Disclaimer : Shaman King n'est pas à moi.

Ah, ce chapitre. J'avais aimé écrire le précédent, mais dans celui-là, je me suis encore plus amusée, vous allez voir. Ça pourrait s'appeler : l'adolescence, une allégorie. J'ai adoré écrire Nichrom comme ça. Je crois que s'il avait vécu dans notre monde, ça aurait été un gros troll adepte des théories du complot qui aurait posté des commentaires pourris sur Youtube.


Fragment 16

Les rats quittent le navire en premier (Nichrom)

(Wild ARMs OST – 14 Town / 22 Village of the Eru / Rayman Origins OST – Land of the livid dead – Nowhere to run)

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Nichrom était en colère. Il avait l'impression de l'avoir toujours été. Il ne se rappelait pas d'avoir un jour ressenti une quelconque forme d'apaisement. Ou même d'ataraxie. Si cela avait existé pour lui, cela datait d'avant la mort de son frère et il avait oublié cette bienheureuse époque.

Même en y repensant, ce n'était déjà pas une période de calme. Depuis toujours il était impatient, frustré de tout. La vie ne lui offrait jamais assez d'opportunités pour le rassasier. Était-il jeune, trop pour être admis aux réunions des futurs organisateurs du Shaman Fight, que cela le mettait en rage. Était-il trop vieux pour faire des caprices, disait Chrom, qu'il enrageait de ne pas être plus jeune pour pouvoir revenir à l'insouciance de sa petite enfance. Des choses comme ça.

Il avait toujours été un éternel insatisfait.

Cela avait empiré depuis la prise de pouvoir de Sati. Avant, il était juste en colère. Désormais il était littéralement fou de rage.

Déjà, parce qu'on l'avait entubé. Hao, le plus grand shaman du monde, prétendait-il, s'était fait battre à plates coutures par une espèce… de hippie. Ouais, la honte. Pour un mec censé avoir plus de mille piges et le plus grand furyuku de tous les temps, ça craignait du boudin. C'était pas que Sati soit pas forte, hein, mais bon. Elle était censée avoir un peu moins de points. Les points voulaient dire quelque chose, quand même, non ? Sinon, pourquoi ils se seraient fait suer à les compter ?

Nichrom était dégoûté. Vraiment. On lui avait vendu le type le plus badass de tous les temps. Et on s'était bien foutu de sa gueule. Il aurait parié sur la gamine dans son armure de fer plutôt que sur l'autre princesse. Enfin, au moins, c'était pas son drogué de frère qui avait réussi à coincer Hao Asakura. Là, ça aurait été la fiche totale.

Et s'il n'y avait que ça ! Il préférait ne pas trop songer à la bataille finale. Sitôt que Hao l'avait ramené à la vie dans sa plantation, alors que Sati se préparait à l'attaque, il s'était battu comme un diable. Mais il avait fini par se faire capturer et mettre hors-circuit par un des Gandharas. Un épisode peu glorieux. Non, ce qui en rajoutait vraiment à son tourment, c'était la fuite de Magna.

Il n'avait pas de noms assez durs pour son ancien protecteur. Traître, lâche, rat, connard, tout y passait et en tous genres. Tout pour essayer d'avaler la dure vérité : Magna l'avait planté là. Comme une merde.

Comment avait-il osé ? Comment avait-il pu lui faire un coup de serpent, comme ça ? C'était un truc digne d'un vicieux comme Namari, ça ! Parfois, il en venait à se demander si Magna n'avait pas été forcé, d'une manière ou d'une autre, à le laisser derrière. Il avait envie de croire à un complot diabolique. De tout son être. Ça valait mille fois mieux que l'idée désespérante d'avoir été largué par son grand-frère adoptif. À quoi pensait-il ? Qu'il le ralentirait ? Que Nichrom ne tiendrait pas la route ? (Frémissements d'horreur et de fierté !) Qu'ils seraient trop repérables ensemble ? Ou pire : qu'il valait mieux pour lui continuer sa petite vie comme un ado normal au village pache ? Beurk.

