Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas, ils sont la propriété de G. R. R. Martin.

Note : Le troisième chapitre est ENFIN terminé. J'ai cru que je n'y arriverais jamais. J'ai écrit la moitié du chapitre en quelques heures seulement et j'ai mis plusieurs mois à l'écrire en entier. La longueur excusera peut-être tout ce temps que vous avez passé à attendre ? Peut-être ? Je m'en excuse, je n'avais pas la tête à ça ( j'écris sur d'autres fandoms et je suis tout le temps dispersée ).

Ce chapitre est un POV de Daenerys. On y voit la Fraternité sans bannière, un peu plus de Tyrion, un peu de Jon ( et quelques interactions avec Daenerys, si si ). J'espère que cela plaira aux lecteurs qui ne m'ont pas encore quittée, bonne lecture !

PS : un grand merci aux followers, reviewers et favoris, encore. :)

À tous les ceux qui se demandent à quelle fréquence je publie : je ne peux pas vous donner de dates précises. J'écris cette fiction chapitre par chapitre ( même si je suis une trame détaillée ). D'ailleurs, pour me faire pardonner, je vous donne le titre des trois prochains chapitres : Le Bâtard, Les Dragons, L'Alliance ( et je vous laisse faire vos prédictions pour la suite :) ).


La Fraternité

Les hommes s'étaient regroupés dans la cour au dehors. Des torches avaient été allumées et les flammes léchaient de leurs langues acérées la nuit sombre et froide de l'Hiver qui avait progressivement recouvert Westeros. De là où elle se tenait, Daenerys ne pouvait apercevoir ce qui accaparait l'attention de ces hommes. Elle ne discernait qu'une masse noire et informe regroupée autour d'un feu.

Ses sang-coureurs s'étaient précipités à son encontre, interrompant son entretien avec ser Barristan. C'était les hommes en noir qui les avaient avertis : Tyrion Lannister avait fait une mauvaise rencontre et il la priait de le rejoindre dans la cour. Elle n'avait pu en savoir plus. Ses hommes eux-mêmes semblaient totalement ignorer de quoi il en retournait.

Ils annoncèrent son arrivée et lui créèrent un passage jusqu'au centre de l'attroupement. Daenerys entendit les murmures qui se propageaient sans pour autant en comprendre la teneur. Tyrion s'arrêta juste devant elle.

« Votre Grâce, alors que j'avais le plaisir de converser avec mon vieil ami Jon Snow, nous avons fait une étrange découverte. Certain que cela vous concernait, j'ai fait immédiatement prévenir vos hommes. Il faut que vous puissiez constater de vos propres yeux cette singularité. »

Les détours que prenaient parfois Tyrion pouvaient l'agacer, comme c'était le cas en ce moment même.

« Venez-en au but, lâcha-t-elle froidement. »

Tyrion lui sourit de toutes ses dents, déformant sa face repoussante.

« Je vous prie de me suivre, répondit-il. »

Trois hommes s'écartèrent – tous trois vêtus de noirs. Parmi eux, Daenerys reconnut Jon Snow et l'épée valyrienne qui pendait à ses hanches. Il lui lança un regard furtif, mais suffisamment expressif pour qu'elle puisse l'interpréter. La contraction dans ses traits trahissait l'inquiétude – une inquiétude qu'il n'avait pas voulu lui cacher. Il souhaitait peut-être qu'elle le croit.

Tout dépendrait de ses actes. Cela ne tiendrait qu'à lui.

Il a brisé ses vœux. Il a menti. Il n'est pas fiable

Il se tut et riva à nouveaux ses yeux vers ce qui avait été l'objet de toutes les attentions. Enfin, Daenerys tourna son regard sur la masse noire qui gisait à ses pieds. Elle distingua deux silhouettes, des cadavres vêtus de laines et de surcots bouillis. Leurs visages rongés par la pourriture étaient devenus méconnaissables. Seul le blason rose épinglé sur leurs vêtements permettait de les identifier.

« Il s'agit de Bolton, crut bon d'ajouter Jon Snow.

- Je sais reconnaître les blasons des maisons du Nord, répliqua-t-elle, amère. »

Il ne sembla pas s'en offusquer pour autant. Il s'était baissé sur les corps et avait découvert leur cou. Des marques bleues et violettes sur une peau pâle qui n'était pas encore totalement gâtée faisaient penser à de la strangulation.

