Disclaimer : Shaman King appartient à Hiroyuki Takei et je ne tire aucun bénéfice pécuniaire de toute cette histoire.
Fragment 21
Un visage ami (Lucky)
(Estancia – Red Dead Redemption OST)
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Lucky resserra les pans de son manteau autour de lui. Malgré le feu qui craquait à ses pieds, il avait froid.
– Je peux augmenter la chaleur, si tu le souhaites, dit aimablement son vis-à-vis.
Lucky n'osa pas répondre par l'affirmative. Mais sans qu'il ait bougé d'un cil, le feu craqua plus fort et les flammes s'élevèrent, comme soufflées par un esprit. Une chaude sensation de bien-être envahit Lucky qui se dandina sur la pierre qui lui servait de siège. Il commençait à avoir des fourmis dans les jambes, à force de rester assis en tailleur, mais n'osait pas les étendre. Son interlocuteur ne semblait pas souffrir, bien qu'il n'ait pas changé de position depuis qu'il était tombé sur lui.
L'X-Laws avait erré pas mal de temps avant de tomber sur les traces d'un feu. Sur ces seuls indices, il ne pouvait deviner si les vestiges appartenaient à un groupe de mercenaires de la reine ou s'il s'agissait d'un fugitif comme lui. Ils étaient relativement éloignés du village pache mais, en ce qui le concernait, lui aussi aurait attendu d'être entouré de montagnes pour prendre le risque de faire du feu.
Il avait tenté de capter un furyuku dans le désert environnant. Une simple étincelle. Hélas, ses capacités ne lui permettaient pas de détecter l'autre shaman. Il s'était donc résigné à prendre la direction que l'inconnu semblait avoir prise.
Lucky avait prié pour que ce soit un autre réprouvé. Pas seulement parce qu'il craignait les forces de la reine. Il ne s'était pas rendu compte que la solitude lui pesait autant. Pourtant, il était resté prudent. L'arme au poing, à tout moment. Il y avait de fortes chances pour que l'autre soit un ancien de la bande de Hao. Si tel était le cas, il lui faudrait sans doute le tuer. Après tout, on avait tenté de leur donner une chance, de discuter, d'essayer. On avait voulu pardonner et on avait vu le résultat. Il n'y avait rien à faire de ces gens : ils étaient irrécupérables.
Lucky se savait capable de tuer de sang-froid. Même une personne désarmée. Il l'avait déjà fait à plusieurs reprises. Ce n'était pas ce dont il était le plus fier mais, s'il le fallait, il ne flancherait pas.
Cependant, il avait espéré de toutes ses forces faire face à un visage ami. Allié, du moins.
Il avait découvert le campement peu après, comme si l'autre l'avait laissé approché. Un feu brûlait au milieu d'un cercle de pierres. Devant lui, se tenait la silhouette d'un jeune homme assis. En le reconnaissant, Lucky avait senti l'émotion l'envahir, la joie, le soulagement, et derrière tout cela, sourdement, la crainte.
Le garçon avait tourné la tête vers lui, souri gentiment et tendu la main en signe amical.
– Alors, c'était toi.
Puis encore :
– Je t'en prie, assieds-toi.
Les jambes de Lucky l'avaient porté malgré lui. Il s'était assis en face de l'adolescent, submergé par une impression qu'il ne savait pas définir. Une boule dans sa gorge. Un poids sur ses épaules. Il avait fini par comprendre que c'était son furyuku. Ce furyuku monumental dont il percevait à présent la puissance écrasante.
– Ça me fait plaisir de te voir, dit finalement Lyserg.
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Il s'étaient restaurés de la dernière chasse de Lucky. Lyserg avait avoué n'avoir guère mangé les jours précédents. L'ancien X-Laws avait dissimulé un sourire. Lorsqu'il était arrivé chez eux, il avait tout du parfait petit urbain, bien plus habitué à arpenter le bitume que le cœur sauvage des États-Unis. Mais le garçon qu'il avait en face de lui n'avait plus rien à voir avec celui, peu assuré et fragile, que Marco avait ramené. Le regard de Lyserg avait quelque chose de clair, de franc, qu'on ne trouvait que dans celui d'un chef.
– Je suis la première personne que tu rencontres ? demanda Lucky.
