Disclaimer : Shaman King appartient à Hiroyuki Takei.
Fragment 22
Mon royaume pour un cheval (Faust)
(Beyond two souls OST : The Party Revenge / Treason / Black Sun)
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Faust passait en revue les stocks de son hôpital. Ils commençaient à être à court d'antidouleurs. Évidemment. C'était toujours ça qui finissait par manquer en premier. De toute façon, ils manquaient de tout. De force, de repos, de bandages, de médicaments, de renforts... et encore, ils n'avaient pas besoin de manger ! Sati avait vu trop court, songeait Faust. Ça n'était plus de cinq soldats qu'elle avait besoin, mais de dix mille.
Il contourna le lit d'un blessé et fit rapidement le compte des bandages rangés dans l'armoire qui se trouvait derrière. Mieux valait être vigilant. Il n'en avait encore surpris aucun à voler dans les réserves mais cela pouvait arriver à tout moment. L'humain acculé pouvait être le pire des égoïstes.
C'est alors que le sol trembla sous leurs pieds. Faust se retourna, déséquilibré, et se retint à un poteau. Des voix apeurées s'élevèrent. Un frisson glacial parcourut le dos du médecin. Même s'ils refusaient de le réaliser, tout le monde savait ce qui se passait.
La cloche confirma ce qui commençait à se chuchoter. L'alerte. Encore.
Au-dessus de leurs têtes, les plaques de tôle mal jointes vibraient, laissant filtrer un peu de poussière à chaque coup.
Qu'est-ce que ça sera, cette fois ? se demandait Faust. Les chiens ? Les diables ? Le feu ? Il refusait de penser à pire.
Sur les lits, les blessés s'agitaient, terrorisés. Pour ceux qui le pouvaient.
– Pas encore... pleurnichait l'un d'eux. Non...
– Docteur, ma jambe... je ne pourrai pas courir...
– Docteur...
Ils puaient la peur, la mort et la putréfaction.
– Du calme ! ordonna Faust. Pour l'instant, ce n'est qu'une secousse.
S'efforçant de dissimuler sa tension, le médecin vérifia mentalement l'état des défenses de son infirmerie. Le maximum était concentrée sur l'aile des blessés graves. En cas d'attaque sévère, les murs de cette salle-ci ne tiendraient pas longtemps. Et ils n'avaient même pas de véritable porte pour se barricader... Il évalua rapidement les forces en présence. Certains blessés étaient capables de se battre s'il le fallait. D'autres devraient être évacués dès maintenant.
Faust tourna les talons et fit signe à Daz, l'assistant que Sati lui avait trouvé, de le suivre.
– Ceux qui ne peuvent pas bouger doivent être déplacés avec les blessés graves, ordonna-t-il. Assure-toi que les autres ont leurs armes.
– Compris.
Faust quitta l'hôpital pour aller aux nouvelles. Les cris et cavalcades résonnant dans le couloir lui apprirent qu'il ne s'agissait pas de banales secousses du sol comme il s'obstinait à l'espérer.
– Qu'est-ce qui se passe ? cria-t-il à une soldate. Où est Chocolove ?
– En haut ! Ce sont les diables !
Faust respira profondément tandis que la fille s'élançait dans l'escalier. Le soulagement qu'il éprouvait était si intense qu'il crut que ses jambes allaient se dérober. Les mains crispées sur les battants de la porte, il regarda les troupes de la zone M se ruer au combat, suivies de leurs fantômes gardiens. Je dois tenir, pensa-t-il.
Il rabattit la toile qui fermait l'aile médicale.
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Faust remonta les travées des lits en hâte.
– Les diables nous attaquent, lança-t-il. Préparez-vous à combattre.
Il n'écouta pas les clameurs autour de lui, ni les plaintes. Il se retira derrière les draps tendus qui séparaient son « bureau » du reste de l'hôpital et chercha le réconfort de la présence d'Eliza. La sensation de son épouse à son côté le réconforta quelque peu.
Il tira au-dehors quelques caisses de matériel pour former une barricade destinée à protéger ses patients. Si le bâtiment tenait bon, il n'y aurait pas de problème. Mais les diables, avec leurs massues et leur force brute, savaient briser les cloisons derrière lesquelles ils s'abritaient. S'ils perçaient leurs murs, il faudrait les retenir au maximum le temps que les troupes de Chocolove les exterminent. Et s'ils entraient dans l'hôpital... Faust serra les dents. On pourrait toujours se replier dans l'aile des blessés graves. Ensuite... eh bien, ensuite, il lui faudrait prendre autant de shamans possibles sur son Over Soul, percer le plafond et fuir.