« Nous les avons retrouvés pendus à quelques mètres d'ici, dans la forêt. »

L'un des hommes de la Garde de Nuit lui tendit des nœuds de corde.

Jon se tourna à nouveau vers elle, tout son sérieux collé à son visage et le regard impassible cette fois-ci.

« C'est une histoire dont on entend parler à travers Westeros. Ce sont des bruits qui courent, des racontars de rue, des contes pour faire pleurer les enfants. Il y aurait dans ces bois un fantôme revenu hanter le monde des vivants pour venger sa famille. »

Il prit une profonde inspiration et baissa le regard.

Il n'est pas fiable.

Il releva la tête. Sa bouche tremblait.

« Ce ne sont que des histoires. La vérité c'est que la Fraternité sans bannière – j'ose espérer que vous en avez entendu parler – rôde depuis des années dans ces forêts pour faire leur loi. Ils ne se reconnaissent en aucun souverain actuel. Ils se croient justiciers, se disent serviteurs du peuple et appliquent leur loi. Je ne peux affirmer avec exactitude qu'ils sont les auteurs de ces actes, mais c'est leur manière de faire. Nous les avons déjà vus faire. »


Ils avaient fait brûler les corps sitôt leurs vêtements et leurs armes retirées – ils pourraient servir. Daenerys ne voulait pas de morts pour venir assaillir ses troupes une fois la nuit tombée. Elle ne voulait pas revivre encore et encore le même cauchemar.

Ce qui est mort est mort et doit le rester.

Elle avait parfois encore à l'esprit les yeux vides de Drogo qui ne pouvait même pas la fixer, son corps froid contre lequel elle s'était collée dans une étreinte désespérée de retrouver un peu de la chaleur qui avait animé leurs ébats et son visage inexpressif dans lequel elle n'avait même pu retrouver une esquisse de leur amour passé.

Toute magie a un prix et je l'ai déjà payé.

Les Marcheurs blancs et les Autres étaient devenus ses nouveaux ennemis. Baratheon, Stark et Lannister n'étaient plus que des murmures portés par le vent. Elle avait ravalé une partie de sa rancœur pour se souvenir de la raison qui l'avait menée ici.

À quoi m'aura-t-il servi de récupérer le Trône de fer s'il ne reste plus personne à gouverner dans mon royaume ? Que des ruines dans les cendres et des larmes sur des corps sans vie ?

Jon était entré dans la pièce où elle tenait les entretiens avec ses conseillers. De tous ceux qui avaient été auprès d'elle, il ne restait plus que ses fidèles sang-coureurs, ser Barristan, Missandei et Tyrion. Tous les autres avaient péri – et combien d'autres devront périr encore ? – ou l'avaient trahie.

La salle était exsangue, éclairée de quelques bougies, de deux lampes à huile suspendues au plafond. Il n'y avait pas même une fenêtre. Au centre trônait une lourde table en bois massif sur laquelle la carte de Westeros avait été épinglée, autour étaient disposées des chaises. Ils se tinrent debout, Missandei à sa droite, ser Barristan à côté de celle-ci, Tyrion à sa gauche. Face à eux, Jon Snow et son écuyer la fixaient. Un troisième homme était présent. Ses vêtements étaient rapiécés à de nombreux endroits par des tissus gris et marron, bien fin pour un temps si froid. Ses cheveux bruns, lisses, retombaient en mèches devant de petits yeux fatigués. Elle ne l'avait jamais vu.

Ce n'est pas un homme de la Garde de Nuit.

Daenerys fit signe à Jon Snow de s'avancer, ce qu'il fit sans hésiter un instant.

« Je vous laisse la parole, Jon Snow, dit-elle d'une voix solennelle. »

Il s'éclaircit la gorge et se pencha sur la carte. Du doigt il pointa les bois des Conflans et la route royale.

« La Fraternité sans bannière a longtemps été présente dans ces zones. Les personnes qui la composent disent défendre les petites gens des hommes malintentionnés qui auraient profité de la guerre pour s'en prendre à eux – puisqu'ils étaient sans défense. Elle est apparue après la mort de Robert Baratheon – certains prétendent d'ailleurs lui être encore fidèles. Mais leurs actions ont pris un revers quelques temps après ... »

Daenerys le vit déglutir et hésiter, comme si le mot lui restait coincé en travers de la gorge.