Rester avec Chrom, revenu d'entre les morts, s'était révélé impossible. Nichrom avait fait de son mieux pour se montrer ingérable et forcer sa tribu à statuer vraiment sur son sort. Pas comme au cours de cette audience minable durant laquelle Sati l'avait exempté de toute responsabilité, faisant de lui une pauvre petite chose influençable, manipulée par Magna et entraînée malgré elle du côté obscur. Ah la la, les conneries pas possible qu'il avait entendues. Il en voulait à Magna, d'accord, mais entendre ces abrutis le couvrir de toutes les accusations de traîtrise imaginables l'avait rendu fou. Surtout sous la bénédiction discrète de Goldova qui avait fait de son ami le bouc émissaire parfait, histoire d'éviter qu'on s'intéresse de trop près à sa propre « neutralité » durant le tournoi. Il en avait la gerbe, tiens. Et Chrom qui n'avait rien dit. Chrom qui ne le comprenait plus. Chrom, absurdement gentil, plaidant pour un apaisement général, pour un effacement des torts. Chrom blablatant avec Silva et Karim, encore eux, toujours eux, Chrom discutant avec la reine, qui lui opposait ses idéaux de réparation nécessaire, Chrom qu'il n'arrivait plus à voir que comme un ennemi, désormais. Un faible qui s'était fait tuer par un minable. Chrom qu'il n'arrivait plus à respecter.

Il aurait fait littéralement flamber le village pour qu'on le laisse s'en aller. Dommage qu'il n'ait pas eu à aller jusque-là, on aurait rigolé. Mais évidemment, au lieu de l'expédier loin d'ici, ses chers pairs avaient trouvé le moyen de le truander encore plus. Ouep, vous avez deviné : ils l'avaient refilé aux Gandharas. Les vieux salauds.

Et maintenant que le clan de la reine l'avait récupéré comme un chat perdu – sans doute par charité… bouddhique ? –, maintenant qu'il était coincé avec eux et qu'il s'ennuyait comme un rat mort dans leur palais si joli, si tranquille, si paisible, si désespérément bisounours, qu'allait-il faire ? Son jeune âge lui ayant permis de passer entre les mailles de l'épuration, il était plus ou moins libre de faire ce qu'il voulait. La blague ! Il avait qu'à essayer d'en dégommer un, là tout de suite, pour voir ce qu'ils feraient après. On verrait bien si ça tiendrait encore, toutes ces conneries sur la responsabilité et la compassion.

Nichrom les vomissait, tous, avec leurs beaux idéaux et leur pseudo-justice ! Et il les vomissait d'autant plus qu'ils le traitaient bien et se montraient d'une patience d'ange avec lui. Il les aurait moins haïs s'ils l'avaient flanqué dans un cul-de-basse-fosse, au pain sec et à l'eau. Ou s'ils avaient paru un tant soit peu fâchés, vexés ou même juste intéressés par les sales coups qu'il leur faisait quotidiennement.

Car oui, Nichrom n'avait pas l'intention de se laisser transformer en gentil toutou apprivoisé. Il n'avait pas l'intention de les remercier pour leur grande mansuétude, avant de les rejoindre, comme l'avaient déjà fait ces abrutis de Boz, et d'autres après eux. Ils étaient bien trop gentils pour être honnêtes.

D'une façon générale, Nichrom méprisait la gentillesse. L'altruisme. Tout ça n'existait pas. Il y avait forcément, forcément, quelque chose derrière. Seuls les imbéciles étaient vraiment gentils. Parce qu'il fallait être imbécile pour faire confiance aux autres, condition sine qua non pour être foncièrement gentil. Il fallait être un imbécile pour ne pas avoir peur des gens. Et lui, Nichrom n'était pas un imbécile (et il avait peur des gens). (Ou disons qu'il préférait anticiper leur connerie que devoir en payer les frais.)

