Chapitre 2

Agent Granger, il faut vous calmer. Non, non, doucement, restez couché. Vous êtes à l'hôpital, on vient de vous faire passer un scanner.

- Laissez-moi tranquille, je dois aller…

- Du calme, du calme, respirez calmement, voilà, c'est bien. Vous êtes à l'hôpital et on s'occupe de vous. Vous vous souvenez ?

- Je suis tombé dans l'eau.

- Exact, vous vous êtes cogné la tête et vous avez fait un arrêt cardiaque et respiratoire. Heureusement que vos collègues étaient là, ils vous ont sauvé la vie. Le scanner a montré un léger oedème cérébral, vous allez devoir rester couché les trois prochains jours au moins et suivre un traitement à base d'anti-oedèmateux que nous avons déjà commencé en IV. Nous allons vous surveiller de près pour s'assurer qu'il n'y ait pas d'autres complications ou que votre œdème ne nécessite pas d'intervention chirurgicale.

- Non, non, je ne veux pas, je ne peux pas, je dois aller…

- Doucement, ce n'est vraiment pas bon de vous agiter maintenant, vous avez besoin de calme et de repos. J'ai parlé au Dr Mayfield, elle m'a expliqué la situation.

- Ellie ?

- Le Dr Mayfield viendra vous voir dès la fin de son service, en attendant elle m'a dit de vous dire de ne pas vous inquiéter et de vous reposer, tout va bien. Nous allons vous ramener dans votre chambre, et l'infirmière viendra vous réveillez toutes les deux heures pour s'assurer que vous êtes toujours lucide et orienté.

- Trois jours ?

- Oui au minimum, s'il n'y a pas de complications. Les blessures à la tête comme la vôtre sont souvent plus grave qu'elles n'y paraissent. Bien, je vous laisse, vous avez besoin de rester tranquillement couché, du repos en somme. Je repasserai vous voir dans la…..

Son patient n'avait pas attendu la fin de sa phrase pour s'endormir. Bien, il en avait réellement besoin. Avec ce genre de blessure, le fait de rester sagement couché pouvait être le meilleur des remèdes. Restait à savoir si ce patient allait accepter de suivre son traitement. Le Dr Mayfield lui avait vaguement expliqué la situation et même s'il la comprenait très bien, la santé de son patient passait avant toute autre considération. Il ne laisserait personne dire le contraire.

Quand il ouvrit la porte du foyer, il eut la très nette impression de se retrouver au zoo, devant la cage des fauves. L'agent Eppes semblait à l'instant aussi nerveux et dangereux que les prédateurs, occupants habituels desdites cages.

-Agent Eppes ?

-Ah Dr, comment va mon collègue ?

- Le scanner a laissé apparaître un petit œdème que nous traitons pour l'instant par voie médicamenteuse. Nous allons le surveiller de près durant les prochaines soixante-douze heures. Nous serons à même d'intervenir rapidement si sa pression intracrânienne augmente subitement. Pour le reste il y a eu plus de peur que de mal, il n'y a aucun signe d'un autre traumatisme et son rythme cardiaque est revenu à la normal. Nous allons le maintenir sous O2 nasal jusqu'à ce soir, juste par précaution.

- Je peux le voir ?

- Oui, mais il vient de s'endormir et il a besoin de repos, essayez de ne pas le réveiller. Il est dans la chambre 316, nous venons de l'installer. Emma va vous accompagner.

- Merci docteur ! Je veux juste m'assurer de mes propres yeux qu'il va bien. Je repasserai dans la soirée, j'ai besoin d'avoir son rapport sur l'incident le plus vite possible et son dossier médical devra nous être transmis pour ses états de service.

- Pas de problème, nous connaissons la procédure.

- Dans ce cas, merci. Je vais voir l'agent Granger et je retourne au bureau, vous pourrez me joindre là-bas au cas où.

- Oui, nous avons toutes vos coordonnées dans le dossier de l'agent Granger. Il semblerait que ce soit vous la personne à contacter s'il y avait des décisions médicales à prendre pour lui.