« Après les Noces Pourpres, poursuivit-il. Ils s'en sont pris aux Frey – n'importe quel Frey, il suffisait qu'ils portent les couleurs de cette maison – et aux Bolton, en priorité. On a commencé à retrouver des cadavres dans les forêts, des pendus accrochés à des arbres, et on a dit des bois qu'ils étaient hantés.

- Qui est à la tête de cette Fraternité ? lui demanda-t-elle.

- Je n'en ai pas la moindre idée. Je ne les ai jamais croisés – sans doute étaient-ils trop occupés à semer la mort dans Westeros. Mais, Votre Grâce, il faut que vous sachiez qu'il y a beaucoup d'histoires qui circulent autour de la Fraternité, la plus fréquente étant qu'il sera menée par une femme qu'ils auraient ramenée à la vie. »

La surprise frappa Daenerys, mais elle n'en fit rien savoir. Elle garda une expression circonspecte sur le visage, comme si ce que Jon Snow venait de lui dire ne l'avait pas atteinte.

Ils n'ont pas besoin de savoir.

« Et que savez-vous sur cette femme ressuscitée ? dit-elle, l'incitant à poursuivre.

- Peu de choses, mais Karl, qui est ici, peut vous en dire plus, répondit-il.

- Parlez. »

L'homme s'avança d'un pas maladroit. Il n'osa la regarder dans les yeux.

« Le Lord Commandant il vous dit que c'est que des histoires, Vot' Grâce, mais moi j'vous dis que j'l'ai vu la Lady Stoneheart.

- Lady Stoneheart ? répéta Daenerys pour jouer de son étonnement. Est-ce comme cela qu'elle se fait appeler ?

- C'est comme ça que tout l'monde y la nomme. Elle s'est réveillée un peu après qu'les Frey y lui ont coupé la tête au Loup des Stark. Moi j'servais pas trop loin des tours du vieux Frey à c't'époque-là, mais j'me suis fait la malle quand ça a commencé à s'gâter et qu'il a commencé à pleuvoir des hommes. Mais j'l'ai vue, la Lady Stoneheart. Elle a des yeux sombres comme des puits et un visage pâle comme un corps mort. Elle porte toujours une capuche et elle peut pas parler. Elle fait que grogner. C'est un type, grand comme ça, qui parle en son nom. Y dit qu'ils s'arrêteront pas temps que la Lady Stoneheart aura pas fini d'venger sa famille.

- Votre Grâce, je vous prie de pardonner mon intervention, mais cela me semble n'être que des racontars de taverne, coupa ser Barristan qui, Daenerys pouvait le sentir, se faisait impatient.

- C'est pas vrai qu'c'est des racontars de tarverne ! Vot' Grâce, vous d'vez me croire ! J'vous jure sur mes trois bœufs qu'c'est pas des racontars !

- Calmez-vous et poursuivez, ordonna Daenerys. Nous déterminerons plus tard s'il s'agit d'une histoire vraie ou si ce ne sont que des balivernes.

- Y a un dernier truc que vous d'vez savoir sur la Lady Stoneheart. J'vous ai dit qu'elle voulait venger sa famille … sa famille, c'sont les Loups, Vot' Grâce. La Lady Stoneheart, c'est la Lady Catelyn, l'épouse de Ned Stark. »

La révélation lâcha un froid dans la pièce. Ser Barristan et Tyrion Lannister s'étaient retournés vers elle et la fixaient. Elle lisait dans leur regard ce qu'ils pensaient – des sornettes, ce ne sont que des sornettes d'ivrognes –, mais aucun d'eux n'avait vu ce qu'elle avait vu.

Aucun d'eux n'a vu se relever Drogo, revenu d'entre les morts.

Elle se souvenait de Drogo qui n'était ni vraiment mort, ni vraiment vivant et de la douleur qu'elle avait vu derrière le voile terne de ses yeux.

C'étaient des souvenirs douloureux qu'elle préférait garder enterrés dans un coin de son esprit.

Tyrion brisa finalement le silence d'un ricanement :

« Vous prétendez que vous avez vu Catelyn Stark, l'épouse de Ned Stark, à qui Walder Frey a fait trancher la gorge, marcher dans la forêt en compagnie de la Fraternité sans bannière ?