De plus, la gentillesse était ennuyeuse. On ne se castagnait pas quand on était gentil. La gentillesse, c'était pour les faibles. Hao Asakura n'était pas gentil. Et pour l'avoir battu, Sati ne pouvait pas l'être, pas totalement. D'ailleurs, preuve qu'il avait raison (!) et qu'un vaste complot se cachait derrière tout cela, les Gandharas, ces pacifiques petits moines, avaient des fantômes et des pouvoirs trop cheatés. Ça cachait un truc, pas vrai ?

Parfois Nichrom songeait lui-même qu'il allait trop loin (et c'était une des choses qui l'agaçaient le plus : que Sati et les autres soient d'authentiques gentils !), parfois, il sentait qu'il était sur la bonne voie et qu'il avait raison de se méfier des Gandharas.

Bref, Nichrom était en colère. Et il rongeait son frein.

Le palais était assez grand pour qu'il puisse y traîner sans trop rencontrer de gens. Qu'il y ait du trucage shamanique derrière ou pas, il ne voulait pas le savoir : ça lui allait très bien. Et il y traînaillait toute la sainte journée, rôdant dans les couloirs comme une ombre, s'enroulant dans les coins ombrageux comme un chat aux aguets – ou comme un scorpion derrière la poubelle des toilettes, aurait dit Magna.

De temps en temps, il s'amusait à espionner les Gandharas. Il aimait bien suivre Daei, au départ. Jusqu'à ce qu'il se rende compte que le petit vieillard inoffensif s'amusait à le perdre, voire même à lui faire peur, et à le semer dès qu'il voulait être tranquille. Du coup, il s'était contenté de Mamy et Samy, qui lui jetaient parfois des regards hautains – avant de se reprendre, car ça n'était pas très « Gandhara » de leur part.

Parfois aussi, il s'amusait, quoi qu'il en dise, à explorer le palais de Sati et ses multiples recoins. Alors, ses instincts de gamin reprenaient le dessus et il parvenait à s'amuser en oubliant ses problèmes. Mais ça ne durait jamais que quelques heures.

Le plus souvent, il se morfondait dans un coin. On ne lui proposait jamais d'occupation particulière. Enfin on avait essayé mais il les avait tous envoyés bouler. Depuis, à sa grande déception (avait-il réalisé, horrifié), on le laissait parfaitement tranquille. De temps en temps, on lui suggérait d'aller prendre l'air, mais c'était tout. Cela le déprimait. Il aurait préféré qu'ils insistent, histoire de pouvoir s'opposer à eux plus souvent. Les disputes étaient l'occasion de manifester son mécontentement. Comment allait-il pouvoir leur râler dessus, maintenant qu'ils avaient décidé de lui foutre la paix ? Vraiment, c'était pas juste.

D'après ce qu'il avait compris, on hésitait encore à le confier à quelqu'un. Or, il voyait bien que les Gandharas n'étaient pas trop enclins à le renvoyer déjà aux Paches. Du coup, il aimait bien s'imaginer que Sati avait profité de la requête des siens pour le retenir en otage, afin de s'assurer de leur docilité. Le mystère de sa situation amenait de l'eau à son moulin et alimentait ses doutes au sujet des mauvaises intentions de la Shaman Queen.

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« Qu'est-ce-que-j'pourrais-faaaire… ? » se lamentait donc intérieurement Nichrom en errant comme une âme en peine dans un couloir du quatrième étage.

De temps en temps, il se penchait à la fenêtre et essayait de cracher sur les gens qui passaient. Mais depuis le début, il gaspillait sa salive en pure perte. D'ailleurs, il commençait à se demander si les Gandharas qui arrivaient à sa portée ne l'avaient pas percé à jour et n'esquivaient pas ses glaviots en usant discrètement de leurs pouvoirs shamaniques – décidément, tout était sujet à paranoïa chez lui.

Soudain, il sentit une présence dans son dos et se retourna promptement.

