle de s'enfuir, quelque part, n'importe où, loin d'ici.

Il fixa les constructions de pierre ocre entre lesquelles serpentaient les ruelles étroites du village. Et au-dessus le ciel d'un bleu uni effrayant, assorti d'un soleil sans merci.

Il voulait revoir la neige, les montagnes – les vraies, pas ces tas de gros cailloux brûlants sans glace –, la mer, le béton de Sapporo et le vert humide des matinées de givre.

Il n'avait qu'à. Rien ne le retenait. Il n'y avait rien à faire pour les autres. Et personne n'était plus rien, désormais, pour affronter celle qui avait su défaire Hao. Il recommencerait une petite vie tranquille, trouverait un petit coin pour s'installer et il le planterait quand même, son champ de fuki. Avec ou sans Great Spirit. Il pouvait même s'y mettre dès son retour au Japon. Il allait sur ses seize ans : légalement, il n'était même pas obligé de retourner à l'école.

La honte le submergea à l'idée d'abandonner ses amis ; il s'en débarrassa d'un coup de tête. Restait Sati. Si jamais elle décidait qu'ils ne pouvaient pas partir ? Ou, pourquoi pas, qu'ils devaient l'accompagner en Inde ? Former autour d'elle une sorte de cour ou un truc du genre ? L'idée lui semblait à la fois absurde et tout à fait possible. D'ailleurs, tout à son indignation, il n'avait pas le moins du monde caché sa désapprobation au palais. Les Gandharas ne pouvaient pas manquer de l'avoir remarquée. Et puis, la shaman queen n'était-elle pas censée être omnisciente, forte de toutes les consciences qui se mêlaient en elle ? Se pouvait-il que Sati trouve un moyen de le retenir en connaissant ses opinions ?

Elle le pouvait très bien. Il aurait dû y penser plutôt. Faire attention. Ne pas afficher ces airs furieux. Ne pas hurler sur les Gandharas comme il l'avait fait. Prendre des précautions pour ne pas avoir l'air de désapprouver totalement la politique de la toute nouvelle reine. C'était bien joli de jouer la carte de l'opposition mais qui était-il pour faire ça, du haut de son petit niveau de furyuku et de ses quinze printemps, face à la shamane la plus puissante du monde ? Qu'est-ce qu'il allait faire ? Des manifs ? Des sittings, peut-être ? Entrer en dissidence ? Imprimer des tracts et chanter des chansons révolutionnaires avec d'autres pas contents, assis sur leur derrière, qui se gargarisaient de belles idées et qui ne feraient rien de plus pour changer les choses ? Il aurait l'air malin si Sati décidait de surveiller les réfractaires.

N'empêche il s'en fichait. Il n'avait pas l'intention de lui mâcher le travail. Il avait bien envie qu'elle sache, finalement. Qu'elle se rende compte qu'il y en avait qui n'étaient pas d'accord. Qu'elle sente cette pression de ne pas être soutenue de partout. Cette hostilité des sujets qui attendaient leur souveraine au tournant.

Même s'il l'avait voulu, il n'aurait pas pu cacher à Sati son refus. C'était dans son regard, ça brûlait comme une braise qui refuse de se consumer. Il était contre tout ce qui se passait, aussi farouchement qu'il avait été contre le rachat d'un champ près de chez lui pour construire un lotissement. Il avait toujours eu les idées bien arrêtées, des opinions sur la vie, comme ça, qui lui venaient et qui ne changeaient pas. Et il arrivait rarement à s'en foutre. Ouais, il avait l'âme militante, en fait.

Horo Horo se gratta le haut du crâne. La tête lui tournait. C'était probablement le soleil. Il n'avait pas bu depuis des heures. Il devait être déshydraté. Ses yeux parcoururent la place où il se trouvait. Il aperçut un bar non loin de là, dans une rue adjacente. Ce n'était pas le Pach Café mais un établissement un peu moins tous publics. Tant pis. Il commanderait juste un diabolo menthe et puis voilà. De toute façon, vu les prix des soft au village pache, il ne voulait pas imaginer ceux de l'alcool. Et puis, il n'était pas là pour ça. Il voulait juste se rafraîchir un peu. Personne ne lui dirait rien.