- Non, m'sire. J'prétends rien. J'vous l'dis. Et elle marchait pas dans la forêt, c'est elle qui mène la Fraternité sans bannière. C'est qu'la vérité. »

L'homme eut un mouvement de recul. Il devait sans doute sentir les regards perplexes que Daenerys et ses conseillers lui lançaient.

Une dernière question effleura les lèvres de Daenerys :

« Comment en êtes-vous venu à la voir ? Si vous travailliez pour la maison Frey, comment se fait-il qu'il ne vous est rien arrivé ? Rien ne me dit que vous n'avez pas inventé toute cette histoire.

- Y a pas que moi qui le dit, Vot' Grâce. Partout dans Westeros les gens y parlent d'elle. Vous savez, elle a un prêtre rouge avec elle et on dit qu'y fait des trucs pas nets. L'ser Beric y l'était avec lui.

- Ser Beric Dondarion, crut bon de préciser ser Barristan. Un chevalier.

- Il est mort, ajouta Karl. Il a embrassé la Lady Stoneheart pour la ressusciter et il est mort. C'est c'qui s'est passé, Vot' Grâce. Il l'a ressuscitée et il est mort. Voilà tout' la vérité. »


Tyrion lui tendit une coupe de vin et grimpa sur le fauteuil à quelques centimètres d'elle. Ser Barristan était resté debout dans la pièce. Il se montrait bien plus sceptique que Tyrion sur cette affaire et ne se privait pas de le faire savoir.

« Il est vrai que ser Beric a toujours inspiré la méfiance et le mystère, mais de là à croire qu'il avait le pouvoir de ressusciter les morts … ça me semble être de la folie.

- Ser Barristan, loin de moi l'idée de vous offenser, mais cette histoire aurait pu, depuis le départ, rendre n'importe quel homme fou. Une cité antique qui renaît, des dragons, des hommes de glace qui viennent marcher sur la terre de nos ancêtres, des hommes de pierre qui reviennent à la vie … serait-ce si fou de croire que Lady Catelyn aurait pu être ressuscitée ? Dois-je vous rappeler que ser Beric est mort de la main de mon frère, la lame traversant son œil jusqu'à son cerveau ?

- Ser Beric n'a pas été ressuscité.

- Je l'ai vu mourir de mes propres yeux, ser Barristan. Il y a des faits que la raison ignore. Le déclin, puis la renaissance subite des dragons en sont probablement un. Et vous, qu'en pensez-vous, Votre Grâce ? »

Elle avait vu les œufs des dragons se mettre à éclore, les images de la maison des Non-Vivants, si loin et pourtant si réelle, et Drogo se relever.

« Il y a sans doute une part de vérité dans cette histoire. N'avez-vous pas vous-même, ser Barristan, quitter Westeros à ma recherche alors même que vous ne pouviez pas être certain de mon existence, ni de la réalité des rumeurs qui circulaient à mon sujet ? »

Il acquiesça d'un hochement de tête. Les hommes ont parfois besoin de se raccrocher à un espoir pour continuer à avancer. Lorsque tout entendement et toute raison leur échappe, parce qu'ils ne peuvent comprendre ce qui se passe derrière le rideau de l'improbable et de l'incompréhensible, les hommes se braquent et bardent de jurons honteux tous ceux qui parviennent à entrapercevoir derrière le voile, ce filigrane strié de doutes. Elle avait, beaucoup plus souvent, fait partie des monstres de l'au-delà que des détracteurs. Elle faisait partie d'une lignée où l'on porte la magie comme un prénom, faite de traditions aussi anciennes qu'inexpliquées. Elle pouvait être l'inexplicable. Elle ne pouvait cracher sur l'inexpliqué.

Ser Barristan l'avait fait, comme elle l'avait fait après la mort de Drogo et Tyrion lui-même, après être arrivé sur Essos, avait préféré suivre le chemin de l'espérance, quitte à rencontrer des obstacles qui dépassent l'entendement. Elle avait, sans sourciller, demandé – ordonné – aux habitants de Westeros de remettre leur confiance entre ses mains pour les sauver du chaos qui planait sur le continent. Elle ne pouvait accuser de fable, sans se contredire, ce qu'elle n'avait pu vérifier.

Elle soupira, fit un signe de la main assez explicite et les congédia l'un comme l'autre. Tyrion lui fit savoir qu'il ferait conduire Missandei à ses appartements.