C'était encore elle. Rutherfor.

Zut.

La jeune femme braquait ses yeux d'aigle sur lui. Il ne savait pas depuis combien de temps elle l'observait. Son regard était indéchiffrable.

Nichrom se renfrogna. Depuis qu'elle était passée de leur côté, une barrière s'était élevée entre eux. Ils n'avaient jamais été très proches mais ils avaient tout de même été élevés au même endroit, partagé la condition de prêtres-organisateurs. Rutherfor s'était un peu occupée de lui quand il était petit, aussi. C'était presque une grande sœur, quoi.

Mais désormais, elle était de mèche avec eux. Elle avait tourné sa veste. D'une certaine manière, elle faisait son devoir. Elle s'était soumise à l'autorité de la propriétaire du Great Spirit, un peu comme Blon et Talim. Et Nichrom comprenait cela. À ses yeux, Rutherfor avait même un peu plus d'excuses que les autres. D'eux tous, elle était la plus proche du Great Spirit. C'était sur elle que la fonction pesait le plus, elle qui était plus affectée que n'importe lequel d'entre eux par les origines de leur pouvoir, elle qui restait en arrière, elle qui gardait la dernière des plantations, elle qui ne cédait le pas, en terme de puissance, que devant Goldova. Et encore.

Alors oui, il comprenait un peu. Malgré lui. La puissance de son lien avec le Great Spirit n'était pas banale. Mais n'empêche.

Il devait se méfier de Rutherfor, désormais. Surtout qu'elle avait l'air de le tenir à l'œil.

– Encore toi, grogna-t-il en guise de bonjour. Qu'est-ce que tu veux ?

La jeune femme le dévisagea sans aménité. Rien dans sa posture ne trahissait qu'elle fût gênée ou même désapprobatrice.

C'était justement ça qui mettait Nichrom hors de lui. Leur satanée philosophie du détachement. Cette façon qu'ils avaient, tous, de ne rien prendre mal, d'avoir l'air de se foutre de tout, de n'être affectés par rien. À croire que Sati les lobotomisait. Se pouvait-il réellement qu'ils parviennent à se libérer de leurs émotions ? À cette idée, il se sentait pris de fureur.

C'était toujours pareil : si les Gandharas l'avaient méprisé, il aurait pu leur rendre la pareille. Être à égalité avec eux. Mais là, avec leur fichue compassion, ils étaient hors de sa portée. Inaccessibles à sa haine. Et au fond, tout au fond, peut-être qu'il les détestait parce qu'il les enviait. Parce que, contrairement à lui, ils avaient su trouver la paix.

– Qu'est-ce que tu me veux ? répéta-t-il avec hargne.

– Pourquoi te voudrais-je quoi que ce soit, Nichrom ? fit Rutherfor. Je passais par ce couloir, c'est tout.

– Vas-y, fais-moi croire que tu ne me surveilles pas, marmonna-t-il avec un sourire sarcastique.

– Nous avons déjà eu cette conversation, je crois, soupira-t-elle. Encore une fois, aussi absurde que ça puisse te paraître, mon existence ne tourne pas autour de la tienne.

À la manière dont elle le regarda, Nichrom devina qu'elle regrettait cette pointe acérée. Il secoua la tête avec un rictus moqueur.

– Qu'est-ce qui te fait rire ? demanda-t-elle sans aménité.

– Toi. Vous tous.

– Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle.

– Vous êtes cinglés, lâcha-t-il. Elle vous a formatés.

Rutherfor haussa les épaules et, contrairement à ce qu'il espérait, ne nia pas.

– Peut-être, rétorqua-t-elle.

– Et tu t'en fous ? hoqueta-t-il.

– Tout apprentissage est un formatage, décréta Rutherfor. Aucun ne peut être neutre. Ça vaut aussi pour l'éducation qu'on dispense aux enfants paches.