– Non. J'ai failli être capturé, une fois. J'ai pu fuir mais j'ai été repéré. Je dois être officiellement en fuite, désormais.
Lucky baissa les yeux sur le feu. Il n'ignorait pas que Lyserg était un gibier bien plus intéressant pour la reine que lui-même. C'était peut-être d'ailleurs la seule raison pour laquelle elle le recherchait. Il ne voyait pas ce qu'elle aurait pu faire de lui, autrement. Lyserg n'était qu'un gosse. Et ses mains, contrairement aux leurs, étaient propres.
– Tu penses fuir ? reprit-il. Aller quelque part ?
– Fuir ? Non. Il me reste des choses à faire. Des gens à retrouver.
Lucky sembla hésiter à poser la question suivante.
– Et... pourquoi ?
– Je pourrais fuir au bout du monde jusqu'à la fin de mes jours ou bien rester, rassembler nos anciens compagnons. Plus nous serons nombreux, plus forts nous serons pour négocier avec Sati.
– Négocier… ?
Cette fois, Lyserg resta silencieux un moment. Lucky chercha à deviner ses pensées. Que pouvait-il avoir à demander ? La grâce des autres X-Laws ? La libération de Marco et de Meene, aussi. Il avait vu les avis de recherche les représentant disparaître, arrachés aux panneaux d'affichage ou barrés de rouge, symbole de leur capture. Quoi d'autre ? Le retour de Jeanne, peut-être.
– Le combat n'est pas terminé, dit soudain Lyserg. Il ne le sera que lorsque nous serons venus à bout de Hao. Lorsqu'il sera mort. Pour de bon. Pas bouclé dans un coin de la communauté des âmes. Pas en attente de résurrection. Mort.
Le pouls de Lucky accéléra. Il se pencha en avant, avide.
– Tu sais quelque chose ? fit-il d'une voix rauque.
Lyserg secoua la tête.
– Pas plus que n'importe qui. Et c'est bien le problème. Mais pour imposer des conditions, il me faut plus de poids dans l'équation.
À ces mots, martelés avec force, une branche craqua et un violent jet d'étincelles voltigea. Lucky recula, instinctivement, et nota au sourire de Lyserg que le phénomène venait de lui. Soufflé, il dévisagea l'adolescent et les flammes alternativement.
– Comment fais-tu ? balbutia-t-il. Je veux dire… tu n'as jamais vraiment récupéré le Spirit of Fire ?
– Non, répondit Lyserg. Je ne me l'explique pas.
Le feu parut ronronner, tandis que le bois se racornissait à vue d'œil. Lucky examinait son jeune camarade sans que celui-ci paraisse gêné par son inspection. Quelle était au juste la nature de ses pouvoirs ? Se pouvait-il qu'il ait les moyens de rivaliser avec la reine ? Se pouvait-il que ça soit pour cette raison qu'elle ait décidé de le traquer ? Lucky n'était pas tranquille. Le jeune garçon sensible et émotif qu'il connaissait était devenu une toute autre personne. Quelqu'un de puissant, d'assuré, de dangereux, même. Et ce qu'il avait dit à propos de Hao...
Lucky ne pouvait nier que cette idée l'attirait terriblement. Obtenir enfin vengeance de Hao... ! La victoire de Sati, loin de leur rendre justice, les avait privés de leur revanche. Tous. Se battre si rudement, travailler si dur, mourir tant de fois, tout ça pour quoi ? Pour se retrouver parachutés en vie, à courir dans la brousse sans savoir si le diable avait été vaincu définitivement ou pas. Qui pourrait se satisfaire de ça ? Brusquement, plus rien n'avait d'importance aux yeux de Lucky, pas même les négociations en faveur de leurs anciens chefs. Lyserg avait raison.
Il devina le regard de l'adolescent posé sur lui et le lui rendit. Alors Lyserg demanda :
– Tu restes avec moi ?
Il y eut un silence, ponctué de craquement de bois. Puis Lucky inclina légèrement la tête.
– Je suis content, souffla Lyserg.
La conversation se tarit. Ils la laissèrent mourir. Puis, Lyserg proposa de dormir.
– Ne t'inquiète pas pour le froid, assura-t-il en s'enroulant dans sa cape. Le feu ne s'éteindra pas.
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