Traînant une caisse jusqu'à la porte, Faust s'efforça de chasser ce scénario catastrophe de son esprit. Mieux valait se concentrer sur le présent. Il n'était même pas sûr que les diables parviendraient à entrer.
Au-dessus d'eux, résonnaient les bruits de l'affrontement. Faust demeura debout, immobile, le temps des premiers assauts. De temps en temps, il lançait une parole rassurante à ses malades. Malheureusement, il ne savait pas détendre l'atmosphère comme Chocolove. Leur leader blaguait-il pour encourager ses troupes, là-haut, tout en combattant ? Il paraissait toujours si calme lorsqu'il affrontait ses adversaires, depuis son retour des enfers. Faust avait le double de son âge. Pourtant, il aurait aimé posséder le même genre de sang-froid tranquille que l'adolescent.
La bataille faisait rage au-dessus de leurs têtes. Des gémissements montaient à chaque nouveau cri humain. Ils attendirent une éternité, contraints d'entendre tout sans pouvoir y prendre part. Les images les plus atroces tournaient sans relâche dans la tête de Faust : un champ de ruines et de cadavres, où ses compagnons mourraient tous jusqu'au dernier, jusqu'à ce qu'ils ne restent qu'eux et que les puissances infernales viennent les chercher.
Un grondement plus violent que les autres les fit sursauter. D'assourdi, le vacarme du combat était devenu clair. Faust serra les dents pour retenir une grimace. Cela ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose : les diables avaient ouvert une brèche dans leurs fortifications.
Mentir à ses blessés ne servirait à rien. Les cris venaient à présent dans la direction de l'hôpital. On commençait à distinguer les paroles, les avertissements, les ordres. Bientôt, Faust devina qu'ils se trouvaient dans la coursive, l'autre côté de la toile cirée. Lentement, il se plaça dans l'allée centrale, entre les lits, serrant son médium dans la poche de sa blouse blanche. Leurs maigres fortifications avaient quelque chose de dérisoire. Elles ne rempliraient pas leur office longtemps. Faust laissa le masque de la détermination recouvrir son visage. Le sang battait à ses tempes mais il devait avoir l'air calme pour le bien de ses malades. Même si les autres se battaient juste derrière le drap qui les séparait du reste du bunker.
Une tête le franchit soudain et hurla :
– Ils sont là !
Alors, la patte d'un diable parut et l'attira hors de leur vue. Puis le monstre arracha le tissu. Malgré les caisses qui lui barraient le passage, un sourire hideux barrait sa gueule barbouillée de sang. Ses deux bras enveloppèrent la plus haute et la projetèrent en avant, au milieu de l'infirmerie. Le passage s'ouvrait.
Ce fut la débandade. Les hurlements et les Over soul montèrent. Des convalescents cherchèrent à fuir. Faust s'empara d'un sachet noir qu'il ouvrit et renversa à ses pieds.
Une masse de minuscules ossements s'éparpilla sur le sol.
– Allez, murmura simplement Faust, tandis que son pouvoir faisait son œuvre.
L'armée de squelettes se joignit aux shamans pour lutter contre l'envahisseur. Il restait une poignée de diables mais leur armée était exsangue. Les forces de Faust servirent de paravent aux shamans, pour un temps. Car ces micro-Over soul n'étaient bien évidemment pas assez puissants pour rivaliser contre les diables. Ils ne l'avaient jamais été.
Un homme et une femme s'effondrèrent, le crâne fracassé par la massue d'un diable goguenard.
Le médecin dut se rendre à l'évidence : cela ne marchait pas.
– Écartez-vous ! rugit-il en levant les bras.
On lui céda la place. Dès que les blessés lui parurent suffisamment loin, Faust ouvrit les vannes. Laissa Eliza puiser à fond dans ses réserves de furyuku. Les hurlements s'estompèrent autour de lui. Soudain, un craquement sinistre ébranla l'infirmerie. Au cœur d'un magma d'énergie, on vit émerger la forme du démon. L'Over soul Mephisto E s'éleva lentement, déroulant son dos avec lenteur. Cornes. Seringue monstrueuse. Scalpels meurtriers. Cliquetis d'instruments chirurgicaux, prêts à servir. Chacun retint son souffle.
– Eliza mon amour, veux-tu bien faire sortir ces créatures de mon hôpital, dit Faust avec un de ces sourires d'une douceur diabolique dont il avait le secret.