Puis, avec une voix et un regard qu'il n'aima pas, elle ajouta :

– Tu te crois peut-être libre de toute idéologie, toi ?

Nichrom fronça le nez. Il n'aimait pas le ton que prenait cette conversation. Rutherfor n'insista pas et reporta son regard sur la fenêtre. Un petit sourire amusé effleura ses lèvres.

– Quoi encore ? ragea le jeune garçon. Tu vas arrêter de te foutre de ma gueule ? De me traiter comme un gamin ?

Cette fois, elle rit franchement.

– C'est vrai que ça donne l'air très mature de dire plein de gros mots et de cracher sur les passants.

– Je !

Mais il ne trouva rien à répliquer. C'était horrible, ce genre de moments. Il avait horreur qu'on lui cloue le bec. Comme sa colère enflait à mesure que les secondes s'égrenaient sans qu'il trouve la moindre repartie intelligente à lui fournir, Rutherfor se détourna de lui et reprit son chemin.

– Trouve-toi une occupation intelligente, Nichrom, lança-t-elle. La prochaine fois que tu me glaviotes dessus, je te le renvoie dans la face, compris ?

Et elle s'en fut, ignorant royalement les grossièretés dont il l'abreuvait.

Ce fut peu après cet incident qu'il décida de s'enfuir.

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Il avait pris sa décision sur un coup de tête et n'avait aucune idée de ce qu'il allait faire ensuite. Courir-dans-la-nature-retrouver-Magna serinait discrètement son cerveau mais il n'écoutait pas. Il ne voulait pas se fixer d'objectif, en dehors de se barrer pour prendre l'air. Du coup, il ne fit aucun préparatif. Il n'avait rien à prendre. Et puis, quelle idée de s'encombrer pour une ballade dans le désert. La seule chose dont il avait besoin, de toute façon, c'était Yellow Whip. Ses vêtements lui serviraient de medium.

Ses esprits lui avaient été retirés à son arrivée. Le premier, Purple Kick, pour être rendu à son frère. Normal. Et le second, par mesure de sécurité. Et puis un jour, sans prévenir, on lui avait rendu son scorpion. Au début, Nichrom n'avait pas compris pourquoi. Était-ce parce qu'ils avaient décidé de lui faire confiance ? Non, ça ne collait pas. Du coup, il avait mené sa petite enquête et… s'était rendu compte qu'il s'était fait salement rouler. Ce jour-là, il avait éprouvé un mélange d'indignation et d'admiration forcée. C'était probablement le temps de mettre ça en place que Sati lui avait retiré son esprit.

Dans le palais de la reine, avait-il constaté, il lui était impossible de créer un over soul.

Il ne savait pas d'où ça venait, si c'était un truc à base d'annulation du furyuku – même genre que le pouvoir dont elle s'était servie pour battre Hao, sans doute – mais, sur le moment, le prêtre pache en lui n'avait pu s'empêcher d'apprécier la manœuvre. C'était bien pensé, super malin et très bien exécuté. Il lui aurait mis une bonne note, tiens.

Le plus beau, c'est que certaines personnes – Daei et les autres Gandharas, en particulier – avaient, eux, le privilège de pouvoir faire usage de leurs talents. La protection était donc sélective et individuelle. Joli, vraiment.

Du coup, voilà comment il s'était retrouvé inoffensif (et réduit à cracher sur les gens). Parce que bon, la fusion, c'était mignon, mais avec un esprit animal, c'était quand même un peu limité. Surtout contre des fantômes de la classe des dieux.

Quoi qu'il en soit, une fois sorti, il pourrait faire usage de ses pouvoirs. Il n'avait donc pas besoin de prévoir des provisions, des armes ou quoi que ce soit. Il ne laissait rien derrière lui qui puisse lui manquer plus tard.

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Nichrom leva le camp à l'aube. En bon petit scorpion, il avait le pied léger. Il n'eut donc aucun problème pour traverser le palais encore endormi. Il avait calculé au plus près, sachant que certains se levaient vraiment très, très tôt (quelle bande de malades, sérieusement). Pourtant, ce ne fut pas suffisant.