Le regard que lui lança l'agent Eppes à ce moment là était quasiment indéchiffrable, trop de choses s'y bousculaient. Il savait qu'en général les agents fédéraux avaient des réactions bizarres quand l'un des leurs était blessé, mais ce dossier dépassait tout. Il décida de laisser à l'homme en face de lui le temps de reprendre ses esprits et de poser une question, lesquelles semblaient se bousculer par centaine dans ses yeux.

- Je… Moi ? Et sa famille ?

- L'agent Granger a fait mentionner dans son dossier médical que la personne qui pourrait décider d'un traitement médical à sa place au cas où lui ne le pourrait pas, serait vous. Ce que je ne comprends pas dans votre étonnement, c'est que dans ce genre de cas, enfin je veux dire pour les dossiers impliquant des agents de la force publique cette mention est obligatoire. Ce que je veux dire, c'est que l'agent Granger n'a pas de famille, vous saviez quand même qu'il est orphelin? Et donc, dans les cas ou la personne à contacter n'est pas de la famille, il faut que les deux personnes signent le formulaire, c'est-à-dire l'agent Granger et vous.

- Je… Ah si, attendez une minute, je me souviens maintenant d'une conversation.

Maintenant qu'il y pensait, Colby était en effet venu le voir. Il avait demandé un entretien et avait abordé le sujet assez maladroitement. Pas de famille à prévenir, personne de proche géographiquement en cas de problème. Don se souvenait avoir signé le formulaire sans faire de difficulté, après tout il était responsable de ses hommes, mais maintenant qu'on le mettait en situation, cette décision lui semblait totalement absurde. Comment pourrait-il faire des choix impliquant forcément la vie de son collègue ? Et en même temps qui le ferait si ce n'était pas lui ? Le personnel médical ? Il se passa la main dans ses cheveux encore humide de la douche et souffla un grand coup. Il ne lui restait plus qu'à espérer que Colby serait toujours à même de prendre les décisions le concernant.

- Agent Eppes ?

- Oui, excusez-moi. Oui je me souviens du formulaire. Mais pour l'instant, l'agent Granger est à même de prendre toutes les décisions le concernant, n'est ce pas ?

- Oui, oui, bien sûr. C'est juste une mention obligatoire.

- Bien dans ce cas là, a plus tard.

- Au revoir, agent Eppes.

Il détestait vraiment les hôpitaux, il ne les aimait pas beaucoup avant, mais c'était devenue une vraie phobie depuis le cancer de sa mère. Longer ces longs couloirs le mettait très mal à l'aise, derrière chaque porte se cachait une autre histoire, d'autres douleurs. Et le revoilà encore une fois devant une de ces portes à se demander ce qui l'attendait de l'autre côté. La porte était légèrement entrouverte et on entendait les bips-bips habituels et réguliers. Il entra sur la pointe des pieds, il n'avait pas envie d'affronter Granger, pas maintenant, il voulait seulement s'assurer de ses propres yeux qu'il était sagement sous les couvertures. De fines ridules barraient le front de son collègue, les ennuis semblant le poursuivre jusque dans son sommeil, pas sûr qu'il soit réparateur dans ces conditions. Il le regarda s'agiter dans son sommeil avant de lui parler :

- Je retourne au bureau Colby, je reviendrais ce soir. Essaie de rester tranquille.

Il savait que le jeune homme ne pouvait pas l'entendre et malgré toute la colère qu'il ressentait encore à son égard, il n'avait pu s'empêcher d'essayer de l'apaiser. Après tout, quoi qu'il puisse en penser ou même qu'il essaie de se convaincre du contraire, les faits étaient là, il avait laissé un des ses hommes derrière lui, et celui-ci était maintenant dans un lit d'hôpital. Il jeta un dernier coup d'œil à son collègue avant de se diriger vers la porte, il fallait qu'il retourne au bureau pour remplir son rapport et avoir cette petite conversation avec les deux agents qui avaient laissé à Dwayne Carter l'occasion de blesser Colby.