Il y eut un éclair. Juste un. Eliza se jeta au combat.
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La poussière retombait sur le champ de bataille.
Si Faust n'avait pas appris à réguler la taille de Mephisto E, jamais il n'aurait pu l'utiliser dans un espace aussi restreint. Fort heureusement, il parvint à la cantonner à la hauteur du bunker. De toute façon, elle n'avait pas besoin de bouger beaucoup pour faire mouche.
Peu avant la mort du dernier diable, le médecin avait été renversé par un cadavre projeté par leur ennemi. Il s'était effondré sous les poids du shaman mort et dut attendre qu'Eliza en finisse pour se débarrasser du corps qui l'écrasait.
– Merci, mon amour, dit-il à son épouse lorsqu'elle retira le cadavre.
– Mais de rien.
Faust sourit, toujours amusé de l'entendre parler. C'était si rare.
Ignorant la douleur qui irradiait tous ses membres, il se releva. Ses jambes tremblaient, son corps spirituel se remettait à peine du choc subi mais il voulait voir. Il le fallait. Il traversa le bunker jusqu'aux portes enfoncées qui avaient permis aux diables d'entrer. Escaladant la pile de gravas, toussant à cause de la poussière, il se dressa de toute sa taille pour contempler le macabre spectacle laissé par la horde.
Des corps étendus, sans vie, éparpillés. Beaucoup de diables et des miettes d'humains parsemant les décombres. Des éboulis. Des fragments d'âme. Des cendres. Et au-dessus d'eux, la Muraille, intacte.
Au moins, le toit du bastion avait tenu le coup.
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Dès qu'il put, Faust courut à l'aile des blessés graves. Il les trouva tous endormis paisiblement, comme il les avait laissés. Un soupir lui échappa, traversé de tremblements. Sa protection avait tenu : rien n'avait été déplacé. Il s'appuya un instant contre un poteau, juste un instant.
Il ne put s'accorder que quelques minutes de répit. Les nouveaux blessés avaient besoin de lui. Sa fermeté retrouvée, Faust les rejoignit, se peignant un visage bienveillant. Le plus apaisant qu'il put trouver.
Les pertes étaient beaucoup plus importantes, cette fois. Faust s'interdit de partir à la recherche de Chocolove et se concentra sur les soins qu'il lui fallait procurer. Chaque shaman qu'on lui amenait encore en vie était un espoir pour leur cause. Il ne devait penser qu'à cela. La bonne surprise, c'était que la plupart des blessés étaient légers. Après avoir rendu à son devoir une shamane à la cheville foulée – pas de lit pour les égratignures de cette sorte –, il songea enfin à s'autoriser à s'enquérir de ses plus proches amis. Alors qu'il allait demander à Daz de le remplacer dix minutes, une voix connue retentit dans son dos.
– Tout va bien ?
Faust se retourna et croisa l'œil sagace de Chocolove, la face grise de poussière, indemne.
– Tu es vivant, soupira-t-il.
– Ouais, en un seul morceau.
Faust hocha la tête, trop épuisé pour manifester davantage d'enthousiasme.
– Des pertes parmi tes blessés ?
– Pour l'instant, non.
Chocolove baissa les yeux.
– On a perdu une trentaine de recrues.
– Tant que ça ?
Le chef de la zone M hocha la tête gravement. Son regard triste le vieillissait.
– Je dois voir Sati, tout à l'heure. Tu as des requêtes particulières ?
Faust sentit un regain d'espoir l'envahir. La reine ne s'absentait jamais vraiment, même si on ne la voyait pas. Toutefois, ses visites en personne soulageaient toujours et remontaient le moral des troupes.
– Comme toujours. Plus de main d'œuvre. Des assistants pour soigner les blessés. Je fais ce que je peux avec Daz et ce système de bandages over soul mais...
Il écarta les bras avec fatalisme et Chocolove hocha la tête.
– Je comptais lui demander un coup de main pour les réparations. On va s'occuper du plus urgent et elle fera le reste. Je pense qu'elle pourra aussi prendre en charge une partie de tes blessés.
Faust remercia d'un signe de tête. La reine avait beau les protéger de son pouvoir, rien ne valait une guérison directe.
– Un ou deux cent mille points, voilà ce qu'il nous faudrait, soupira Chocolove.
Faust eut un rire sans joie. Il savait à quoi il pensait. Mais pour lui, la question était sans débat. Quelles sortes de personnes seraient-ils s'ils piégeaient leurs amis dans cet enfer ?