Elle refusa. Elle devait voir Jon Snow.

Elle vida son verre d'une traite et patienta, ses doigts parcourant les rebords de la coupe.

L'homme entra dans la pièce, vêtu des mêmes loques qu'il portait lors de leur première rencontre et de cette épée dont il ne se séparait jamais. Grand-Griffe, l'avait-il appelée, la griffe d'un ours – ou d'un loup. La lame de cette épée avait été forgée dans le feu d'un dragon, imprégnée du savoir-faire et de la magie de la lignée des Targaryen. Les épées étaient des dons faits par Aegon aux maisons de Westeros qui s'étaient agenouillées devant lui. Elles les protégeaient. Daenerys n'était pas certaine de pouvoir l'expliquer, mais elle se sentait en quelques sortes rassurée de le voir avec cette arme à la taille.

Elle le fut un peu moins lorsqu'elle vit son visage et l'air à la fois soucieux et triste qui le marquait.

Jon Snow s'arrêta devant la porte, à la hauteur des candélabres et attendit qu'elle l'invite à s'approcher. Daeneyrs lui désigna la table, le vin et le verre vide qui s'y trouvait.

« Servez-vous. »

Il s'exécuta en silence, plus par politesse que par réelle envie.

« Vous pouvez vous asseoir, ajouta-t-elle lorsqu'elle le vit prostré au milieu de la pièce.

- Merci, répondit-il, mais je préfère rester debout. »

Il ne s'était pas attendu à être appelé si tard dans la nuit et n'appréciait pas plus de se trouver ici. Ses yeux naviguaient d'un coin à l'autre de la pièce et ses doigts se resserraient avec frénésie sur le manche gravé de son épée. Il s'impatientait.

« Vous croyez en ces histoires, Jon Snow ? demanda-t-elle. »

Pendant qu'il se tourna vers elle, le temps sembla s'arrêter. Le vent se figea dehors et les flammes s'immobilisèrent. Les ombres turent le chuchotement de leurs contes sur les murs. Jon la regarda droit dans les yeux avec des iris sombres, si foncés qu'ils semblaient se confondre avec ses pupilles. Ils absorbaient toute lumière dans un puits d'abysses glaçantes.

Elle eut un frisson et fit mine de se couvrir avec le manteau qu'elle portait. C'était ridicule puisqu'elle n'avait pas froid – elle n'avait plus froid.

Jon Snow restait un mystère pour elle. Elle voulait le croire honnête, mais restait dans la retenue.

Ils m'ont tant trahie que je ne parviens plus à les distinguer.

Pour le sang, l'argent et l'amour.

Tous y étaient déjà passés, mais elle dénombrait plus de traîtres que de raison. Derrière Jon Snow pouvait encore se cacher une menace.

Il prit son temps avant de répondre. Il vida sa coupe et la reposa.

« Je ne pense pas qu'il s'agisse d'histoires. Les morts reviennent à la vie, Votre Grâce. J'en ai été le témoin. »

Il l'avait vécue. C'était écrit sur ses lèvres tremblantes et ses sourcils froncés, ses mâchoires serrées et sa respiration saccadée. Ses dires le ramenaient à des souvenirs douloureux.

« Lady Catelyn Tully n'était peut-être pas votre mère, mais elle était celle de vos frères et sœurs. Je ferais en sorte que vous n'ayez pas à l'approcher de trop près. »

Si Jon Snow n'était pas honnête, elle pourrait au moins se targuer de l'être.


Au petit matin, ils levèrent le camp. Les hommes étaient restés trop longtemps immobiles et inactifs. À ce rythme, ils seraient transformés en glace avant même l'arrivée des Marcheurs blancs.


Daenerys menait la marche sur son cheval, ser Barristan et ses sang-coureurs à ses côtés. Tyrion et Missandei étaient postés juste derrière eux. Ses soldats suivaient à une allure mesurée et tout au fond, disparaissant parfois dans le brouillard, marchaient les hommes qui avaient servi la Garde – et Jon Snow. Certains avaient pu s'octroyer un cheval, mais la plupart était à pieds.