Le trajet jusqu'au bureau lui donna l'occasion de réfléchir, il ne savait pas trop quoi faire, ni avec les deux agents ni avec Colby, pour ce dernier un blâme dans le dossier assorti d'une punition lui semblait de rigueur, mais n'était-il pas trop en colère pour avoir un jugement rationnel ? Le séjour de Colby à l'hôpital lui donnerait l'occasion d'y penser, il prendrait une décision plus tard, il allait d'abord s'occuper des deux autres. Pour ces deux-là, un petit retour à Quantico, pour un stage sur les techniques de maîtrises d'un suspect, ne devrait pas être superflu.

Le bureau semblait somnoler, le calme avant la tempête, nul doute que son retour allait mettre de l'ambiance, il n'éviterait pas les questions sur l'état de santé de Granger. Il zigzagua entre les bureaux et curieusement personne ne l'arrêta, c'était plutôt le contraire comme si on tentait de l'éviter, Megan avait du faire passer une note de service avec écrit en grand « tous à couverts » dessus, à moins que lui-même ne l'ai écrit sur son front à l'instant.

- Où sont-ils, Megan ?

- Ils t'attendent dans la salle de conférence, comme tu leur as demandé. Comment va Colby ?

- Il a une contusion cérébrale avec un léger œdème, mais rien d'inquiétant pour le moment, ils le garde sous étroite surveillance pendant les prochaines soixante-douze heures.

- On peut le voir ?

- Oui, les visites sont autorisés, mais il a besoin de repos, je retournerai le voir ce soir. Il n'a pas de famille, il risque de se sentir seul, même s'il le mérite. Tu savais qu'il n'avait pas de famille.

- Oui, il me l'a dit une fois. Mais en général c'est quelque chose que les gens n'aiment pas évoquer. Ne soit pas trop dur avec lui, ni avec les deux autres, ils n'en mènent pas large.

- Je serais pareil à leur place, vu la bavure qu'ils ont commise. Bien, j'y vais. Je ne veux pas être dérangé, sauf si l'hôpital appelle.

Elle le regarda se diriger vers la salle de conférence avec une certaine appréhension, les deux jeunes risquaient de passer un très sale quart d'heure. Don irradiait réellement, difficile de ne pas comprendre dans quel état d'esprit il se trouvait. Megan se retourna vers David qui n'avait pas raté une miette de la conversation, lui aussi était inquiet de la réaction de Don, mais il n'avait pas osé se mêler à la conversation, courageux mais pas téméraire le garçon.

- Ca va aller David, mais on devrait peut-être quand même appeler une ambulance pour les deux agents là-dedans.

Elle eut du mal à ne pas éclater de rire en voyant la mine de ce dernier, même si la situation actuelle ne s'y prêtait pas vraiment.

- Je plaisantais David, j'essayais juste de t'arracher un sourire. Que dirais-tu d'aller à l'hôpital ensemble tout à l'heure ?

- Bonne idée, j'ai vraiment envie de m'assurer que Colby va bien de mes propres yeux. De plus si on est là, Don ne sera peut-être pas trop dur avec lui.

- Il a fait une bêtise David et il faut qu'il assume, mais je pense aussi que la punition que vient de lui infliger la vie est suffisante. Je crois que Don le sait aussi, mais il n'en est pas encore conscient, c'est trop frais pour l'instant. De plus, tu as vu, il se soucie quand même de lui, il est inquiet même s'il ne le montre pas, je pense même qu'il se sent responsable de tout ça.

- Tu es redoutable, agent Reeves !

- Merci David !

La demi-heure qui suivi passa dans un silence tendu, Don n'était toujours pas sorti de la salle de conférence, mais ce qui inquiétait le plus Megan c'était de ne rien entendre, l'absence de cris ou d'hurlements était assez déstabilisante. Elle s'était résolue à aller voir si tout allait bien, au risque de s'attirer les foudres divines, quand la porte de la salle de conférence s'était ouverte sur deux agents blancs comme des linges, quoique pour le deuxième la couleur qui le caractérisait fût plutôt le vert. Il traversèrent l'espace sans même lever le nez, et le second fila tout droit vers les toilettes. Don suivait, les mâchoires serrées et quand il aperçut Megan il demanda simplement :

- Megan, appelle Quantico, demande leur quand le prochain stage de maîtrise d'un suspect a lieu et donne la date à ses deux abrutis.