D'un pas qui se voulait assuré, il se dirigea vers le commerce et entra. La salle était quasiment vide, à l'exception de quelques spectateurs du tournois. Deux groupes, réunis chacun dans leur coin, et qui chuchotaient avec des mines de conspirateurs. Et au bar, les fesses posées sur un tabouret, une silhouette blonde et trapue qu'il connaissait bien.

Un petit sourire, le premier de la journée, lu vint aux lèvres. Sans faire de bruit, Horo Horo s'approcha et s'accouda juste à ses côtés.

– Salut.

Pino sursauta comme si on l'avait frappé et faillit tomber de son tabouret.

– Merde, tu m'as fait peur.

Horo Horo ricana tandis que son ami se rasseyait en maugréant.

– Qu'est-ce que tu fais là ?

Pino leva sa pinte avec une moue.

– Je fais passer le temps.

– Je vois, commenta Horo Horo. Zoria n'est pas avec toi ?

– Elle traîne du côté du palais. Je crois qu'elle avait envie d'être seule.

Horo Horo hocha la tête et interpella le barman d'une main. Comme pour beaucoup d'autres échoppes, c'était un Pache qu'il ne connaissait pas qui avait remplacé l'un des dix prêtres.

– Tu n'es pas un peu jeune pour traîner ici, mon garçon ? demanda l'homme avec une mine sévère.

– C'est bon, il est avec moi, intervint Pino.

L'autre haussa un sourcil sarcastique, apparemment peu rassuré.

– Je vais prendre un Coca, lança alors Horo Horo. Avec du citron. Et de la glace. Beaucoup de glace s'il vous plaît.

Le Pache hésita une demi-seconde puis haussa les épaules et alla lui chercher sa bouteille.

– Soif ? demanda Pino.

– Purée, oui ! Il doit faire au moins trente-cinq à l'ombre.

– Quel pays de fous !

– Tu l'as dit !

Ils échangèrent un clin d'œil de connivence et se turent, tandis que la consommation de l'Aïnou arrivait.

Horo Horo aspira un peu de Coca avec sa paille et poussa un soupir d'aise. C'était frais, acidulé, sucré, fabuleux. Bénis soient les inventeurs de cet abominable breuvage chimique.

– Pareil, approuva Pino. Ça fait du bien par où ça passe.

– Hmm, fit Horo Horo, peu convaincu par la bière de son ami.

Pino poussa son verre dans sa direction avec un petit sourire.

– T'en veux ?

L'Aïnou roula des yeux.

– Euh, pardon ?

Il gloussa.

– Tu ne viens pas de dire à ce Pache que j'étais avec toi et que…

– Ro la la, c'est bon, hein. T'as jamais pris une bière de ta vie ?

– Bien sûr que non ! répliqua Horo Horo, sidéré. J'ai quinze ans !

– Et puis ?

Horo Horo pencha la tête sur le côté.

– Les mineurs ont le droit de boire de l'alcool, chez toi ?

Pino fit la moue.

– Bah, dans les bars normalement non, mais au fond, on s'en fout pas mal. Et puis, tant qu'il y a des adultes à côté, on va dire que ça passe.

– Trop bizarre !

– C'est pas bizarre, c'est comme ça dans toute l'Europe, tu sais... Ma première binouze, je devais avoir, quoi, douze ans ?

Horo Horo ouvrit la bouche sur un cri muet et Pino éclata de rire. Il considéra le verre haut, à demi vide, les parois couvertes de mousse blanche. Il était toujours interloqué mais commençait à hésiter. Pourquoi pas, après tout ? Ce n'était qu'une gorgée. Pino dut le voir car il ne retira pas sa pinte. Finalement, Horo Horo haussa les épaules, saisit le verre tendu et avala une gorgée.