Ils faisaient route vers l'Est. Ils avaient peu de chance de traverser les Jumeaux sans devoir affronter les Frey – ou du moins, ce qu'il en reste – et la Fraternité, mais c'était un pari risqué qu'elle devait tenir. Les fesses de son neveu posées sur le Trône de Fer ne suffiraient pas à affirmer sa légitimité sur Westeros. Elle avait fini par comprendre qu'il était nécessaire qu'elle impose son autorité. La Fraternité représentait une brèche dans son pouvoir qui éventait l'édifice bancal qu'elle gouvernait. Un souffle trop fort et tout le château s'écroulerait. Elle devrait trouver les coupables et colmater les trous par de nouvelles patrouilles dans les campagnes et la confiance nouvellement gagner du peuple.

Tout est toujours une question de confiance.

À l'orée des bois, en bord de route, dans un fossé, accroché à un arbre, ils retrouvaient toujours des corps. La Fraternité avertissait, mais elle semait aussi derrière elle une piste. Plus ils avançaient, moins les cadavres se décomposaient.

Au couché du soleil, ils firent camp en lisière de forêt. Daenerys fit envoyer un de ses sang-coureurs et une douzaine d'hommes avec eux pour partir en éclaireur et tenter de dénicher un membre de la Fraternité. Elle s'installa dans une tente avec Missandei qu'elle garda auprès d'elle. Elle ne fermerait pas l'œil, sa suivante, en revanche, s'endormit.

Elle se releva au beau milieu de la nuit, se couvrit et sortit. Elle vit dans le noir la lueur des flammes et les quelques hommes qui montaient la garde. Il y en avait d'autres assis autour d'un feu et au loin, elle aperçut un solitaire, paré de fourrures, assis à même le sol sur la terre. Elle s'approcha et reconnut le manche de son épée qui dépassait. Il avait la tête levée au ciel et les mains posées sur ses genoux repliés.

« Est-ce l'étoile filante que vous fixez ainsi ? demanda-t-elle en se postant derrière lui. »

Surpris, Jon Snow se redressa.

« Restez assis. »

Il se leva tout de même et se tourna vers elle. Elle reconnaissait à peine ses traits dans l'obscurité et ses yeux, toujours plus sombres, faisaient taire la lumière.

« Tyrion vient de me quitter, expliqua-t-il. Je contemplais seulement le ciel, Votre Grâce.

- Auriez-vous du mal à trouver le sommeil ?

- Sans doute autant que vous. Croyez-vous vraiment en cette résurrection ? Vous m'avez paru perplexe lorsque nous en avons parlé. »

Avouer c'était aussi se dévoiler. Elle devrait parler de son passé et se confier.

Il en était hors de question.

« J'ai élevé trois dragons, Jon Snow. Je n'exclus simplement aucune possibilité. »

Il se contenta de cette réponse et se tourna à nouveau vers l'étoile.

« Je l'ai vue, cette étoile, lorsque je suis mort. »

C'était l'histoire racontée partout dans Westeros et par les fidèles de Jon Snow lui-même. Il aurait péri sous les coups des hommes de la Garde de Nuit. Elle pouvait le croire, mais ç'aurait été admettre qu'elle faisait confiance en sa parole. Ce n'était pas – encore – le cas.

Des cris les surprirent tous les deux. Jon brandit son épée et se plaça devant elle.

Des chevaux jaillirent du bois, les sang-coureurs de Daenerys en tête. Elle détailla leur entrée. Ils n'étaient pas seuls.

Derrière leurs chevaux ils traînaient deux hommes vêtus de défroques trouées et dépareillées.


Jhogo tira sur les liens qui maintenaient les deux hommes et les força à se mettre à genoux devant Daenerys.

« Nous les avons attrapés derrière une monticule de terre. Ils s'étaient cachés et quand ils se sont rendus compte que nous les avions repérés, ils ont tenté de s'enfuir, Khaleesi, expliqua Jhogo. »

D'une main, il tenait la corde qui emprisonnait les deux hommes, de l'autre, il gardait le fouet – qui l'avait un jour sauvée – bien en évidence.

« Nous avons tenté de connaître leur identité, mais pas moyen de les faire parler, Votre Grâce, ajouta un des cavaliers. On leur a pris ceci. »

Il déposait à ses pieds des armes : un arc et une masse monstrueuse.

