Juan sortit en trombe de la chambre de la jeune Francesca Veniere et s'adossa contre la porte. Pourquoi l'avait-il embrassé? Elle était loin d'être belle en comparaison à ses nombreuses conquêtes. Elle n'était pas laide mais certainement bien en dessous des femmes qu'il avait eu dans son lit. Ce n'était pas non plus son rang qui même si il était élevé, restait équivalent à celui des quelques princesses et autres grandes duchesses qui avaient jadis écarté les cuisses pour lui pourtant, elle le troublait et le simple fait qu'elle puisse à ce point occuper ses pensées l'agaçait au plus haut point. Juan n'avait pas remarqué la présence d'un de ses soldats qui le regardé effaré. Le Gonfaloniere se rappela alors que du sang ruisselait sur sa tempe. D'un ton sec il ordonna à son subordonné de monter la garde et de ne surtout pas laisser la fille du doge en sortir sauf sous ordre du pape. Tout en se dirigeant vers les écuries, le jeune Duc esquissa un sourire en se rappelant que la douce Sancia était seule chez elle en l'absence de Gioffre, son frère qui avait été mandaté par le Saint Père pour renforcer l'influence des Borgia dans le sud de la botte.
"Où croyez-vous aller, Borgia?! La voix rauque de Selzoni raisonnait dans la cours du palais pontifical et Juan leva les yeux au ciel en se demandant qui de Francesca Veniere ou du chef de la garde du Doge l'agaçaient le plus mais si tous les vénitiens étaient comme cela, il se jurait de ne jamais mettre un pied dans cette ville aussi belles soient ses légendaires courtisanes.
- Non pas que cela vous regarde, mais j'ai des engagements à respecter, il imaginait alors la bouche pulpeuse de Sancia parcourir son torse et une vague de chaleur l'envahit.
- Vous plaisantez j'espère, la fille du Doge de Venise se trouve sous VOTRE garde et vous ne quitterez pas les lieux tant qu'elle n'aura pas repris la direction de Venise sous bonne garde.
- La votre? J'avais pourtant l'impression que votre "garde" justement laissait quelque peu à désirer, quant au fait de quitter le palais ou non, ce n'est pas à vous d'en décider mais au Pape. Le Gonfaloniere affichait un sourire grandissant au fur et à mesure que le regard de Selzoni noircissait.
- Alors allons de ce pas demander au souverain pontif ce qu'il en pense, Juan ouvrit la bouche pour répondre mais l'officier le saisit par le col et l'emmena d'un pas ferme vers les appartement de Rodrigo Borgia.
En voyant Selzoni arriver en malmenant leur chef, les gardes du palais sortirent leurs épées mais Juan leur signifia que tout était en ordre même si il ne rêvait que de poignarder le vénitien dans son sommeil.
Le vieil officier frappas à la porte et la voix du pape leur intima l'autorisation de rentre. Selzoni ouvrit violemment la porte et poussa l'impertinent Gonfaloniere dans le bureau de son propre père. Le pape, en présence de Cesare, regarda le duo avec effarement ce demandant bien ce que son fils avait encore fait.
- Votre Sainteté, je suis navré de vous interrompre en pleine réunion mais je viens manifester mon mécontentement, dit Selzoni en s'inclinant avec respect.
- Vous ne me dérangez aucunement, rétorqua le pape d'un ton calme et faussement bienveillant. Si il n'était pas certain de se faire emmurer vivant, Juan aurait bien volontiers éclaté de rire mais le regard noir de Cesare suffit à le convaincre que c'était une mauvaise idée.
- Le Gonfaloniere s'apprêtait à quitter le palais et je doute que cela ne plaise au Doge de savoir que l'homme qui doit assuré sa protection ne se trouve même pas à proximité. Selzoni articulait chaque syllabe avec calme.
Le Duc de Gandia sentit le regard interrogateur de son père et de son frère se poser sur lui.
- Mes meilleurs gardes sont postés devant ses appartements, elle ne risque strictement rien, fit Juan en levant les bras au ciel signe que cette journée commençait dangereusement à virer à la comédie.