– Au fait, reprit soudain l'adolescent. Je t'avais envoyé Lilirara. Elle est venue ?
– Je ne l'ai pas vue.
– Quelle imbécile, grinça Chocolove.
– C'est grave ?
– Je ne sais pas, elle a pris un sale coup de masse sur la tête. Elle dit que ça va mais je lui avais quand même ordonné de lâcher son poste... ah la la.
Chocolove pesta encore et quitta Faust. Un sourire amusé se peignit sur les lèvres du médecin.
Un peu plus tard, Lilirara vint le voir, morose comme toujours.
– Fais vite, dit-elle d'une voix lasse.
Faust ne s'en formalisa pas. Il ne fallait jamais se formaliser avec Lilirara.
– On verra selon ton état, rétorqua-t-il doucement. Installe-toi.
Elle s'assit avec réticences sur le bord du lit qu'il lui présentait. Chocolove devait avoir beaucoup insisté. Faust l'examina rapidement et lui diagnostiqua une simple commotion.
– Tu t'en sors bien, remarqua-t-il.
Lilirara eut un signe de tête fataliste.
– Ce n'était rien à côté de ce qu'il peut nous faire.
– Nous avons quand même perdu une trentaines de shamans.
– Il y aura de pires batailles.
Discuter avec cette fille avait quelque chose de déprimant mais Faust la trouvait étrangement drôle.
– Je le tuerai, dit soudain Lilirara.
Ses yeux s'étaient étrécis.
– On ne sait même pas si c'est lui, soupira Faust.
– Bien sûr qu'on sait. Hao se trouve derrière cette muraille, Sati nous l'a confirmé en personne. Et même sans ça... je le sens.
Son regard absent se fixa sur un des lits. Faust hésita avant de poursuivre.
– Même la reine ne sait pas s'il est conscient de ce qui se passe. Quand elle l'a exilé ici pour contenir son pouvoir, le contrôle s'est rompu. Il se peut qu'il dorme toujours...
– En ce cas, qu'affrontons-nous ?
– Je ne sais pas. Sa colère. Sa haine...
– Qu'est-ce que ça change.
Faust rangea son matériel.
– Peut-être qu'il souffre, marmonna-t-il pour lui-même.
– Pourquoi souffrirait-il ?
– Pourquoi pas ? Nous ne comprenons pas comment fonctionne cette chose qui l'entoure. Le cocon est peut-être corrosif de l'intérieur. Peut-être est-ce encore pire.
Un sourire amer vint à Lilirara.
– Je me demande si c'était le genre de prison qu'elle voulait pour lui.
Faust tiqua.
– Je ne crois pas que Sati ait pu créer une telle chose volontairement.
– Pourquoi pas ? Pour le détruire, elle aurait pu aller jusque-là.
Il secoua la tête, remué malgré lui par ce qu'elle avançait.
– La Muraille est née quand elle en a perdu le contrôle. Quand Hao lui a échappé.
– Oui, c'est ce qu'elle nous a dit.
Lilirara tourna ses yeux tristes vers lui :
– Tu es quelqu'un de bon, Johann Faust.
Le médecin ne put soutenir ce regard.
– Autrefois, je ne l'étais pas.
– En effet.
Déstabilisé, Faust s'efforça de la fixer encore.
– Si j'ai droit à la rédemption, pourquoi lui ne l'aurait-il pas ?
Lilirara cilla.
– Tu as tué deux hommes. Tu n'as pas anéanti tout un peuple. Tu n'as pas dévoré toutes les âmes qui se dressaient sur ton passage. Tu ne menaces pas de détruire l'équilibre du monde en y répandant les ténèbres.
En tout cas, je ne t'ai rien fait personnellement, songea le médecin. Mais il se tut. Il ignorait ce que cela faisait de voir et revoir des années durant l'extinction de sa tribu, avant d'être dévoré par les flammes d'un Over soul.
– J'espère qu'il souffre, murmura-t-elle encore. J'espère que la Muraille le consume. J'espère que nous lui barrerons la route suffisamment longtemps et qu'elle finira par le tuer pour nous.
– Ne souhaite pas ça, dit gravement Faust. Nous ignorons ce qui se passera si Hao est dévoré par la Muraille.
Lilirara se leva et prit son bâton.
– Je vais aux réparations, dit-elle. Si on me cherche.
Faust hocha la tête.
– Ne force pas trop.
Elle quitta les lieux sans répondre.
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