Qu'il faillit recracher aussitôt.

– Beuaah.

Il réussit finalement à se forcer à avaler tandis que Pino s'esclaffait gentiment. Puis il grogna :

– Ça a un goût de pisse.

Le grand blond éclata de rire.

– Comment tu connais le goût de la pisse, toi ?

L'adolescent grommela, mouché, et replongea dans son verre.

– Vous avez retrouvé Cadimahide ? demanda-t-il pour changer de sujet.

Pino s'assombrit.

– Non.

– Et… pas plus de nouvelles ?

– On a fait une requête mais… on nous a prévenu que c'était long. Certaines âmes se sont perdues très loin dans le Great Spirit.

– Ça a l'air louche.

– C'est louche. Ils arrêtent pas de répéter les mêmes choses, comme quoi les recherches sont en cours et que ça va demander du temps, bla bla bla. On se croirait à l'administration, quand ils veulent pas te dire qu'ils ont paumé ton dossier.

Horo Horo ricana sombrement, tant ses souvenirs de la chose étaient nombreux et peu réjouissants.

– Tu penses vraiment qu'ils mentent, alors ?

– Je ne sais pas.

Pino fit un sort à sa bière. Son regard se planta dans l'étagère de bouteilles en face d'eux.

– Quoi qu'il en soit, ils ont encore son corps et ils disent qu'ils en prendront soin. Ça veut dire qu'il y a quand même un tout petit espoir qu'ils retrouvent son âme. Ils ne prendraient pas cette peine sinon.

– Et pourquoi on ne demande pas à Anna ? C'est une itako, c'est son boulot, normalement, non ?

– On a essayé.

– Ah bon ?

– Ouais, ça marche pas. Anna dit que c'est peut-être parce que Cadimahide se trouve en enfer. Il faut que ça soit lui qui en sorte.

Le silence tomba comme une pierre à ces mots.

– Mais qu'est-ce qu'il foutrait là ?

– Bonne question.

Pino posa son menton sur sa menton et commença à s'en ronger les ongles.

– Y avait pas un de vos potes qui avait eu ce problème ? fit-il, songeur.

– Si.

– C'était qui déjà ?

– Lyserg.

– Mais il a fini par ressusciter.

– Oui. C'est lui qui a débarqué au milieu de notre match contre Yoh, tu te souviens.

– Ah oui, c'est vrai.

Pino eu un sourire.

– Je vois bien Cadi débouler au milieu d'une bagarre en faisant tout péter.

Horo Horo s'esclaffa.

– Pino, reprit-il après une courte pause. Vous allez faire quoi toi et Zoria, maintenant ?

– J'en sais rien. Voir mon père, peut-être, mais ce sera rapide.

– Vous ne resterez pas ?

– Non. Et Zoria n'a pas d'autre famille. J'imagine qu'on se trouvera un coin.

Horo Horo reporta son regard sur les bouteilles alignées en face de lui. Il referma ses paumes pour cacher le tremblement de ses mains. À présent qu'il était sur le point de le formuler, son plan lui paraissait idiot. Qu'est-ce qu'il comptait faire, au juste, tout seul, mineur et sans une thune en poche ? Il ferait mieux de rentrer chez son papa et de retourner au lycée.

Il était presque décidé à renoncer mais les mots sortirent de sa bouche malgré lui.

– Si vraiment vous n'avez nulle part où aller, venez à Hokkaïdo avec moi.

– Quoi ?

Il y avait de la stupéfaction sur son visage mais Pino ne riait plus. Horo Horo était surpris qu'il le prenne immédiatement au sérieux.

L'espace d'une seconde, il se sentit incroyablement adulte. Il vida son verre d'un trait. Sortant son portefeuille pour régler sa part, Horo Horo se leva de son tabouret avec un sourire plus assuré qu'auparavant.

– J'ai un projet.

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