- Juan, je veux que tu t'occupes personnellement de la sécurité de son altesse, la princesse Francesca Veniere, la fille de notre bien-aimé Doge, Rodrigo marqua une pause avant de poursuivre, qui sera notre invitée ce soir au dîner. En entendant son père, Juan se demanda si ce dernier n'avait pas perdu l'esprit et si il se rendait bien compte que cela impliquait de parler à la fille la plus insupportable d'Italie.
- Comme vous voudrez Saint Père, répondit le Gonfaloniere en s'inclinant avec respect. Il n'avait plus la force de discuter et il allait visiblement de voir supporter Francesca encore quelques temps.
Juan se dirigea vers la porte en pensant être suivis de près par Selzoni mais son père avait visiblement d'autres projets pour ce dernier.
- Selzoni, veuillez respect, le Cardinal Veniere ne saurait tarder et je voudrais que vous soyez présent.
Le jeune Duc claqua la porte avec force. Sa longue et épuisante nuit avec Sancia se voyait remplacée par une nuit toute aussi longue mais bien moins plaisante avec Francesca Veniere. Juan était quasiment certain que même les français n'en voudraient pas.
Conformément aux ordres de son père, Juan se rendit de nouveau aux portes de la chambre de Francesca. Il demanda au garde en poste de lui apporter une chaise et de prendre congé; ce dernier s'exécuta sans demander son reste. Le Gonfaloniere avait le sang chaud et il était réputé pour passer ses nerfs sur le premier qui se trouvait à porter de lame.
Juan fixa la porte et soupira en se demandant comment cette journée qui avait commencé dans les bras potelés d'une charmante courtisane avait pu se transformer en un cauchemar dans lequel il jouait le rôle de garde d'enfant. Il repensa au baiser et à la fougue avec laquelle elle s'était défendue. Elle avait du cran et c'est une qualité qu'il respectait même si il pouvait affirmer qu'il détestait Francesca presque autant que Caterina Forza.
Cela faisait une demie heure qu'il attendait devant la porte, il tenait son épée et dessinait machinalement des cercles sur le sol de marbre lorsque la porte s'ouvrit brusquement. Francesca se tenait dans l'embrasure, droite, le port altier et une mais posée fermement sur la hanche. En voyant le Gonfaloniere assit sur sa chaise, elle leva un sourcil aristocratique.
- Excusez-moi cher Duc? J'ai du mal comprendre votre fonction... Etes-vous un simple garde ou vraiment Gonfaloniere? Demanda Francesca avec un rictus moqueur. Juan se leva d'un bond et fit un pas vers l'impertinente.
- Il semblerait qu'empêcher une enfant gâtée de fuir nécessite les meilleurs gardes du pays, siffla-t-il .
- Je ne suis plus une enfant, Gonfaloniere. Juan laissa délibérément son regard glisser le long du corps de Francesca.
- Vous n'êtes pas une femme non plus, susurra-t-il à l'oreille de la jeune princesse.
- Visiblement cela ne vous a pas empêché de m'embrasser maladroitement, rétorqua-t-elle tout en s'écartant de Juan qui parvenait difficilement à se restreindre de la gifler.
- Peut-on savoir où vous comptez aller?
- Prendre l'air, cette chambre est étouffante... Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase que Juan l'empoigna par l'épaule et la repoussa dans sa chambre tout en refermant la lourde porte de sa main libre. Il pu lire un instant la panique dans les yeux de Francesca et c'est une vision qui le satisfaisait. Il ne pouvait quitter la jeune femme des yeux et il devait admettre qu'elle avait quelque chose de magnétique et idées qui lui passaient par la tête à ce moment-là étaient loin d'être galantes.
Francesca recula de plusieurs pas en se dégageant à nouveau de l'emprise de Juan. Ils se fixaient mutuellement avec mépris sans que l'un des deux ne daigne détourner le regard. Si Francesca pouvait lire clairement la haine dans les yeux du Gonfaloniere, elle pouvait également y distinguer autre chose, quelque chose qui l'effrayait et l'attirait en même temps. Le temps sembla se figer et une éternité ne passa avant que Juan ne se décide à rompre le silence.