- Bien.

- Vos rapports sont terminés ?

- Non, pas en….

- Alors, tu fais quoi au milieu du chemin ? A ton bureau, tout de suite, je veux vos rapports sur mon bureau dans une heure.

- Don, je ne crois pas….

- Un problème agent Reeves ?

- Aucun agent Eppes.

Bien, au boulot, alors !

Megan décida de laisser filer, ce n'était pas la peine d'essayer de discuter avec Don quand il était dans cet état, valait mieux filer tout droit et se faire le plus petit possible. Le jeune agent, qui n'était ressorti des toilettes qu'une demi-heure plus tôt l'avait d'ailleurs plutôt bien compris, et si le stage de maîtrise d'un suspect lui faisait défaut, celui sur les planques et le fait de passer inaperçu semblaient acquis. Elle déposa son rapport sur le bureau de Don sans un mot et retourna s'asseoir à son bureau pour s'occuper du reste de la paperasse en souffrance. De l'autre côté de l'allée, David avait adopté le même profil bas, pas de vagues et l'après-midi ne se terminerait peut-être pas dans un bain de sang. Ils attendaient tous les deux, avec impatience, le moment où ils pourraient filer pour aller voir leur collègue à l'hôpital, espérant simplement qu'un nouveau dossier ne viendrait pas les empêcher de partir à l'heure.

L'heure étant enfin arrivé, ils se levèrent tous les deux en silence, avant de souhaiter timidement une bonne soirée à leur patron.

- Vous allez à l'hôpital tous les deux ?

- Oui, tu viens avec nous ?

- Non, je passerai plus tard avec mon père, il a insisté pour voir Colby. Ah il est chambre 316.

- Merci, on se verra peut-être là-bas alors.

- Oui, bonsoir.

- Bonsoir Don.

Ils furent déçus en arrivant à l'hôpital, l'infirmière de garde, une espèce de cerbère aux nez crochu leur barrait le passage.

- Je suis désolée, mais vous ne pouvez pas voir l'agent Granger pour le moment, il a passé une après-midi difficile et il a besoin de repos.

- On ne restera pas longtemps, juste deux minutes le temps de s'assurer qu'il va bien.

- Il va bien, c'est juste qu'il est épuisé et qu'il lutte contre le sommeil. De la visite ne ferait que l'agiter encore un peu plus. Je suis désolée, mais ce sont les ordres du médecin. Pas de visites. Vous pourrez certainement le voir demain après-midi, mais appelez avant pour être sûr qu'on vous laissera entrer.

- Juste deux minutes !

- Agent Sinclair, je suis désolée, mais c'est impossible. C'est pou le bien de votre collègue.

Megan posa un bras apaisant sur celui de son ami, ce n'était pas la peine de se mettre le service médical à dos, et elle sentait David prêt à sauter à la gorge de la pauvre infirmière. Elle était tout aussi déçue que lui, mais si les visites étaient interdites c'est qu'il y avait une bonne raison à cela et si c'était pour le bien de Colby, elle se plierait aux règles.

- Bien, nous appellerons demain avant de passer. On y va, David. Je vais appeler Don pour qu'il ne se déplace pas pour rien.

- Même les portes de prisons sont plus aimables qu'elle.

- David !

David était désolé de s'être emporté, mais il s'en voulait tellement, tout ça c'était de sa faute, il n'avait pas su aider son partenaire. Il avait bien vu que Colby était préoccupé ces derniers jours, il avait bien tenté d'atteindre son ami, mais celui-ci avait refusé son aide, et même si cette constation le soulageait, il ne s'en voulait pas moins, il aurait dû insister ou fournir à son ami son aide qu'il le veuille ou non. Et maintenant comble de tout on l'empêchait de le voir.