Daenerys observa les hommes tour à tour. L'un deux était petit et gringalet. Des cheveux filasses entouraient son maigre visage. Le second, en revanche, était beaucoup plus costaud. Bien bâti, il arborait de larges épaules et une imposante chevelure noire. Ils étaient tous les deux très jeunes. Ils ne devaient pas avoir plus de vingt ans.

Leur âge lui importait peu. Ils devraient parler.


« Ce que Jon Snow a dit est vrai. Aucun d'eux ne vous reconnaît comme leur souverain, Votre Grâce, lui confia Barristan d'un ton terne. Mais ils ont affirmé ne se reconnaître en aucun de ceux qui ont succédé au Roi Robert. »

Des félons, tous, et Robert décédé dans son propre sang avec. Lui qui a usurpé le Trône de mon père et fait chasser ma famille de Westeros pour essayer de m'exécuter par la suite.

« Il faudra pourtant qu'il parle, déclara-t-elle.

- Nous ne connaissons même pas leur nom. Ils refusent de nous dire quoi que ce soit, répéta le chevalier.

- Les avez-vous interrogés séparément ?

- Nous les avons interrogés ensemble, puis séparément. Cela n'y change rien. Leur discours reste le même. »

Les deux hommes étaient des traîtres et la trahison est punie de mort sur Westeros. Elle aurait pu faire exécuter la sanction immédiatement si elle n'avait eu pas un besoin vital de leurs informations. Elle pouvait bien sûr décider d'entrer dans le bois et de lancer ses hommes à la recherche de la Fraternité, mais combien étaient-ils et combien d'hommes mourraient durant cette opération risquée ? Elle ne pouvait se permettre une seule perte.

Le temps presse. Il nous faut marcher vers le Nord.

À temps désespéré, mesures désespérées.

Elle n'avait plus peur depuis longtemps d'employer la manière forte. Elle était née dans le feu et le sang. Elle vaincrait dans le feu et le sang.

« Il faut les faire parler. »

Elle lança un regard froid à ser Barristan qui sembla comprendre ce qu'elle sous-entendait.

« Vous ne pensez pas … Votre Grâce, ce n'est pas raisonnable. La torture ne peut pas être la solution. Vos hommes doivent croire en vous, non vous craindre.

- Ils doivent me respecter, ser Barristan, et je n'ai plus le temps pour leurs enfantillages. »

Elle avait reconquis la terre de ses ancêtres, la terre qui lui revenait de droit. Son droit avait été affirmé et elle ne pouvait plus s'embarrasser de vaines contestations vu la situation dans laquelle Westeros se trouvait. Comment pouvait-elle gagner la confiance de ses hommes s'ils ne croyaient pas en elle et en sa détermination ? De quoi aurait-elle l'air si elle laissait les traîtres impunis ? Elle ne pouvait plus passer pour faible. Elle devait se montrer assez forte pour que tous la suivent jusque dans les ténèbres les plus sombres de l'Hiver – et jusque dans la mort si cela devait être leur destination finale.

« Ils ne parleront pas plus sous la torture et morts, ils ne vous serviront plus à rien. Utilisons-les pour entrer dans la forêt. S'ils refusent de nous guider, nous pouvons au moins nous en servir pour passer un marché avec eux.

- Qu'entendez-vous par là ?

- Leur vie contre un entretien avec leur meneur. »

Peut-être qu'après tout, elle pourrait se passer de sang pour ce jour-ci.


Ils partirent à l'aube, leurs deux prisonniers en tête de fil. Jhogo les surveillait d'un œil méfiant et Jon Snow se tenait à quelques mètres derrière eux.

De son cheval, elle entendait Tyrion baragouiner sur l'étrange ressemblance d'un des garçons avec l'Usurpateur. Elle se retint de lui faire remarquer de ne pas évoquer le nom des Baratheon en sa présence et attrapa quelques brides de la conversation.

« Sa crinière noire, sa carrure, même ses yeux bleus. Il a tout de Robert, avec quelques bonnes dizaines de kilos en moins. Vous devez le savoir, vous l'avez vu d'assez près.