- Le pape souhaite vous inviter à sa table. Juan se maudit de n'avoir eu que cette banalité à répondre et fut d'autant plus surpris par la réponse de Francesca Veniere qui se contenta d'un "bien" comme si leur joute silencieuse les avait épuisé. Le jeune femme pivota et se dirigea vers une petite table sur laquelle était posée une lourde bague. Elle saisit l'anneau et le fit glisser le sur son doigt fin avant de serrer machinalement comme pour s'assurer que le bijou n'entravait guère ses mouvements.
- Je vous prie de quitter ma présence, Gonfaloniere, je ne puis être seule dans une chambre avec un homme et encore moins un... Elle s'interrompit et fixa son anneau avant de relever la tête et de le jeter un regard foudroyant à Juan qui était presque certain que c'est le mot "bâtard" qu'elle s'était interdit de prononcer.
- Ne vous faites pas d'idées, je ne me contente que des plus belles. Il fit une révérence exagérée et sortit de la chambre de Francesca avec un large sourire.
Lorsque Francesca Veniere, Juan et deux des gardes pénétrèrent dans la grande salle à manger, le souverain pontif se leva et tendit son anneau que la jeune femme embrassa pieusement.
- Je vous en prie, altesse, veuillez prendre place. Rodrigo fit signe à son fils de s'asseoir et plusieurs serviteurs s'agitèrent autour d'eux.
- Je me suis entretenue avec votre oncle et nous avons conclu que vous repartirez demain pour Venise, dit le pape en fixant Francesca avec un regard entendu. Juan se sentit soulagé mais il avait le sentiment bizarre que ce n'était que le début d'une longue série d'ennuis.
- Je vous remercie votre Sainteté, il me tarde de retrouver Venise.
Juan ne put s'empêcher de laisser échapper un rire étouffé.
- Venise que vous avez pourtant fuit bien rapidement, fit-il en buvant une gorgée de vin.
- Je me rends compte aujourd'hui qu'il y a pire ailleurs. Si un regard pouvait tuer, Juan serait sûrement mort et comme si il présageait un massacre, Rodrigo s'empressa de couper court à la discussion.
- Vous partirez demain en compagnie avec votre oncle qui doit s'entretenir avec votre père, le Doge.
Le Gonfaloniere fronça les sourcils, il trouvait cela étrange et se demanda bien ce qui était si important pour que le cardinal lui-même se déplace mais une chose était certaine il n'aimait pas cela.
Le souverain pontif était un hôte hors paire et il avait prévu un repas largement arrosé du meilleur vin de Rome si bien que Juan se sentit rapidement enivré et il fut heureux de constater qu'il n'était pas le seul à voir les attitudes de Francesca. La jeune fille riait et parlait animation d'art et de musique avec Giulia qui les avait rejoins. Juan observa avec attention l'élégance et la grâce de la fille du doge. Son rire était mélodieux et il aimait la façon avec laquelle elle inclinait la tête sur le côté lorsqu'elle parlait. Il était également fasciné par la manière dont ses mains dansaient lorsqu'elle parlait avec enthousiasme de certains poètes vénitiens dont il n'avait jamais entendu parler. Le Gonfaloniere était tellement occupé à admirer Francesca qu'il ne remarqua pas le regard de son père qui l'observait avec attention.
Lorsque Francesca prit congé et demanda à être raccompagnée dans ses appartements, Juan ordonna à ses gardes de les laisser. Les deux ennemis marchaient silencieusement, respectant une forme de trêve. Une fois arrivé à ses appartements, le Duc ouvrit la porte pour Francesca. Cette dernière passa devant lui et s'arrêta pour lui faire face. Elle le dévisagea un long moment avant de murmurer des mots qui allaient tout changer.
- Il est dommage que vous ne me trouviez pas à votre goût car je dois avouer que ce soir, vous auriez été au mien.