Alors qu'il allait s'esquiver par une des fenêtres du rez-de-chaussée, qu'il avait douloureusement galéré à ouvrir, par ailleurs, il faillit faire un bond de dix mètres en entendant derrière lui :

– Qu'est-ce que tu fabriques encore, Nichrom ?

Il se retourna lentement en se maudissant et en maudissant la vie, l'univers et le reste avec. Car évidemment, sa poisse continuait. Il avait reconnu la voix détachée de Rutherfor.

Il lui fit face, exaspéré. La jeune femme n'était pas seule. Elle avait avec elle sa nouvelle – et toute première – sidekick, une gamine à cheveux roses qu'il avait déjà vue traîner avec Yoh Asakura. Une transfuge aussi, par conséquent. Peut-être bien qu'entre collabos-retourneuses de veste on se comprenait ?

– Et tu vas encore me faire croire que tu ne me suis pas ? siffla-t-il.

– Oh cette fois, tu as raison, avoua Rutherfor, amusée. En même temps, c'est plus un concours de circonstances qu'autre chose. Nous étions toutes les deux levées et ta discrétion n'était pas optimale.

Nichrom hésita. Les jaugea.

– Et vous comptez faire quoi, exactement ?

La petite rose n'avait pas l'air très dangereuse. Rien d'insurmontable. Par contre, Ruthie-chérie, ça serait une autre paire de manches. Il ne se souvenait pas l'avoir jamais battue, même s'il n'en n'avait pas tellement eu l'occasion non plus. Cela dit, il connaissait son fantôme, ses attaques, ses forces, ses faiblesses. Ça aiderait.

– Vous allez m'empêcher de sortir ? les défia-t-il encore.

– Il me semble que c'est la seule chose à faire, nota Rutherfor. Je ne sais pas où tu as l'intention d'aller mais je doute que Sati et les autres approuvent.

– Je m'en fous, rétorqua Nichrom. Ils n'ont pas à m'empêcher de sortir.

– Qui t'en empêche, dans la journée ?

Nichrom tiqua. C'est vrai que ça n'était pas spécifiquement indiqué mais…

– Et si j'ai envie de sortir, là, maintenant ? D'ailleurs, si je ne suis pas prisonnier, pourquoi vous voulez me retenir ?

– On s'inquiète de ce qui ressemble fortement à une fugue. C'est bien ce à quoi, tu pensais, non ?

Cette fois, Nichrom recula un pied et se plaça discrètement en garde. Les doigts de Rutherfor pianotaient lentement sur le côté de sa robe. Il s'attendait à ce qu'elle brandisse son over soul d'une minute à l'autre. Nul doute qu'elle faisait partie des « privilégiés ». Et s'il n'était pas assez rapide, Grey Saucer le piégerait sûrement dans une de ses dimensions. Ça serait la merde. Il fallait faire vite.

Soudain Rutherfor tendit le bras.

Au même moment, Nichrom franchir la fenêtre d'une enjambée. De l'extérieur, une bouffée d'énergie l'envahit : il était de nouveau capable de créer un over soul. Il perçut la protection qui entourait les murs mais ça ne l'empêchait pas de bloquer l'issue de la fenêtre ouverte. Sans réfléchir, il répondit à Rutherfor par une attaque subite. Sa manche droite s'étira, brutalement transformée en queue de scorpion, fondit par la fenêtre et fouetta l'air. Il entendit une exclamation, devina que Rutherfor avait évité la charge et, sans attendre, prit ses jambes à son cou.

– Non attends ! entendit-il alors crier derrière lui.

Mais ces mots étaient pour Rutherfor. C'était ceux de la fille aux cheveux roses.

– Laisse-le, il reviendra ! perçut-il encore, avant de prendre le large.

C'est ça, songea-t-il. Dans vos rêves, les filles !

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