- Je ne l'ai pas côtoyé aussi longtemps que vous, rappela Jon. »

Daenerys ne connaissait les Baratheon qu'à travers les histoires que son frère lui avait racontées dans leur enfance. Il lui avait d'abord retracé la vaillante épopée de leur ancêtre, Aegon, et de ses sœurs, puis celles des Rois Targaryen qui s'étaient succédé sur le Trône, la lente dégénérescence des dragons jusqu'à leur disparition. Il avait même effleuré de quelques mots la rébellion Feunoyr. Robert Baratheon n'avait pas été le premier à avoir ébranlé la longue dynastie des Targaryen, mais il était le premier à l'avoir faite chavirer. La vie de misère qu'elle avait menée durant son enfance, la peur de ne jamais rentrer chez elle qui l'avait rongée le jour comme la nuit, la longue reconquête de son héritage – qu'elle avait vécu dans le sang et la douleur –, tout était de sa faute. Entendre parler des Baratheon l'insupportait. C'était comme un bourdonnement dans ses oreilles quoi qu'elle fasse, les Baratheon perdureraient.

Sauf à ce que j'agisse comme eux et que je les pourchasse et que je les exécute les uns après les autres jusqu'à ce qu'il n'en reste plus un.

Même Daemon Feunoyr n'avait pas eu droit à ce sort. Il s'était fait exiler de l'autre côté de la mer et n'avait plus remis les pieds sur Westeros – jusqu'à récemment, lorsque mon neveu, mon époux, reprenne la Terre de nos ancêtres pour moi.

« Peut-être est-il l'un de ses bâtards, suggéra Tyrion sur le ton de la plaisanterie. Mon beau-frère était connu pour ses nombreuses aventures. Il préférait les décolletés plongeants des serveuses de tavernes à la couche de ma charmante sœur, quoi que, je puisse le comprendre. Ses draps devaient être aussi glacés que son cœur. »

Le jeune homme tourna brusquement sa tête et fixa d'un air mauvais Tyrion sur son cheval.

« D'où viens-tu, jeune homme ? Peut-être ta charmante mère a-t-elle croisé la route de Robert Baratheon. »

L'homme grommela, mais les priva tous de réponse.

Ils poursuivirent sur plusieurs kilomètres, s'enfonçant toujours plus dans la forêt.


« Nous ne savons pas où nous mettons les pieds. Nous ne pouvons pas plus savoir si nous nous dirigeons dans un guet-apens. Ils pourraient préparer une embuscade et même s'il est possible que nous soyons beaucoup plus nombreux qu'eux, ils sont sur leur territoire, Votre Grâce. Croyez-vous que cela soit bien sage ? »

Ser Barristan avait de nombreuses raisons de s'inquiéter. Daenerys avait considéré toutes ces possibilités et, à vrai dire, elle avait conscience de tous les risques qu'elle prenait en s'aventurant ainsi en territoire inconnu Mais n'était-ce pas ce qu'elle avait toujours fait ?

Il y avait eu Aegon le Conquérant, peut-être y aurait-il, un jour, Daenerys la Conquérante.

Jhogo fit claquer son fouet et l'empêcha de répondre.

Une seule flèche frappa un de ses hommes qui s'écroula à terre. Les chevaux furent pris de panique. Elle vit Jon brandir son épée, Barristan et ses sang-coureurs l'entourer et la discorde troubler ses troupes.

Elle chercha des yeux ceux qui avaient pu tirer sans en trouver trace. Ils avaient trouvé dans les branchages un camouflage parfait. Elle donna l'ordre à ses hommes de se resserrer et d'une voix forte annonça :

« Moi, Daenerys du Typhon, Reine des Sept Couronnes et Protectrice du royaume, suis venue à la rencontre de la Fraternité sans bannière. Nous avons pris en otage deux de vos hommes et nous ne leur laisserons la vie sauve que si votre meneur concède à s'entretenir avec moi. »

La réponse alla au-delà de ses espérances. Un groupe émergea des fourrés. Une douzaine d'hommes, tous armés d'arc et d'épées, vêtus aussi pauvrement que les prisonniers, s'avança vers eux. L'un d'entre eux, grand, portant une longue chevelure blonde, se détacha du lot.

Mais, Daenerys le comprit tout de suite, ce n'était pas celui qui lui parlerait.

Derrière l'homme, elle aperçut une silhouette recouverte d'un capuchon noir. Elle ne pouvait voir ni regard, ni visage dans ce puits de noirceur.

Un seul rauquement s'échappa du capuchon et tous se turent, hommes et vent, arbres et chevaux. Il n'y eut que ces terribles gémissements sortis d'outre-tombe pour couvrir ce tableau de silence vierge.